Le grand Orgue

Le Grand-Orgue de Saint-Louis en l’Ile

par Bernard Aubertin

Le nouvel orgue de l’église Saint Louis en l’Ile à Paris a été conçu en prenant pour base la collaboration qui s’est établie entre Johann-Sebastian Bach et son facteur d’orgue préféré Zacharias Hildenbrandt (1688 – 1757), élève ingrat du célèbre et ombrageux facteur Gottfried Silbermann.

Le premier contact entre ces deux éminentes personnes eut lieu en 1723 à Störmthal en Saxe. J.S. Bach y inaugura un orgue construit par Z. Hildenbrandt et écrivit pour cette occasion la cantate BWV 194, Höchsterwünschtes Freudenfest (Joyeuse fête ardemment désirée). Cette amitié durable atteignit son apogée en 1746, époque de composition de l’Art de la Fugue, lors de la construction d’un grand orgue neuf avec réemploi du buffet existant dans l’église St-Wenceslas de Naumburg. La disposition des jeux fut assurément le fruit d’une étroite collaboration entre les deux amis. On y retrouve les constantes des dispositions que J. S. Bach préconisait lors de ses expertises : un remarquable équilibre entre les différentes familles de jeux avec une grande richesse en jeux de 16’, 8’, 4’ et une anche de 32’ à la pédale, le tout devant satisfaire le souhait du Cantor : Majestät und Gravität.

Cette architecture sonore se retrouve à St-Louis-en-l’Ile. L’usage des jeux qui la constituent n’est pas codifié comme c’est le cas pour l’orgue français. Les différentes sonorités sont à considérer comme des couleurs librement mises à la disposition des musiciens. Les 16’ et 8’ puissants ne sont pas à utiliser systématiquement pour faire plus fort à la fin d’une pièce, mais pour marquer une ambiance dès les premières mesures.

Les contemporains de J. S. Bach ont noté que celui-ci registrait ses pièces d’une manière très dense et ont rapporté, avec un plaisir non dissimulé, la frayeur qui saisissait certains facteurs d’orgues le jour où ils entendaient des sonorités insoupçonnées lors de la réception de leur instrument par le Cantor. Celui-ci s’inquiétait, entre autres, de la bonne constitution des poumons de l’orgue, constitution à laquelle était subordonné le bon fonctionnement de tout le reste. L’équilibre entre les graves et les aigus a été traité de sorte que la polyphonie la plus dense reste lisible, agréable à l’oreille et réponde à la structure sonore de la musique baroque du milieu de l’Europe.

En fait, pour bien comprendre ce genre d’orgue, il faut penser ensemble instrumental (consort) : chaque registre d’un jeu pouvant correspondre à un instrument d’un orchestre baroque. Les buffets de l’orgue de Saint-Louis-en-l’Ile ont été conçus dans un esprit respectant le Werkprinzip : le buffet est le fidèle reflet de la structure interne, tout en s’adaptant aux contraintes architecturales.

Au premier coup d’œil, il est possible de situer les différents plans sonores (Werke) : le Rückpositiv ou Positif de dos en balustrade, ensuite au dessus des claviers l’Unterwerk, ou Positif inférieur, surmonté de l’Hauptwerk ou clavier de Grand Orgue et l’ensemble est encadré par les deux grandes tourelles de pédale de 16’.

Tout l’orgue est mécanique et construit avec des matériaux nobles, chêne et châtaignier massif. La mise en œuvre des matériaux est simple. Les méthodes employées pour transformer la matière brute en un instrument de musique font appel aux machines et techniques de notre époque : raboteuses, scies, perceuses, toupies, découpe au laser et l’emporte-pièce de pièces en métal, mais les finitions demandent énormément d’interventions manuelles, le rabotage des bois, le polissage et brunissage du métal.

En réalité, les matériaux eux-mêmes sont sans importance. Ils doivent servir de véhicule et être à la hauteur des ambitions et des buts à atteindre. Les tailles des tuyaux ne sont en fait utiles que pour établir des limites physiques. On trouve des orgues magnifiques dont les tailles sont grosses, d’autres, fines ; certains n’ont que des tuyaux en plomb ou entièrement en étain.

Il me semble fort utile, pour une culture générale et technique, d’être bien informé sur les pratiques de nos prédécesseurs. Celles-ci répondaient à une sensibilité, qui n’est plus la nôtre, et doivent servir de base pour trouver notre propre voie.

En matière d’harmonie, peu importe qu’on harmonise avec ou sans dents dans les biseaux, avec des tailles Schnitger ou d’autres : seul compte le résultat sonore. L’harmonie à Saint-Louis a été réalisée de sorte que le résultat soit en relation avec l’œuvre et la personnalité d’un J. S. Bach en pleine maturité, tout en permettant sans trop de compromis un assez large répertoire antérieur et postérieur à ce pivot musical.  

Bernard Aubertin, facteur d’orgues – Maître d’Art

Site du facteur Bernard Aubertin :  http://gpfo.free.fr/entreprise.php?facteur=aubertin

Pour en savoir plus :   http://orgue.free.fr/a4o8.html