Le Middle Jazz, le Swing

 Années 30 - 40

L'Amérique est en pleine crise économique, les musiciens connaissent une période difficile, Sidney Bechet devient tailleur, Kid Ory élève des poulets, King Oliver mourra en 1938 dans la misère... Certains comme Louis Armstrong iront se produire en Europe.

L'industrie du disque est concurrencée par le cinéma parlant mais les premiers 33 tours font leur apparition permettant l'enregistrement de plus de 15 minutes et la diffusion de concerts en différé. Les juke-box fleurissent dans les bars. Les boites de production font faillite et sont rachetées par des plus grosse, Victor-RCA, Columbia et Decca dominent le marché du disque.

L'usage du micro pour les chanteurs se généralise, les guitares adoptent le résonateur (Dobro), Gibson et Rickenbaker commercialisent les premières guitares électriques.

On situe les années 1930 comme l'ère du swing et le règne des big bands. D'abord essentiellement noirs, on verra dans la deuxième moitié des années 30 des orchestres blancs dits swing occuper le devant de la scène.

En effet les orchestres blancs se multiplient au cours des années 30 altérant l'esthétique des orchestre noirs d'une touche de suavité plus conforme à l'ambiance des grands hôtels et casinos qui les accueillent. Ces orchestres jouent une musique souvent ambiguë, entre jazz et variété, mais certains sauront se démarquer et seront désignés comme orchestres swing, c'est le cas du clarinettiste Benny Goodman, qui en intégrant le pianiste Teddy Wilson, le guitariste Charlie Christian, le vibraphoniste Lionel Hampton formera le premier orchestre mixte, ainsi que les orchestre de Tommy Dorsey, Artie Shaw, Glenn Miller.

Un big band standard est généralement composé d'une section d'anches (5 saxophones qui alternent avec clarinettes et flûtes), d'une section de trompette, une section de trombones, et d'une rythmique composée d'une contrebasse, une batterie, un piano et une guitare, et parfois de chant.

Chicago est sur le déclin, c'est désormais New-York et ses nombreux clubs et dancings, dont le plus célèbre est le Cotton Club, qui deviendra la capitale du jazz. La violence du quartier de Harlem faisant fuir le public blanc, les clubs déménagent sur Broadway ou le public noir n'est pas le bienvenu, il fréquentera alors l'Apollo Theater ou l'on découvrira des artistes tels qu'Ella Fitzgerald ou Thelonious Monk.

Trois grands chefs d'orchestre se disputent les planches du Cotton Club : Duke Ellington, Cab Calloway et Jimmie Lunceford.

A Kansas City règle depuis la fin des années 1910 l'orchestre de Bennie Moten. A sa mort l'orchestre sera reprit par son pianiste arrangeur : Count Basie qui s'entourera de solistes célèbres tels que Lester Young au saxophone ténor ou encore Freddie Green à la guitare, et mettra le cap pour New-York en 1936.

C'est dans ces années que le principe d'improvisation prendra toute son ampleur, jusque là cantonnée à quelques breaks on lui laissera la place pour des chorus entiers. Les sections à vent des big bands feront connaître de formidables solistes. 

 Quelques musiciens qui marqueront cette époque 

Piano - Chef d'orchestre

Duke Ellington fut et demeurera incontestablement l'un des plus remarquables compositeurs de l'Amérique du XXe siècle. Sa carrière s'étend de 1924 à 1974, il a écrit et co-écrit des milliers de pièces, certaines comptent parmi les plus fameux standards du siècle. Duke Ellington n'était pas un virtuose du piano, son instrument était l'orchestre entier. Il aura su rester inventif et moderne tout au long de sa carrière.

Écoute : The mooche (1928) - Caravan (1937) - Take the A train (1943) - In a sentimental mood (avec John Coltrane - 1962) 

Piano - Chef d'orchestre

Pianiste et chef d'orchestre, Count Basie révolutionna les cuivres de jazz et avait une section rythmique qui faisait l'envie de tous les big bands des années 30. Il simplifia l'écriture grâce à des phrases courtes , riffs, reprises d'une section à l'autre, le principe d'appels/répons, de grands espaces aménagés pour les solistes. Son big band représente, avec celui de Duke Ellington, la quintessence du jazz classique dont il a porté la bonne parole pendant 50 ans dans le monde entier.

Écoute : Jumping At The Woodside (1938) - Swingin' the Blues (1941) 

Clarinette- Chef d'orchestre

Clarinettiste virtuose, il deviendra un des musiciens les plus actifs en travaillant pour la radio, les studios et les comédies musicales de Broadway. Son orchestre fut un des plus populaire de l'ère du swing. Il fut le premier chef d'orchestre à métisser sont big band en engageant des musiciens noirs.

Ecoute : Sing, sing, sing (1935) 

Chant - Chef d'orchestre

Cab Calloway surnommé Hi de Ho man à la suite de son immense succès Ninnie the Moocher, était le chanteur et chef d'orchestre noir qui remportait le plus de succès. Il occupait en alternance avec Duke Ellington la scène du Cotton Club. Véritable showman, il sera réputé pour son énergie sur scène et son scat endiablé. 

En 1934, il parcourt l'Europe et deviendra en France l'inspirateur du mouvement zazou qui adopta son style vestimentaire à la fois chic et excentrique. En 1939, il engage un jeune trompettiste inconnu qui va révolutionner le jazz : Dizzy Gillespie.

Écoute : Minnie the Moocher (1931 - Vidéo 1958) - Zaz, Zuh, Zaz (1933) - (Hep-Hep!) The Jumpin' Jive (1939 - Vidéo 1960) 

Surnommé "The Hawk", avec lui le saxophone se décline au masculin. On l'a dit "velu". Sa sonorité est vindicative, rugueuse, volontiers altérée par des "growls" rageurs, animée d'un vibrato rapide qui traduit l'impatience. De cette impatience, le Faucon s'est fait un style, mais son phrasé boulimique ne l'est jamais gratuitement. Sa seule hâte, c'est le déshabillage méthodique de la trame harmonique. Compagnon des premiers pas de Fletcher Henderson, il su tirer les leçons du passage de Louis Armstrong dans l'orchestre.

Il signe avec Body and Soul le grand chef d’œuvre de l'improvisation pré bop. 

Écoute : Body and Soul (1939) - Ballade avec Charlie Parker (1950) 

Saxophone ténor

Saxophoiste ténor, il jouait avec une élégance nonchalante, d'une sonorité lisse et embrumée. Ses phrases aux mises en place étranges flottaient au-dessus du tempo, toutes en mélodies mais pleines d’ambiguïtés, de sous-entendus. Même quand Count Basie menait son orchestre à tombeau ouvert, il opposait une vision attendrie de l'existence. Vision qu'il partagea avec Billie Holliday qui le surnommait le "Prez". Il fut le pionnier de ce qui deviendra plus tard le style "cool"

 Écoute : These Foolish Things (1945) 

Saxophone ténor

L'époque du swing a retenu trois principaux joueurs de saxophone ténor : Coleman Hawkins, Lester Young et Ben Webster.

Dans les années 1940, il rejoint l'orchestre de Duke Ellington en tant que soliste. Il participe à plusieurs enregistrements dont le fameux Cotton Tail. Il quitte l'orchestre de Duke Ellington en 1943 et travaille dans les clubs de New York, soit comme leader, soit comme sideman.

En 1945, il est soliste invité pour la concert de la Zodiac Suite de Mary Lou Williams au Town Hall. La première pièce, Aries, lui est d'ailleurs dédiée.

Il revient chez Duke Ellington (1948-1949) avant d'intégrer l'orchestre de Count Basie (1953).

Ecoute : Cotton tail (1940) 

Surnommé The Rabbit, il est un de ceux qui poussa la maîtrise de son instrument à son plus haut point d'achèvement. Son sens aigu de l'équilibre dans la construction de ses solos est allié avec un son expressif, sensuel sans être mièvre, une belle finesse mélodique et une grande précision rythmique. Il est un des rares musiciens en qui le jazz a incarné son propre classicisme.

En 1927, il rejoint l'orchestre de Chick Webb et en 1928, entre dans l'orchestre de Duke Ellington ; il ne quittera qu'à sa mort, hormis une période de 1951 à 1955 où il dirige sa propre formation où apparaissent de nombreux transfuges de l'orchestre d'Ellington.

Ecoute : All of me (1959)

Vibraphone - Batterie

Surnommé « Le lion », il a été le premier géant du jazz à donner ses lettres de noblesse au vibraphone en tant qu'instrument soliste.

En 1936, il est engagé dans le quartette du célèbre clarinettiste Benny Goodman, avec lequel il enregistre ses premiers disques. Entre 1937 et 1940, il enregistre en studio (RCA) de nombreuses faces en petites formations avec quelques-uns des meilleurs solistes des orchestres de Duke Ellington, Count Basie, Jimmie Lunceford et Benny Goodman : Whoa babe (avril 1937) avec Johnny Hodges, Ring dem bells (janvier 1938) avec Cootie Williams, I'm in the mood for swing (juillet 1938) avec Harry James, When lights are low, Hot mallets (septembre 1939) avec Dizzy Gillespie, Benny Carter, Coleman Hawkins, Ben Webster, Charlie Christian.

Ecoute : Flying home (1957)

"Lady Day" avait l'art du placement de son swing, elle avait la faculté d'imaginer ses propres mises en place , de renouveler les accentuations, d'étirer ou de comprimer les durées en jouant sur le texte comme un jazzman joue de son instrument. Elle fut très complice avec le saxophoniste Lester Young.

Ecoute : Billie's Blues (1936) 

Guitare - Chef d'orchestre

Django Reinhardt est issu d'une famille de musiciens manouches ambulants. Il a grandi en région parisienne, en jouant du banjo dans les bals musettes il est devenu virtuose d'un style créé par les guitaristes et banjoïstes manouches. Il sera grièvement blessé dans l'incendie de sa roulotte en 1928 et devra réapprendre à jouer de la guitare avec une main gauche en partie paralysée.

Il est ému aux larmes en écoutant les enregistrements de Duke Ellington et Louis Armstrong.

Il côtoie le violoniste Stéphane Grappelli dans les dancings avec qui il prend l'habitude d'improviser. Leurs instruments ne correspondants pas au volume sonore imposé par une batterie, ils montent orchestre sans trompette ni tambour, la rythmique étant constituée de deux guitares et d'une contrebasse, c'est le quintette du Hot Club de France. Plus tard le violon sera remplacé par une clarinette.

Écoute : Djangology (1935) - Minor swing (1937) - Nuages (1940) 

Grand maître du stride, il avait un toucher nerveux et percussif, auteur de chansons, cet entertainer génial et jovial était adoré du public grâce à ses très populaires émissions de radio.

Excellent musicien qui savait manier le swing et la sensibilité, il était un chanteur libre et facétieux dont la superbe voix de baryton léger aurait pu en faire un superbe crooner. Un compositeur prolifique à qui l'ont doit de somptueux standards, il fut le premier chansonnier du jazz qui ait mis en musique le jive, cet humour incendiaire de Harlem, l'ancêtre du rap.

Ecoute : The Joint Is Jumping (1937) 

Count Basie l'appelait la huitième merveille du monde, Fats Waller l'appelait Dieu, Vladimir Horowitz cria au génie, Jean Cocteau le nomma le Chopin fou. Handicapé de la vision mais doué d'une oreille absolue Art Tatum a transgressé tout ce qui était possible de faire sur un piano. Il ne laissait pas de place au silence, son jeu était fourni, scintillant, foisonnant, rutilant sans jamais être redondant. Prolongeant le tradition du stride il arpente son clavier avec des rythmes souvent insensés, ses improvisation sont bouillonnantes d'idées.

Ecoute : Tiger rag (1933)