Le Hard Bop, Soul jazz

Années 50-60

C'est chaque fois la même chose, dès qu'un mouvement se constitue, un autres est déjà prêt à le remplacer. Dans les années 50 on considéra le jazz cool comme le fin du fin, l'expression lyrique et élégante de la jeunesse d'après guerre, puis avec le temps on le trouva désengagé, froid, sans punch. Le rock'n'roll qui mettait un grand coup de balais dans le sentimentalisme et l'émotivité soft qui caractérisait la musique populaire dominée par les crooners n'y était pas pour rien.

De nombreux musiciens de jazz étaient restés réfractaires  à la vague du cool, notamment certains bopper. Le déferlement du cool n'avait pas noyé le bop dont les adeptes progressaient et s'épanouissaient toujours. Le contrebassiste virtuose Charles Mingus avait fondé sa propre maison de disques avec Max Roach pour permettre le développement d'une nouvelle musique, plus hard. Vers le milieu des années 50 il forma une sorte d'atelier expérimental pour mettre au point un style de composition et d'arrangement basé sur une fusion du be-bop, du gospel et du blues. Nombre de musiciens refusaient le son cool, ils voulaient perpétuer le vibrato hot et le punch rythmique du jazz d'antan et du chant religieux. Ils étaient trop dispersés au début pour être englobés dans un mouvement bien défini, mais peu à peu on les catalogua sous l'étiquette de "hard bop". Bien que certains musiciens de hard bop étaient blancs, la plupart étaient noirs et travaillaient sur la Côte Est, à Philadelphie, Chicago ou Détroit.

En 1955, après une période d'héroïnomanie, Miles Davis réunit un groupe et engagea John Coltrane. La musique de Miles retrouva alors une nervosité qu'elle avait perdue et Coltrane, l'opposé diamétral du trompettiste s'affirma comme l'un des improvisateurs les plus innovant de cette époque en combinant profondeur d'âme et originalité dans une harmonie bop étendue.

Après l'écriture soignée du jazz cool, l'improvisation revenait au premier plan entre deux exposés thématiques comme au bon vieux temps du bop. Cette simplicité n'était qu'apparente. La vigueur du propos était renforcée par un son collectif compact obtenu par l'harmonisation partielle ou entière du thème à deux ou trois voix, par des mises en place précise de la rythmique répondant à l'orchestre, ou inversion des rôles, les vents répondant à leur tour à l'exposé de la rythmique. L'alternance de parties phrasées swing (croche ternaires) et de parties phrasées en croches égales (binaires) sur une rythmique latino.

Les musiciens chefs de file

Trompette - Chef d'orchestre

Miles Davis fut à la pointe de beaucoup d'évolutions dans le jazz et s'est particulièrement distingué par sa capacité à découvrir et à s'entourer de nouveaux talents. Son jeu se caractérise par une grande sensibilité musicale et par la fragilité qu'il arrive à donner au son. Il marque l'histoire du jazz et de la musique du xxe siècle. Beaucoup de grands noms du jazz des années 1940 à 1980 travaillent avec lui.

Les différentes formations de Miles Davis sont comme des laboratoires au sein desquels se sont révélés les talents de nouvelles générations et les nouveaux horizons de la musique moderne.

En 1945 il remplaça Dizzy Gillespie dans le quintette de Charlie Parker. Il n'était pas le trompettiste bop idéal, il peinait dans les tempos rapide, ratait souvent des notes. Son tempérament l'amena à composer une musique basée sur la subtilité, l'émotion.

En 1948, en collaboration avec l'arrangeur Gil Evans, il décide de mettre son projet à exécution en se détachant des principes du bebop pour participer à une nouvelle forme de jazz. En 1950 l enregistre l'album Birth of the Cool, le jazz cool était né !

Après une difficile lutte contre son addiction à l'héroïne, il réunit un nouveau sextet qui compte notamment le batteur Kenny Clarke et le pianiste Horace Silver. Ensemble, ils posent les bases d'un nouveau style, qui deviendra après le Bebop et le Cool la " troisième vague " du Jazz moderne : le hard bop. Réaction contre le cool jazz qu'il a lui-même lancé.

En 1959, Miles Davis signe son chef-d'œuvre avec Kind of Blue, un album improvisé autour de trames qu'il a composées, en s'entourant notamment du pianiste Bill Evans et du saxophoniste John Coltrane. Considéré comme le chef-d'œuvre du jazz modal et l'un des meilleurs — et des plus populaires — disques de jazz jamais enregistrés.

Fin 60, début 70  Miles Davis va initier l'essor d'un jazz de style nouveau, fusionnant le son électrique de la fin des années 1960 avec le jazz : le jazz fusion, ou jazz-rock

Le génie de Miles Davis peut se résumer en trois points : un son original dans un environnement très structuré, une conception évolutive de la musique dans des directions déterminées et une capacité à s'entourer à cette fin de musiciens dont il savait tirer le meilleur.

Écoute : Boplicity (1949) - So what (1959) - Shhh Peaceful (1969) - The Doo Bop Song (1991)

Saxophone ténor - saxophone soprano

Surnomé Trane, il est, après Charlie Parker dans les années 1940 et 1950, considéré comme le saxophoniste le plus révolutionnaire et le plus influent de l'histoire du jazz, meneur du courant avant-gardiste dans les années 1960, et l'un des artistes les plus importants de la musique de la deuxième moitié du XXe siècle.

Coltrane a toujours cherché à se dépasser sur tous les plans : technique, en explorant de nouveaux modes d'expression, cherchant de nouvelles sonorités, de nouveaux timbres et de nouvelles façons d'étendre la tessiture et la dynamique du saxophone ; stylistique, parvenant à élargir les horizons du développement thématique et harmonique de cet instrument en combinant l'improvisation à la chaleur du timbre, à la dynamique et au rythme ; personnel en concevant sa musique comme une quête spirituelle.

En 1949 il rencontre Bud Powell à New York, et se joint au grand ensemble de Dizzy Gillespie, dans lequel il joue de l'alto tout en continuant de s'exercer au ténor. Au mois de mai 1950, Gillespie dissout son grand ensemble et forme un groupe réduit, avec Coltrane, qui joue de l'alto mais aussi du ténor. 

En 1958, il collabore avec le Miles Davis Quintet qui le remplacera ensuite par Sonny Rollins  à cause de ses problèmes d'alcool et de drogue.

En 1957 il enregistre le vertigineux Giant Steps, En mars 1960, il part en tournée en Europe avec Miles Davis. Son style révolutionnaire y est fort mal accepté, il se fait siffler lors d’un concert à l'Olympia de Paris.

Le 9 décembre 1964, le John Coltrane Quartet enregistre le chef-d'œuvre A Love Supreme, considéré comme l'un des albums les plus importants de l'histoire du jazz.

Écoute : Blue train (1957) - Giant steps (1959) - Naima (1959) - A Love Supreme (1965)

Art Blakey est avec Kenny Clarke et Max Roach un des inventeurs du style de batterie be-bop moderne, et fut l'un des piliers du genre hard bop. Lui et son groupe, The Jazz Messengers, continuent aujourd'hui encore d'avoir une grande influence sur le jazz.

Dans les années 1950, Blakey dirige avec le pianiste Horace Silver une série de groupes sous des noms variés. Ils enregistrent notamment l'un des premiers disques "live" de jazz, A Night at Birdland, en février 1954. C'est aussi en 1954 que le nom Jazz Messengers est employé pour la première fois pour désigner le quintet. L'orchestre traversera de nombreux changements de composition, deux d'entre eux parmi les plus célèbres comprenant Wayne Shorter au saxophone ténor. Sans oublier la collaboration du trompettiste Lee Morgan en 1958 sur l'album Moanin, ainsi que sur A night in Tunisia.

Écoute : Moanin' (1958) -  Whisper not (1958) - A Night in Tunisia (1958) - Thermo (1962)

Contrebasse - Chef d'orchestre

Charles Mingus a apporté une contribution majeure au jazz, à la fois en qualité de compositeur et chef d'orchestre, mais aussi en tant que contrebassiste. Une grande partie de la musique de Mingus est basée sur l'énergie du bebop et du hard bop, avec une forte influence du gospel.

Le premier engagement professionnel de Mingus est avec Louis Armstrong, au début des années 1940. En 1947, il est engagé par Lionel Hampton.

 Il se produit en sideman avec Miles Davis, Billy Taylor, Dizzy Gillespie, Terry Gibbs, Stan Getz, Bud Powell, Lennie Tristano — et Charlie Parker qu'il accompagnera épisodiquement jusqu'à sa mort en 1955. Il fait brièvement partie de l'orchestre de Duke Ellington avant d'être licencié.

 Le 15 mai 1953, Mingus, Dizzy Gillespie, Charlie Parker, Bud Powell, Max Roach se produisent au Massey Hall de Toronto.

En 1956, Mingus enregistre sa première œuvre majeure : Pithecanthropus Erectus. Ce disque introduit un nouveau style qui préfigure déjà le jazz plus libre des années 1960, avec certaines parties totalement improvisées. En 1959, Mingus sort trois disques majeurs : Blues & Roots (Atlantic), une sorte de retour volontaire aux racines de la musique noire américaine, Mingus Ah Um (Columbia), son disque le plus connu et le plus accessible, et Mingus Dynasty.

Écoute : Wednesday night prayer meeting (1959) - Better Get It In Your Soul (1959)

Take The A Train (1964)

Pionnier du be-bop, il aborda aussi beaucoup d'autres styles de musique et fut ainsi considéré comme l'un des batteurs les plus importants de l'histoire. Il travailla avec une multitude de musiciens de jazz, dont Coleman Hawkins, Dizzy Gillespie, Charlie Parker, Miles Davis, Duke Ellington, Dinah Washington, Abbey Lincoln, Charles Mingus, Sonny Rollins ou encore Clifford Brown.

S'il est un pionnier dans le style be-bop, il sera un acteur majeur du style hard bop quelques années plus tard.

En 1954, il forma un quintet regroupant autour de lui le trompettiste Clifford Brown, le saxophoniste Harold Land, le pianiste Richie Powell (le frère de Bud) et le contrebassiste George Morrow. Mais l'aventure s'arrêta brusquement lorsque Brown et Powell furent tués dans un accident de voiture en juin 1956.

En 1962, il enregistre Money Jungle avec Mingus et Duke Ellington. Le fruit de la rencontre de ces trois monuments du jazz est en général vu comme l'un des plus subtils jamais réalisés.

Écoute : Steeplechase (1948) - Daahoud (1954) - Money jungle (1962)

S'il fut également un trompettiste de be-bop, c'est surtout dans le courant du hard bop qu'il s'est illustré. Il était apprécié pour son jeu lyrique, fait de longues phrases mélodieuses et d'une virtuosité extrême.  Il ne reste malheureusement que peu de traces de ses nombreuses représentations (concerts, jams, studios...), Clifford Brown étant tellement modeste qu'il a cherché tout au long de sa courte carrière à se faire oublier.

En 1952, il enregistre pour la première fois pour le combo de Bud Powell en tant que pianiste et trompettiste du groupe. Durant l'année 1953, Lionel Hampton l'engage pour une tournée européenne au sein de son grand orchestre. 

En 1954, six semaines après sa rencontre avec Max Roach, Clifford Brown forme le fameux quintet,  leur collaboration débute par un concert au Tiffany Club d'Hollywood.

Écoute : Powell's Prances (1956)

Horace Silver était un pianiste et compositeur de jazz influencé par le blues, le gospel et le rhythm and blues. Il est l'une des figures majeures du courant hard bop et du soul jazz.

Il est découvert par Stan Getz en 1950 qui l'emmènera faire ses premières armes avec Lester Young à New-York où il rencontre Art Blackey avec qui il fonde les Jazz Messengers.

Deux ans après il monte son propre quintet par lequel passerons de nombreux jeunes talents.

Écoute : Sister Sadie (1959) - Song for my father (1964)

S'il n'a jamais fait partie de l'avant-garde, Bill Evans a profondément révolutionné l'approche du trio et du piano jazz. Il a su incorporer dans son discours une certaine couleur harmonique provenant de ses influences classiques. Son art du voicing toujours sur la partie médium-supérieure du clavier pour libérer de la place au jeu de basse de son contrebassiste, son sens des subtilités rythmiques et de la mélodie alliés à une extrême sensibilité font de lui un des pianistes majeurs de l'histoire du jazz.

Écoute : Nardis (1961) - Waltz for Debby (1961) - Summertime (1962) - A child is born (1976)

La longue et prolifique carrière de Sonny Rollins au saxophone ténor commence vers l'âge de 16 ans. En pleine révolution du be-bop, il travaille avec Charlie Parker et celui qui deviendra son mentor, Thelonious Monk. A 20 ans, il côtoie déjà Bud Powell, J.J. Johnson et Miles Davis. Durant les années 50, il est déjà considéré comme un des musiciens les plus importants de la scène de jazz.

L’engrenage de la drogue, puis l'exigence sur son propre travail, une recherche mystique enfin, le poussent successivement à se retirer de la scène plusieurs fois. A chaque fois, il revient transcendé, et nourri d’inspirations novatrices. Après son premier retour, il joue avec Clifford Brown et Max Roach et lorsqu'il réapparait en 1962, c'est pour travailler avec Jim Hall, Paul Bley, Don Cherry et Coleman Hawkins.

En 2004, il crée son propre label, Doxy Records. Ces dernières années seraient celles d’un certain renouveau, d’une nouvelle jeunesse, notamment sur scène où il livre comme toujours ces concerts-marathon dont il s'est fait une spécialité depuis… un demi-siècle.

Écoute : Tenor madness (avec John Coltrane - 1962) - St Thomas (1956) - Way Out West (1957) 

Doxy (1962) - Airegin (1979)

Saxophoniste alto, Tout d'abord engagé dans le be-bop post parkérien, il est l'un des chefs de file du Jazz Funk des années 1960.

En 1958, il devient l'alto attitré de Miles Davis, aux côtés de John Coltrane, pour enregistrer quelques-uns des disques majeurs de l'histoire du jazz moderne : Milestones (1958), Kind of Blue (1959). Il invite à son tour Miles Davis sur son album Somethin' Else sorti en 1958, ce sera l'une des rares apparitions phonographiques de Miles en tant que sideman.

À partir de 1960, il enregistre presque exclusivement sous son propre nom et sous celui de son frère et  assurent le succès de leur groupe de hard bop. À partir de 1968, Adderley, avec les pianistes Joe Zawinul et George Duke, verse dans une musique « bluesy » imprégnée de funk ou de soul.

Écoute : Work song (1960) - Mercy, Mercy, Mercy (1966)

Lee Morgan commence sa carrière dans l'orchestre de Dizzy Gillespie à l'âge de 18 ans. Il y reste durant deux ans.  Il est devenu célèbre grâce à son album The Sidewinder en 1963.

Son style est très caractéristique du son Blue Note des années 1960 : un quintet composé en général d'une trompette, d'un saxophone, d'un piano, d'une contrebasse et d'une batterie ; un son funky, un style soul jazz. Sous bien des aspects, Lee Morgan représente le type même du musicien hard bop des années 1960.

Écoute : The hearing (1960) - The Sidewinder (1963)

Guitare - Chef d'orchestre

Surnommé "The Thumb", La technique de jeu de Wes Montgomery se distingue de celle des autres guitaristes de jazz par l'usage du pouce de la main droite en lieu et place du médiator. Selon la légende, il aurait appris et développé cette technique pour ne pas gêner sa femme et ses voisins qui se plaignaient du bruit. Plus précisément, sa femme se plaignait essentiellement du fait qu'il puisse réveiller les enfants (nombreux). Ce qui a eu pour conséquence qu'il mette au point une technique au toucher d'une légèreté rarement, voire jamais, égalée.

Il est généralement considéré comme un des guitaristes de jazz majeurs, arrivant après Django Reinhardt et Charlie Christian et influençant de nombreux guitaristes.

En 1948, Wes est engagé dans l'orchestre de Lionel Hampton. En 1959 il est découvert par Cannonball Adderley, qui produit deux de ses disques.

Écoute : West Coast Blues (1960) - Full house (1962)