Interview

L'interview du Kenshikan Honbu avec Sensei John Rakoto

A l’occasion du stage de printemps, nous avons posé des questions à Sensei John RAKOTO sur des sujets qui tournent autour de l'art qui est si cher à son cœur.

Commençons par vos débuts. Quels étaient vos premiers pas dans les arts martiaux ?

Dans mon pays natal, à Madagascar, dans l'école où j'ai étudié, les arts martiaux étaient une discipline à part entière comme une matière. C’était donc obligatoire d’en choisir une voir plus. J’ai commencé par le judo et le kendo. Mon frère aîné, ayant déjà pratiqué le karatedo, m’a insufflé tout naturellement mes premiers pas.

Est-ce que vous remarquez une différence entre le karatedo de vos débuts et celui d’aujourd’hui ?

Le karatedo a évolué avec le temps. Lorsque j’ai pratiqué dans mon pays, nous nous entraînions très durement sans jamais nous plaindre. Je n’ai pas connu les « groupes enfants », ce qui m’a valu une progression rapide. De nos jours, les pratiquants cherchent un peu trop le confort et abandonnent assez rapidement. Néanmoins, grâce à l’évolution de la connaissance du fonctionnement du corps, la pédagogie est plus élaborée afin d’éviter les mauvaises pratiques néfastes à notre santé.

Qu’est-ce qu’elle apporte la pratique du karatedo sur le plan de l’éducation ?

La pratique du karatedo nous enseigne les valeurs et nous permet d’évoluer afin de mieux comprendre les autres. La pratique au quotidien renforce la volonté de l’esprit. Le partage avec ses partenaires de dojo améliore la sociabilité. La régularité à l’entraînement aident les enfants à mieux canaliser leur énergie et à mieux se concentrer. Avec la rigueur et l’assiduité, les adultes arrivent à mieux gérer le stress au quotidien.

Comment avez-vous connu Shihan Mizuguchi ?

En 1991, je suis allé au Japon, pour rendre visite à Mabuni Soke à Osaka au Yoshukan Honbu Dojo. L’année suivante, il m’a confié à son premier assistant, Shihan Mizuguchi Hirofumi. Depuis, un lien très fort s'est noué entre nous. C’est ainsi que je suis devenu le premier élève "gaijin" (étranger) le représentant en dehors du Japon. Shihan Mizuguchi est venu la première fois à Bordeaux en 1993 pour une courte visite. En 1995 j’ai organisé son premier stage en France. Par la suite, la famille du Kenshikai s’est agrandie dans l’hexagonne. Maître Mizuguchi est venu honorer le premier stage à Madagascar, en 1999. Il continue à venir dispenser son art et partager sa passion tous les ans.

Quel est l’entrainement typique de Shihan Mizuguchi ?

Son entraînement commence par une très longue pratique de kihon, suivie de l’apprentissage ou du perfectionnement des katas et de leurs applications (bunkai). Le Maître a toujours le souci du détail. Il insiste beaucoup sur la notion de la respiration naturelle.

Vous êtes le président de l’International Shitoryu Karatedo Kenshikai. Quels étaient vos motivations pour fonder l'ISKK ?

En guise de reconnaissance à mon respectable Sensei, c'était naturel de créer l’association International Shitoryu Karatedo Kenshikai pour tout ce qu’il m’a apporté et ce qu’il m’apportera encore. Notre association internationale tient à préserver l’héritage de son enseignement.

En quoi ISKK est-il différent d'autres organisations ?

Les objectifs de l’ISKK sont : développer et promouvoir les valeurs et la pratique du Shitoryu Karatedo Yoshukan Kenshikai fondé par Shihan Mizuguchi Hirofumi. Permettre l’accès aux formations régulières et à la progression de tous ses membres. Nous tenons régulièrement des stages pour promouvoir le Shitoryu Karatedo Kenshikai et perpétrer l’enseignement de Shihan Mizuguchi Hirofumi. Nous voulons favoriser l’échange culturel entre les membres de notre association.

Parmi les différentes écoles de karatedo, c’est le shitoryu qui a le plus grand nombre de katas. Selon vous, quels sont les plus importants, si c’est possible d’en choisir ?

Du fait que le shitoryu ait beaucoup de kata, ceci est une richesse indéniable. Mais il est certain qu’il faut plusieurs vies afin de tous les aborder correctement. Néanmoins, il est important de souligner que nous avons 12 kata de base, qui forment le tronc commun du shitoryu karatedo. Les « yotsu no kata », c’est-à-dire : dai ichi dosa, dai ni dosa, dai san dosa, dai yon dosa ; ensuite les 5 Heian, Naihanchin shodan, Sanchin et Tensho. Ensemble, ils forment les « Juni no kata », les 12 kata de base qui caractérisent le shitoryu karatedo. Nous avons aussi nos spécificités, les kata créés par notre fondateur, Mabuni Kenwa Sensei. Tout pratiquant se disant appartenir à l’école shitoryu doit les connaître.

Vous dites souvent que la pratique des katas Sanchin et Tensho est primordiale quel que soit le niveau du pratiquant. Pourquoi sont-ils si important ?

Ces deux kata sont effectivement importants, car ils nous font travailler la respiration, primordiale à la recherche de l’efficacité. Ils développent aussi la notion de latéralité et altèrent la souplesse et la fermeté. Le kata Tensho sensibilise le pratiquant au travail de la main ouverte. Sanchin et Tensho tendent à renfonrcer nos organes internes. Traditionellement les cours commencent toujours par ces deux kata.

Quels est votre tokui kata et pourquoi ?

J’en ai plusieurs, mais c’est Sochin qui est mon réel tokui kata. Ce kata me procure la vitalité, le sens de la finesse et de l’agilité. Le kata défini bien ce que le nom « Sochin » veut dire : la force tranquille.

Quels est l'importance du tanren kumite dans le traditionnel karatedo ?

Nous pratiquons le tanren kumite pour renforcer nos membres, pour améliorer l’équilibre avec une bonne pratique de la respiration. Ce travail vise la force de décision et l’endurance mentale.

A côté de l’enseignement, avez-vous le temps de vous entraîner personnellement ?

Enseigner, c’est partager. Il est nécessaire d’avoir une pratique régulière au quotidien, pour pouvoir transmettre et aider mes élèves à progresser. Je ne cherche pas d’excuse pour rater mon propre entraînement car pratiquer c’est garder toujours l’âme d’un débutant. J’aime apprendre.

Utilisez-vous des accessoires d’entrainement ?

Oui, le makiwara m’est un allié indispensable pour optimiser mes techniques (des coups de poing ou les techniques de mains ouvertes) et la force de décision. Je travaille aussi avec les chishi (haltères traditionnelles d’Okinawa), qui développe une musculature compacte et renforce les articulations.

Vous travaillez le kobudo aussi. Pourquoi et quelles sont vos armes préférées ?

Le kobudo est un héritage culturel d’Okinawa, l’île d’origine de notre fondateur, Mabuni Kenwa Sensei. Le kobudo est une pratique ancestrale issue des outils agraires. Les armes sont les prolongements de nos membres. J’aime particulièrement le bo jutsu, le sai jutsu et le tonfa.

Concernant Mabuni Kenwa, nous connaissons plusieurs sources qui citent ses origines okinawaien, d’autres qui parlent de lui en tant que descendants de Samouraïs. Or, les Samouraïs demeuraient uniquement au Japon. Pourriez-vous nous éclaircir sur ce sujet ?

Prenons une source fiable, la dernière édition de la biographie de Mabuni Kenwa, apparue dans le livre de la Shitokai pour le 20ème anniversaire de la WSKF (World Shitoryu Karatedo Federation) sous la supervision de son fils, Kenei Mabuni. Dans le texte en anglais, il est bien écrit, qu’il est né à Shuri, à Okinawa, le 14 Novembre 1889. Il est descendant du général du Royaume du Ryukyu « Oni-Ohgushiku ». Kenwa Mabuni serait son petit-fils de 17ème génération. Donc tout au long des traductions, le mot « warlord » en anglais signifiant « général ou chef militaire » s’est transformé en « samourai » en francais. Voilà comment une erreur devient copiée-collé et diffusée sans réfléchir.

Justement, à nos jours, les médias, l’internet, youtube et les réseaux sociaux sont omniprésents. Quelle influence ont-ils selon vous sur notre pratique ?

La transmission des arts martiaux s’est faite depuis la nuit des temps par les grands maîtres. Ce fut une transmission orale. Il existe très peu d’écrit retraçant ces époques lointaines. L’évolution technologique a pris le pas sur les moyens de diffusion. Or, dans la transmission des arts martiaux traditionnels, l’enseignement du Sensei est irremplaçable car il donne son énergie, ses émotions et son ressenti en plus des corrections techniques. Une machine ne peut se substituer à une présence humaine pour un échange efficace. Ces outils modernes peuvent être juste un bon support de mémoire, si les informations qu’ils contiennent sont exactes. On ne peut pas apprendre un kata sur youtube. Un vrai karateka n’a pas besoin de « net-sensei ».

Qui sont les personnes qui vous inspirent ?

Le Dalai Lama, Mahatma Gandhi, Martin Luther King sont parmi les grands noms qui m’inspirent beaucoup car ils ont toujours œuvré pour la paix.

Quel est votre message aux kararekas ?

Travailler avec sincérité dans l’humilité pour mieux prospérer ensemble. Ne jamais abandonner face à une quelconque difficulté et ne jamais oublier de se remettre en question. C’est ainsi que nous pouvons avancer et progresser.