Qui mettra les règles sur pied ?

Droits des travailleurs - Qui mettra les règles sur pied?

Mots clés : Règles, Droits des travailleurs, Commerce, Économie, États-Unis (pays), Canada (Pays)

«Laissera-t-on les négociateurs commerciaux et les juristes inventer, au fur et à mesure, toutes sortes de normes de manière un peu chaotique?»

Les règles du commerce mondial finiront fatalement par davantage tenir compte du respect des droits des travailleurs, estiment les experts. La question est plutôt de savoir maintenant comment cela se fera et quel impact auront véritablement ces nouvelles règles.Soumis à une pression croissante de leurs populations, les pays sont de plus en plus nombreux à exiger l'inclusion de clauses ou d'ententes parallèles portant sur les normes du travail avant de signer des traités commerciaux. . Ceux, comme le Canada et les États-Unis, qui le faisaient déjà depuis longtemps se montrent, quant à eux, de plus en plus exigeants et précis en la matière.

«On sait désormais qu'il y aura inévitablement de plus en plus de règles qui vont s'établir dans le domaine», observe la politologue Michèle Rioux, spécialiste de la question. «L'un des enjeux importants que cela soulève est de savoir comment ce travail sera fait. Laissera-t-on les négociateurs commerciaux et les juristes inventer, au fur et à mesure, toutes sortes de normes de manière un peu chaotique? Prendra-t-on le temps, plutôt, d'adopter une approche plus organisée et réfléchie?

Un colloque international intitulé «Humaniser le commerce» se penchera sur le problème lundi et mardi à Montréal. L'événement, qui en est à sa deuxième édition, devrait compter environ une centaine de participants. Il y aura bien sûr des chercheurs du Canada, des États-Unis, d'Europe et d'ailleurs, ainsi que des représentants d'organisations syndicales et d'institutions internationales, comme l'Organisation internationale du travail (OIT) et l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais il y aura aussi des négociateurs commerciaux de plusieurs pays ainsi que des représentants du milieu des affaires, dont la Chambre de commerce des États-Unis et le fabricant de chaussures de sport New Balance.

Forte demande

«On sent une forte demande de la part des négociateurs commerciaux sur cette question du lien entre commerce et normes du travail», dit Michèle Rioux, qui est l'organisatrice de l'événement. «Ils sont de plus en plus aux prises avec cet enjeu et sont à la recherche d'idées et d'exemples à suivre.»

Ils ne sont pas les seuls, note la professeure et chercheuse associée à l'Institut d'études internationales de Montréal (IEIM) de l'UQAM. Les entreprises privées, notamment les multinationales, se savent aujourd'hui surveillées de près, tant par les organisations de défense des droits que par les consommateurs, en ce qui a trait aux conditions de travail de leurs employés et de ceux de leurs fournisseurs. «La plupart de ces compagnies ne s'opposent pas à l'imposition de nouvelles règles, mais elles demandent qu'elles soient claires et qu'elles soient les mêmes pour tous.»

Idéalement, on voudrait que le colloque, ou les échanges qui se poursuivront ensuite entre ses participants via Internet, permette de dégager des lignes directrices applicables à de prochaines négociations commerciales. Actuellement, il faut bien admettre que la défense des droits des travailleurs fait office de «parent pauvre» dans des forums commerciaux comme l'OMC, observe Michèle Rioux, plus encore que la protection des droits intellectuels ou l'environnement.

Il est vrai que l'on pourrait aussi continuer de développer des normes internationales en matière de travail à l'extérieur du cadre commercial, comme on a choisi de le faire pour la protection de la diversité culturelle à l'UNESCO. «Mais aujourd'hui, le nerf de la guerre est le commerce», constate la chercheuse. «Si vous voulez que vos règles soient prises au sérieux, il vaut mieux qu'elles soient liées aux droits et obligations commerciales.»

Du pain sur la planche

Toutes sortes d'approches sont possibles en la matière. Le plus simple serait d'établir de nouvelles normes dans un forum multilatéral comme l'OMC, mais les négociations du cycle de Doha y sont bloquées depuis des années. Cette impasse à l'OMC a mené à une explosion des traités commerciaux bilatéraux où le volet travail peut être abordé. L'entente parallèle sur le travail de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) s'est révélée plutôt décevante, mais le modèle a continué d'évoluer et les derniers accords parallèles du genre conclus par les États-Unis et le Canada avec d'autres pays présentent des avancées intéressantes, comme une forme de reconnaissance des normes internationales par les Américains, ou l'imposition de pénalités financières et leur versement à un fond d'aide en cas de violation des droits du travail.

Certaines normes minimales sont difficiles à convenir entre plusieurs pays, surtout lorsque leurs degrés de développement sont différents. Un salaire jugé équitable pour un travailleur d'Afrique du Nord ne sera pas le même que celui du même travailleur en Europe de l'Ouest. Les multinationales pourraient aider les négociateurs à trouver des moyens de surmonter ces difficultés, estime Michèle Rioux. «Elles sont maintenant habituées à gérer des structures globales de coûts.»

Mais ce n'est pas tout de convenir de nouvelles règles internationales en matière de normes du travail. Encore faut-il que ces règles soient appliquées. La plupart des pays pauvres disposent de moyens financiers et logistiques extrêmement limités pour assurer l'application de leurs propres lois. Pour être crédibles, les accords de défense des droits du travail devraient sans doute s'accompagner de mesures d'aide en ce sens.

Au préalable, il faut toutefois s'assurer que les gouvernements ont la volonté politique de promouvoir les droits de leurs travailleurs. Car il n'y a pas que dans les pays pauvres que l'on bafoue des principes fondamentaux comme celui du droit d'appartenir à un syndicat ou l'interdiction du travail des enfants.

Tiré de : http://www.ledevoir.com/2009/04/25/247433.html

ÉRIC DESROSIERS

Le Devoir du samedi 25 et du dimanche 26 avril 2009

Photo: Agence Reuters