“H”
Gabriel Petrozzi
C’était en début de soirée. Je venais tout juste de rentrer de mon nouveau travail. J’avais vingt-trois ans et je travaillais dans une librairie. La journée avait été calme, je cherchais quelque chose à faire. Mon téléphone, posé sur la table basse, sonna. Je décrochai, espérant tuer mon ennui. C’était Axel, mon meilleur ami. Il m’invitait à sortir en boîte de nuit avec des amis. A peine raccroché, je descendis quatre à quatre les marches de mon immeuble, enfourchai mon scooter de location, et me dirigeai vers le centre-ville. Je m’arrêtai devant le club, mes amis m’attendaient. Ils me saluèrent, je fis de même. Nous entrâmes, la musique agressait nos tympans. On me proposa de boire un verre de jus de fruit; n’étant pas suspicieux, j'acceptai avec joie. Le goût était extrêmement fort et je compris qu’il ne s’agissait pas seulement d’un jus. Après quelques heures de danse, on me proposa à nouveau un verre. Essoufflé et éreinté, j’acceptai à nouveau. Au fur et à mesure que les verres s'enchaînaient, mon rythme cardiaque s'accélèrait. Ma vue se troublait, et la musique semblait de plus en plus lointaine. Mes paupières étaient lourdes, mon corps aussi. Je m’affaissai, ma tête résonna. Un acouphène siffla dans mes oreilles, j'eus l’impression que mon cœur allait exploser, puis...rien. Un sentiment de calme et de bien-être m’envahit.
Je sentis une brise sur mon menton. J’étais, sans aucun doute, couché. Je n’osai pas ouvrir les yeux. Le hululement d’une chouette traduisit l’heure approximative. J’essayai de bouger, et le sol craqua sous mon corps. De toute évidence, il s’agissait de feuilles mortes. Je me décidai enfin à ouvrir les yeux, mais la lune et sa lueur m’obligèrent à les refermer. Je changeai de position et me levai, j’étais dans une forêt. Un épais brouillard m’empêchait et de voir à plus de trois mètres devant moi, et de voir sous mes genoux. Pris de panique, je cherchai la lisière de la forêt. Le sentiment agréable se transforma en sentiment d'oppression. Chaque fois que je pensais voir la sortie, je me trompais. Les larmes me montèrent aux yeux. Reverrai-je ma famille, mes amis, Axel ? Je n’avais aucune idée de l’endroit où je me trouvais. Soudain, une lueur d’espoir apparut... mon téléphone ! Je le sortis, il était cassé. Cette fois, je craquai complètement. Rien ne me laissait prévoir ça ! J’allais sûrement mourir dans cette forêt. Soudain, un craquement se fit entendre. Il me sortit de mes pensées. Je tournai mon regard à droite, puis à gauche, rien. Seulement le brouillard et les arbres. Le son se répéta. Pris de curiosité, je cherchai aux alentours… Une bête sans doute. Je regardai derrière moi, mais toujours rien. Le brouillard s’épaississait, plus rien ne se distinguait. Je tournai à nouveau la tête pour voir devant moi lorsque je fus frappé de terreur. Un homme se tenait là, devant moi.
Cet homme était immense, environ deux mètres cinquante; il était roux et portait une épaisse barbe allant jusqu'à ses hanches. Il était quasiment nu, vêtu d’un unique bas fait de feuilles et de branchages. Mais ce qui attirait le plus mon attention, c’était la hache qu’il portait. Elle était finement aiguisée, du sang séché recouvrait son extrémité comme les mains de l’homme. Ce moment me parut durer une éternité. Mon ventre se serra, mes jambes tremblèrent, ma gorge était asséchée. L’homme serra sa hache, la leva haut dans le ciel et… J’étais déjà parti. Je courus, courus sans jamais regarder derrière moi. Ses yeux à l’air menaçant resteraient gravés dans ma mémoire. Qui était-il ? Et que faisais-je dans cette forêt? Tant de questions auxquelles il m’était impossible de répondre.
Je manquai trois fois de me cogner à un arbre. La quatrième, ce ne fut pas un arbre mais une cabane en bois moisi. De la mousse la recouvrait. Les planches étaient attachées entre elles par des lianes. Il faisait froid et l’homme me cherchait toujours. Rien de pire ne pouvait m’arriver après tout. J’entrai. Il faisait tout aussi froid qu’à l'extérieur. Une odeur de putréfaction était omniprésente. Il faisait surtout sombre. A mesure que mes yeux s’habituaient à la pénombre, je découvrais des choses plus terrifiantes les unes que les autres. Des dizaines de haches étaient accrochées au mur. Des têtes étaient plantées sur des piques en bois. Des tripes trainaient au sol. Plus aucun doute, j’étais chez l’homme à la hache, le bûcheron. Du bruit se fit entendre. Le bûcheron fit irruption dans l’unique pièce, me vit, et grogna. Il ressera son arme et ne fit pas deux fois la même erreur : cette fois, il lança la hache. Je ne voulais pas souffrir, je fermai les yeux. Je ne sentis rien. Peut-être m’avait-il raté ? Je ressentis cette sensation de bien-être à nouveau.
J’étais perdu dans la plus totale des pénombres. J’avais beau essayer de toucher quelque chose autour de moi... rien. Petit à petit, je repris conscience de ma respiration, de mon cœur qui battait lentement. Je sentis que j’étais couché. Deux coups de klaxon se firent entendre. J’étais de retour… de retour dans ma ville, avec mes amis, mon travail, ma famille. Rien de cette mésaventure n’était arrivé. J’ouvris les yeux. Le soleil m’éblouit mais je n’y fis pas attention. J’avais mal au ventre. Une douleur profonde. Les passants s'agglutinèrent autour de moi. Ma vue rétrécit , je haletai. Je sentis le sang dans ma bouche. Mon dernier souvenir fut celui de la hache du bûcheron plantée dans mon estomac.