Free Jazz

Années 60-70

Coltrane poussa beaucoup plus loin les avancées de l'album Kind of blue. Il explora les modes avec une telle intensité que les notes se fondirent dans une sorte de magma qu'on surnomma un drapé de son. 

Le saxophoniste Ornette Coleman déchira l'horizon du jazz en 1959 comme une comète pour les uns, comme un missile fou pour les autres. Les musiciens aventureux savaient dès la fin des années 50 que la solution pour sortir de la discipline du swing se trouvait probablement dans la simplification de la structure sous-jacente, mais personne n'était jamais allé aussi loin qu'Ornette Coleman. Ce saxophoniste qui avait fait ses début de manière académique s'est mué en enfant terrible du jazz. Iconoclaste, il fut salué par certaines figures de la musique académique comme Léonard Bernstein, et violemment dénoncé par de nombreux critique et amateurs de jazz qui l'accusaient d'être sourd au lyrisme, de jouer faux et de se moquer du public. Il se proposait de réaliser l'impossible, à savoir élargir le champ d'un phrasé de saxophone que l'on croyait indépassable, celui de Charlie Parker. Ce qui désorientait les auditeurs c'était sa manière d'enterrer les accords et de cultiver un jazz de petite formation dans lequel la mélodie, l'harmonie et le rythme évoluaient organiquement, chaque instrumentiste reprenant au vol les idées de l'autre.

En Amérique le free jazz coïncida avec la montée du mouvement pour les droits civiques. Pour beaucoup de musicien afro-américains, le jazz était un prolongement des revendications de James Baldwin ou Malcom X : une déclaration d'indépendance et de rejet des valeurs blanches.

Le free jazz ne conquit jamais le grand public. On peut même dire qu'il tourna court, son évolution se termina dans une impasse artistique par manque d'inspiration de certains de ses improvisateurs qui se réfugièrent dans des solutions de facilité et finirent par donner raison à ses détracteurs qui y voyaient une musique réservée au pur plaisir des musiciens et d'un public très averti. Mais par ses audaces le free jazz ouvrit des portes qui n'ont jamais vraiment été refermées. Il a considérablement élargi le champ du jazz contemporain et d'un certaine façon préparé à l'arrivée du jazz fusion.

Musiciens

Saxophone alto - Chef d'orchestre

Aucun musicien de sa génération n'aura été aussi dénigré, méprisé, rejeté par ses pairs et contesté par ses aînés. On l'a traité d'imposteur, de charlatan qui jouait n'importe quoi et que sa musique alternative n'était qu'un canular grotesque. A l'époque, oser briser les codes du saint be-bop et sortir de l'influence Parkerienne réclamait beaucoup de courage.

En 1960, l'album Free Jazz : A Collective Improvisation sonne comme un manifeste, bien que son auteur ait exprimé plus tard sa gêne devant ce concept. Dans ce disque, improvisé sans préparation par deux quartets (un sur chaque canal stéréo)

En 1972, il développe le concept d'harmolodie où les musiciens jouent simultanément la même mélodie à différentes hauteurs et dans différentes tonalités.

Son influence est diffuse et contrastée ; le free jazz perdure en partie sur les bases qu'il a énoncées, mais le funk le revendique également comme précurseur, témoignage du vivant paradoxe de son existence et de son art.

Écoute : Tomorrow Is The Question ! (1959) - Free jazz (1961) - Broad Way Blues (1961) - Song X (1985)

Saxophone alto - Clarinettes - Flûte

Eric Dolphy est multi-instrumentiste, saxophone alto, flûte traversière, clarinette, clarinette basse.

En 1959, il rejoint le Workshop du contrebassiste Charles Mingus où, plus encore que chez Hamilton, Dolphy peut se livrer à ses audaces musicales. En 1960, il enregistre, avec le double quartet dirigé par le saxophoniste Ornette Coleman, l'album Free jazz, véritable manifeste de l'avant-garde du jazz de l'époque.

De 1960 à 1964, on peut l'entendre dans une multitude de formations. Par exemple avec John Coltrane.

Écoute : Out there (1961) - Serene (1961)Out To Lunch ! (1964)

Cherry a atteint la notoriété dans le milieu du jazz dans les années 1950 quand il se produisit avec Ornette Coleman. Il a incorporé dans ses morceaux, un mélange de be-bop teinté d’influences musicales du Moyen-Orient, d’Afrique traditionnelle et d’Inde.

Écoute : Ramblin' (1960) - Complete Communion (1965)

Saxophone ténor

Le jazz abonde d'artistes maudits, mais Albert Ayler en est un exemple à l'état pur, vivant dans le rejet, l'ostracisme et le sarcasme permanent, qu'il ne fait rien pour abolir : violence du son amplifié par l'utilisation d'anches très dures et par un jeu très physique mobilisant toute la puissance du souffle et de la bouche, vibrato hypertrophié, paroxystique. Certains critiques, notamment lors de son passage parisien de 1966, ont crié à la cacophonie, au discours simpliste d'analphabète musical, au mauvais goût.

Écoute : Spirits (1964)

Piano - Claviers - Chef d'orchestre

Précurseur et hors normes, d'avant-garde tout en restant accessible, Sun Ra s'inscrit dans un premier temps dans la lignée des orchestre be-bop ou ellingtonien, en y ajoutant des percussions exotiques, pouvant évoquer l'Égypte antique, ou des instruments électriques. Il est un des premiers musiciens à avoir joué free, préfigurant ce qui allait devenir le free jazz. Sa musique intègre également, et souvent avant que ce soit à la mode, des éléments de psychédélisme, de musique africaine, de musique concrète...ce qui ne l'empêchera pas, tout au long de sa carrière, de revisiter le répertoire de Jelly Roll Morton, de Fletcher Henderson ou de Thelonious Monk.

Imprévisible, sa musique joue sur la modification des timbres, des structures et des rythmes, parfois de façon subtile, parfois de façon paroxystique, notamment en jouant sur l'amplification.

Ses concerts alternent généralement des improvisations free, des chorals mystiques et d'excentriques versions de morceaux swing.

Écoute : The magic city (1966)

En 1955 Cecil Taylor met en évidence quelques-uns des traits dominants du free jazz. Il constitue néanmoins une exception à plusieurs titres, il est pianiste alors qu'Ornette Coleman semble avoir exclu le piano, symbole de l'esthétique occidentale bourgeoise et dont les fonctions harmonique sont accusées de mettre le soliste sous tutelle.

Ses premiers solos évoquent bien les raideurs de Dave Brubeck, mais on pense aussi à Monk pour ses dissonances.

Progressivement il déserta le répertoire des standards  et ne conserva de l'harmonie traditionnelle  qu'un matériel brut d'accords tendus ou compressés et s'affranchit de la syntaxe harmonique conventionnelle.

Écoute : Conquistador (1968)

Saxophone ténor

À ses débuts en 1960, il est, avec Cecil Taylor, l'un des fondateurs du free jazz avec des disques révoltés. Il dirige ensuite l'Attica Blues, big band au début des années 1970, empreint de soul et de blues, styles qui influenceront toute son œuvre jusqu'à aujourd'hui.

À partir de la fin des années 1960, il se tourne aussi vers l'enseignement, d'abord à l'université d'État de New York puis dans les années 1970 jusqu'au début des années 2000, il enseigne l'histoire de la musique à l'université du Massachusetts.

Écoute : Basheer (1966)

En 1962 il s'installe à New York, et reçoit rapidement le surnom de Pharoah par les membres de Sun Ra, avec lesquels il se produit. En 1965, il joue dans le groupe de John Coltrane, au moment où ce dernier commence à expérimenter un nouveau style de jazz, qu'on appellera plus tard le free jazz. C'est dans ce style que Pharoah Sanders s'illustrera par la suite.

Parmi ses collaborations célèbres, on peut noter celles où chante le vocaliste Leon Thomas. Les yodelling de Thomas associés aux improvisations de Sanders, à un rythme free jazz détaché d'une structure rigoureuse, ainsi qu'à des textes religieux et mystérieux (avec un intérêt pour l'Islam), marquent une attirance et un retour vers la musique africaine.

Pour ces raisons Pharoah Sanders est considéré comme l'un des inventeurs de l'ethno-jazz.

Écoute : Upper Egypt & Lower Egypt

Un concert de l'Art Ensemble Of Chicago commence parfois en retard, car le groupe commence par se vêtir de couleurs bariolées et choisit les peintures de guerre qui ornent leurs visages. Commence l'alchimie de la Great Black Music : mêlant l'archaïque et l'ultramoderne, rythmes africains et évocations des grands anciens du jazz ou références européennes, préhistoire du jazz et expérimentation, les cris et les chuchotements, les polyphonies gordiennes et les solis parfaitement ordonnés, le sérieux et le sarcasme, et l'humour, et l'ironie, et le pathétique, la révérence et l'iconoclastie, passé et présent, en un patchwork bigarré débité avec le plus grand sérieux, un exposé de musicologie appliquée. L'art Ensemble est un paradoxe vivant, même un oxymore permanent. Tout cela tient de la bacchanale, du culte panique, de la cérémonie vaudou et de la recherche contemporaine, mais dans un déroulement maîtrisé, un cérémonial méticuleux.

Écoute : Dexterity (1969) - Comme à la radio (avec Brigitte Fontaine - 1969)