Face à une douleur abdominale aiguë durant votre garde, votre première mission, la plus cruciale, est d'écarter sans délai les pathologies qui engagent le pronostic vital.
Notre hantise, en tant que chirurgiens et urgentistes, est de méconnaître l'une de ces pathologies dont le retard thérapeutique conduit quasi inéluctablement au décès ou à des séquelles majeures.
Votre démarche initiale doit donc être systématique et rapide pour identifier ces urgences absolues.
Le tableau ci-dessous synthétise les urgences vitales à éliminer en priorité, leur présentation clinique la plus évocatrice et la démarche diagnostique clé à entreprendre.
Les premiers diagnostics (la rupture d'anévrisme de l'aorte abdominale (AAA), la grossesse extra-utérine (GEU) rompue et la rupture splénique), partagent une triade clinique classique : Choc Hémorragique d'origine Abdominale
1. Douleur brutale et intense, transfixiante pour l'AAA, pelvienne ou diffuse pour la GEU, dans l'hypocondre gauche pour la rate.
2. Signes de choc hypovolémique : pâleur extrême, tachycardie, hypotension artérielle, marbrures.
3. Défense abdominale liée à l'hémopéritoine.
Après avoir éliminé une urgence vitale, la démarche consiste à s'orienter vers les diagnostics digestifs les plus fréquents.
La topographie de la douleur est ici un guide essentiel, bien qu'il faille se garder de conclusions hâtives.
L'objectif est de poser un diagnostic précis pour guider la thérapeutique, qui peut être médicale (antibiothérapie), endoscopique (sphinctérotomie) ou chirurgicale (appendicectomie, colectomie).
La topographie de la douleur devient alors notre principal guide pour affiner le diagnostic différentiel.
L'appendicite aiguë reste l'urgence chirurgicale abdominale la plus fréquente. Le tableau clinique classique associe une douleur initialement épigastrique ou péri-ombilicale migrant en quelques heures vers la fosse iliaque droite (FID), une anorexie, des nausées, une fièvre modérée (autour de 38,5°C) et une douleur provoquée élective au point de MacBurney.
Cependant, les présentations atypiques sont fréquentes (20 à 30 % des cas), imposant d'évoquer un large éventail de diagnostics différentiels, notamment en raison de la proximité anatomique et de l'innervation partagée des structures pelviennes :
Pathologies digestives :
Adénolymphite mésentérique (souvent dans un contexte viral chez le sujet jeune)
Iléite terminale (maladie de Crohn, infection à Yersinia)
Diverticulite de Meckel
Diverticulite cæcale ou du côlon droit
Pathologies gynécologiques :
Salpingite aiguë
Torsion d'annexe
Complication d'un kyste ovarien (rupture, hémorragie)
Grossesse extra-utérine (GEU)
Pathologies urologiques :
Colique néphrétique droite
Pyélonéphrite aiguë droite
Dans les formes atypiques, l'imagerie (échographie et TDM) est essentielle. Elle confirme le diagnostic en visualisant un appendice augmenté de volume (> 6 mm) et une infiltration de la graisse adjacente, et permet surtout d'éliminer les diagnostics différentiels. Son utilisation systématique a permis de réduire drastiquement le taux d'appendicectomies inutiles, qui pouvait atteindre 15 à 45 % lorsque le diagnostic reposait uniquement sur la clinique.
Toute douleur de l'hypocondre droit doit faire évoquer en premier lieu une pathologie hépatobiliaire, le plus souvent d'origine lithiasique. Il est crucial de distinguer trois entités cliniques distinctes.
Colique hépatique
Douleur brutale et intense de l'HCD et/ou de l'épigastre, à irradiation scapulaire droite. Inhibition respiratoire.
Absence de fièvre et de défense.
Cède spontanément ou sous antispasmodiques.
Bilan biologique normal. Échographie : Lithiase vésiculaire sans signe d'inflammation pariétale.
Cholécystite aiguë
Triade : Douleur persistante (> 6h), fièvre (> 38,5°C), et défense de l'HCD. Signe de Murphy clinique positif.
Hyperleucocytose. Échographie : Épaississement de la paroi vésiculaire (> 3 mm), lithiase, signe de Murphy échographique.
Angiocholite aiguë
si VBP : Triade de Charcot : Douleur biliaire + fièvre élevée avec frissons +ictère.
si VBIH droite ou gauche : pas de Triade de Charcot : Douleur biliaire + fièvre élevée avec frissons
Hyperleucocytose majeure, syndrome de cholestase (phosphatases alcalines, bilirubine) et de cytolyse (transaminases).
Échographie : Dilatation des voies biliaires.
L'échographie abdominale est l'examen de première intention indispensable devant toute suspicion de pathologie biliaire.
Face à une suspicion d'occlusion intestinale, la démarche diagnostique se déroule en trois étapes logiques, pour lesquelles la TDM est devenue l'examen de référence.
Confirmer l'occlusion : Le diagnostic est avant tout clinique, basé sur la triade douleurs abdominales, vomissements, et arrêt des matières et des gaz. L'examen recherche un météorisme. La radiographie d'abdomen sans préparation (ASP), bien que de moins en moins utilisée, peut montrer des niveaux hydro-aériques caractéristiques.
Déterminer le siège (grêle vs côlon) : La clinique et la radiologie permettent de différencier une occlusion du grêle d'une occlusion colique.
Grêle : Vomissements précoces et abondants, météorisme central. Niveaux hydro-aériques centraux, nombreux, plus larges que hauts.
Côlon : Météorisme majeur et périphérique, vomissements tardifs. Niveaux hydro-aériques périphériques, en "cadre", plus hauts que larges.
Identifier le mécanisme et la cause : Il est vital de distinguer l'occlusion par strangulation (torsion sur un axe vasculaire, ex: volvulus) de l'obstruction simple, car la strangulation est une urgence chirurgicale absolue en raison du risque de nécrose. La TDM abdominopelvienne est l'examen de choix pour cette étape. Elle précise le siège et le mécanisme de l'obstacle et en identifie la cause, les plus fréquentes étant :
Pour le grêle : les brides et adhérences post-chirurgicales.
Pour le côlon : le cancer colorectal et le volvulus du sigmoïde.
Souvent qualifiée d'"appendicite gauche", la sigmoïdite diverticulaire est une inflammation d'un diverticule du côlon sigmoïde. Elle survient typiquement chez un sujet plus âgé que pour l'appendicite. Le tableau clinique associe une douleur de la fosse iliaque gauche (FIG), une fièvre et des troubles du transit (constipation ou diarrhée). La TDM abdominopelvienne est l'examen clé qui permet :
De confirmer le diagnostic en montrant un épaississement de la paroi du sigmoïde et une infiltration de la graisse péricolique.
De rechercher des complications (abcès, péritonite) qui conditionnent la stratégie thérapeutique.
De guider le traitement, qui peut aller de l'antibiothérapie seule en ambulatoire pour les formes simples, au drainage percutané d'un abcès, voire à une intervention chirurgicale en urgence pour une péritonite.
Les douleurs des quadrants inférieurs de l'abdomen, ou "douleurs pelviennes", représentent un carrefour diagnostique particulièrement complexe.
Chez la femme en âge de procréer, les causes gynécologiques et urologiques sont prédominantes et doivent être systématiquement évoquées.
Une anamnèse rigoureuse (date des dernières règles, contraception, antécédents) et un examen clinique complet, incluant systématiquement les touchers pelviens (vaginal et rectal), sont des étapes fondamentales et non négociables de la démarche diagnostique.
le dosage des ß-hCG est un réflexe absolu chez toute femme en âge de procréer présentant une douleur pelvienne.
Grossesse extra-utérine (GEU)
Femme en âge de procréer, avec ou sans contraception.
Retard de règles, métrorragies "sépia", douleur pelvienne unilatérale. En cas de rupture : douleur syncopale, signes de choc hémorragique.
Test de grossesse (ß-hCG) systématique. <br> Échographie endovaginale : vacuité utérine, masse latéro-utérine, épanchement.
Salpingite aiguë
Femme jeune, souvent avec partenaires multiples ou antécédents d'infections sexuellement transmissibles (IST).
Douleur pelvienne souvent bilatérale, fièvre, leucorrhées purulentes. Douleur exquise à la mobilisation utérine.
Échographie (peut être normale). <br> Prélèvements bactériologiques cervicaux. <br> Syndrome inflammatoire biologique.
Torsion d'annexe
Souvent sur un ovaire porteur d'un kyste.
Douleur brutale, unilatérale, très intense, à type de torsion, accompagnée de nausées/vomissements.
Échographie Doppler : ovaire augmenté de volume, absence ou réduction du flux vasculaire. Urgence chirurgicale fonctionnelle.
Complication d'un kyste ovarien (Rupture/Hémorragie)
Contexte de kyste ovarien connu ou non.
Douleur brutale, unilatérale, souvent survenant en milieu ou fin de cycle (corps jaune hémorragique).
Échographie : visualisation du kyste et d'un épanchement liquidien pelvien.
Colique néphrétique :
La douleur est typiquement lombaire, unilatérale, d'une intensité extrême, sans position antalgique (le patient est "frénétique"). Elle irradie classiquement vers le flanc, l'aine et les organes génitaux externes.
La bandelette urinaire retrouve quasi systématiquement une hématurie microscopique.
L'examen de référence pour confirmer le diagnostic et localiser le calcul est l'uroscanner sans injection de produit de contraste.
Pyélonéphrite aiguë
Le diagnostic est évoqué devant la triade classique : fièvre élevée (>39°C) avec frissons, douleur lombaire unilatérale, et signes fonctionnels urinaires (brûlures mictionnelles, pollakiurie).
Le signe clinique clé est une douleur intense provoquée à l'ébranlement de la fosse lombaire.
L'examen cytobactériologique des urines (ECBU) est indispensable pour confirmer l'infection et identifier le germe.
Rétention aiguë d'urine
C'est un piège diagnostique à ne pas méconnaître.
Elle se manifeste par une douleur hypogastrique intense et une envie impérieuse mais inefficace d'uriner.
L'examen clinique est primordial : il retrouve un globe vésical, masse sus-pubienne tendue, mate à la percussion et très douloureuse à la palpation.
Le diagnostic est confirmé et le patient immédiatement soulagé par la pose d'une sonde urinaire.