7. Septièmes demeures

SEPTIÈMES DEMEURES : CHAPITRE I

Entrée d’une âme dans les septièmes Demeures (avant la consommation du mariage spirituel). Différence subtile entre l’âme et l’esprit.

Qui pourra raconter la miséricorde et les magnificences de Dieu ? Personne assurément. Tout ce j’ai dit jusqu’ici et ce que je pourrais dire encore, n’est qu’un «point» auprès de tout ce qu’il y aurait à dire de Dieu. C’est une grande bonté de la part de Notre seigneur de dévoiler ces choses à une âme qui peut les faire connaître car ainsi, nous nous attacherons à faire grand cas de notre âme. Tous, nous avons une âme, mais nous sommes, souvent, bien loin de lui porter l’estime que mérite cette créature faite à l’image de Dieu.

Lorsqu’il plaît à Notre Seigneur d’avoir pitié de ce qu’a souffert et souffre encore, par le désir de le posséder, cette âme qu’il a déjà prise spirituellement pour sa fiancée, il l’introduit, dans la septième Demeure qui est la sienne, avant la consommation du mariage spirituel.

De même, en effet, que Dieu a son séjour dans le ciel, de même il a dans l’âme une résidence où il habite seul, en quelque sorte, un second ciel.

Souvent, nous nous figurons qu’il règne une obscurité au-dedans. Il en est ainsi des âmes qui ne sont pas en état de grâce parce qu’elles sont incapables de recevoir la lumière du Soleil de justice. Ces âmes sont dans une sorte de prison obscure, chargée de liens, hors d’état de produire une action fructueuse au point de vue du mérite, comme aveugles et muettes. Priez pour elles.

Revenons aux âmes qui ont fait pénitence de leurs péchés et sont en état de grâce. Leur monde intérieur comprend de nombreuses et ravissantes Demeures où Dieu séjourne.

Dans les Demeures précédentes, Dieu s’unissait à l’âme, lors de ravissements et d’oraisons d’union, en l’attirant vers sa partie supérieure et en la rendant aveugle et muette.

Les immenses délices dont l’âme se sentait inondée venaient de ce qu’elle se voyait près de son Dieu mais, au moment même où elle se trouvait unie à lui, elle n’avait plus aucune connaissance, les puissances étant entièrement perdues.

Dans la septième Demeure, il en va autrement. L’âme se sent appelée à rentrer en son centre même, avec beaucoup plus de force qu’auparavant. C’est alors que Dieu fait tomber les écailles des yeux de l’âme afin qu’elle contemple et comprenne sa faveur.

Elle voit, par une vision intellectuelle[1], les trois personnes de la très sainte Trinité qui se montrent distinctement à elle et connaît, d’une certitude absolue, que toutes trois ne sont qu’une même substance, une même puissance, une même science et un seul Dieu.

Ainsi, ce que nous croyons par la foi, l’âme le perçoit par la vue intérieure. Elle comprend, par l’expérience, le sens de ce passage de l’Évangile où Notre Seigneur annonce qu’il viendra, avec le Père et l’Esprit Saint, habiter dans l’âme qui l’aime et garde ses commandements. Cette âme est dans un étonnement qui grandit tous les jours et il lui semble, maintenant, que ces trois divines personnes ne l’ont jamais quittée.

Après cela, vous croirez peut-être que cette âme ne peut plus s’occuper de rien, prise par ce divin transport ? Il n’en est rien. Au contraire, elle a beaucoup plus de facilité qu’auparavant à s’occuper de tout. Les occupations viennent-elles à cesser ? Elle se retrouve en divine compagnie, pourvu qu’elle ne soit pas infidèle à Dieu. En ce sens, elle est plus circonspecte que jamais.

Il faut savoir que la vue de cette divine présence n’est pas toujours aussi claire que lors de la première manifestation et que lors de celles que Dieu accorde encore, de temps en temps. Autrement, il serait quasi impossible de vivre parmi les humains. Cependant, chaque fois qu’elle est attentive, l’âme se retrouve en admirable compagnie, y trouvant un grand secours pour avancer sur le chemin de la perfection, malgré les tribulations externes.

Dans cet état, l’âme se sent parfois divisée. L’essentiel de l’âme se meut dans le cabinet intérieur alors qu’elle en proie à quantité d’épreuves et d’occupations extérieures. Sous certains rapports, il y a donc une différence réelle entre l’âme et l’esprit.

SEPTIÈMES DEMEURES : CHAPITRE II

Suite du même sujet. Différence entre l’union des fiançailles spirituelles et l’union du mariage spirituel.

Parlons maintenant du véritable mariage spirituel avec Notre Seigneur, une faveur sublime qui ne reçoit cependant pas son plein accomplissement en cette vie, car l’âme pourrait encore s’éloigner de Dieu. Évidemment, ici, il n’est pas question du corps. Cette mystérieuse union a lieu dans le centre de l’âme, où Dieu habite.

La première fois que cette grâce est accordée à l’âme, Notre seigneur, comme dans une vision imaginaire[2], se montre à elle en sa très sainte Humanité, afin qu’elle connaisse et comprenne bien le don souverain qui lui est fait. Notre Seigneur peut se montrer, sans doute, sous une forme différente, mais à la personne dont je parle, il lui apparut au moment où elle venait de communier, dans toute sa splendeur, éclatant, comme après sa résurrection. Il lui dit qu’ « il était temps qu’elle fit de ses intérêts à Lui, ses intérêts propres et que Lui, prendrait soin de ce qui la concernait ». À quoi il ajouta d’autres paroles suaves, trop difficiles à exprimer. L’âme est saisie, à cause de la vision elle-même qui se produit à l’intérieur d’elle-même et non à sa partie supérieure et aussi, à cause des paroles dites.

Sachez qu’il y a autant de différence entre les visions des Demeures précédentes (lieu des fiançailles spirituelles) et celles de cette dernière Demeure, qu’entre de simples fiancés et ceux que le sacrement de mariage unit déjà d’un lien indissoluble. Dans les grâces des Demeures précédentes, les sens et les puissances servent d’intermédiaires. Il en est ainsi, aussi, quand le Seigneur introduit l’âme pour la première fois dans la septième Demeure.

Par la suite, Notre seigneur n’a plus besoin de pousser aucune porte. Sa Majesté réside de façon permanente dans le centre de l’âme. Par une vision intellectuelle, bien plus délicate que toutes les précédentes, il lui communique alors un grand secret, une faveur sublime. Il lui manifeste la béatitude du ciel. Ceci dépasse toutes les visions et tous les goûts spirituels. L’«esprit» de l’âme devient une même chose avec Dieu et Dieu ne se sépare plus de l’âme. Dans les fiançailles spirituelles, il n’en va pas de même. On se sépare souvent car la grâce de l’union n’est pas permanente.

On peut comparer le mariage spirituel à l’eau du ciel qui tombe dans une rivière et se confond avec celle de la rivière. C’est ici que notre petit papillon expire mais, avec une indicible joie parce que Jésus-Christ est devenu sa vie. Le petit papillon, l’âme, s’est vidée de tout ce qui a été créé et s’en est détaché pour l’amour de Dieu et maintenant, le Seigneur peut la remplir de Lui.

Avec le temps, on reconnaît plus clairement les effets du véritable mariage spirituel par les aspirations secrètes de l’âme et par les paroles de tendresse qu’elle laisse échapper malgré elle : vie de ma vie, soutien de mon être, Père Céleste… L’âme comprend clairement qu’il y a en elle quelqu’un qui lance des flèches qui la transpercent et qui donnent vie à sa nouvelle vie. Elle ne quitte plus son centre et rien ne lui enlève sa paix.

Dans cette Demeure, l’âme n’est plus sujette aux mouvements ordinaires des sens et de l’imagination. Du moins, ils ne peuvent lui nuire ni lui ôter la paix.

Une âme, en cet état, n’est pas à l’abri d’une rechute. Cependant, elle craint, bien plus qu’auparavant, de commettre la moindre offense contre Dieu et a l’immense désir de le servir. Sa peine et sa confusion sont continuelles, en voyant d’un côté le peu qui est en son pouvoir et de l’autre, l’étendue de ses obligations. Cette vue est une très grande pénitence.

Il ne faut pas croire que les puissances, les sens et les passions jouissent toujours de cette paix. L’âme est en paix, mais, dans les appartements des sens, des puissances et des passions, il ne laisse pas d’y avoir des temps de combats, de peines et de souffrances. Néanmoins, l’âme ne perd pas sa paix.

Parler de peines et de souffrances et dire en même temps que l’âme reste en paix, cela paraît inconciliable. Pourtant, ce n’est pas parce que le corps souffre que l’on a mal à la tête. Aussi, ce n’est pas parce que le royaume est en guerre et en proie à des affaires pénibles que le roi est dérangé au centre de son palais. Les passions sont vaincues et ne pénètrent pas, le seuil de la Demeure du Roi.

SEPTIÈMES DEMEURES : CHAPITRE III

Admirables effets de ce dernier degré d’oraison. On fera bien de les observer avec soin et attention parce qu’ils diffèrent merveilleusement de ceux que produisent les oraisons précédentes.

Notre petit papillon est donc mort en Jésus-Christ. Voyons maintenant sa nouvelle vie. Les effets produits nous montreront s’il a véritablement reçu la grâce.

Le premier est l’oubli de soi. La transformation est si grande que l’âme ne se reconnaît plus. Elle ne songe ni au ciel qui l’attend, ni aux honneurs et à la vie ici-bas. Elle ne se préoccupe que de la gloire de Dieu. Manifestement, les paroles de Notre Seigneur « qu’il est temps qu’elle fasse de ses intérêts à Lui… » ont opéré.

Le second effet est un désir de souffrir « pour sa gloire » mais ce désir ne cause plus d’inquiétude comme auparavant. L’âme ne souhaite que l’accomplissement de Sa volonté. S’il veut qu’elle souffre, fort bien. S’il ne le veut pas, qu’il en soit ainsi. Face à la persécution, elle garde une paix plus profonde qu’avant. Elle n’a plus de ressentiment contre ceux qui lui font du mal et même, elle les aime d’une affection spéciale. Elle les recommande à Dieu et se priverait volontiers d’une partie des grâces de sa Majesté pour leur salut.

Voici un autre effet. L’âme ne souhaite plus mourir pour jouir de Notre Seigneur. Maintenant, elle désire vivre pour le servir, le louanger et travailler, si elle le peut, à l’avancement spirituel de quelques âmes. Quelques fois, il est vrai, elle est de nouveau saisie des plus tendres désirs de posséder Dieu et de quitter l’exil lorsqu’elle considère le peu qu’elle fait pour Lui mais, elle revient bientôt à sa première disposition. Elle offre au Dieu tout puissant, l’acceptation de la vie comme le plus coûteux sacrifice qu’elle puisse lui présenter.

Un autre effet. Ces âmes n’ont plus d’attraits pour les consolations ni les goûts spirituels parce qu’elles jouissent du Seigneur lui-même. Elles vivent dans un détachement de toutes choses. Leur attrait constant est d’être seules ou, de travailler à l’avancement spirituel de leur prochain. Elles n’ont ni sécheresses, ni peines intérieures et sont toujours occupées de Notre Seigneur.

Lorsque l’attention de l’âme se relâche, c’est Dieu lui-même qui la réveille avec une extrême douceur et la prie, c’est bien cela, de demeurer avec Lui. Lorsque vous ressentirez ce message, ce billet doux, écrit avec tant d’amour, ne manquez pas, mes sœurs, si occupées que vous soyez extérieurement, de répondre à ce message de Sa majesté. La réponse devant être toute intérieure, est bien facile à faire. Elle consistera à produire un acte d’amour ou à dire, comme Saint-Paul, « Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? ». Notre Seigneur vous dira clairement comment vous pouvez lui être agréable.

Dans cette Demeure, il n’y a quasi jamais de sécheresses ni de troubles intérieurs, comme il s’en produit parfois tans toutes les autres, car les sens et les puissances n’y pénètrent pas. C’est au milieu d’une telle paix et d’un si profond silence que le Seigneur enrichit et enseigne alors à cette âme, comme lors de la construction du temple de Salomon, où l’on ne devait pas entendre le moindre bruit. Dans ce Temple de Dieu, la septième Demeure, seulement Dieu et l’âme jouissent l’un de l’autre dans un très profond silence. L’entendement n’a ni mouvement, ni recherche à faire. Le Créateur tient l’âme en repos et lui permet de voir ce qui se passe, comme par une petite fente. Il est vrai que par moment cette vue lui est ôtée, mais, cela dure peu. Selon moi, c’est parce que les puissances ne sont point suspendues (comme dans l’extase). Seulement, elles n’agissent point, comme saisies d’étonnement.

Voici encore un autre effet de cette Demeure. L’âme n’a plus de ravissements ou très rarement. Il n’y a plus de ces enlèvements et de ces vols d’esprit[3]. En outre, cela n’arrive plus en public, ce qui était chose courante, auparavant. Ce qui excitait la dévotion dans les Demeures précédentes (béatitudes des saints, image dévote, paroles d’un sermon, son d’un instrument de musique…) ne produit plus un pareil effet. Le pauvre petit papillon vivait une telle anxiété que tout l’effrayait et lui faisait prendre son vol. Dans cette demeure, l’âme a perdu cette grande faiblesse.

Tels sont les effets que Dieu opère en l’âme lorsqu’il l’unit à lui par ce baiser que demandait l’Épouse. C’est ici que cette biche blessée étanche sa soif dans les eaux courantes et qu’elle est comblée de délices dans le Tabernacle de Dieu.

SEPTIÈMES DEMEURES : CHAPITRE IV

Conclusion. Les buts que Notre Seigneur se proposent en accordant à une âme de si grandes faveurs.

Les âmes des septièmes Demeures n’éprouvent pas toujours au même degré, les effets produits par le mariage spirituel. Quelques fois, Notre Seigneur les laisse à leur état naturel et alors, les bêtes venimeuses tentent de les atteindre. Cela dure peu, un jour ou deux, pas plus. Ce grand trouble, amené souvent par quelque circonstance externe, affermit l’âme dans ses bonnes résolutions. Le Seigneur permet que l’âme n’oublie pas sa petitesse et se maintienne dans l’humilité. Il veut aussi qu’elle comprenne bien ce qu’elle Lui doit et l’en bénisse.

Aussi, les âmes des septièmes Demeures, malgré leurs grands désirs, commettent encore beaucoup d’imperfections, et même des péchés véniels sans le vouloir. Pour ce qui est des mortels, le Seigneur les en préserve mais elles ne sont pas sûres de ne pas en avoir commis quelques uns, sans s’en rendre compte. Elles en éprouvent bien du tourment. Elles en éprouvent un autre à la vue des âmes qui se perdent. Songeant à certains personnages favorisés de Dieu, comme le roi Salomon, elles ne peuvent s’empêcher de craindre de Le perdre. « Heureux l’homme qui craint Dieu. » (David, Psaumes CXI, I) Demandez à Sa Majesté qu’elle nous protège toujours. C’est la meilleure assurance que nous puissions avoir.

Quel est le but que le Seigneur se propose lorsqu’il accorde à une âme une si grande grâce ? Le dessein de Dieu n’est assurément pas de nous faire goûter des caresses, uniquement. Ces grâces sont destinées à fortifier notre faiblesse et à nous rendre capables de supporter, à l’exemple de son divin Fils, de grandes souffrances. Ainsi, mes filles, le but de l’oraison, et du mariage spirituel, est de produire continuellement des œuvres. Elles sont la véritable marque qu’il y a opération de Dieu et don de sa main.

Donc, tenant sans cesse compagnie à son Époux, l’âme met son propre repos en oubli et fait peu de cas de l’honneur et de l’estime. Sa seule préoccupation est de Lui plaire davantage et de trouver des occasions de lui témoigner son amour par des oeuvres. Cependant nous sommes souvent faibles dans nos résolutions. Notre Seigneur peut nous accorder la grâce d’en venir à l’effet en nous envoyant, par exemple, et bien contre notre volonté car nous sommes lâche, une très grande épreuve. Il nous en fait sortir victorieuse et par là, l’âme reprend cœur et s’offre à Dieu avec plus de courage. Ainsi, s’il est profitable de se tenir profondément recueillie dans la solitude, occupée à produire des actes intérieurs en la présence de Notre Seigneur, les avantages sont beaucoup plus grands lorsque l’on commet des œuvres en harmonie avec les actes intérieurs et les paroles.

Que celle d’entre vous qui n’en est pas encore là s’efforce d’y arriver peu à peu. Si elle veut que son oraison lui profite, qu’elle travaille à vaincre sa volonté. Cela est bien plus important que je ne saurais l’exprimer. Portez votre regard sur le Crucifié et tout vous deviendra facile. Alors que Notre Seigneur nous a témoigné son amour par des œuvres et des souffrances terribles, voudriez-vous n’avoir que des paroles pour le contenter ? Savez-vous bien ce que c’est qu’être vraiment spirituel ? C’est se faire l’esclave de Dieu et, comme tel, porter sa marque, qui est celle de la Croix. C’est lui abandonner tellement notre liberté qu’il puisse nous vendre comme il a été vendu lui-même pour le salut du monde. C’est croire qu’en nous traitant de la sorte, il ne nous fait aucun tort et nous accorde, au contraire, une grande faveur.

Si l’on ne se détermine à cela, on n’avancera jamais beaucoup sur ce chemin, on peut en être sûr. Pourquoi ? Parce que l’humilité est le fondement de tout cet édifice et que le Seigneur ne l’élèvera jamais bien haut tant que l’on ne sera pas profondément humble. Cela est dans notre intérêt, de peur que notre édifice ne s’écroule entièrement.

Ainsi, mes sœurs, si vous voulez que le fondement de votre édifice soit inébranlable, que chacune de vous s’efforce d’être la moindre de toutes, l’esclave de toutes et qu’elle cherche sans cesse comment elle pourrait se rendre agréable et utile aux autres ! Vous poserez des pierres si fermes qu’il n’y aura pas à craindre que le château s’effondre. Je le répète, il ne suffit pas que vous preniez pour base la prière et la contemplation. Si vous ne travaillez pas à acquérir les vertus, si vous ne vous exercez pas à les pratiquer, vous demeurerez toujours des naines dans la vie spirituelle. Et il y a pire ! Si vous ne grandissez pas vous régresserez car, ne pas croître, c’est décroître !

Lorsque les âmes sont dans les septièmes Demeures, elles jouissent intérieurement du repos, mais, elles en ont beaucoup moins à l’extérieur et ne désirent pas en avoir. Pourquoi ? Parce que l’âme, de son centre, envoie des messages et des aspirations aux puissances, aux sens et à tout ce qui tient au corps pour leur interdire toute oisiveté. C’est que l’âme connaît maintenant les immenses avantages des souffrances dont Dieu s’est servi, peut-être, pour l’introduire en ce lieu.

À mesure que l’âme s’abreuve du vin de son divin Époux, elle sent donc une vigueur nouvelle qui la fortifie spirituellement mais aussi, qui rejaillit sur son corps physique de la même façon que la nourriture reçue par l’estomac fortifie la tête et les membres. La force surnaturelle dont l’âme se sent pénétrée, se communique aux puissances, aux sens, à tout ce qui tient au corps. C’est là que les saints ont puisé le courage de souffrir et de mourir pour leur Dieu.

Ainsi, la vie d’une âme, élevée à un état si sublime, n’est pas le repos mais le travail et la souffrance. Comme la vigueur de l’âme est infiniment plus grande que celle du corps, celle-ci livre au corps une guerre continuelle. Mais elle a beau l’accabler de travaux et de souffrances, tout cela n’est rien en comparaison de ce qu’elle voudrait faire et souffrir pour son divin Époux. De là les pénitences et les mortifications auxquelles se livrèrent tant de saints.

Pensons particulièrement à la glorieuse Madeleine qui, ayant toujours vécu dans les délices, touchée par les paroles de Notre Seigneur, brava les injures et les jugements pour se jeter à ses pieds afin de les laver de ses larmes et les essuyer de ses cheveux. De là aussi, chez Saint Dominique et Saint François, cette soif de gagner des âmes afin qu’elles puissent chanter des louanges à Dieu.

C’est à cela mes sœurs, que nous devons tendre. Que vos désirs et votre oraison n’aillent pas à jouir de Dieu mais bien à prendre des forces pour le servir. Cherchons à marcher uniquement par la même voie que celle où Notre Seigneur a marché lui-même et où ont marché ses saints. Et croyez moi. Pour donner l’hospitalité à notre divin Maître, pour le retenir chez soi, pour le bien traiter et le nourrir comme il convient, il faut que Marthe et Marie se joignent ensemble. Comment Marie, toujours assise aux pieds du Seigneur à boire ses paroles, aurait-elle pu le nourrir sans l’aide de sa sœur, toute occupée des affaires de la maison[4] ? Mais, savez-vous quelle est la nourriture de Notre Seigneur ? C’est que, par tous les moyens qui sont en notre pouvoir, nous lui gagnions des âmes afin que ces âmes se sauvent et le louent.

Vous pourriez me dire que le pouvoir et les moyens vous manquent pour gagner des âmes à Dieu. Je réponds qu’en plus de tout ce que vous pouvez accomplir dans l’oraison, il ne faut pas viser à faire du bien dans le monde entier. Contentez-vous d’en faire aux personnes qui vivent autour de vous. Cette œuvre sera d’autant plus méritoire que vous êtes plus obligée de l’accomplir. Ce ne sera pas rien si, par votre humilité profonde, votre esprit de mortification, votre dévouement, votre tendre charité pour vos sœurs, votre amour pour Notre Seigneur, vous les embrasez toutes de ce feu Céleste et leur devenez un continuel stimulant à la vertu ! En vous voyant ainsi réaliser ce qui dépend de vous, Sa Majesté reconnaîtra que vous feriez bien davantage si vous en aviez le pouvoir et ne vous récompensera pas moins que si vous lui aviez gagné beaucoup d’âmes.

Pour terminer, mes sœurs, rappelez-vous que le Seigneur regarde moins la grandeur de nos œuvres que l’amour avec lequel nous les accomplissons. Si nous faisons ce qui dépend de nous, Sa Majesté nous mettra de jour en jour, à même de faire davantage. Durant la courte durée de cette vie, offrez intérieurement et extérieurement à Notre Seigneur le sacrifice qui est en votre pouvoir. Il unira ce sacrifice à celui qu’il offrit pour nous à son père céleste lorsqu’il était en croix et, sans regarder l’insignifiance de nos œuvres, il leur donnera la valeur méritée par notre amour.

Daigne le Seigneur nous faire la grâce de nous trouver toutes réunies dans ce séjour où nous le louerons à jamais. Amen.

Pour Thérèse d’Avila

Débuté le samedi 19 mai 2007 et terminé le samedi 14 février 2009

Notes de bas de page

  1. Dans le chapitre suivant, mère Thérèse dit que lorsque Notre seigneur accorde cette grâce, la première fois, il montre sa Sainte Humanité, comme lors d’une vision imaginaire, bien que ce soit une vision intellectuelle, afin que l’âme comprenne clairement, le bien qui lui est fait.

  2. Mais c’est une vision intellectuelle, en réalité, selon ce qui en est dit au chapitre précédent.

  3. Donc, l'âme a subi «La nuit de l'Esprit» tel que décrit par Jean de La Croix.

  4. « Ils n'ont plus de ravissements accompagnés de souffrances corporelles ; ils jouissent de la liberté d'Esprit, sans bouleversement, sans obscurcissement des sens. » (Jean de La Croix : La nuit de l'Esprit)

  5. Marthe symbolise la vie active, la vie corporelle et Marie symbolise la vie contemplative, la vie spirituelle.