DEFI11

Défi de janvier 2007:

"Est-il nécessaire de se disputer ?"

  • En bas de page, les commentaires de deux profs de philo.

Participation de Périgueux La Cité (CM1/2):

  • Il est utile

Participation de Lanouaille (CM2):

  • Se disputer est nécessaire parce que cela forme le caractère de chacun
  • Les disputes ne sont aps nécessaires car il faut respecter l'autre.
  • Les disputes sont nécessaires car elels permettent de s'exprimer avec l'autre pour avoir après une meilleure relation avec lui.

Participation du CM1 de Périgueux André Boissière

  • Oui, il est nécessaire de se disputer car cela permet d'exprimer des "choses lourdes" que l'on a sur le coeur. Cela permet aussi de se mettre d'accord sur certains points, de dire que l'on a un avis différent. Cela permet enfin, de se libérer de certaines angoisses...
    • Par contre, ce n'est pas nécessaire de se disputer pour un rien...
  • Se disputer permet de communiquer.Mais attention, on peut se dire des choses qu'on ne voulait pas dire. Il vaut mieux parler calmement, sans s'énerver...
  • Se disputer fait partie de la vie, ça permet de se soulager, de savoir ce qu'on pense des autres et inversement. Cela permet d'échanger et peut-être...de se réconcilier!

Participation de Limeyrat (C3):

  • Non, la dispute peut entraîner la bagarre, voire la guerre.
  • Il vaut mieux discuter que se disputer pour régler ce sur quoi on n'est pas d'accord.
  • Les disputes peuvent être "graves" ou moins "graves" et dans ce cas, elles peuvent aussi soulager.

Participation de Quinsac (CE2/CM)

  • Non, ça risque de faire des blessés ou on pourrait avoir affaire à la justice, même se faire des ennuis.
  • Non, car on peut s’expliquer au lieu de se dire des méchancetés.
  • On devrait essaye d’avouer ce qu’on pense sur quelqu’un, sans bagarre.

Participation de Bouniagues

  • Il y a des disputes qui servent à faire avancer les choses et d’autres qui ne servent à rien si ce n’est à utiliser en plus des mots grossiers
  • Les dispute utiles lorsqu’on a fait une bêtise c’est pour nous remettre sur la bonne voie.
  • Les disputes peuvent régler certain conflits ou amener à la séparation définitive (enfants ou adultes.)

Le mot de l'instit' :

Sur les 20 minutes de débat, seuls (?) 50% des enfants ont pris la parole. Les propos des uns et des autres ont bien été écoutés, cités et parfois contredits. Quant au fond, les enfants se sont toujours placés sur le terrain de disputes entre pairs, souvent stériles et sans lendemain. Aucun n'a envisagé la nécessité de "disputer" le droit que s'arrogent les gens de pouvoir quand ils prennent sur le dos des plus faibles des décisions visant à perpétuer, voire amplifier, leur position dominante.

Participation du CE1 de Périgueux André Boissière

  • On a le droit de se disputer, on a le droit de ne pas être d’accord .
  • Se disputer est nécessaire car cela sert à donner son avis, on peut discuter.
  • Oui, se disputer est nécessaire : la personne qui n’est pas d’accord peut faire une grande discussion car se disputer , ce n’est pas forcément se crier dessus.

Participation de Ligueux

  • Une dispute n’est pas utile. La violence ne sert à rien, çà amène de l’énervement et après on regrette d’avoir dit des paroles blessantes pour un problème de rien du tout.
    • Une dispute n’est pas nécessaire mais parfois c’est impossible de l’éviter parce quand on veut arrêter, l’autre continue et ça finit que personne n’a raison.
  • Une dispute ne règle pas le problème mais ça soulage de dire enfin ce qu’on pense, même si ce ne sont pas des conditions agréables.
  • Parfois c’est nécessaire car on attire l’attention sur un problème qui n’a pas été réglé. Une fois que tout a été dit on peut mieux redevenir copains ou copines.
  • Pour ce défi, nous avons carrément deux prof de philo qui nous livrent leurs commentaires
  • Commentaire de Pascal Fréleteau, Professeur de philosophie
    • Plusieurs participations répondent à la question de l'utilité ou de la nocivité de la dispute plutôt qu'à celle de sa nécessité. Lorsque la nécessité est affirmée, comme dans la contribution du CE1 de Périgueux André Boissière "se disputer est nécessaire", il y a visiblement confusion entre dispute et discussion. Cette confusion n'est peut-être pas absente des contributions qui relèvent le rôle positif de la dispute (Lanouaille "il est utile de se disputer entre amis quelquefois" ou Bouniagues "il y a des disputes qui servent") celles-ci, cependant, semblent bien relever que les disputes peuvent faire partie de la vie, entre "amis", entre "adultes" (Bouniagues), réguler certaines tensions, sans provoquer nécessairement une "séparation définitive". Peut-être apparaissent-elles alors comme une "nécessité" liée à la faiblesse de notre nature, un moment où le primate qui sommeille en nous reprend le dessus sur la personne civilisée, sans que celà n'aille forcément beaucoup plus loin que les cris et menaces par lesquels un groupe régule ses tensions et impose sa hiérarchie (comme les "disputes utiles" d'une participation de Bouniagues où le terme désigne les reproches de l'adulte à l'enfant).
    • Un pas déterminant vers la civilisation est franchi, bien sûr, lorsqu'on distingue clairement dispute et discussion. Les sujets de désaccord peuvent faire l'objet d'un dialogue sans animosité (Limeyrat "il vaut mieux discuter que se disputer", Quinsac "on peut s'expliquer au lieu de se dire des méchancetés") dés lors il n'est plus nécessaire de se disputer, il existe d'autres possibilités présentant moins de dangers que les disputes (qui "peuvent être graves" Limeyrat et même "faire des blessés" Quinsac).
    • Prises ensemble les diverses participations balisent bien la complexité des relations humaines et la difficulté de la résolution des tensions.

Commentaire de Xavier Gourrin , professeur de philosophie

Je me souviens, quand je me disputais avec mon frère, mes parents se fâchaient. "Est-il bien nécessaire de vous disputer, les enfants ?", disait mon père avec sa grosse voix. C'est curieux quand j'y pense : on se faisait "disputer"... parce qu'on se disputait. Quand les enfants ou les grands se battent, quand ils sont très en colère, ils n'écoutent pas les mots, ils ne veulent rien entendre. On ne peut pas raisonner ceux qui sont tellement en colère qu'ils en deviennent violents. Alors il faut les séparer de force, ou en criant plus fort qu'eux. Mais cette force qui veut ramener le calme, elle, est sans colère. Elle est forte mais elle n'est pas violente. On l'appelle parfois l'autorité. Mon père se mettait en colère, mais il ne l'était pas vraiment.

Mes parents n'aimaient pas la guerre. Ils avaient peut-être l'impression que nos disputes, avec mon frère, étaient une sorte de petite guerre en famille. Mais le plus souvent, ce n'était pas au nom de la belle idée de paix qu'ils nous séparaient ; c'était plutôt pour "avoir la paix", c'est-à-dire être tranquille. C'est sûr que les disputes font du bruit. On préfère parfois que tout soit calme et en ordre. Et pourtant, je me souviens que mes parents se disputaient eux aussi, quelquefois. Et si la dispute était nécessaire ?

Il est vrai que se disputer, en un sens, ce n'est pas très recommandé. L'idée de la dispute ne semble pas vraiment défendable : "ça risque de faire des blessés" ; "on pourrait se faire des ennuis" ; et puis, à la fin, ça fait pleurer. Mais prenons la question à l'envers : que serait un monde où personne ne se disputerait ? De quoi aurait l'air un monde sans dispute ? Apparemment ce serait merveilleux. Mais réfléchissons : quels sont les cas où l'on ne se dispute pas ?

1- on ne se dispute pas lorsque l'on est d'accord. C'est magnifique de parvenir à un accord. Mais imaginez que tous les hommes soient d'accord avec tous les autres : il n'y aurait au monde qu'une forme de pensée, une seule : elle serait la même pour tous. Des millions d'hommes... et une pensée unique. Autant dire qu'il n'y aurait pas de pensée du tout. Pas d'idées différentes, pas d'idées dérangeantes. Seulement des petites idées de rien du tout qui ne font pas de bruit, du genre "la pluie, ça mouille" ou "la nuit il fait noir". On ne pourrait pas dire une chose sans que tout le monde ne pense déjà la même chose. Chaque idée nouvelle serait une idée ancienne, déjà pensée. C'est comme si tous les hommes n'étaient qu'un seul homme. Dans notre monde à nous, au moins, "on a le droit" de choisir avec qui on peut être d'accord. Pour ma part, je suis d'accord avec celui d'entre vous qui a dit "se disputer est nécessaire car cela sert à donner son avis". Et heureusement que les avis sont différents : cela montre que nous sommes différents, que nous savons affirmer cette différence. Si vos parents se disputent quelquefois, c'est justement qu'ils ne sont pas une seule et même personne. Moi j'aime bien l'idée qu'un papa et une maman soient différents, pas vous ?

2- on ne se dispute pas, également, lorsqu'on est indifférent à ce que pensent les autres, c'est-à-dire que leur avis ne nous intéresse pas. On s'en moque. Au contraire, si quelqu'un compte pour vous et que vous avez envie de compter pour lui, vous allez chercher à avoir raison, pour qu'il vous comprenne. Et lui aussi voudra se faire comprendre. Mais parfois cela ne va pas tout seul. J'ai remarqué qu'on pouvait se disputer vraiment très fort avec ceux que l'on aime le plus. Justement parce qu'on les aime. Leur avis compte beaucoup pour nous. C'est compliqué parce qu'on voudrait qu'ils pensent comme nous, mais on voudrait aussi qu'ils nous acceptent dans notre différence. En tous cas, si vos parents se disputent, c'est certainement bon signe : cela veut dire qu'ils s'aiment encore beaucoup. Et s'ils ne se disputent jamais, rassurez-vous : ils le font sûrement quand vous n'êtes pas là !

3- enfin, on ne se dispute pas (normalement) si les choses n'en valent pas la peine. Il y a des choses tellement banales que tout le monde les accepte. On dit, en utilisant un drôle de mot, qu'elles font consensus. Par contre, si les disputes sont nécessaires, c'est parce qu'il y a aussi des choses très importantes. "Il y a des raisons valables de se disputer" et les disputes "font avancer les choses". Et pourtant... Pourtant nous savons tous qu'il y a d'énormes disputes qui commencent pour de toutes petites choses, des choses tellement bêtes qu'on se demande où est le problème. Dans ce cas là, je crois que ces petites choses sont en réalité des prétextes. Il y a certainement un vrai problème, une raison valable. Seulement il ne se laisse pas très bien voir ; on ne parvient pas à savoir clairement ce qui ne va pas. On n'arrive pas à mettre des mots dessus. Alors on utilise la première petite chose qui passe pour provoquer une discussion, en espérant peut-être qu'elle fera sortir la vraie raison. Seulement, si deux personnes se disputent sans arrêt à propos de petits détails sans importance, et que rien n'en sort, à part de la colère et de la rancune, alors il vaut peut-être mieux qu'elles se séparent pour réfléchir chacune de leur côté à ce qui fait qu'elles veulent toujours se disputer.

Je résume : en général, les disputes existent car il y a des idées différentes ; ces idées portent sur des choses intéressantes ou importantes ; et nous nous aimons suffisamment pour avoir envie d'échanger et de partager ces idées. Les échanges, ça crée et ça renforce les liens. Un monsieur que j'aime beaucoup (il est très vieux, maintenant, mais il est toujours vivant) a écrit : "il y a beaucoup plus, dans l'échange, que les choses échangées". Il s'appelle Claude Lévi-Strauss.

Mais il y a encore un petit problème...

Vous avez très bien compris que se disputer ça peut vouloir dire deux choses : soit se battre, se bagarrer (avec les poings, les pieds, les mains... ; se griffer, se mordre, se tirer les cheveux, comme des chats sauvages) ; soit discuter, avec des mots, des phrases, prononcées chacun à son tour, "car se disputer, ce n'est pas forcément se crier dessus". Autrefois, le verbe "disputer" voulait dire "avoir une discussion", "débattre".

Débattre, se battre... Se disputer, disputer, discuter... Tout cela est très proche. La différence, pourtant est importante. Il y a un moment où les personnes comprennent qu'elles n'ont plus besoin de se disputer car ce sont leurs idées qui entrent en dispute : laissons les se battre pour nous ! Pour cela, il faut savoir remplacer les coups par des mots. Quand on ne parvient pas à dire les choses, on a tendance à vouloir utiliser des moyens physiques, des coups de poing, par exemple. Ou bien quand nos idées ne sont jamais entendues par personne, on a envie de se faire comprendre par d'autres moyens, en criant, en cassant, en se bagarrant avec le premier venu. Il ne faut pas avoir peur de se disputer, mais la vie nous apprend à le faire le plus souvent possible en parlant et en écoutant. Seulement attention : ce n'est pas seulement une question de mots. Il y a des mots, vous le savez bien, qui sont comme des coups : ce sont les insultes, les injures, les paroles qui cherchent à faire mal. Ils nous blessent. Les bons mots ce sont ceux qui cherchent à convaincre : "on peut s'expliquer au lieu de se dire des méchancetés".

Pour finir, je voudrais donner la parole à un grand philosophe qui vivait au 18° siècle. Il s'appelait Emmanuel Kant. Il avait remarqué que les savants se disputaient beaucoup (avec des idées). Heureusement, car c'est grâce à cela que la science avance. Et ce qu'il y a de bien, avec les débats scientifiques, c'est qu'ils finissent généralement par aboutir à un résultat. Les disputes ne sont pas infinies : à un moment il y a des preuves ou des démonstrations qui mettent tout le monde d'accord. A l'inverse, dit Emmanuel Kant, il y a des disputes qui ne peuvent jamais finir. Ce sont des discussions impossibles et donc, à vrai dire, parfaitement inutiles. Par exemple, si vous vous disputez à la cantine pour savoir si la purée de carottes c'est meilleur que la soupe aux pommes de terre, cela peut durer des heures, des jours, et même toute une vie. Il n'y a aucun moyen d'apporter une preuve. Il n'y a pas d'appareil pour mesurer si une préférence est meilleure qu'une autre. Un proverbe le dit très bien : "on ne discute pas des goûts et des couleurs". Mais ce qui intéresse Emmanuel Kant, c'est une troisième sorte de discussion. Une discussion qui ne peut pas s'appuyer sur des preuves mais qui, pourtant, n'est pas inutile. Imaginez que vous avez beaucoup aimé un dessin animé, ou bien un livre. Vous êtes sûrs, mais absolument sûrs, que c'est un très beau dessin animé, un très beau livre. Mais vous ne pouvez pas le prouver. Pourtant vous avez envie de partager votre avis avec tout le monde. Et ceux qui ne sont pas d'accord, vous voulez les convaincre qu'ils se trompent. Vous avez tout à fait raison de vouloir faire cela. Ce sont de belles discussions qui naissent à propos des beaux livres. C'est comme si l'histoire se poursuivait, sous une autre forme, à travers les mots que vous employez pour en parler. Et il y a encore beaucoup de sujets importants qui méritent des discussions même si l'on sait que personne ne trouvera une manière définitive de mettre tout le monde d'accord. Par exemple, "a-t-on le droit de mentir ?" ou bien "c'est quoi une vie heureuse ?" ou encore "qui doit être notre Président de la République ?" (sur cette dernière question, les adultes se disputent beaucoup, et pas toujours avec des mots gentils...). Si la philosophie existe, c'est pour essayer de répondre, en discutant, à ce genre de questions qui ne sont pas scientifiques mais concernent les hommes de très prés. Et bien sûr, il y a encore cette question : "est-il nécessaire de se disputer ?" Vous en avez discuté. J'ai ajouté quelques mots. Et des idées, il y en aura encore et encore, tant qu'il y aura des hommes.