Médicaments à prix abordables: Pourquoi le Canada a-t-il échoué ?

Médicaments à prix abordables

Pourquoi le Canada a-t-il échoué ?

ÉRIC DESROSIERS

Édition du mardi 05 mai 2009

Photo: Agence France-Presse

Le Canada était passé, à l'époque, pour un pays phare sur la scène internationale en étant le premier à adopter une loi sur les exportations de médicaments à prix réduit vers les pays pauvres aux prises avec les pires pandémies. Cinq ans plus tard, le projet est presque un échec total, au Canada comme ailleurs dans le monde, et l'on se demande comment faire pour le remettre sur ses rails.À ce jour, un seul fabricant canadien de médicaments génériques s'est prévalu des dispositions du Régime canadien d'accès aux médicaments (RCAM) depuis sa promulgation en mai 2004. Il a fallu attendre jusqu'à l'automne dernier avant que la compagnie Apotex commence à livrer au Rwanda des comprimés de trithérapie pour le traitement du VIH/sida. Ces envois, qui devraient aider à soigner 21 000 personnes, seront permis au maximum pendant deux ans. La compagnie a déjà fait savoir qu'elle n'avait pas l'intention de répéter l'expérience. «C'est la première compagnie à se prévaloir des nouvelles règles en la matière au Canada, mais c'est aussi la seule jusqu'à présent au monde, observe en entretien téléphonique Richard Gold, professeur de Droit à l'Université McGill. Je crois que l'on peut parler d'un échec.» Espoirs déçus

Les espoirs étaient pourtant grands. Après plus de deux ans de lutte épique entre les compagnies pharmaceutiques et les organisations humanitaires, les pays membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) avaient convenu, en août 2003, de permettre la vente aux pays pauvres, notamment africains, de versions génériques moins chères de médicaments encore sous brevet afin de leur permettre de lutter contre les pandémies de sida, de tuberculose ou encore de malaria. Le Canada avait tout de suite voulu être le premier pays à donner force de loi à ce qui se voulait la preuve que le commerce peut avoir un coeur.

Au moment de son adoption à l'unanimité par la Chambre des communes, le RCAM a été salué aux quatre coins de la planète, aussi bien par l'UNICEF que par le représentant du commerce américain, le géant de l'industrie pharmaceutique Pfizer et le chanteur irlandais et défenseur des causes humanitaires Bono. Les représentants du gouvernement, de l'industrie et des ONG qui ont participé à l'élaboration de la loi savaient pourtant déjà que ses règles seraient beaucoup trop restrictives pour qu'elle soit viable et donne des résultats, affirme Richard Gold qui vient de terminer une étude sur le sujet avec son collègue de l'Université Libre de Bruxelles, Jean-Frédéric Morin. «Ils sont arrivés à ce compromis seulement pour des raisons symboliques et politiques, et parce qu'aucun d'eux ne se croyait capable de claquer la porte des négociations. Ils ont fui leurs responsabilités».

Celui qui dirigeait à l'époque la coalition d'organisations humanitaires impliquées dans les négociations rejette cette version de l'histoire. «Nous nous sommes battus et nous avons perdu, explique en entretien téléphonique Richard Elliott, directeur général du Réseau juridique canadien VIH/sida. Nous avons continué ensuite d'exprimer publiquement nos critiques, tout en appuyant la loi dans l'espoir de lui donner une chance de succès.»

Besoin de réformes?

Richard Elliott vient aujourd'hui en aide au sénateur libéral Yoine Goldstein et à son projet de loi privé réclamant une réforme du RCAM. Le projet demande notamment que les permis d'exportation accordés aux fabricants de médicaments génériques ne s'appliquent pas seulement pendant deux ans, pour un certain médicament, en une certaine quantité, à un certain prix, et pour un seul pays. On voudrait plutôt qu'ils donnent droit, pour un produit, à répondre à la demande aux besoins de n'importe quel pays admissible.

L'industrie n'est pas chaude à cette idée. «La loi est honnête, rapide et fonctionnelle», a déclaré récemment dans les pages de l'Ottawa Citizen le président de Rx&D, Russel Williams. «La seule fois que la loi a été employée, elle a fonctionné et elle a fonctionné en 30 jours».

Le gouvernement fédéral semble partager cette opinion. Récemment interrogé à ce sujet par la presse, le cabinet du ministre de l'Industrie et responsable de la loi sur les brevets, Tony Clement, a cité à son tour le cas d'Apotex comme preuve du bon fonctionnement de la loi.

D'Ottawa à Genève

Il faut bien admettre que les cinq autres pays (Chine, Corée du Sud, Inde, Norvège et Pays-Bas) à avoir jusqu'à présent donné force de loi aux règles de l'OMC en la matière n'ont pas eu plus de succès.

«Les grandes compagnies pharmaceutiques continuent de mener une lutte acharnée contre cette idée», dénonce en entretien téléphonique Mark Friend, porte-parole d'Oxfam Canada.

«Le problème n'est pas à Ottawa, mais à Genève», estime pour sa part le professeur Jean-Frédéric Morin, dont les conclusions de l'étude qu'il cosigne avec Richard Gold seront présentées jeudi à Ottawa. «Ce sont les règles adoptées à l'OMC qui sont trop restrictives. Malheureusement, on ne voit pas comment on pourrait y ranimer les négociations sur cette question.» Il vaudrait mieux, dit-il en entretien téléphonique, apporter de l'aide technique et financière aux pays en voie de développement afin qu'ils puissent mieux tirer parti des possibilités déjà offertes dans le droit international en matière de brevet.

Richard Elliott ne jette pas l'éponge. Les règles de l'OMC ne sont pas aussi limitatives qu'on le croit, selon lui. Le Canada, comme les autres pays, dispose de toute la marge de manoeuvre nécessaire pour honorer sa parole. «Ce qui manque, vraiment, c'est la volonté politique.»

Source: http://www.ledevoir.com/2009/05/05/248944.html