Je vous propose au travers de cette vidéo et de ce texte des éléments de réflexion sur les Automas, ces joueurs virtuels qui se sont multipliés dans les jeux de société. Notamment, je discuterai de la façon dont on peut concevoir son propre Automa.
Une tendance forte du jeu de société dans la dernière décennie est le jeu en solo. Nous ne discuterons pas de l’apparente dichotomie entre solo et société, cette discussion étant éminemment liée au terme français. Le terme anglo-saxon de boardgame (jeu de plateau), lui, ne suggère pas de controverse. Toujours est-il que jouer seul n’a rien de réellement nouveau : réussite, solitaire, livre dont vous êtes le héros, wargames… Pourtant, alors que le jeu solo était réservé à certains types de jeu, il est maintenant proposer dans la très large majorité des jeux. Notamment, de plus en plus de jeux, qui a priori sont conçus pour plusieurs joueurs, proposent maintenant un mode solo.
Il existe une très grande variété de modes solo : réaliser le meilleur score, atteindre un objectif, vivre une histoire, affronter un joueur virtuel… C’est ce dernier type de mode solo qui va nous intéresser, et plus particulièrement, un type de joueur virtuel particulier, l’Automa.
Le terme d’Automa (automate en italien) est apparu pour la première fois dans le jeu Viticulture. Ce premier Automa, conçu par Morten Monrad Pedersen, créateur de l’Automa Factory, pose déjà toutes les bases de que sera un Automa. Mais, qu’est-ce qu’un Automa ? C’est un joueur virtuel dont le résultat des actions ressemble à celui que pourrait émaner d’un vrai joueur. Il est censé ainsi imiter, non pas exactement la façon dont un joueur jouerait, mais plutôt l’impact qu’il aurait dans le jeu, y compris, et surtout peut être dans les interactions avec les autres joueurs.
On peut se poser la question de ce qui distingue un Automa d’un joueur virtuel tel qu’on les rencontre dans les jeux vidéo ou dans les jeux de société portés sur application par exemple ? En effet, depuis longtemps, il est possible de jouer aux échecs contre un adversaire virtuel, sans que celui-ci soit qualifié d’Automa. La différence entre le joueur informatisé et l’Automa tient dans la sobriété. Un Automa ne doit pas avoir besoin de ressources complexes pour être mis en œuvre ; exit donc les supports informatiques et l’intelligence algorithmique. L’intelligence de l’Automa doit tenir dans quelques composants de jeu (règles, cartes, jetons…) et pouvoir être mise en œuvre par le joueur. L’Automa doit répondre à un double objectif : être rapide et simple à jouer pour le joueur. Cela sous-entend qu’il faut limiter les manipulations de matériel, que l’Automa doit mobiliser peu de ressources cognitives de la part du joueur (en évitant notamment les situations ambiguës) : jouer avec un Automa ne doit pas s’apparenter à un jeu à deux mains, où le joueur joue le rôle de deux joueurs.
Bien évidemment, si l’Automa doit être simple, rapide à jouer, claire dans ses décisions, et nécessiter peu de matériel, il doit aussi et surtout se comporter d’une façon cohérente et intéressante pour le joueur. Pour cela, il faut que son comportement soit prévisible mais pas trop. La prévisibilité permet de donner un semblant de cohérence ; l’enjeu n’est pas d’avoir une IA jouant de façon complément chaotique, mimant un joueur faisant n’importe quoi. A l’inverse, il faut éviter aussi des comportements trop scriptés qui rende sa stratégie beaucoup trop lisible. Sinon, jouer contre lui s’apparenterait plus à un puzzle qu’à un affrontement face à un joueur virtuel.
Mais comment finalement intégrer toutes ces contraintes en faisant de notre Automa un adversaire solide, propre à constituer un vrai challenge pour le joueur. Comment égaler l’intelligence d’un joueur avec l’exigence de sobriété ? Il est illusoire de penser pouvoir produire une IA cognitivement aussi performante qu’un humain en utilisant juste quelques cartes. Pour que l’Automa puisse concurrencer l’humain, il faut qu’il s’affranchisse de certaines règles, qu’il triche… Un Automa est ainsi fondamentalement un tricheur.
On ne fera pas, ici, la liste exhaustive de toutes les astuces possibles, mais juste en évoquer certaines… La triche la plus classique pour l’Automa, car elle permet de répondre à trois enjeux simultanément (rapidité, simplicité et efficacité), c’est l’absence de ressources. Dans de nombreux jeux de société, le joueur doit gérer des ressources (argent, matériaux…). Cela est souvent une contrainte nécessaire à la production ou l’achat des composants lui donnant des points de victoires ou de nouvelles capacités d’action. La plupart des Automa font l’impasse sur les ressources (ou du moins sur certaines) ; on suppose en général qu’il en dispose d’une réserve infinie (par exemple à Feudum, Black Angel…). Cela apporte un avantage fort à l’Automa tout en facilitant sa mise en œuvre. Une autre astuce classique pour les Automas est de ne pas respecter les règles de déplacement et/ou celles sur les zones d’action (par exemple à Scythe ou Cerebria). Généralement, l’Automa peut déplacer ses pions beaucoup plus facilement que le joueur et ceux-ci peuvent agir sur une zone plus grande. Enfin, une dernière chose classique concerne les pouvoirs, ressources ou avantages fournis au départ du jeu. L’Automa se voit souvent gratifié d’un ou de plusieurs éléments l’avantageant et lui permettant de faire un départ plus rapide que le joueur et compensant ainsi son manque de stratégie globale. On trouve ensuite une grande variété de techniques selon le type de jeu pour améliorer les performances de l’Automa. Par exemple, dans Scythe, l’Automa marque des étoiles (accomplissement) après un certain nombre de tours, mettant la pression sur le joueur quant à la fin de la partie (celle-ci s’achevant dès qu’un joueur a obtenu 6 étoiles).
Je n’irai pas plus loin ici sur la théorie des Automas, mais en guise d’application, voici ici plusieurs Automas que j’ai créés pour Bios (les trois), Feudum et Clinic. Vous trouverez les règles pour intégrer ces Automas dans vos jeux. Un point commun à ces jeux : il dispose déjà d’un mode solo. Les Automas proposés ont tout à la fois vocation à offrir une variante sur les parties en solo, et de permettre de rajouter des joueurs dans les parties à plusieurs. Cela est notamment intéressant pour des jeux de contrôle de territoire comme Feudum et Bios Megafauna, où les équilibres du jeu sont très différents (et la tension moins forte) à 2 joueurs, qu’à 3, 4 voire 5 joueurs (pour Feudum).