Histoire du cinéma cubain

LES DEBUTS

Une fois de plus, l’histoire montre les liens étroits unissant notre pays à Cuba puisque ce fut un français, Gabriel Veyre (représentant de l’entreprise des Frères Lumière) qui apporta, le premier cinématographe à La Havane et qui y tourna, en 1897, le premier film : « Simulacre d’un incendie » avec l’aide des sapeurs pompiers de la ville (pour voir la page sur ce sujet cliquez ici).

Durant la première décade du 20ème siècle, la production cinématographique eut un contenu clairement patriotique puisque la guerre d’indépendance (1895-1898) avait abouti au départ de la couronne espagnole peu de temps avant. Enrique Diaz Quesada en est le principal animateur avec des films comme « Le capitaine mambi », « Le maquis ou la femme cubaine » et « Le sauvetage de Sangüily ». Il ne reste de sa production qu’un petit documentaire d’une minute, tourné en 1906 : « Le parc de Palatino » (Cliquez ici pour voir le film).

Les années vingt se caractérisent par une production d’une faible qualité mis à part « La Vierge de la Charité » tournée en 1930 par Ramón Peón. C’est le premier film cubain sonorisé avec des disques qui se sont malheureusement perdus. Ce film est considéré comme l’un des plus importants de cette période pour l’Amérique latine (Cliquez ici pour voir le film).

Gabriel Veyre

ANNEES 30 A 50

Le premier long métrage sonore « Le Serpent Rouge » est tourné en 1937, sous la direction d’Ernesto Caparros. Il s’agit d’un film policier mettant en scène les aventures d’un détective chinois, Chan Li Po.

Ensuite, la majeure partie de la production cinématographique a été marquée par le folklorisme, la musique, le théâtre populaire ou des imitations de mélodrames mexicains.

Photo du film "Le Serpent Rouge"

Pendant cette période sont tournés de nombreux films musicaux dont certains demeurent dans les cœurs plus par nostalgie que par leur qualité intrinsèque. C’est le cas de « L’histoire d’amour de la palmeraie » (1938) où chante la grande Rita Montaner, de « Maria la O » (1947) toujours avec Rita Montaner ou de « Siboney »(1939) qui reprend le célèbre thème d’Ernesto Lecuona. 

La séquence où dans« L’histoire d’amour de la palmeraie »,  Rita Montaner chante "El Manisero" est un moment d'anthologie. Cliquer sur la photo pour le voir

C’est dans un film tourné en 1951, « Cuba chante et danse » qu’apparaît le duo « Los Compadres » dont Francisco Repilado dit « Compay Segundo », jeune chanteur à l’époque, était la deuxième voix.

Sur la photo Francisco Repilado (Compay Segundo) est à gauche et  Lorenzo Hierrezuelo (Compay Primo) est à droite. Pour voir l'extrait, cliquer sur la photo

On peut citer parmi les films échappant à la médiocrité ambiante : « Sept morts à échéance fixe » (1950) et « Lignée de chêne » (Casta de Roble) (1953). Ces deux films furent produits par Manolo Alonso. Il fut aussi le premier à produire des dessins animés à Cuba et à présenter un « Journal du Jour », diffusé dans les salles de cinéma.

Manolo Alonso a réussi à mettre la main sur une grande partie de la production et de la distribution cinématographique du pays, ce qui lui valut le surnom de « Tsar du cinéma cubain ». Cependant, il s’était entouré de plusieurs réalisateurs de talents qui allaient former, après la Révolution, l’ICAIC (Institut Cubain des Arts et de l'Industrie Cinématographiques).

Photo extraite de Casta de Roble

En 1955 est tourné, sous la direction de Julio García Espinosa, un documentaire d’une vingtaine de minutes, en 16 mm : « El Mégano » qui est une dénonciation des conditions de vie inhumaines dont souffraient les charbonniers de la Ciénaga de Zapata. Ce film tourné avec des moyens rudimentaires, mais avec la participation de plusieurs futurs grands réalisateurs du cinéma cubain d’après la Révolution, a été présenté dans un amphithéâtre de l’Université de La Havane. Le jour suivant, les policiers de la dictature de Batista ont réussi à mettre la main sur un des deux négatifs, mais l’autre avait pu être mis à l’abri. Ce documentaire est considéré comme le précurseur du cinéma cubain révolutionnaire. Il fait partie des films étant à l’origine du Mouvement du Nouveau Cinéma Latino-américain. Pour voir notre page sur ce sujet : cliquer ici ou sur la photo.

APRES LA REVOLUTION

Le triomphe de la Révolution le 1er janvier 1959 change la donne. En mars 1959, l’ICAIC (Institut Cubain des Arts et de l'Industrie Cinématographiques) est créé sous la direction d’Alfredo Guevara qui avait participé aux manifestations étudiantes et à la lutte clandestine pendant la dictature de Batista. Il était un de ceux qui avaient participé au tournage de « El Mégano ».

La loi créant l’ICAIC et qui caractérise le futur cinéma révolutionnaire, part du postulat que le cinéma est un art. Son premier article précise que la finalité de l’institut est « d’organiser, établir et développer l’industrie cinématographique en tenant compte des critères artistiques inscrits dans la tradition culturelle cubaine et des buts de la Révolution ».

L’action de l’ICAIC a permis que des grands professionnels du cinéma apparaissent ou soit reconnus. Plusieurs artistes et intellectuels étrangers ont alors visité Cuba et l’ICAIC (Jean Paule Sartre, Simone de Beauvoir, Tony Richardson, Mikhaïl Kalatozov (auteur de Soy Cuba 1964), Gérard Philipe, Joris Ivens, Agnès Verda, Chris Marker, etc.

Gérard Philippe à La Havane en 1959

Gérard Philippe à La Havane en 1959

Extrait de "Salut les Cubains" d'Agnès Varda en 1963 

Extrait de "Soy Cuba" de Mikhaïl Kalatozov 1964

L’institut a mis en marche la production d’un cinéma de fiction, de documentaires et d’animation tout en faisant de grands efforts pour faire connaître des œuvres de la cinématographie internationale.

Des unités mobiles apportèrent le cinéma dans les régions les plus reculées de l’île en camion, parfois à dos de mulet ou en barque. C’est sur ce sujet qu’Otavio Cortàzar réalisa en 1967 un des documentaires les plus importants du cinéma cubain « Pour la première fois » (Pour voir la page sur ce sujet et le documentaire, cliquer sur la photo).

En 1960 est créée, sous les auspices de l’ICAIC, la « Cinémathèque de Cuba » dont le rôle est de protéger le patrimoine filmique cubain et étranger existant dans le pays.

Le « Groupe d’Expérimentation Sonore de l’ICAIC » est fondé en 1969, dans le but de créer des musiques pour les productions nationales. Pablo Milanes, Silvio Rodriguez, Eduardo Ramos et d’autres s’y retrouvent et feront partie, plus tard, du genre musical connu comme la « Nouvelle Trova cubaine ».

Pour voir la page et le documentaire

"Pour la première fois" 

cliquer sur la photo

Les années 60

Ces années sont connues comme l’âge d’or du cinéma cubain. Des films célèbres sont alors tournés comme « Histoires de la Révolution » (1960), « Les douze chaises » (1962), « La mort d’un bureaucrate » (1966) et « Mémoires du sous-développement » (1968) de Tomas Gutiérrez Alea ; « Les aventures de Juan Quin Quin » (1967) de Julio Garcia Espinosa ; « Manuela » (1966) et « Lucia » (1968) d’Humerto Solàs et « La première charge à la machette » (1969) de Manuel Octavio Gomez.

Pendant cette période se sont développés les « Studios d’Animation de l’ICAIC » qui donneront vie à des personnages connus de tous les enfants cubains comme « Elpidio Valdés » (héros des guerres d’indépendance contre l’Espagne), créé par Juan Padron ou « El Negrito Cimarrón » (jeune esclave noir qui s’étant échappé, lutte contre les esclavagistes et les colons), créé par Tulio Raggi.

L’ICAIC s’est aussi attaqué au retard culturel de la population cubaine dû au sous-développement et au mépris dans lequel elle était tenue. On a ainsi créé » l’Encyclopédie Populaire » avec des courts métrages didactiques destinés à instruire et enrichir culturellement le peuple. Plusieurs réalisateurs de renom ont ainsi participé à la naissance de « l’école du documentaire cubain » dirigée par Santiago Alvarez.

Extrait de "Mort d'un bureaucrate" 1966

El negrito Cimarrón

Les années 70

Le début des années 70 est marqué par l’accentuation du tournant vers l’URSS et un raidissement politique. C’est le quinquennat gris marqué par une vision dogmatique tendant à marginaliser des artistes, des écrivains pour leur homosexualité ou leur religion afin d’imiter le réalisme socialiste soviétique.

Ce fut une époque de censure, d’autocensure et de drames personnels. Cette crise prendra fin en 1976 avec la création du ministère de la Culture et la rectification des déformations de la politique culturelle. La période est marquée par des films rétros ou historiques. On y trouve « Pages du journal de José Marti » de José Massip, « Les jours de l’eau » de Manuel Octavio Gomez, « La dernière cène » et « Les survivants » de Tomas Gutierrez Alea ou « Le brigadiste » d’Octavio Cortazar.

On trouve aussi des films critiques ou plus contemporains comme « Un jour de novembre » (1972) d’Humberto Solas ou « Vous avez la parole » (1973) de Manuel Octavio Gomez

Il est bon de savoir qu’une tentative, faite à la télévision début 2007, de présenter trois fonctionnaires de cette triste période, Luis Pavón Tamayo, Armando Quesada et Jorge Serguera comme s’ils avaient fait de précieux apports à la culture cubaine fit l’objet de nombreuses critiques d’écrivains et artistes cubains qui ont rappelé le passé de censure et de répression culturelle de ces personnages. Le ministre de la Culture, Abel Prieto Jimenez a même déclaré que « l’apparition de trois ex-fonctionnaires liés à la censure et à la répression dans l’île pendant ce qu’on a appelé le quinquennat gris (1971-1976) fut une erreur, et qu’en aucune manière il s’agit d’un changement de politique culturelle associé à la maladie de Fidel Castro ou à la présidence intérimaire de son frère Raul ».

En 1979, un film : « Portrait de Teresa » de Pastor Vega met en cause les rapports continuant d’exister au sein d’un couple. L’héroïne, Teresa en refusant la double morale, le conformisme et l’hypocrisie établit la nouvelle règle du jeu entre hommes et femmes : l’égalité.

La création, en 1979, du Festival International du Nouveau Cinéma Latino-américain de La Havane a répondu à la nécessité d’ouvrir un espace de débat concernant les problèmes les plus importants du cinéma continental.

le Brigadiste 1977

Vous avez la parole 1973

Portrait de Teresa 1979

Les années 80

Elles sont davantage tournées vers le cinéma de fiction et de comédie. Parmi les films remarquables on trouve : « Échange appartement » (1983) et « Plaff » (1988) de Juan Carlos Tabio ; « Une fiancée pour David » (1985) et « Rôles secondaires » de Orlando Rojas et « La belle de l’Alhambra » (1989) d’Enrique Pineda Barnet. On revient aussi au cinéma historique avec « Cecilia » (1981) d’Humberto Solas et « Clandestins » (1987) de Fernando Perez.

En 1987 est fondée « l’École Internationale de Cinéma et de Télévision de Cuba » et en 1988 la « Faculté de Cinéma de l’Institut Supérieur de l’Art » avec l’objectif de fournir une aide à la formation de professionnels du cinéma tant à Cuba qu’en Amérique latine.

Les années 90

Le cinéma des années 90 est marqué, comme le reste du pays, par la crise économique intense qui a suivie la chute de l’URSS en privant l’île d’une grande partie de ses revenus. Le peu de pellicule disponible est utilisé pour les longs métrages et on ne tourne presque plus de courts métrages.

Les réalisateurs cherchent de nouveaux codes pour parler de la réalité et les films posent davantage de questions. On trouve « Alice aux pays des merveilles » (1990) de Daniel Diaz Torres ; « Adorables mensonges » (1991) de Gerardo Chijona et surtout le fameux « Fraise et Chocolat » (1993) de Tomas Gutierrez Alea et Juan Carlos Tabio. « Madagascar » (1994) qui aborde les difficultés de la période spéciale, marque le changement de style de son réalisateur Fernando Perez qui devient moins réaliste et plus lyrique. Ce très grand directeur réalisera « La vie c’est siffler » en 1998.

L’arrivée de la technologie digitale dans le cinéma a diminué les coûts de production. Elle a permis de relancer la production cinématographique et ouvert la porte à des jeunes auteurs. Le premier film réalisé à Cuba avec la technologie digitale est un long métrage de fiction « Du miel pour Oshun » (2001) d’Humberto Solàs.

Dans le but de stimuler la réflexion autour des œuvres des jeunes auteurs et de favoriser leur diffusion, l’ICAIC promeut en 2000 la « Première exposition de l’audiovisuel jeune ». Seront aussi lancés le « Festival International de Documentaires en Mémoire de Santiago Alvarez » et le « Festival International du Cinéma Pauvre » en 2003. Ce dernier, créé par Humberto Solàs, est réservé aux productions de moins de 300 000 $. Il se déroule à Gibara, petite localité située à 800 kms de La Havane. Il n’y a quasiment pas d’hôtel et les participants au festival logent chez les habitants qui deviennent parties prenantes de l’évènement.

Il s’agit de promouvoir des réalisations provenant de pays à faibles revenus comme de pays développés avec l’idée que l’argent n’est pas forcément indispensable pour réaliser de véritables œuvres d’art.

Adorables mensonges 1991

La vie c'est siffler 1998

Le début du 21ème siècle

Le début du 21ème siècle est marqué par un véritable renouveau du cinéma cubain avec  l’arrivée d’un cinéma indépendant, jeune, critique avec des thématiques contemporaines et utilisant les nouvelles technologies. Il est bien accueilli par les anciens des années 80 et plusieurs films sont réalisés en coproduction, en particulier avec l’Espagne.

Plusieurs films abordent les difficultés économiques. « Conducta - Chala une enfance cubaine » (2014 Ernesto Daranas) montre la vie difficile d’un jeune garçon et les efforts d’une enseignante admirable pour protéger les enfants et leur donner une conscience. Dans « Melaza » (2012 Carlos Lechuga) une usine sucrière a fermé et les habitants du village de Melaza ont perdu leur travail. Un couple tente de sauver son petit monde sans perdre la foi. Elle va surveiller et réviser les machines de l’usine à l’arrêt pendant qu’il enseigne à un groupe d’enfants tout en leur donnant des cours de natation dans une piscine vide.

Les questions sociétales sont aussi abordées comme dans « Derniers jours à La Havane » (2016 Fernando Perez) où un homme qui travaille dans un restaurant rêve du visa qui lui permettra d’aller vivre aux USA, tandis que son ami, avec qui il vit, atteint du sida, passent ses jours dans son lit. C’est un film paradoxalement optimiste qui s’appuie sur l’extraordinaire solidarité qui permet à la population de continuer d’aller de l’avant.

Dans « Robe de mariée » (2014), Marilyn Solaya aborde frontalement les thèmes du changement de sexe, du machisme, du regard que portait la société sur les homosexuels dans les années 90.

Conducta - Chala une enfance cubaine 2014

Robe de mariée 2014

Derniers jours à La Havane 2016

L’humour est souvent grinçant comme dans « Sergio et Serguei » (2017 Ernesto Daranas). En 1991, quand l’URSS en décomposition abandonne Cuba, un radio amateur cubain entre en contact avec un cosmonaute russe oublié dans l’espace. Le Russe dit au Cubain : « Ma fiancée cubaine me disait souvent que La Havane et était la ville la plus joyeuse du monde » et le Cubain répond : « Cela fait longtemps que tu n’as pas parlé avec elle, n’est ce pas ? ».

L’humour se teinte aussi de poésie comme dans « Esther quelque part » (2013 Gerardo Chijona)  où un paisible retraité apprenant, par un personnage excentrique, que sa femme était une grande chanteuse de boléro part à la recherche de la vérité.

« Boccaccerias Habaneras » (2013 Arturo Sotto Diaz) est un film inspiré des contes du Decameron, rempli d’un humour noir et ravageur.

L’émotion est présente en permanence dans « Viva Cuba » (2005 Juan Carlos Cremata) où deux enfants tentent d’empêcher qu’on les sépare. C’est un road movie teinté de merveilleux qui se termine tristement à cause d’adultes qui ne les entendent pas.

La musique reste présente avec « Le Benny » (2006 Jorge Luis Sanchez) qui raconte l’histoire du grand chanteur cubain, Benny Moré.

L’histoire n’est pas oubliée avec « Le Major » (2020 Rigoberto Lopez) film à grand spectacle, dédié à la figure d’Ignacio Agramonte, héros de la première guerre d’indépendance contre l’Espagne (1868-1878) ou «L’embuscade » (2015 Alexandro Gil) qui, en se référant à l’aide militaire apportée par Cuba à L’Angola, envahie par l’Afrique du Sud et ses alliés, aborde les réactions de quatre hommes placés dans une situation de survie.

« Contes d’un jour de plus » (2021 Fernando Perez) est le premier film coproduit par l’ICAIC et un collectif de création indépendant. Ce sont 6 histoires réalisées par 6 équipes avec 6 réalisateurs coordonnés par Fernando Perez. Il montre de quelle façon la société cubaine a fait face à la crise du covid. Son titre de production était «Amour en temps de pandémie ».

Meñique est le premier film d’animation en 3D réalisé à Cuba.

Il a été coproduit avec plusieurs institutions espagnoles et réalisé sous la direction d’Ernesto Padrón qui en est aussi le scénariste.

157 Cubains et 34 Espagnols ont travaillé pendant plus de 6 ans pour réaliser ce film qui est sorti pour la première fois à Cuba, le 20 juillet 2014.

Nous avons sous-titré la version en espagnol afin d'en conserver tout l'humour.

                                                                          Cliquer sur la photo pour aller sur la page dédiée à ce film et le voir.

Comme on le voit cette histoire est riche en films de toutes sortes dont on ne pouvait que donner un aperçu.

Le cinéma cubain a vraiment pris son envol après la Révolution. Même s’il a subi la triste période du début des années 70, il a toujours participé à l’éducation, à la formation, à la réflexion et à la distraction de la population.

En devenant plus critique au début du 21ème siècle, il participe, à sa façon, à l’actualisation du modèle social et économique de l’île.