Exporter la démocratie

Par François Broussseau,

Le Devoir, lundi 31 août 2009

Les Occidentaux s'ingénient depuis maintenant huit ans à changer le cours des choses en Afghanistan. Et avant tout, à faire en sorte que ce pays ne soit plus un «foyer du terrorisme international»: telle était l'intention initiale de George Bush, telle est la vraie raison de notre présence là-bas, et telle est la motivation primordiale, sinon exclusive, de Barack Obama, ainsi qu'il l'a lui-même avoué.

Les prétextes suivants -- barrer la route aux réactionnaires obscurantistes, reconstruire l'économie, lutter pour les droits des femmes, etc. -- sont des justifications apparues plus tard.

Cette foi dans la possibilité d'exporter la démocratie et le progrès, par les armes s'il le faut, remonte à loin. Le colonialisme, dans son infini sentiment de supériorité, était rempli de ce sentiment qu'après tout, on exportait le Bien au profit ultime du colonisé.

Il y a une quinzaine d'années arriva un nouveau concept: le «devoir d'ingérence humanitaire». Une idée du Dr Bernard Kouchner, actuel ministre des Affaires étrangères de France, qui -- à l'époque médecin militant et humaniste -- inventa la formule pendant la guerre d'ex-Yougoslavie.

Bien intentionné, le concept stipulait que la souveraineté nationale, cela se mérite, et qu'une nouvelle autorité, la «communauté internationale», peut à l'occasion la confisquer au délinquant qui aurait commis des manquements graves à la démocratie, au traitement des minorités, à l'équilibre des armements, ou encore une agression contre un État voisin.

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Divers exemples tirés de la politique internationale des années 2000 montrent un reflux, voire un naufrage de cette idée parfois généreuse, souvent hypocrite, toujours ambiguë.

Les États-Unis sortent affaiblis de l'épreuve irakienne. L'OTAN fait face à un échec historique en Afghanistan -- où l'intervention a un effet contraire à celui escompté. La Chine opprime ses minorités, sans conséquences autres que de timides protestations occidentales.

Les Ouïgours en révolte subissent maintenant le retour de bâton pour leur soulèvement de juillet: 200 procès annoncés contre les meneurs «émeutiers», «nationalistes» et «contre-révolutionnaires», qui protestaient contre quoi? Contre la discrimination économique au quotidien, contre la minorisation dans leur propre patrie, contre l'arrogance néo-impériale des Chinois...

Personne -- et surtout pas le bon docteur Kouchner -- n'irait aujourd'hui préconiser l'ingérence démocratique et humanitaire pour dire aux dirigeants chinois comment traiter leurs concitoyens des minorités nationales! La seule évocation d'une telle idée -- servir aux Chinois la médecine servie naguère aux dirigeants serbes ou irakiens -- fait sourire par son caractère totalement irréaliste, déconnecté de la réalité du XXIe siècle.

Et lorsque la démocratie est bafouée au Honduras, le «devoir d'ingérence» trouve aussi ses limites. On condamne en principe le coup d'État de Tegucigalpa, décrit comme incompatible avec l'ordre international et avec l'évolution démocratique connue par l'Amérique latine depuis quinze ans... et puis? Et puis, au-delà de quelques sanctions symboliques, rien ne se passe. Rien ne se passe, peut-être, parce que rien ne peut se passer. On a tendance à trop attendre des politiciens animés par de belles déclarations de principes. On a tendance à croire que ces beaux principes, clamés haut et fort, font une politique.

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La Chine, mais aussi la Russie, le Venezuela, l'Iran, sont la preuve qu'indépendamment du caractère démocratique ou non d'un pays, la souveraineté nationale reste une donnée fondamentale de l'ordre mondial, lequel fonctionne, somme toute, assez peu aux idéaux démocratiques, et toujours autant aux rapports de force. La souveraineté nationale au XXIe siècle est bien davantage altérée par la mondialisation économique que par un quelconque discours politique internationaliste.

En janvier 2006, les Palestiniens avaient pris au mot l'exigence d'élections libres et transparentes que leur imposait impérieusement la communauté internationale autorisée, celle qui dit le Bien et le Mal démocratique, qui délivre les chèques et les certificats de bonne conduite. Avec le résultat que l'on sait.

Aux Afghans également on demande la conformité à un rituel, mais ce rituel lorsqu'il est imposé se réduit parfois à un théâtre d'ombres et d'apparences, destiné à donner le change et à justifier l'octroi de subventions et de reconnaissance paternaliste, par ceux qui se considèrent comme les héritiers historiques de la démocratie.

La pénible expérience de l'OTAN en Afghanistan, un siècle et demi après l'Empire britannique et un quart de siècle après l'Empire soviétique, va sans doute imposer des révisions déchirantes aux Occidentaux. Et finir d'emporter quelques beaux concepts.

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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.

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Tiré de :

http://www.ledevoir.com/2009/08/31/264879.html