De l’excellence et de la beauté de notre âme. Comparaison destinée à le faire comprendre. L’oraison est la porte du Château où réside notre âme.
Notre âme est comme un château fait d'un seul diamant ou d'un cristal limpide et dans lequel il y a beaucoup d'appartements. L'âme est d'une excellente beauté et d'une grande capacité car elle a été créée semblable à Dieu. Malheureusement nous savons peu de la grandeur de notre âme car nous sommes préoccupés par nos corps périssables, la «grossière enchâssure» de ce diamant, l'enceinte de ce château.
Ce château renferme de nombreuses Demeures : en haut, en bas et sur les côtés. Enfin, au centre au milieu de toutes les autres, se trouve la principale Demeure, celle où il se produit des choses très secrètes entre Dieu et l'âme. Comment pouvons-nous y entrer ? Bien que ce château soit l'âme elle-même, il y a une différence entre y être et «y être». Beaucoup d'âmes restent dans l'enceinte extérieure. Elles sont si habituées à vivre au milieu des choses extérieures qu'elles semblent impuissantes à rentrer en elles-mêmes.
La porte par où l'on entre dans ce château c'est l'oraison et la considération. Mais si quelqu'un avait la coutume de parler au Dieu de sa Majesté comme il parlerait à son esclave sans prendre garde s'il dit bien ou mal, et se contentant d'articuler ce qui lui vient à la bouche ou ce qu'il a fini par retenir par cœur, je n'appelle pas cela une oraison.
Parlons de ces autres âmes qui, d'une façon ou d'une autre, entrent dans ce château. Quoique bien engagées encore dans le monde, elles ont de bons désirs. Quelquefois elles se recommandent à Notre Seigneur et réfléchissent sur elles-mêmes. Une fois ou deux dans le mois elles récitent des prières mais, leur esprit est occupé de milles affaires. Pourtant, elles font effort pour se dégager du monde extérieur.
Enfin, elles entrent dans les premières pièces les plus basses et, avec elles, une foule d'animaux malfaisants qui les empêchent de voir la beauté du château et d'y rester tranquille. C'est quand même bien d'y être entré.
Difformité d’une âme en état de péché mortel. De la connaissance de soi. Comment il faut se représenter les Demeures du Château de l’âme.
Ce château resplendissant est comme un arbre de vie planté au milieu des eaux vives de la Vie qui est Dieu. L'âme, au centre de ce château, est aussi apte à jouir de la divine Majesté que le cristal à réfléchir la splendeur du soleil. Pourtant, lorsqu'elle est en état de péché mortel, rien ne lui profite et, toutes ses bonnes œuvres sont stériles car, ce qui s'accomplit dans la séparation de Lui ne peut être agréable à Ses yeux. Au contraire, les oeuvres d'une âme en état de grâce sont agréables à Dieu et aux hommes parce qu'elles procèdent de la Source de Vie, comme un arbre planté au milieu des eaux vives qui rafraîchissent et fécondent.
La Source, qui est au centre de l'âme, est comme un resplendissant Soleil qui ne perd jamais son éclat ni sa beauté. Cependant, une âme peu avancée est comme un cristal recouvert du voile noir du péché. Exposée au divin Soleil, elle ne peut, ni le recevoir, ni le refléter. Faites effort pour enlever le «poix» du péché qui couvre votre cristal !
Demandons à Dieu l'humilité de reconnaître que le bien que nous faisons a son principe non en nous mais, en cette source où est planté l'arbre de nos âmes, en ce Soleil divin qui féconde. Voilà une très grande vérité. Ainsi, une âme bien née bénit Dieu pour toute bonne œuvre qu'elle accomplit et oublie ensuite ce qu'elle a fait. L'oraison à laquelle nous devons vaquer de longues heures quotidiennement permet au Seigneur d'opérer surnaturellement dans nos âmes.
Mais revenons à notre château et à ses nombreuses Demeures. La pièce au centre est celle où le Roi fait séjour. Avant d'arriver à cette pièce centrale, il faut en traverser une multitude et toutes, elles reçoivent les rayons du Soleil qui réside en ce palais.
Une âme d'oraison, quel que soit son degré d'avancement, doit pouvoir circuler librement dans ces différentes Demeures. Qu'elle ne se violente point pour rester longtemps dans une pièce, même si c'est celle de la «connaissance de soi», connaissance de soi par ailleurs tellement nécessaire que, même les âmes admises par Dieu dans Sa propre Demeure, celle au centre du château, ne doivent jamais s'en départir. En effet, il est important que l'âme appliquée à la connaissance de soi prenne de temps en temps son essor pour considérer la grandeur et la majesté de son Dieu dans les Demeures plus élevées. Elle peut, ainsi, mieux découvrir sa propre bassesse et sera moins importunée par les reptiles qui sont entrés avec elle, dans les premières pièces, là où s'exerce la connaissance de soi.
Pour se connaître, tant que nous sommes sur cette terre, rien ne nous est plus utile que l'humilité. Fixez les yeux sur Jésus Christ et sur ses saints. Votre intelligence et votre volonté s'ennobliront et vous deviendrez plus capables de toute espèce de bien.
Si nos demeurons enfoncés dans notre misérable sol, jamais le courant de nos œuvres ne sera exempt de la fange des craintes, de la pusillanimité et de la lâcheté de pensées telles que ; fais-t-on attention à moi ? en marchant sur ce chemin, m'arrivera-t-il malheur ? oserais-je entreprendre cette œuvre ? n'y a-t-il pas de l'orgueil ? convient-il qu'une misérable comme moi s'occupe d'une œuvre si élevée ? si l'on me voit, ne me jugera-t-on pas meilleure que les autres ? Ces pensées préjudiciables, et bien d'autres choses encore, que l'on pourrait prendre pour de l'humilité viennent du démon «par un manque de lumières».
Les premières Demeures, bien que les moins élevées, sont d'une grande richesse. Les âmes y entrent de multiples façons, et toutes, avec une bonne intention. Mais, le démon tient en chacune de nombreuses légions. C'est que, les âmes, dans les premières Demeures, sont encore livrées au monde, plongées dans ses plaisirs et, emportées par le tourbillon des honneurs, des prétentions, des sens et des puissances. Elles sont facilement vaincues, et pourtant elles désirent éviter le péché. Une âme dans cet état doit recourir souvent à sa Majesté et prendre sa bienheureuse Mère et ses saints pour intercesseurs, leur demandant de combattre pour elle, puisque les gens de sa maison sont si faibles dans la défense. La force doit venir de Dieu.
Les premières Demeures ne reçoivent presque rien de la lumière qui sort du palais où habite le Roi. La faute n'est pas à l'appartement mais à ses couleuvres. Elles sont comme des poussières qui empêchent les yeux de s'ouvrir et de voir le magnifique soleil resplendir. Voilà l'image d'une âme qui, sans être en mauvais état, se trouve encore occupée des choses du monde. Bien qu'ayant le désir sincère de se regarder elle-même et de jouir de sa propre beauté, elle n'y arrive pas car elle est impuissante à se débarrasser de tant d'entraves.
Et cependant, pour entrer dans les secondes Demeures, il est impératif se dégager du soin des affaires qui ne sont pas indispensables, chacun suivant son état. Cela est encore plus vrai pour parvenir à la Demeure principale.
Après s'être affranchi de tant de pièges et avoir pénétré plus avant dans les Demeures du château de l’âme, il faut prendre garde de ne pas retomber dans le péché car, il y a peu de Demeures en ce château où l'on n'ait à livrer bataille au démon. Il est vrai que dans quelques unes, les gardes (les puissances de l'âme) sont de taille à combattre.
Donc, mes filles, soyons vigilantes à découvrir les artifices du démon et empêcher qu'il ne nous trompe en se transfigurant en ange de lumière.
Il peut, en une multitude de choses, s'insinuer peu à peu sans que l'on voit le mal qu'il fait. Par exemple, il donne à une religieuse de si violents désirs de pénitence qu'elle ne trouve plus que peu de repos. La prieure lui défend alors de faire pénitence sans sa permission mais celle-ci juge qu'elle peut passer outre en ce domaine. Elle se maltraite et ruine sa santé. Son zèle pour la perfection peut en inspirer d'autres, ce qui est bien. Étant très ardente à ne pas manquer à la règle, elle peut se mettre à détecter les manquements des autres sœurs et à en avertir la prieure. Ce grand zèle pour la règle pourrait empêcher cette religieuse de voir ses propres fautes, et les autres religieuses qui ne pénètrent pas son intention, et voient le soin qu'elle prend en ce qui les concerne, pourront le trouver mauvais. C'est le démon qui est à l'œuvre. Il refroidit la charité et l'amour mutuels.
Comprenez que la perfection véritable est l'amour de Dieu et de son prochain. Laissez de côté ces zèles indiscrets et que chacune veille sur elle-même. Le soin de remarquer chez les autres des vétilles, qui parfois ne sont pas même des imperfections et que notre ignorance seule nous fait prendre en mauvaise part, pourrait nous faire perdre la paix de l'âme et la faire perdre aux autres.
Cette tentation pourrait naître aussi à l'égard de la prieure. Il faut un grand discernement. Si l'on remarque en elle des manquements à la règle, on ne doit pas toujours les interpréter en bonne part. Dans ce cas on doit l'avertir et si elle ne se corrige pas, en donner avis au supérieur. Faire cela c'est charité. Il faut en user de même envers les sœurs lorsqu'il s'agit de manquements graves. Laisser tout passer par crainte de la tentation serait la véritable tentation.
Il faut aussi prendre garde de ne pas s'entretenir de ces choses les unes avec les autres. On évitera ainsi les embûches du démon qui pourrait introduire l'habitude de la médisance. On ne doit en parler qu'aux personnes qui peuvent y apporter remède.