L'homme et ses amis

Quelques traits de caractère

Fidèle aux valeurs de sa jeunesse, Édouard Charton eut la joie, après une adolescence tourmentée, de cultiver le bonheur en famille avec sa femme et ses trois enfants, puis avec ses gendres et ses petits enfants. Il montra tout au long de sa vie une constance et une unité de comportement marquée par une bienveillance, dont témoignèrent ses amis et deux générations de collaborateurs.

Surmontant son caractère “inquiet”, il sut être un homme d’action.

Fidèle en amitié il conserva des liens avec ceux qui partageaient sa foi dans le progrès moral de l’homme, le progrès de chacun étant un gage pour le progrès de la société.

Fidèle à ses premiers engagements, croyant en Dieu et en l’immortalité, la Morale fut sa religion sur terre.

Il mit à profit ses voyages pour apprendre et quelquefois pour oublier.

Fidèle à la ville de Sens et au département de l’Yonne, dont il était l'élu, il sut aussi participer activement à la vie de Versailles où il s'était installé en 1862.

"Mon grand mal était après tout l’inquiétude d’esprit " Édouard Charton lettre à sa femme

"Aimable, doux et timide, excitant la sympathie sans se livrer et dévoiler son âme, passionné par le travail et le bien, d'une sensibilité extrême, parfois démesurée." Paul de Rémusat

Inquiet, perfectionniste, mais déterminé dans l’action

Il sut en plusieurs occasions s’engager dans de nouvelles activités et sa carrière politique fut celle d’un homme de conviction, tout le contraire d’un indécis. Il s’agit plus dans son cas, d’une inquiétude sur ses capacités à atteindre les objectifs que sur le choix de ceux-ci.

"L’homme d’initiative a besoin d’action, et dès qu’il s’est proposé un but sérieux, il y tend avec énergie et persévérance." Édouard Charton

"Dire qu’il était un homme d’action peut paraître paradoxal, mais pour Édouard Charton écrire, penser, c’était agir; la vie c’était l’action utile et bienfaisante." P Laffitte

N’hésitant pas à rompre pour ne pas se trouver en contradiction avec ses convictions, il sut prendre les décisions qui s’imposaient et s’y tenir lorsque le besoin s’en fit sentir, parfois en prenant des risques comme lors du coup d’État du 2 décembre.

Sensibilité et goût pour les arts

Il reçut dans sa jeunesse une initiation à l’art: son père collectionnait les estampes, Par la suite, il acquit une bonne connaissance de la peinture et de la sculpture, utilisant le Magasin pittoresque pour y intéresser ses lecteurs. Il voulait donner, à ceux qui n’y avaient pas accès, les moyens de connaître des œuvres d’art. Il fut, à l’Assemblée Nationale et au Sénat, un ardent défenseur de l’enseignement des Beaux-Arts et de la création de musées. Ses compétences dans ce domaine étaient reconnues au point qu’on a pensé à lui pour un poste de ministre des Beaux-Arts, mais ce ministère spécial ne vit finalement pas le jour.

Une insatiable curiosité intellectuelle

Une plume alerte, le verbe efficace, un goût certain pour les disciplines artistiques, mais le tableau serait incomplet si on n’y ajoutait pas une insatiable curiosité intellectuelle, en particulier dans le domaine scientifique. Édouard Charton accumula tout le long de sa vie des connaissances dans tous les domaines, et homme du 19ème siècle, il s’intéressa aux sciences et aux progrès techniques, avec tout l’enthousiasme et la confiance que l’on pouvait avoir à cette époque.

Sa curiosité intellectuelle se manifesta aussi à l’égard de ce qui se faisait hors de France, il fut toujours avide de connaître l’histoire et les mœurs tant des pays européens que des lointaines contrées connues par les récits des voyageurs.

Bienveillance et respect de l’autre

Tous ses contemporains, amis, parents ou relations s’accordent à dire qu’il fut bienveillant. C. Moiset parle de "bienveillance extrême en toutes circonstances et pour tous".

Béranger, en général avare de compliments, dit de lui en 1939 : "Je dirai de lui ce que je ne dirai de personne d’autre, c’est un ange qui cache ses ailes" .

"Je sais bien que se pétrir ainsi de bienveillance, selon l'expression du moderne Bayle, c'est s'exposer à paraître naïf et, qui sait? à être dupe. Mais, alors même qu'il en serait ainsi, tout bien considéré, l'inconvénient est moins grave que celui qui peut naître d'une trop grande confiance dans les soupçons malveillants auxquels on s'abandonne souvent à première vue. Il faut que cette bienveillance, qui est une des conditions les plus favorables à notre bonheur… soit parfaitement sincère: pour peu qu’elle soit feinte et affectée, elle ne trompe personne." Édouard Charton

Travailleur infatigable et organisé

Menant de front ses activités de directeur de publication et sa vie parlementaire. Il fit preuve d’un acharnement et d’un goût pour le travail bien fait qui ne s’est jamais démenti. En ce qui concerne l’organisation qui va de pair avec l’efficacité, il expliqua dans le Magasin pittoresque en 1883 quelques-unes des règles qu’il s’appliquait à lui-même, avec toute la rigueur nécessaire.

"Règle absolue: je place au premier rang ce qui est le plus urgent, lors même que ce n’est pas toujours ce qui me serait le plus agréable. Je ne me laisse pas séduire par une voix qui souvent m’insinue: — Commence par ce qui te plaît le mieux; tu feras cela plus tard, tu auras le temps; ce sera pour cette après-midi ou ce soir. Non, non! je ne t’écoute pas, voix traîtresse; silence! ne suis-je pas mon maître et le tien?…" Édouard Charton

Croire en Dieu, avoir foi dans l’homme

"Qu’ étaient, au juste les croyances philosophiques et religieuses de M Charton?" s'interroge C. Moiset

En ce qui concerne sa croyance en Dieu, la réponse est claire, l’immortalité de l’âme était une certitude absolue.

"Nous savons et nous sentons bien que nous ne mourons qu’en apparence, et ce qu’on appelle notre dernier soupir est immédiatement suivi du soupir d’une existence nouvelle…" Édouard Charton

Mais il n’admettait pas l’idée d’un châtiment éternel, parce que celui-ci ne saurait être infligé par un Dieu dont l’essence même était la bonté, et aussi parce qu’une telle condamnation serait contraire à l’activité morale de l’homme. Édouard Charton parle de liberté morale, ce qui implique que l’homme soit totalement responsable de ce qu’il fait de cette liberté.

La famille

Il était tout à fait logique que celui qui écrivait : "La nature et la famille, voilà les vrais cadres de vie" ait eu l’ambition de créer une famille.

Édouard Charton s’est marié en 1836, à Paris. Le couple Charton a eu trois enfants : Julie née en 1838, Jules-Jean, né en 1840 et Juliette née en 1852.

Amis et relations

Édouard Charton eut l’occasion de rencontrer et de côtoyer des personnages marquants de son époque dans le cadre de ses engagements politiques et de ses activités rédactionnelles. Pour n'en citer quelques uns, parmi les plus célèbres

Sainte-Beuve, rencontré vers 1831 au journal Le Globe. Lorsque Charles-Augustin Sainte-Beuve est attaqué pour avoir défendu Renan en 1867, Charton lui écrit: "Mon cher Sainte-Beuve, recevez les félicitations d'un spiritualiste obstiné! Vous avez donné là un bel exemple [...] Je vous serre la main en vieil ami" Lettre du 30 mars 1867, citée dans la correspondance générale, vol II p. 1479-correspondance rassemblée et annotée par M.L. Aurenche, ed Honoré Champion, Paris 2008.

Lamartine, d’abord à la Société de la Morale Chrétienne où celui-ci s’était engagé pour lutter contre l’esclavage, puis en 1848 lorsqu’il eut ses premières fonctions officielles.

Conseiller d’État de la Deuxième République, Il se trouva aux côtés de Victor Hugo, dans l’opposition à Napoléon III lors du coup d’État du 2 décembre 1851. Victor Hugo relate son attitude courageuse dans Histoire d'un crime. Les deux hommes se retrouvent au Sénat sous la Troisième République.

Le juriste Alexandre Vivien qui fut ministre de la Justice dans le cabinet du 1er mars 1840 et ministre des Travaux publics sous Cavaignac. Alexandre Vivien faisait partie du groupe de jeunes libéraux qui siégeaient au Conseil de la Société de la Morale Chrétienne. C’est là qu’ils se connurent et se lièrent d’amitié. Il avait signé, avec Édouard Charton, la pétition contre la peine de mort du 9 août 1830. Conseiller d’État de la Deuxième République, il en avait, comme Charton démissionné après le coup d’État.

On pourrait citer bien d'autres hommes politiques tels Thiers, Gambetta, Jules Simon, auxquelsil faut ajouter les éditeurs, Hetzel et Hachette, des dessinateurs,Toepffer, Grandville, Gustave Doré, de nombreux scientifiques,les astronomes Babinet et Jules Janssen, l'agronome Boussingault, le poète Béranger et le comédien Regnier.

Parmi les innombrables collaborateurs du Magasin Pittoresque et des éditions Hachette, certains, tels Camille Flammarion et Gaston Tissandier ont découvert à ses côtés leurs vocations de vulgarisateurs.

Un trio d’amis (Charton, Carnot, Raynaud)

Les trois hommes se sont rencontrés dans leur jeunesse, au sein des cercles philanthropiques (Carnot et Charton), puis dans le Saint-simonisme (Carnot, Charton, Reynaud) qu'ils rejoignirent et abandonnèrent en même temps.

Hippolyte Carnot, promu Ministre en 1848, les appela à ses côtés pour une aventure qui ne dura que le temps de son éphémère ministère, mais qui fut riche en projets.

Le trio d'amis en 1848

Encadrant le ministre Carnot, Jean Raynaud à sa droite et Edouard Charton à sa gauche

Gravure sur bois d'après Tony Johannot (parue dans Louis Raybaud, Jérôme Paturôt à la recherche de la meilleure des républiques, M. Lévy, Paris 1849-coll A C Lagarde)

Hippolyte Carnot

(1801-1888), le politique

Hippolyte Carnot dont la gloire est partiellement éclipsée par celle d’un père illustre, Lazare Carnot, et par celle d’un fils Sadi-Carnot, président de la République au destin tragique est un des personnages les plus cohérents et les plus fidèles à ses engagements de l’époque et l’amitié entre ces deux hommes, liés par des convictions communes, n’a rien de surprenant.

Après la mort d’ Hippolyte Carnot, en 1888, Édouard Charton rappellera leur amitié intime et constante… pendant soixante-quatre ans. Édouard Charton

Quelques années avant, Carnot lui avait écrit : "Il y a si longtemps que nous parcourons ensemble les régions de la philosophie et de la politique, et surtout les régions sereines de la famille et de l'amitié! "

Édouard Charton a trouvé, pendant toute sa vie, auprès de cet aîné les conseils et les avis dont il avait besoin pour progresser et s’affirmer. Réciproquement, Hippolyte Carnot, promu à de hautes fonctions, confia immédiatement des missions à Édouard Charton, ce qui était la preuve de la confiance qu’il avait en ce dernier.

Retracer le parcours politique et même les activités au sein des sociétés philanthropiques d’Hippolyte Carnot reviendrait à décrire le parcours et les activités d’Édouard Charton, tant il est vrai que nous les retrouvons toujours ensemble, du Saint-simonisme vers 1830 au Parlement en 1871, en passant par l’opposition au coup d’état de 1851 et au Second Empire. Ils étaient tous deux sénateurs lors de l’élection de Sadi Carnot à la Présidence de la République en 1888.

Édouard Charton est toujours présent, quelques pas derrière Hippolyte Carnot, moins en vue mais toujours actif et efficace. Édouard Charton poursuit les mêmes objectifs mais il est vrai qu’il a, avec ses publications, choisi une voie différente mais complémentaire de celle de son aîné, pour rester fidèle aux engagements de sa jeunesse.


Portrait d'Hippolyte Carnot (Cabinet des Estampes)

Jean Reynaud

(1806-1863), le philosophe


Jean Reynaud était sorti parmi les premiers, en 1827, de l’École Polytechnique. Il était ingénieur des Mines. Peu de temps après la mort de Jean Reynaud en 1864, Édouard Charton témoigne : "J’ai rencontré Jean Reynaud pour la première fois en 1831. Il avait vingt-cinq ans, moi vingt-quatre. Dès notre premier entretien, j’eus la conviction que si les circonstances n’étaient point contraires, il aurait une grande influence sur ma destinée. Je n’éprouvais pas seulement pour lui une très vive sympathie, je pressentais que ce qu’on appelle à tort le hasard venait de m’offrir un guide, un soutien, un modèle de la vie."

Il enchaîne ensuite sur l’espèce de fascination qu’exerçait sur lui son ami et que d’autres ont, comme Le Play ou Legouvé, ressentie et exprimée :

"Cette déférence, m’était d’ailleurs rendue facile par l’admiration et la sympathie que j’éprouvais, conformément à la loi mystérieuse des contrastes, pour les talents littéraires, l’inclination poétique et même pour l’imagination mystique de mon ami." Le Play cité par Cheysson

Envoyé comme ingénieur en Corse en 1830, il demanda rapidement, à l’annonce de la Révolution de Juillet, un congé illimité pour revenir à Paris où il rejoignit les rangs des Saint-simoniens. Prédicateur? Envoyé à Lyon avec Pierre Leroux, il y fonda, malgré les difficultés, l’Église la plus durable. Au moment du schisme, il essaya de jouer de son influence pour raisonner Enfantin, dont il était un des disciples favoris.

Comme Édouard Charton, il traversa une crise après l’effondrement des espérances qu’il avait mises dans cette doctrine.

En 1848 Hippolyte Carnot pensa à lui pour prendre le sous-secrétariat d’État de son ministère (Instruction Publique), Édouard Charton se voyant proposer le Secrétariat général.

Cette année 1848 marque un tournant définitif, Jean Reynaud se démet de ses fonctions d’ingénieur. Après une expérience décevante de représentant de la Moselle à l’Assemblée Constituante, il décide de se consacrer exclusivement à la philosophie.

Opposant au Coup d'Etat, il se retira de l’École des mines sous le second Empire et fut ultérieurement déclaré démissionnaire pour refus de serment (28 juin 1852).

En 1854, il publia “Terre et Ciel”, qui résume sa pensée philosophique.

"Synthèse hardie, puissante, où il cherche à édifier sur les ruines des anciennes croyances la religion scientifique dont il affirme que ce siècle a besoin, et à réconcilier la raison avec la foi…

Pour cette grande théosophie, il fallait un philosophe et un poète doublés d’un savant et forgés par le rude labeur d’une encyclopédie: Jean Reynaud est tout cela, et c’est ce qui constitue l’originalité et la haute portée de ce livre de grande allure: Terre et Ciel, qui a produit plus d’étonnement et d’éblouissement que d’ébranlements et de conquêtes." E. Cheysson

Jean Reynaud a été jusqu'à sa mort en 1863, un ami intime et un confident pour Édouard Charton et un prolifique collaborateur du Magasin pittoresque

George Sand

(1804-1876), l'amie

Aurore Dupin, dite George Sand fut à la fois très proche et très éloignée des cercles saint-simoniens et socialistes qu’elle fréquenta. Elle sut conserver ses distances avec les uns et les autres pour rester elle-même et laisser libre cours à son inspiration tour à tour sentimentale, sociale et régionaliste.

Ayant fréquenté les mêmes cercles, Édouard Charton et George Sand se connaissaient et la romancière rédigea des textes pour le Magasin pittoresque. Voici le jugement qu'elle portait sur lui en 1844 :

"Je ne connais qu'un bourgeois qui porte réellement le peuple dans son cœur: c'est Louis Blanc, jeune homme d'un admirable talent et d'une haute capacité. L'aimera-t-il toujours? Ne se laissera-t-il pas décourager par ce monde corrompu où les meilleurs ne sont encore que de tièdes croyants? Je ne vous parle pas des deux Leroux, Pierre et Jules, ils sont du peuple, mais le portent-ils dans leurs entrailles avec fanatisme? Sans ce fanatisme, point de foi. Méfiez-vous un peu de tous les autres faiseurs de phrases. Le grand Reynaud lui-même, cette admirable intelligence, croit et pousse un peu maintenant à la conservation des castes. Cette mortelle erreur a atteint les plus nobles esprits de notre temps. Le réveil viendra sans doute. Mais en attendant, le peuple doit faire son œuvre et compter sur lui seul. Votre Flora Tristan est une comédienne, votre Eugène Pelletan un farceur. Jean Aycard, Charton ... braves jeunes gens, mais bourgeois ! "lettre à Charles Poncy

Leurs premiers échanges de correspondance se situent vers 1848 et se prolongent régulièrement jusqu'à la mort de George Sand. Les lettres de Sand sont adressées à son "Cher bon ami", qui y répond par un "Cher Sand". La correspondance s'articule autour de l'oeuvre de la romancière, des revues dirigées par Charton, de services qu'ils peuvent se rendre mutuellement. Elles prennent aussi un tour plus familier lorsqu'il y est question de leur famille.

Voici à titre d'exemple des extraits de lettres publiées dans la correspondance générale d'Edouard Charton (Editée et annotée par Marie-Laure Aurenche, Paris, Honoré Champion, 2008, p. 1674-1675)

Charton écrit le 6 octobre 1875:

"....mais ce que je sais bien, c'est que vous nous charmez toujours, c'est que nous sommes heureux toutes les fois qu'en ouvrant la Revue [Revue des deux Mondes] nous voyons votre nom. [...], c'est que je souhaite, avec bien d'autres, que vous me surviviez afin que je ne sois jamais privé de lire quelque chose de nouveau de vous, c'est que, après cet aveu d'égoïsme, je puis dire très sincèrement que je reste et resterai jusqu'à ma dernière heure votre tout affectionné."

George Sand répond le 8 octobre:

"Je suis heureuse quand je reçois de vos nouvelles. Je pense à vous souvent, quand j'écris. Vous êtes de ceux que je voudrais contenter toujours. [...] Nous recevons, grâce à vous, Le Tour du monde et nous y prenons grand intérêt et grand plaîsir. Je vous envoie mes petites-filles pour que leurs figures vous en remercient."

Elle a joint à la lettre les photos de ses deux petites-filles.

Peut-être a-t-elle reçu en retour une photo car elle écrit le 12 octobre :

"Elle est charmante, votre petite-fille. Elle est à peu près de l'âge de mon aînée. La mienne est une forte paysanne franche et bonne. La votre est candide et spirituelle. Nous sommes très heureux de voir pousser ces enfants-là, n'est-ce pas? Moi je n'ai plus d'autre but dans la vie que de me dévouer à ces êtres chers. Ils sont tout pour moi."

[...] Ne dites pas que vous n'avez rien fait de bon. Vous avez versé une somme énorme d'instruction dans le courant civilisateur. Qui peut se vanter d'avoir aussi bien rempli sa tâche et honoré sa vie?"

La dernière oeuvre de Sand, parait dans la Revue des deux Mondes (puis publiée au début de l'année 1876, sous le titre La Tour de Percemont) avec la dédicace : "à mon ami Edouard Charton." Touché de cet honneur, il écrit une lettre qui nous éclaire sur ses sentiments envers la romancière.

2 décembre 1875

"Cher Sand, me voici donc le parrain de la charmante Emilie Ormonde? Je l'aimerai comme j'ai aimé ses soeurs. J'ai été bien agréablement surpris, mais je l'avoue, avec assez de calme. C'est que vous avez dit la simple vérité: oui je suis un vieil ami fidèle, n'est-ce pas? J'ai commencé, il y a près d'un demi-siècle! par admirer votre génie: puis est venue une sympathie douce, constante, inaltérée. Les circonstances ne m'ont point permis de vous voir bien souvent: je pourrais presque compter nos rencontres; mais entre temps je ne cessais pas d'être avec vous, toujours épris de votre sentiment profond de la nature, de votre grande charité, de votre amour de la justice, de votre foi invincible dans la grandeur de notreêtre et de nos destinées. Et il en sera ainsi jusqu'à la fin. Quelle fin?Celle de la vie actuelle: ce serait bien prochain. J'espère au-delà, et en vérité, ainsi que vous, je ne crois à aucune fin qu'à celle du mal."

En dépit de cette proximité, Charton n'a jamais répondu favorablement à l'invitation de George Sand de lui rendre visite à Nohant.

Sens, Paris, Versailles, Lion-sur-Mer

Sens

Enfant, il vécut à Sens où il revint souvent auprès de ses Parents. Il y fera de longs séjours en 1832 après sa grande désillusion saint-simonienne. À la mort de sa mère, il exprime son attachement à sa maison natale :

"La maison de ma mère c’était mon refuge, mon prix de fin d’année, mes vacances; et en tout temps mon petit coin de ciel où se sauvait à tire d’ailes mon cœur quand il était chagrin. C’est tout mon passé que voilà mort…" lettre à Hyppolite Fortoul

Élu de sa région natale, il y resta fidèle pour la représenter jusqu’à sa mort en 1890. En remerciement, une délibération du Conseil municipal de Sens en date du 16 novembre 1888, dont voici un extrait, décida de donner son nom à la rue où il était né : "…Et qu’il convient de perpétuer dans la ville de Sens le souvenir d’un des plus éminents de ses enfants, dont la vie laborieuse et si honorablement remplie, est digne de servir d’exemple à ses concitoyens et aux générations futures; “Délibère: “La rue Haut-le-Pied sera dénommée à l’avenir rue Édouard Charton.”"

Conscient de l’honneur qui lui était fait de son vivant, il répondit: "Il a été quelquefois imprudent de décerner une si haute faveur à des hommes vivants; mais ma conscience et l’assentiment de tout mon être m’autorisent à affirmer que l’octogénaire qui trace ces lignes restera entièrement fidèle, pendant le peu de jours qu’il a encore à vivre, à l’accomplissement de ses devoirs, à son dévouement à la cause du juste et du bien, et à son amour pour la patrie."

Paris

Lorsqu’il arriva à Paris, en 1827, il s’installa dans une chambre 12 rue Taranne où il resta environ huit ans jusqu’en 1835. Cette rue est devenue depuis 1876, le côté impair du Boulevard Saint-Germain entre la rue de Rennes et la rue des Saints-Pères. Elle passait à l’angle du boulevard actuel et de la rue Saint-Benoît, puis devant l’emplacement du Café des “Deux Magots”. C'est dans cette maison que son chemin croise celui des Philanthropes puis des Saint-simoniens.

En 1835, il habite rue de l’Université, au numéro 7, non loin de la rue des Saints-Pères. En 1839, il habite au 19 quai Malaquais.

Édouard Charton ne séjourna que peu de temps à cette adresse, cependant celle-ci revêt une certaine importance, en raison de la présence attestée de Georges Sand dans cet immeuble. L’éventualité que George Sand ait été remplacée par Édouard Charton est évoquée dans les notes accompagnant la correspondance de l’écrivain. Édouard Charton quitte le quai Malaquais en 1840 pour s’installer au 37 rue de Babylone où il resta jusqu’en 1849. Il est vrai que la famille s’est agrandie avec la naissance d’un second enfant. L’appartement qu’il occupe à cette époque, est situé à peu près à mi-chemin de la rue de Sèvres et du boulevard des Invalides. En 1849, il se rapproche de sa première adresse parisienne pour aller vivre au 2 de la rue Saint-Germain-des-Prés, actuelle rue Bonaparte.

Sa dernière adresse parisienne rue Bonaparte au numéro 30. Il la quitte pour Versailles.

Versailles

En 1862, il a 55 ans, le succès du Tour du Monde lancé en 1860 lui apporte enfin un peu plus d’aisance, il a pris la décision de vivre à Versailles. Il s’installa définitivement en avril 1863 rue Saint-Martin, près des Champs Gobert, c’est-à-dire actuellement au 15 de la rue Édouard Charton. Il y résida jusqu’à sa mort en 1890.

Il avait obtenu, avant 1882, que l’extrémité de la rue Saint-Martin, devienne la rue de l’Assemblée nationale. Cette rue existe toujours entre la rue de Paris et la Rue des États généraux. Elle est dans le prolongement de la rue Ed. Lefebvre, elle même prolongeant la rue Édouard Charton.

En 1862 Versailles n’a pas très bonne réputation, et quand Édouard Charton annonce son départ de Paris "toutes les figures s’allongent autour de nous comme certains miroirs convexes qui font la grimace aux gens…" écrit-il à Ernest Bersot.

Ernest Bersot, universitaire et philosophe, ami d’Édouard Charton, habite aussi à Versailles. Confirmant la lettre d’Édouard Charton, il a aconté dans un texte, très humoristique, comment les Parisiens jugeaient cette ville et comment étaient considérés ceux qui s’y exilaient : "Toutes les fois qu’un Parisien vous demande quelle ville vous habitez et que vous répondez: Versailles, il vous regarde avec une sympathie qui vous alarme. “Mais, s’écrie-t-il, c’est une ville morte!” Sur quoi vous vous tâtez pour savoir si vous êtes encore en vie. M. Cousin se recueille et dit: “Versailles, admirable sépulture!”… Eh bien donc, que les Parisiens nous accordent d’abord que nous existons, on verra à leur accorder que c’est d’une existence d’une autre sorte."

Édouard Charton, tout en conservant ses attaches et ses activités politiques comme représentant de l’Yonne, s’impliqua dans la vie locale en siègeant avec son ami Bersot au Conseil municIpal. Après la défaîte de Sedan, en 1870, il accepta les fonctions de Préfet de Seine et Oise dans des circonstances particulièrement difficiles.

En s'installant avec sa famille, dans une vaste maison, il inaugura un nouveau mode de vie, peu courant à l’époque et qui sera adopté ensuite par de nombreux Parisiens qui, profitant des facilités de transport (train), décidèrent de vivre en dehors de la grande ville où ils exerçaient leurs activités.

Ernest Bersot témoigne : " Plusieurs, ce sont les plus habiles, combinent les deux existences, et Versailles se prête merveilleusement à cette combinaison. J’ai toujours remarqué que lorsqu’on arrive quelque part, ville, village ou campagne, après le plaisir d’être arrivé, la seconde pensée qui vous occupe sont les moyens d’en sortir. Versailles est à souhait pour cela: deux chemins de fer de la compagnie de l’Ouest, un chemin de fer américain, des voitures particulières, vous portent à Paris dès que vous en formez le désir; on ne s’y sent point prisonnier. Ensuite, on use si on veut de sa liberté, et si on n’en usait pas on aurait du moins le plaisir de savoir qu’on la possède, ce qui souvent suffit. "

Charton s'est rapproché de son ami Jean Reynaud qui habite Chaville et ce dernier ne manque pas de saluer ce choix judicieux :

"Je te réponds tout de suite pour vous féliciter de votre acquisition. Ma femme prétend qu’elle a toujours dit que c’était là ce qui convenait le mieux et je commence à le croire aussi, car vous avez à Versailles ce qui, dans notre quartier, vous aurait coûté au moins trois fois plus, avec un petit avantage quant à la distance…"

Édouard Charton résida à Versailles de 1863 jusqu’à sa mort en 1890

Il apprécia l’espace dont il pouvait disposer dans sa maison, la présence d’un jardin et d’une cour où il y avait de quoi se retourner, s’occuper, élever des bêtes, planter des légumes… comme il le prévoyait, avant son installation, dans un courrier destiné à sa femme .

Buste d' Édouard Charton dans la hall d'entrée de l'hôtel de ville de Versailles cliché C Lagarde 2004

Lion sur Mer

Édouard Charton est né à Sens, il est mort à Versailles; Ces deux villes ont tenu à honorer sa mémoire en attribuant son nom à la rue où il a vécu. En 1888, à la fin de sa vie, il acheta une maison en Normandie, à Lion-sur-Mer (Calvados). En cette fin de 19ème siècle, les mœurs ont évolué et la côte normande accueille ses premiers estivants. Édouard Charton a appelé cette maison Les deux Sœurs. La villa était située à proximité de la mer. On peut encore voir rue Marcotte le portail d’entrée avec la plaque

Passer au chapitre suivant : Le Magasin pittoresque