Le discours hypocrite

À la suite de l'attentat contre Jacques Chirac en 2002, la dissolution d'Unité Radicale a abouti à la création du Bloc Identitaire, puis de sa branche Jeunesse, Génération Identitaire. Les leçons ont été tirées, et le discours public est maintenant extrêmement contrôlé, surtout sur le territoire Français, afin de ne pas prêter le flanc aux accusations d'incitation à la violence, de racisme, xénophobie ou suprémacisme blanc, d'homophobie ou d'islamophobie.

L'opération Defend Europe n'échappe pas à cette règle.

Tout ceci aboutit à des situations surréalistes : si sur les réseaux sociaux vous prenez la défense des ONG qui portent secours aux réfugiés en mer, vous risquez de voir un sympathisant identitaire vous renvoyer une photo d'un canot surchargé, ou de son naufrage, vous accusant d'encourager la mort des migrants.

Pour sa propagande officielle, Defend Europe n'hésite pas à s'inventer des soutiens, en reprenant à son crédit des citations qui lui sont au départ défavorables, mais en les tronquant et les sortant de leur contexte

La propagande de Defend Europe vs la citation originale (La Tribune de Genève)

Le discours évolue au cours du temps : les objectifs de la "mission" on semble-t-il été lancés sans réflexion, dans le seul but de satisfaire les sympathisants et appeler aux dons. Dès qu'un des objectifs est contredit pour des raisons pratiques ou de respect des lois internationales, il est abandonné sans explication et remplacé par un autre. Ce processus est parfois accompagné d'une amnésie partielle.

Sur le site officiel de Defend Europe, on peut encore lire : Nous voulons rassembler une équipe de professionnels, affréter un grand bateau et naviguer sur la mer Méditerranée pour contrecarrer les bateaux de ces contrebandiers humains (les ONG, NDLR)

Dans leur page d'appel aux dons, il est indiqué : Si nous recevons un appel de détresse, nous sauverons bien sûr les personnes en détresse et les livrerons aux garde-côtes Libyens pour qu'ils les conduisent vers le port le plus proche

Rapidement, ceci s'avère irréalisable : le navire identitaire doit rester hors des eaux nationales libyennes, donc dans la zone SAR (Search & Rescue). Dans cette zone, les opérations de secours sont contrôlées par un organisme international, le MRCC, qui dicte la marche à suivre. Tripoli ne fait pas partie, bien sûr, de la liste des "ports sûrs" pour les réfugiés qui tentent de quitter la Libye au péril de leur vie. Livrer des naufragés aux autorités libyennes serait donc contraire aux réglementations de l'ONU. Quant à empêcher leur embarcation de sortir des eaux territoriales libyennes, ceci constituerait un acte de piraterie.

Ce point a également été abandonné, il n'en est plus question dans les messages actuels.

Il s'agit d'un des trois seuls points restant dans la propagande officielle : Si besoin sauver des migrants en danger de noyade, en s'assurant qu'ils soient ramenés en sécurité dans un port non-européen

À partir du moment où le navire identitaire porte secours dans la zone SAR, le MRCC (voir chapitre précédent) leur indique dans quel port conduire les réfugiés. À l'heure actuelle, pour diverses raison (législation sur les demandes d'asile, adhésion au protocole SAR), aucun port africain n'est considéré comme "sûr" et ne pourra être désigné par le MRCC comme destination des réfugiés

Ce sera donc obligatoirement un port européen (probablement Catane), transformant paradoxalement l'opération identitaire anti-migrants en l'accueil de réfugiés sur le territoire Européen. Une interview par le Berliner Morgenpost montre que ce point a complètement échappé aux identitaires, qui pourtant se présentent parfois comme une ONG humanitaire. Il est donc impossible qu'ils puissent, en pratique, appliquer ce qu'ils affirment, sauf à se mettre délibérément hors-la-loi.

Il s'agit d'un des trois seuls points restant dans la propagande officielle : Détruire les embarcations vides pour qu'elles ne soient pas récupérées et réutilisées par les mafias de passeurs. Dans les vidéos, la méthode est encore plus explicite : Couler systématiquement les bateaux vides des passeurs (C. Galant, vidéo Twitter, 01/08/2017)

On ne peut pas imaginer que le droit maritime laisse à n'importe qui le droit de couler immédiatement une embarcation trouvée sans propriétaire, même dans les eaux internationales. Les occupants de l'embarcation sont peut-être disparus en mer, et la couler ferait disparaître des indices permettant leur recherche ou leur identification. Les identitaires sont-ils à même de juger à qui appartient un canot, simplement en le regardant ?

Ceci poserait en outre des questions environnementales évidentes et constituerait un moyen légal trop simple pour tout propriétaire de navire de se débarrasser de ses embarcations en fin de vie à moindre coût.

Le propriétaire de l'embarcation doit donc être recherché avant toute action, et une destruction ne peut être effectuée qu'en respectant les règles environnementales de dépollution et recyclage.

Bien qu'encore à vérifier sur le plan juridique, ce point est donc également plus que douteux

Il s'agit d'un des trois seuls points restant dans la propagande officielle : Surveiller les bateaux des ONG accusées d'être complices des mafias de passeurs

À partir du moment ou les identitaires pourront justifier légalement la présence de leur navire dans la zone SAR, ils pourront observer, à distance raisonnable, le travail des ONG. Ils ne devront en aucun cas interférer, gêner les opérations ou, bien entendu, intervenir dans l'opération ou sa préparation.

La "mission" qui a nécessité la levée près de 200 000$ va-t-elle donc se résumer à 5 personnes sur un bateau observant aux jumelles les ONG en train d'intervenir ? Tout ceci pendant que, tous les jours, des centaines de personnes risquent leur vie en tentant la traversée, et trop souvent la perdent ?