Le Cool, West Coast

Les années 50

Le be-bop est en crise, Bud Powell est guetté par la folie, Charlie Parker entraîne toute une génération dans la toxicomanie, les uns succombent (Charlie Parker, Fats Navarro), les autres survivent entre délinquance et clochardisation. 

En 1948, après ses débuts auprès de Charlie Parker, le trompettiste Miles Davis forme un nonnette  pour une série de concerts à New-York et enregistre l'année suivante l'album Birth of the Cool (la naissance du cool). Ce n'est plus un jazz rapide, explosif et bluesy mais une musique éthérée, nuageuse, utilisant aussi bien des instruments de jazz traditionnel que des cors anglais, et demandant aux musiciens un jeu plus délicat. Si Davis s'était lancé dans ce style, c'était en partie parce que sa propre technique ne convenait pas au be-bop, et aussi parce que à l'instar du Charlie Parker des dernières années, il avait senti que l’improvisation basée sur les accords de chansons populaires enfermait le jazz dans une forme figée qui interdisait les discours élaborés. Il fut avec son arrangeur Gil Evans l'instigateur du style cool.

Jusque là les structures des morceaux, souvent issues de chansons était strictes, les grilles harmoniques étaient montées en 12 (blues), 16 ou 32 mesures, dans des formes A-B ou A-A-B-A, avec des progressions d'accords souvent classiques (Anatole, Blues....). Un des premiers musicien avec Miles Davis à vouloir modifier les structures des morceaux comme base d'improvisation fut Lennie Tristano. Il valorisait avant tout la ligne mélodique et évitait les effets faciles et les clichés du blues, du swing et du be-bop. Si jusque là les pianistes cherchaient à imiter le saxophone de Charlie Parker, les saxophonistes se sont mis à jouer comme des pianistes, cherchant à déployer de longues arabesques libérées des vieilles contraintes métriques.

Si Miles Davis était l'essence du style cool, on identifie généralement  ce son à la musique qui se faisait sur la côte ouest des Etats-Unis. Le groupe de Dave Brubeck connaissait un franc succès, Le saxophoniste Gerry Mulligan et le trompettiste Chet Baker élaborèrent une manière de be-bop calme, sans piano, qui obtint rapidement un énorme succès commercial, notamment parce que Chet Baker était aussi un crooner populaire.

Musiciens

Trompette - Chef d'orchestre

Miles Davis fut à la pointe de beaucoup d'évolutions dans le jazz et s'est particulièrement distingué par sa capacité à découvrir et à s'entourer de nouveaux talents. Son jeu se caractérise par une grande sensibilité musicale et par la fragilité qu'il arrive à donner au son. Il marque l'histoire du jazz et de la musique du XXe siècle. Beaucoup de grands noms du jazz des années 1940 à 1980 travaillent avec lui.

Les différentes formations de Miles Davis sont comme des laboratoires au sein desquels se sont révélés les talents de nouvelles générations et les nouveaux horizons de la musique moderne.

En 1945 il remplaça Dizzy Gillespie dans le quintette de Charlie Parker. Il n'était pas le trompettiste bop idéal, il peinait dans les tempos rapide, ratait souvent des notes. Son tempérament l'amena à composer une musique basée sur la subtilité, l'émotion.

En 1948, en collaboration avec l'arrangeur Gil Evans, il décide de mettre son projet à exécution en se détachant des principes du be-bop pour participer à une nouvelle forme de jazz. En 1950 il enregistre l'album Birth of the Cool, le jazz cool était né !

Après une difficile lutte contre son addiction à l'héroïne, il réunit un nouveau sextet qui compte notamment le batteur Kenny Clarke et le pianiste Horace Silver. Ensemble, ils posent les bases d'un nouveau style, qui deviendra après le Be-bop et le Cool la "troisième vague" du Jazz moderne : le hard bop. Réaction contre le cool jazz qu'il a lui-même lancé.

En 1959, Miles Davis signe son chef-d'œuvre avec Kind of Blue, un album improvisé autour de trames qu'il a composées, en s'entourant notamment du pianiste Bill Evans et du saxophoniste John Coltrane. Considéré comme le chef-d'œuvre du jazz modal et l'un des meilleurs — et des plus populaires — disques de jazz jamais enregistrés.

Fin 60, début 70  Miles Davis va initier l'essor d'un jazz de style nouveau, fusionnant le son électrique de la fin des années 1960 avec le jazz : le jazz fusion, ou jazz-rock

Le génie de Miles Davis peut se résumer en trois points : un son original dans un environnement très structuré, une conception évolutive de la musique dans des directions déterminées et une capacité à s'entourer à cette fin de musiciens dont il savait tirer le meilleur.

Écoute : Boplicity (1949) - So what (1959) - Shhh Peaceful (1969) - The Doo Bop Song (1991)

Piano - chef d'orchestre

Tristano s’imprègne assez vite du be-bop et en particulier de la musique de Charlie Parker. C’est en conjuguant sa connaissance de la musique classique, du jazz traditionnel et du be-bop que Tristano élabore les bases de ce qui va être son esthétique. La musique de Tristano repose sur un grand sens de la structure, hérité en particulier de Bach, un travail sur l’harmonie et le phrasé, l’utilisation de la polyrythmie et parfois de la polytonalité. Cette esthétique assez proche de celle du cool jazz mais s’en démarquant par bien des aspects est, pour l’époque, particulièrement innovante. Certains critiques reprochent cependant à la musique de Tristano une certaine froideur et une tendance à l’intellectualisme. Par contre de nombreux musiciens adhèrent aux théories du pianiste et deviennent ses élèves. Le nombre de ses disciples grandira au fil des années.

Tristano est une figure particulière dans l’histoire du jazz, à la fois très importante et marginale. Il a influencé de nombreux jazzmen. Pour exemple, Bill Evans, à l’esthétique pourtant pour le moins éloignée de celle de Tristano, a toujours revendiqué ce dernier comme une de ses influences.

Ecoute : East thirty second (1955)

Trompette - Chant

Le premier à le repérer est Charlie Parker en 1952 alors que Baker n'a que 22 ans, il l'engage sur le champ et grave quelques enregistrements. Cette même année, débute la collaboration avec le saxophoniste baryton Gerry Mulligan au sein d'un quartet sans piano, formation inhabituelle à l'époque.

Un disque va connaître un véritable triomphe à travers tout le pays : Chet Baker Sings (1954-1956). Chet devient une icône américaine, à la fois rebelle et fragile. Les photos de son ami William Claxton contribuent à véhiculer cette image idéalisée de playboy.

En 1955 anéanti par la mort par overdose de son pianiste, il découvre lui-même l'héroïne qui ne le quittera plus jusqu'à sa mort, commence pour lui une descente aux enfers.

A partir de 1956 ses allers-retours entre USA et Europe sont ponctués de séjours en prison ou en hôpital psychiatrique, d'épisodes violents (il se fait fracasser les dents par des dealers), et par de merveilleux enregistrements.

D'emblée témoignant délicatesse, fragilité, son style évolue dans la deuxième partie de sa carrière : son jeu semble souvent à la limite de la rupture, alternant léger staccato et legato, en de longues phrases sinueuses, sensuelles et vaporeuses, souvent dans le registre grave, soulignées par des effets de souffle et par la proximité du pavillon et du microphone. Il maîtrise surtout à merveille l'art de la ballade.

Son chant présente les mêmes caractéristiques, même dans l'improvisation «scat», pourtant fort éloignée de l'exubérance d'un Dizzy Gillespie ou d'une Ella Fitzgerald. Ses improvisations restent surtout dans un registre médium loin des envolées suraiguës de Dizzy Gillespie. 

Écoute : Line For Lyons (1952) - My funny Valentine (1954)

Saxophoniste baryton et arrangeur, il s'associe avec Chet Baker dans une délicate formation contrapuntique sans piano. C'est un succès commercial, ce son nouveau est baptisé west woast.

Au cours des années 60, il enregistre de nombreux disques en leader et participe à plusieurs tournées internationales parfois en tant qu’invité, comme c’est le cas à plusieurs reprises avec la formation de Dave Brubeck. Les années 70 marquent un tournant dans son travail d’interprétation et de composition puisqu’il intègre des nouvelles sonorités contemporaines de cette période plus électrique.

Si son nom est toujours proche de celui de Chet Baker dans la mémoire collective des amateurs de jazz, la liste de ses autres partenaires de scène ou de studio est très longue. Elle va de Lee Konitz, Thelonious Monk, Johnny Hodges, Bob Brookmeyer et Charles Mingus à Jim Hall, Astor Piazzolla, Lionel Hampton, Ella Fitzgerald, etc...

Écoute :  Bernie's Tune (1952) - Jeru (1953)

Saxophone ténor

Il est considéré comme l'un des plus grands joueurs de saxophone ténor. On le surnommait "The Sound", en raison de sa sonorité ample, pure et riche, immédiatement identifiable.

Stan Getz est l'un des plus importants saxophonistes de jazz. Chef de file de l'école cool, il combine une sonorité douce et feutrée apportées par le jeu novateur de son aîné Lester Young. Tendre, éthérée, élégante, sa musique contraste avec la rudesse des disciples de Coleman Hawkins, à la crudité du blues et aux duretés virtuoses du be-bop. Elle eut une influence prépondérante sur l'évolution du jazz, par l'intermédiaire des musiciens de la côte Ouest. Vers le milieu des années 1950, au moment où le hard bop supplante le cool jazz, Stan Getz évolue à l'intérieur même de son style, vers une expression plus virile.

Écoute : Pennies from Heaven (1951) - I'm Late, I'm Late (1961) - Desafinado (1962) 

The girl from Ipanema (1963)

Il a été le premier saxophoniste alto de cette période à se libérer du modèle be-bop et de l'influence de Charlie Parker (son ami par ailleurs).

Doté d'une sonorité fluide, diaphane et aérée, il se démarque totalement des autres altistes parkériens comme Julian "Cannonball" Adderley ou Phil Woods. Il a notamment influencé Art Pepper et Paul Desmond.

Au milieu des années 1940, il rencontre Lennie Tristano, avec lequel il étudie. Il joue entre 1946 et 1947 avec Claude Thornhill, avec qui il enregistre ses premiers disques, et qui lui permet de rencontrer Gerry Mulligan, saxophoniste et compositeur, et Gil Evans, alors arrangeur. Ce dernier lui permet d'intégrer le nonet de Miles Davis, avec lequel il enregistre le célèbre album Birth of the cool (1949 -1950). Cet enregistrement marque un tournant dans sa carrière. Il est dès lors considéré comme l'un des chefs de file du cool jazz.

Écoute : Subconscious-Lee (1949)

Saxophone alto - clarinette

Art Pepper se forge un style unique lors de son passage dans le Stan Kenton Orchestra. Il sera l'un des seuls altoistes des années 1950, avec Lee Konitz par exemple, à s'affranchir de l'influence écrasante de Charlie Parker sur l'instrument. Il devait réussir à associer créativement les styles du swing et du bop, du hot et du cool, affirmant ce qui devait s'imposer comme l'un des sons d'alto les plus authentiques des années 1950 … Le génie de Pepper réside dans cette capacité de boa d'ingurgiter totalement les styles de ses illustres contemporains tout en demeurant fidèle à lui-même.

Dès le début des années 50 il rencontre des problèmes avec les stupéfiants et fera plusieurs séjour en prison. Il se soigne à la méthadone en 1975 mais sa santé se dégradera très vite.

Écoute : Surf Ride (1952)

Saxophone alto - Clarinette - Chef d'orchestre

De 1947 à 1949, Woody Herman dirige le "Second Herd". La section de saxophones de cet orchestre, composée de Stan Getz, Zoot Sims, Herbie Steward (saxophone ténor) et de Serge Chaloff (saxophone baryton) et connue sous le nom des Four Brothers, est l'une des plus remarquables de l'histoire du jazz.

Instrumentiste limité qui se considérait lui-même comme un "soliste moyen", il fut surtout un exceptionnel meneur d'hommes et compta au sein de ses formations de nombreuses futures vedettes du jazz west coast, notamment Stan Getz et Zoot Sims.

Écoute : Bijou (1945) - Early autumn (1948) - Four brothers (1948)

Piano - Chef d'orchestre

Considéré par beaucoup de musiciens américains comme "l'université" du Jazz, l'orchestre de Stan Kenton verra l'émergence d'une foule de talents : Lee Konitz, Stan Getz, Art Pepper, Gerry Mulligan, Maynard Fergusson, … Kenton contribuera à la création du West Coast Jazz avec des musiciens tels que Shorty Rogers, Frank Rossolino, Bob Cooper, Shelly Manne, les frères Candoli, June Christy … tous d'anciens musiciens de l'orchestre.

Si le critique de jazz Alain Tercinet voit en Stan Kenton un avant-gardiste passionné d'expériences inédites qui dépassent les frontières des genres, les puristes du jazz en revanche prendront leur distance avec une musique qu'ils jugent figée, trop sophistiquée et sans grand swing. Parmi ceux-là Boris Vian qui dans les années 1950 avait éreinté Kenton, au vitriol, si bien que la réputation de ce musicien et de son orchestre ont souffert, en France, de cette condamnation péremptoire.

Écoute : Frank Speaking (1952)

Piano - Chef d'orchestre


Dave Brubeck (1920-2012) fonde en 1951 son quartet avec notamment Paul Desmond au saxophone alto. 

C'est en 1959 que le succès est à son apogée avec le célèbre album Time Out où l'on trouve les morceaux Blue Rondo a la Turk, Take Five et Three to Get Ready, album très innovant notamment par ses signatures rythmiques atypiques variant d'un morceau à l'autre.

Take Five, premier succès du quartet (composé par Paul Desmond en 1959), est écrit en 5/4. Ce succès est l'un des rares exemples de musique innovatrice qui devient un hit planétaire, au point de paraître aujourd'hui banalisée.

Écoute : Take five (1959) - Blue Rondo à la Turk (1959) - I'll Never Smile Again (1953)