l'abbatiale de Vertheuil


ÉGLISE DE VERTHEUIL (XIe ET XIIe SIÈCLE)

MONUMENT HISTORIQUE

L’ANCIENNE ÉGLISE ABBATIALE DES CHANOINES RÉGULIERS

DE ST AUGUSTIN – ART ROMAN POITEVIN

PLAN PARTICULIÈREMENT DÉVELOPPÉ (3 NEFS, DÉAMBULATOIRE, 2 CLOCHERS)

VOÛTE OGIVALE À NERVURES PRISMATIQUES DU XVe REMPLAÇANT LA

VOÛTE EN PLEIN CINTRE PRIMITIVE.

FORTIFIÉE ET DÉVASTÉE AU TEMPS DES GUERRES DE RELIGION (XVIe S)

RESTAURÉE AU XIXe SIÈCLE ET AU XXe SIÈCLE POUR LE CLOCHER

NEF PRINCIPALE DE 40m30 À 4 TRAVÉES – LOURDS PILIERS EN

FORME DE CROIX RELIÉS PAR ARCADES AUX BAS CÔTÉS ET À DES

PILES INTERMÉDIAIRES

TRAVÉE DU CHOEUR AVEC CURIEUX ENCORBELLEMENT GOTHIQUE

ET STALLES SCULPTÉES (CLASSÉS)

VOÛTE DU SANCTUAIRE AVEC CLEF DE VOÛTE PARTAGÉE EN 7

PANS PAR DE FINES NERVURES SÉPARÉE DU DÉAMBULATOIRE PAR DES

PILIERS À COLONNES ENGAGÉES EN FORME DE 4 FEUILLES

DÉAMBULATOIRE VOÛTE EN BERCEAU RAMPANT – CHAPELLE DE LA

SAINTE VIERGE DEMI CYLINDRIQUE – AUTRES ABSIDIOLES EN

QUART DE SPHÈRE

CHAPITEAUX TRÈS VARIÉS PLUS RICHES À L’ENTRÉE (PERSONNAGES)

FONTS BAPTISMAUX PÉDICULES MONOLITHE DU XVe (CLASSÉS)

LUTRIN GOTHIQUE (CLASSÉ)

AUTEL ET TABLE SAINTE MODERNE MARBRE BLANC

PORTE STYLE SAINTONGEAIS DÉCORÉE MAIS MUTILÉE

CLOCHER NORD ROMAN À 3 ÉTAGES LE DERNIER

OCTOGONAL ANCIENNE CROIX DU CIMETIÈRE AVEC

INSCRIPTIONS DU XVIe SIÈCLE (SUR LA PLACE)



L' église abbatiale de Vertheuil

Les archives de l'abbaye de Vertheuil sont à peu près anéanties, et on n'a pas de document sur la construction de l'église. Sa construction commence à la fin du xie siècle. L'orientation de l'église incline vers le Sud.

L'église subit des modifications au xve siècle. Un voûtement d'ogives remplace le berceau central de la nef et l'édifice est fortifié lors des Guerres de Religion. Les chapelles du chevet sont surélevées et dotées de meurtrières et un clocher de défense est construit au sud. Elle fut assiégée et dévastée, en 1572, par le Comte de Castillon.

En 1732, deux maîtres architectes de Bordeaux firent une visite des immeubles bâtis qui appartenaient à Vertheuil. Du procès-verbal il résulte que l'église était fort négligée: « il y avait sur les murs bien des herbes à arracher, des joints à refaire, des pierres à remplacer, des trous à boucher; la tête des divers contreforts était dégradée; les charpentes se trouvaient dans un état lamentable. » Le gros œuvre n'était pas trop atteint; toutefois, les experts signalent dans le bas-côté Nord trois arcs doubleaux et trois voûtes, et dans le bas-côté Sud deux arcs doubleaux et une voûte «  fendus par un grand effort; ce qui est très nécessaire de remédier au plus tôt. ». Ils conseillaient d'arrêter le mouvement par des tirants en fer.

Son état général se détériorant toujours plus, l’église fut restaurée au xixe siècle, successivement par les architectes : Joseph-Adolphe Thiac, Paul Abadie père et Albert Couru (pour plus d'information sur les dégâts induits par ses restaurations, voir Brutails.

L'église se caractérise par une longue nef à quatre travées, dont la plus occidentale est rectangulaire au lieu d'être carrée. La nef est prolongée au nord et au sud par deux bas-côtés.

Les piliers entre la nef et les bas-côtés sont alternés de deux en deux, ils ont du côté de la nef un support pour le doubleau. La travée droite du chœur présente des arcades rétrécies et des supports renforcés, afin de mieux résister au poids des clochers qui sont élevés sur les bas-côtés. La longueur de la nef est 40,30 m et sa largeur de 8 m. Chaque bas-côté est large de 4 m.

La nef et le chœur sont voûtés d’ogives et les bas-côtés d’arêtes. Ces voûtes ont été reconstruites presque entièrement à la fin de la période gothique : une clef de voûte porte des fleurs de lys. On peut voir sous le toit les arrachements de la maîtresse voûte primitive; il reste également, au-dessus des deux travées occidentales du collatéral Sud et sous le clocher Nord, des spécimens d'anciennes voûtes des bas-côtés.

Du point de vue de la sculpture, la nef se divise en deux parties :

dans les trois piliers à l’ouest, la sculpture est variée, riche et très belle, avec des personnages et des scènes.

A l’est, les chapiteaux sont répétitifs et pauvres, et leur décor est composé à peu près uniquement de feuillages stylisés dont la pointe se recourbe en crochet.

Léo Drouyn pensait que cette seconde partie était plus ancienne. Dans ses Notes archéologiques, il met en avant cette cassure stylistique : « ... à partir du 4ème pilier au sud-ouest, les sculptures changent de caractère et il est évident pour moi qu’elles sont plus anciennes que celles que je viens de décrire. Les travées ouest et les chapelles absidiales auraient ainsi été ajoutées à une époque plus avancée de la période romane. »

Jean-Auguste Brutails pensait le contraire : « Quant à la nef, la partie Ouest a une ornementation fort belle et nullement archaïque; mais la partie orientale, de style plus systématisé, plus sèchement rationnel, dénote, à mon sens, une date moins reculée. Les travaux de l'église auraient marché de l'Ouest vers l'Est. »

Les piliers entre nef et collatéraux sont alternés : de deux en deux, ils ont du côté de la nef un support pour le doubleau. De plus, les trois premières paires de piliers à l'Ouest ne sont pas combinées comme les paires suivantes : celles-ci sont plus simples et ont, sur les côtés, des pilastres sans colonnes engagées.

Les chapiteaux situés au sommet des piliers dans la partie ouest de la nef présentent un riche décor sculpté, typique de l'iconographie romane. Malheureusement, vu leur hauteur et les conditions de lumière, il est difficile de les observer en détail.

Tireurs des commissures : Sur chaque angle de la corbeille, au niveau de l'astragale, la tête d'un homme ; derrière lui, un homme, apparemment assis sur ses épaules, a mis les mains dans sa bouche et tire les commissaires.

Homme et rapaces : Sur la face principale du chapiteau, un homme debout, ses pieds sur l'astragale. Il est habillé en tunique courte et richement brodée. Ses mains sont en contact avec les ailes de deux énormes rapaces qui se trouvent sur les angles de la corbeille, leurs serres posées également sur l'astragale.

Exhibitionnistes : Sur chaque angle de la corbeille se trouve une femme nue, les pieds posés sur l'astragale et les jambes tenues écartées par des mains sur les cuisses. Ce type d'exhibitionnisme génital est très fréquent sur les modillons romans (voir Iconographie des modillons romans pour plus de détails). On le trouve également sur des chapiteaux de certains abbayes et monastères, par exemple au Prieuré de Saint-Macaire. La représentation de la femme est toujours très laide.

Lions montés à l'envers

Cracheurs de lianes :

Fruits et feuilles : Sur les trois faces du chapiteau on voit des feuilles ligaturées et sur les angles un fruit sphérique.

Lions montés à l'envers : Sur la face principale du chapiteau se trouvent deux lions adossés, leur tête sur les angles de la corbeille. Chaque lion est monté par un cavalier, mais l'homme est monté face à la croupe de la bête. Cette position est très dégradante pour l'homme.

La travée du chœur, moins longue que les précédentes, a une seule arcade sur chaque flanc et ses piles sont allongées dans le sens de l'axe. Ainsi, dans cette partie de l'église, les arcades sont rétrécies et les supports sont renforcés, afin de mieux résister à la pesée des clochers, qui sont élevés sur les bas côtés au droit du chœur. Les clochers ont, d'ailleurs, causé des désordres et nécessité des remaniements importants : il a fallu, à diverses époques, murer les arcades du chœur et quelques-unes des arcades voisines.

L’église ne comporte pas de transept, mais, élément très rare en Gironde, un déambulatoire, voûté en berceaux radiants trapézoïdaux, à partir duquel s’ouvrent trois chapelles. La seule autre église romane en Gironde avec un déambulatoire est l’église Notre-Dame de Guîtres.

L'abside avait auparavant sept grandes arcades, et ces sept grandes arcades s'ouvraient sur autant de travées du déambulatoire qui est divisé en travées trapézoïdales par des arcs transversaux en plein cintre, sur lesquels sont posés des berceaux rampants, en forme de demi-troncs de cône.

Sur le déambulatoire s’ouvrent trois chapelles, celle du centre est carrée, les autres sont voûtées en cul-de-four. Elles furent toutes trois exhaussées et fortifiées au xvie siècle durant les guerres de Religion.

La voûte du chœur est partagée en sept pans par des nervures qui s’appuient sur des culots sculptés.

Ces culots sont des représentations gothiques d'un thème recourant dans l'art roman : les péchés capitaux et en particulier la paresse et la luxure. (Voir Iconographie des modillons romans pour plus d'information à ce sujet.)

L’église conserve un mobilier liturgique d’une grande rareté, qui a particulièrement retenu l’attention de Léo Drouyn. Celui-ci a tout d’abord laissé le dessin d’une piscine aménagée à la fin du Moyen Âge qui réutilise pour base une pierre sculptée romane.

Elle n’existe plus aujourd’hui mais elle était placée au sud du chœur.

À l'intérieur de l'église, à gauche du portail sud, se trouvent les fonts baptismaux. Ils sont cannelés et monolithes. Ils auraient été sculptés, au xve siècle, dans une pierre qui aurait servi de lest à un navire commercial anglais venu, à vide, chercher du vin dans la région. Les fonts ont été classés en 1840.

Des fonts baptismaux semblables, et datant de la même époque, se trouvent dans l'église de Vensac, une commune voisine et dans l'église Notre-Dame de Bayon-sur-Gironde, sur l'autre rive de la Gironde.

Le lutrin en bois du xve siècle est peut-être le seul de cette époque existant encore dans le département de la Gironde. Cet objet en bois sculpté servait à poser le livre de chant lors des offices. Le lutrin a été classé en 1903.

Une tribune d'orgue en pierre. Dans le mur nord du chœur, au-dessus des stalles, se trouve un encorbellement gothique sculpté du xve siècle qui s’élève vers la voûte. C'est une tribune pour une orgue mais l’on s’en servit comme tribune au xviiie siècle. On y accède par un escalier situé dans le pilier du chœur. La tribune a été classée en 1840.

La chaire à prêcher. Le prêtre montait jadis dans cette petite tour de bois pour surplomber les fidèles et donner plus de force à ses critiques ou ses conseils.

Des stalles de bois sont placées de part et d’autre du chœur. Quatorze sièges sont conservés. Elles ont été fabriquées à la fin du xve siècle et classées en 1840. Ces stalles proviennent, peut-être, de la salle capitulaire de l'abbaye.

Lai d'Aristote

Une seule des miséricordes des stalles est figurée, avec une représentation d'Adam et Ève.

Différents thèmes sont abordés sur les accoudoirs :

Une femme chevauchant un homme bridé comme un cheval. C'est une représentation du Lai d'Aristote. Celui-ci s’appliquant à détourner Alexandre le Grand des charmes d’une belle indienne indique, par sa posture à quatre pattes, qu’il est devenu l’esclave de la femme qui est sur son dos, comme le sera Alexandre s’il succombe à l’amour...

Un moine au tonnelet, témoin de la présence des bénédictins, reconnaissables à leur coule.

Des créatures grotesques.

Ce type de mobilier est très rare en Gironde. Celles de Vertheuil sont les plus anciennes, mais l’on peut signaler les stalles de la collégiale de Saint-Émilion, l'église de Saint-Étienne-de-Lisse (dont un des accoudoirs figure la sculpture d'une femme nue à cheval) ainsi que celles de la Basilique Saint-Seurin de Bordeaux.

La place de l'église marque l'emplacement de l'ancien cimetière, des dalles de pierre matérialisent le tracé de son mur.

Une inscription, difficilement lisible, sur la croix, relate que dans les années 1570, lorsque les Guerres de Religion faisaient rage, fut exécuté, sur ordre du roi Charles IX, un magistrat protestant du village, le Juge Esqui...

Dans le mur sud de l'église se trouve un portail roman d’inspiration saintongeaise. Le portail a été mutilé au xviie siècle par l’ajout d’un encadrement de porte de style néo-classique présentant une tête d’angelot. C’est que, jusqu’alors, l’église était la propriété des religieux, qui y pénétraient à partir de l’abbaye. Lorsqu’en 1753, l'église devint paroissiale, on sacrifia au style néo-classique.

Sur la première voussure on voit une série (22 actuellement, mais très certainement 24 avant la mutilation du portail) d'hommes habillés en tunique longue. Les figures sont assez érodées, certains observateurs pensent que les hommes se tiennent la barbe, d'autres qu'ils jouent un instrument de musique (flûte ou pipeau). C'est certainement une représentation des Vieillards de l’Apocalypse Apocalypse de Jean, chapitre 4, verset 4 : Autour du trône étaient vingt-quatre trônes, et sur ces trônes vingt-quatre vieillards assis, revêtus de vêtements blancs, avec des couronnes d'or sur leurs têtes. Ce thème était assez populaire en Aquitaine, mais rarement avec les vingt-quatre en totalité. On trouve des claveaux quasi identiques sur une voussure du portail de l'église Notre-Dame d'Avy où les personnages jouent clairement des instruments de musique.

La deuxième voussure est décorée avec une série de personnages entremêlés avec des lianes.

Au sommet de la troisième voussure se trouve un personnage qui tient dans chaque main un cor ou une trompette qu'il sonne, sans doute une autre référence à l'Apocalypse de Jean, tandis que de part et d’autre, des personnages, opposés deux à deux, s’activent dans la vigne ou les champs.

L'archivolte est décorée avec une série d'hommes, partant de l'est et allant vers l'ouest, qui portent un rinceau sur l'épaule et qui le tiennent entre les mains. Habituellement les décorations sont symétriques par rapport au sommet de l'arc.

La présence de deux clochers, édifiés sur les côtés sud et nord de l'église, est unique en Gironde. Le plus ancien (xiie siècle), au nord, est le plus ouvragé. Il est à trois niveaux :

Le premier est brut, si bien que les colonnes engagées qui ornent le deuxième niveau, qui est également carré, portent sur des culs-de-lampe.

Le troisième niveau est de plan octogonal et il était destiné peut-être à porter une flèche conique renflée, pareille à certaines flèches de la Saintonge. Les deux étages sont percés de fenêtres romanes cintrées et surmontés d'une corniche.

Absidioles et clocher sud

Le plus récent (xvie siècle), au sud, est une tour carrée, construite pour la défense, lors des Guerres de Religion. Il abrite un escalier donnant accès au chevet surélevé et fortifié. On y a accès également par l’extérieur, grâce à la tourelle qui y est accolée.

Au-dessus de la porte de la tourelle on distingue une sculpture en mauvais état. C’est un blason qui a probablement appartenu à un abbé au xve siècle : une mitre et une crosse (signes distinctifs d'un abbé) ; trois coquilles (en référence aux pèlerins sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle) ; un lion rampant signale l'appartenance de la Guyenne au royaume d'Angleterre. Ce blason est désormais celui de la commune.


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Vertheuil : l'église
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