Plus à l'ouest, la côte devient très plate et laisse deviner derrière, au NO, les montagnes de Prinz Karl Forland, une longue île qui délimite avec celle du Spitzberg le Forlandsundet, long détroit de presque 100 km de long dont la profondeur est insuffisante pour les paquebots de croisière.
Comme dans un rêve on voit Albarquel croiser devant les montagnes et la brume.
Le vent se maintient et c'est après une bonne journée de voile que nous mouillons au pied du glacier Eidembukta.
L'endroit est si beau que j'en ai les larmes aux yeux, du coup impossible de ne pas mettre plein (trop) de photos de cet endroit.
Aussitôt débarqués, je remarque de curieuses dépressions dans les galets de la plage, que je devine avoir été crées par des morses.
Il y a un autre voilier au mouillage, le cotre gallois d'hier avec sa belle petite annexe en bois.
Malgré la présence de lacs il n'y a pratiquement pas de moustiques au Spitzberg, l'été est trop court je pense.
Les eiders apprécient ces étendues d'eau douce dont les rives sont jonchées de plumes et duvet.
Ici, comparé à hier, la végétation est « « « luxuriante » » », même si les arbustes comme le saule arctique ne dépassent pas quelques centimètres de haut.
On trouve d'abord du poil de renne, des crottes de renne, puis des bois de renne (plein!), une tête de renne (hum!)
et des vrais rennes, un peu trouillards mais aussi très curieux si bien qu'ils nous tournent un peu autour tout en gardant leurs distances.
Il n'y a pas d'arbres au Spitzberg mais il y a beaucoup de bois : du bois flotté venu des forêts de Sibérie et charrié jusqu'à la mer par les rivières en crue. Ces billes de bois ont permis autrefois l'installation de (relativement!) nombreux trappeurs, pêcheurs, chasseurs de baleines, morses, phoques en leur procurant de quoi s'abriter, se chauffer, et faire fondre la graisse des baleines pour en extraire l'huile.
Sans tout ce bois apporté par le courant de Sibérie, il est probable que les incroyables massacres perpétrés dès le XVIIème siècle n'auraient pas eu une telle ampleur.
Extrait du livre de C Kempf qui rapporte les paroles du découvreur du Spitzberg, W. Barrents:
« Une terre nouvelle, où les baleines s'ébattaient comme carpes en viver et les morses se reposaient en obstruant les plages.
Dès 1606, l'expédition de Bennett tua 700 morses en 6 heures à l'ïle aux Ours, puis 900 quelques jours plus tard...
Dès 1604 Henri Hudson confirmait le grand nombre de baleines au Spitzberg et en 1610 Jonas Poole y débutait le grand massacre.
Aujourd'hui la baleine franche est devenue très rare au Spitzberg et les morses, totalement disparus en 1920, sont aujourd'hui environ 2000 (contre probablement 100000 en 1600) (chiffres extraits du livre de C. Kempf)
Peut-être ce bois torturé a-t-il été le témoin de ces tueries?
De retour à notre annexe, nous apercevons, pile sur le trajet de la plage au bateau, un magnifique morse, en pleine forme!
Un des équipiers anglais qui a débarqué nous rassure en nous expliquant doctement que ces bêtes- là (qui pèsent de 600 à 1200 kg!) sont très gentilles et qu'il n'y a rien à craindre.
On l'observe donc mettre tranquillement à l'eau sa très belle coquille de noix, puis godiller sur un rythme tranquille en direction du cotre...
quand le morse le repère et se met à nager dans sa direction!
Gloups, l'anglais accélère le rythme mais il est évident que c'est utopique de vouloir distancer un morse ailleurs que sur la terre ferme.
Heureusement, celui-ci, que sa myopie supposée avait sans doute empêché d'identifier cet OFNI, s'en désintéresse soudain et retourne à son rocher parfaire sa toilette!
On en profite pour l'observer un bon moment depuis notre rocher puis prudemment on décide de porter l'annexe quelques centaines de mètres plus loin avant de la mettre à l'eau.