3. Troisièmes demeures

TROISIÈMES DEMEURES : CHAPITRE I


À quelque degré d’élévation que l’on soit arrivé, il ne faut jamais se croire en sûreté dans cet exil. Il faut toujours marcher avec crainte.

« Bienheureux l'homme qui craint le Seigneur » car, s'il ne se retourne pas en arrière, il est dans une voie sûre pour le salut. Lorsque par la miséricorde de Dieu, nous sortons vainqueurs des combats dans les deuxièmes Demeures pour entrer, par persévérance, dans les troisièmes, nous pouvons nous croire à l'abri mais, c'est toujours à la condition de ne pas quitter le chemin dans lequel l'on a commencé à marcher.

Bien des saints qui étaient dans de bonnes dispositions, et de plus parfaites encore, sont tombés dans de graves péchés. Nous devons donc nous tenir, semblables à ceux qui ont les ennemis à leur porte, jour et nuit sur le qui-vive et dans une appréhension continuelle qu’on ne fasse quelque brèche dans notre forteresse.

Et quelle confusion pour moi, lorsque songeant à mes imperfections, je dois écrire pour des personnes qui seraient en état de m'instruire. Puisque je suis impuissante à changer ma vie passée, il ne me reste qu'à recourir à Sa divine miséricorde et à mettre ma confiance dans les mérites de son Fils et de Marie, sa mère, dont je porte comme vous le saint habit. Considérez quelle doit être la grandeur de cette souveraine puisque les péchés et les infidélités de ma vie n’ont pu ternir l’éclat de ce saint ordre.

J’ai néanmoins un important conseil à vous donner. Malgré la sainteté de l’ordre, et le bonheur d’avoir une telle Mère, ne vous croyez pas en sûreté entière. Ne vous fiez ni à votre clôture, ni à l’austérité de votre vie, ni à vos continuels exercices d’oraison. Cela ne suffit pas pour ôter tout sujet de crainte.

Le Seigneur a accordé une très grande faveur aux âmes de la troisième Demeure en leur faisant franchir les premières difficultés. Ces âmes sont nombreuses dans le monde. Elles ont un très grand désir de ne pas offenser Dieu. Elles évitent même les péchés véniels. Elles aiment la pénitence, elles ont des heures de recueillement, elles emploient utilement leur temps, elles exercent des œuvres de charité. Tout est bien réglé en elles : paroles, habits, gouvernement de la maison. Rien ne semble pouvoir empêcher ces âmes de pénétrer jusqu'à la dernière Demeure. Mais il faut quelque chose de plus pour que Dieu soit le maître absolu d'une âme.

Il faut être prêt à supporter les grandes sécheresses spirituelles qu'on éprouve souvent dans l'oraison. Je ne parle pas ici de certaines peines intérieures qu'endurent beaucoup d'âmes vertueuses comme celles qui sont causées par la mélancolie et par d'autres infirmités.

Il ne faut pas non plus que l'âme s'impatiente de pénétrer dans l'appartement du Roi. Le Roi a de nombreux vassaux mais tous ne sont pas entrés dans sa chambre. Contentez-vous d'être les vassales de Dieu et ne portez pas votre prétention si haut que vous risquiez de tout perdre. Considérez les saints qui sont entrés dans sa chambre et voyez la distance qui vous sépare d'eux. Humilité, humilité. S'affliger des sécheresses c'est manquer d'humilité. Encore une fois, je ne parle pas des grandes peines intérieures.

Revenons à ces âmes bien réglées. Dieu a besoin de la détermination de leur volonté afin qu'elles ne se laissent pas démonter par les sécheresses et qu'elles persévèrent dans le dépouillement et l'abandon. L'âme obtiendra ce qu'elle désire à la condition cependant de se regarder comme un serviteur inutile et d'être convaincue que non seulement elle n'a aucun droit à recevoir de son maître des faveurs spirituelles mais qu'elle lui en est encore plus redevable qu'une autre, par cela même qu'elle n’en a pas reçues.

Les sécheresses, alors, produisent en l'âme l'humilité et non l'inquiétude comme le voudrait le démon. Une âme véritablement humble a une paix qui la rend plus heureuse qu'une autre avec ses consolations spirituelles.

Souvent, Sa Majesté donne ces consolations spirituelles aux plus faibles et ceux-ci ne veulent pas changer avec les énergies des âmes qui marchent par la voie des sécheresses. Voyez-vous, c'est que nous aimons mieux le plaisir que la croix.

TROISIÈMES DEMEURES : CHAPITRE II

Des sécheresses dans l’oraison et des imperfections où l’on peut tomber. Combien nous avons besoin de nous éprouver nous-mêmes et comment le Seigneur éprouve ceux qui habitent ces Demeures.

Plusieurs personnes parvenues aux troisièmes Demeures depuis longtemps (elles méditent depuis des années sur la souffrance du Christ), droites dans leur composition intérieure et extérieure, se laissent démonter et angoisser à la plus légère épreuve. Dieu veut que ses élus touchent du doigt leur misère. Dans ce but, il lui arrive souvent de suspendre un peu l'action de sa grâce.

Cette mise à l'épreuve permet à ces âmes de se connaître et de voir clairement leurs défauts. Considérant le peu de courage qu'elles ont à s’élever au-dessus de ces tribulations, somme toute, assez légères, elles en éprouvent une vive peine. Cela est très profitable du point de vue de l'humilité.

Il ne faut pas confondre ces peines et réactions avec celles des personnes qui, bien que méditant sur les souffrances de Notre Seigneur et qui même désirent de souffrir, canonisent leurs épreuves et voudraient que les autres en fassent autant. Ces personnes sont tellement satisfaites d’elles-mêmes qu'elles souhaitent que tout le monde marche sur leurs traces.

Voici quelques exemples pour nous inciter à nous connaître et à nous éprouver nous -même.

    1. Une personne riche qui souffre de quelque perte et à qui cette perte cause autant d’inquiétude et de trouble que si elle n’avait pas seulement de pain sur la table bien qu'il lui reste plus de bien qu’il ne lui en faut.

    2. Une autre personne de fortune qui en veut toujours davantage. Elle ne pourra prétendre arriver par ce chemin jusqu’aux Demeures voisines de celle du grand Roi, même si son intention est bonne.

    3. Une personne méprisée et atteinte dans son honneur qui demeure dans une vive inquiétude qu’elle ne peut maîtriser au lieu de le supporter patiemment.

De telles épreuves nous aident à voir si nous sommes entièrement dépouillés de nos biens et maîtres de nos passions. Croyez-moi, la grande affaire n'est pas de porter un habit religieux mais de travailler à pratiquer les vertus et à se soumettre, en toutes choses, à la volonté de Dieu tout en conservant sa quiétude. Si l'âme n'y arrive pas c'est que le Seigneur ne l'a pas encore élevée à ce degré de vertu. Patience ! Qu'elle reconnaisse qu'elle n'a pas encore acquis la liberté de l'esprit et se disposera ainsi à la recevoir du Seigneur lorsqu'elle la demandera. L'humilité est l'onguent qui referme toutes nos blessures.

Ces personnes qui s'émeuvent de façon exagérée de leurs épreuves, bien qu’étant dans les troisièmes Demeures, sont souvent mesurées dans leurs pénitences et dans toute leur conduite. Elles tiennent beaucoup à la vie pour l'employer au service de Notre Seigneur. Quand nous marchons de façon aussi raisonnable, tout devient occasion de chute. Ranimons notre courage et hâtons nos pas pour contempler notre Maître ! Cessons de dorloter notre santé, elle n'en sera pas meilleure. L'austérité corporelle n'est pas la grande affaire non plus. Ce qu'il faut c'est marcher rapidement et croire que nous n'avons fait que peu de chemin alors que nos sœurs avancent à grands pas.

Le Seigneur récompense les âmes des troisièmes Demeures au-delà de leurs mérites en leur accordant des consolations spirituelles. Ce sont des joies bien supérieures aux plaisirs d'ici-bas. Elles sont accompagnées d'une abondance d'amour et de force qui permettent d'avancer moins péniblement, mais aussi de croître en bonnes œuvres et en vertus.

Parfois, il arrive qu’une âme reçoive du Seigneur un goût spirituel (j'en reparlerai dans les quatrièmes Demeures). Par là, il veut l’inciter, voyant le bonheur des Demeures plus avancées, à ne rien négliger pour y parvenir.

Les personnes des troisièmes Demeures doivent éviter les occasions d'offenser Dieu car elles ne sont pas loin des Demeures précédentes. Leurs forces ne sont pas encore fondées sur le roc comme celles des âmes bien exercées à la souffrance et qui savent combien les tempêtes de ce monde sont peu redoutables et ses plaisirs, peu dignes d'envie.

Prenons garde à nos défauts et ne nous occupons pas de ceux d'autrui. N'exigeons pas des autres, non plus, qu'ils marchent sur notre chemin et, ne prétendons pas leur enseigner. Vivre en silence et avec espoir !