Tenue de l'institutrice  1892

L'Inspecteur d'Académie recommande à l'attention des institutrices des écoles maternelles.

La correction du costume des institutrices a chez nous, une importance beaucoup plus considérable que dans les pays où les écoles sont, depuis longtemps, confiées à un personnel laïc, en Suisse par exemple ou en Angleterre, ou en Scandinavie, parce que notre population, habituée au costume des religieuses, ayant de génération en génération, associé à ce costume l'idée des qualités indispensables à l'institutrice, éprouve une réelle difficulté à croire que ces qualités peuvent se trouver chez des personnes vêtues à la manière de tout le monde. C'est une éducation à faire, plus délicate qu'on ne se le figure, dont les progrès sont très lents, et qui réclame de notre personnel une attention soutenue, une persévérance sans défaillance. Un costume dont la coupe suit trop exactement celle des modèles fournis par les journaux de mode, un chapeau qui se voit de trop loin, un ornement qui détruit l'harmonie, font plus de tort à la diffusion de nos idées que ne lui fait de bien toute une année de devoir consciencieusement rempli.

Que dire alors des toilettes dont le luxe est en disproportion avec la position matérielle, si modeste, des institutrices, sinon qu'elles calomnient plus cruellement les femmes qui les portent que ne le feraient les propos les plus venimeux..



Le respect de soi-même engage la femme à rejeter les formes qui la déshabillent en quelque sorte, sous couleur de l'habiller; sa modestie ne saurait accepter des nuances qui attirent brutalement le regard d'autrui; l'ordre et l'économie ne sauraient s'accommoder d'étoffes et d'ornements à effet, mais de qualité inférieure, qu'il faut renouveler trop souvent le sens esthétique est blessé par certaines formes qui sont à la forme féminine ce que la caricature est au portrait, le bon sens exige que l'éducatrice donne le bon exemple pour les choses extérieures comme elle le doit pour la vie morale; enfin, le tact lui fait mettre son costume en harmonie avec sa situation sociale..

Un costume réputé "comme il faut " n'est pas nécessairement comme il faut d'une manière absolue; pour mériter cet épithète, il doit être en rapport non seulement avec l'âge, avec la situation matérielle de celle qui le porte, mais encore avec les circonstances dans lesquelles il est porté; plus encore il n'est vraiment " comme il faut", que si la gradation est bien ménagée entre les différents costumes qui composent la garde-robe dune même personne. Tel costume, par exemple, qui passera inaperçu à un mariage, sera remarqué d'une façon désavantageuse à un enterrement; tel autre, parfaitement approprié à une journée de beau temps, fera juger avec sévérité la femme qui lui fera affronter la pluie ou la boue; enfin les personnes sensées voient avec tristesse passer dans la rue une femme en costume luxueux, si elles l'ont prise en flagrant délit de manquer de soin de sa personne dans son intérieur, dans son école, faut-il le dire ici, pur ne pas nous écarter de notre sujet.


On m'objectera que le vestiaire d'une institutrice ne saurait être compliqué; qu'il ne peut réunir des costumes pour toutes les occasions, et pour toutes les oscillations du baromètre. C'est pour cela qu'il doit être composé avec cet art de se vêtir qui fait le sujet de ces pages. C'est ce que j'ai dit cent fois dans mes tournées.

Un souvenir entre autre ; il date de deux ou trois ans. Me rendant un matin à une école que je voulais inspecter, je suivais une jeune fille dont l'allure pressée et surtout le costume avaient attiré mon attention Elle portait un chapeau de forme très enlevé et garni de fleurs, une robe de nuance claire recourant une tournure volumineuse, des souliers découverts à hauts talons. Arrivée devant la porte de l'école, elle entra, enleva vivement son chapeau dans le vestibule et se dirigea vers la classe. C'était l'adjointe.

Lorsque mon inspection fut terminée, je la pris à part. Je la questionnai d'abord sur son arrivée tardive; elle me répondit qu'elle venait d'un enterrement auquel elle avait assisté pour elle-même, et pour sa directrice, obligée de rester à son poste. -"Vous n'avez pas craint lui dis-je, que votre toilette parût déplacée à cette cérémonie? -Je n'en ai pas d'autre, me répondit-elle en rougissant; mon traitement ne me permet pas d'avoir une garde-robe bien fournie. "Que pouvais-je lui répondre, sinon qu'un costume unique doit être de forme très simple, extrêmement sobre d'ornements, d'étoffe résistante et de nuances atténuées? J'ajoutai que les formes excentriques, peu convenables pour une femme qui sort seule le sont encore moins pour l'institutrice. Je lui dis enfin qu'une femme qui travaille, dont le budget est restreint, et qui jouit de la situation morale attachée au titre d'institutrice, doit en bonne économie faire le possible pour avoir trois costumes: un pour faire son ménage, un pour faire sa classe, un pour sortir; que les deux premiers doivent être d'une solidité à toute épreuve et d'une forme qui laisse à la femme l'aisance absolue de ses mouvements (ce qui est loin d'exclure la grâce), et le troisième assez moderne, ou si vous aimez mieux assez conforme aux modèles les plus discrets de l'année, pour ne pas attirer l'attention car passer inaperçue devrait être l'idéal de la femme, assez élégant pour permettre d'assister à une cérémonie, même officielle; assez sobre pour ne pas être déplacé dans un cimetière où l'on accompagne le cercueil d'un ami...

Le succès de l'enseignement laïc dépend en grande partie de la tenue des institutrices (le mot tenue s'applique ici, non à la conduite qui est hors de cause, mais à l'apparence qui saute aux yeux).


Pauline Kergomard