le facteur cheval, un modèle d'opiniâtreté




Ferdinand Cheval est né en 1836 dans la Drôme ; issu de parents cultivateurs peu fortunés, il perd sa mère, seconde épouse de son père, alors qu'il vient tout juste d'avoir 11 ans. Il suit des études courtes (6 années) ; à l'âge de 12 ans, il obtient son certificat d'études primaires et devient à 13 ans apprenti boulanger. Son oncle le prend sous tutelle à l'âge de 18 ans, quand meurt son père. En 1856, il est affecté comme boulanger à Valence. Il se marie en 1858 ; 7 ans plus tard, décès de son premier fils, ce qui lui fait abandonner la boulangerie. Il s'engage comme ouvrier agricole, profession qu'il cessera à la naissance de son second fils. Plongé dans la misère, il se présente au concours de facteur et entre dans l'administration des postes en 1867. Après plusieurs affectations, il est nommé à Hauterives, à proximité de son village natal ; il a alors 33 ans. La tournée de Tersanne, une randonnée quotidienne de 32 km qu'il effectuera jusqu'à la retraite, lui donne l'occasion, parmi des chemins de la campagne drômoise, de s'adonner à des rêveries, de laisser libre cours à son imagination .


Lors d'une tournée , 10 ans plus tard, alors qu'il marchait prestement, il buta contre une pierre et tomba. Il examine « cette pierre d'achoppement » et fut subjugué par sa forme, une sculpture réalisée par la nature. Il l'enveloppa minutieusement dans son mouchoir et la déposa dans sa poche. Dès le lendemain, et lors des tournées suivantes, il repérait des pierres plus jolies les unes que les autres, les plaçait dans ses poches ou bien les réunissait dans un coin et revenait les chercher, le soir après son travail, avec un panier puis avec une brouette, qu'il dénomma « ma fidèle compagne de peine ».


Ainsi débuta un projet surréaliste, invraisemblable qui absorba l'énergie époustouflante d'un homme hors du commun dont la ténacité, le courage, l'abnégation n'ont d'égal que son ingéniosité. Résistance physique exceptionnelle qui lui permet de marcher plus de 30 km tous les jours pour la distribution du courrier, tout en repérant les pierres qu'il convoitait, de les rassembler avant de revenir, après son travail, les récupérer et les utiliser, la nuit, pour sa construction féérique. Il s'y est investi corps et âme, quotidiennement, pendant 33 années, de l'âge de 43 ans jusqu'à 76 ans. Et quand cet ouvrage fou fut accompli, plutôt que de jouir d'une fin de vie paisible, il reprit son bâton de pèlerin et édifia un tombeau somptueux, « le tombeau du silence et du repos sans fin », dans le cimetière d'Hauterives.


Inlassablement, méthodiquement, avec détermination, le facteur cheval amassait une myriade de pierres, qui chacune constituait un élément de l'œuvre grandiose qu'il avait imaginée. Il collectait des morceaux de tuf, de grès, de silex, de galets.

Sans formation en maçonnerie, en sculpture, en architecture, sans ébauche de plan, Ferdinand Cheval mettait en lumière son palais par la juxtaposition de milliers de décorations. Il a façonné cette merveille architecturale, seul, sans la moindre aide. Il a commencé par la façade est, avec une fontaine construite en deux ans, tapissée de coquillages, d'escargots, d'huitres, suivie d'une cascade puis d'une autre et d'un temple. Son petit potager se montra rapidement trop exigu pour contenir une construction en perpétuelle extension. Il dû acquérir, successivement, des lopins de terre jouxtant sa propriété pour permettre le développement de cette féérie architecturale. De son imagination exubérante, est né un édifice hétéroclite où se mêlent personnages de la bible, de la mythologie hindoue, égyptienne, ainsi que la flore exotique, la faune (ours, boas, lions, pélicans, cerf, biche, faon, crocodile, pieuvre, serpents, tortue, chien basset). Où se côtoient mosquée, chalet suisse, temple indou, maison carrée d'Alger, château du moyen-âge, tombeau égyptien. Les trois géants, représentant Jules César, Vercingétorix et Archimède constituent certainement le sommet de l'art du facteur Cheval. Dans une niche creusée derrière les géants, repose sa fidèle brouette. Une galerie intérieure, traversant le palais idéal, de 20 mètres de long, offre le spectacle saisissant d'un bestiaire sous forme de bas-relief : éléphant, dromadaire, loup, chat…



L'œuvre magistrale de Ferdinand Cheval, outre les innombrables modelages, sculptures, comporte 150 inscriptions littéraires qui dénotent un autre talent de cet autodidacte :

+ « les morts ne sont pas les absents, mais les invisibles »

+ « l'homme qui meurt est un astre couchant qui se lève plus radieux sur un autre hémisphère »

+ « à la source de la sagesse, seule on trouve le vrai bonheur ».

+ Sur cette terre comme l'ombre nous passons ; sortis de la poussière, nous y retournerons.


Le facteur Cheval n’a jamais voyagé plus loin que Lyon. Son inspiration, il la tient en partie des calendriers des postes, des revues illustrées et des cartes postales (qui font leur apparition en 1873) sur lesquels il jette un regard avant de les distribuer.


Chaux, mortier, ciment lui permirent d'assembler les milliers de pierres, de fixer tous les coquillages qu'un cousin lui envoyait, de construire l'ossature sur laquelle le palais a été édifié. Il utilisait des tiges métalliques qu'il noyait dans le ciment, et, ce faisant, il se comportait en précurseur de la technique du béton armé.


La vie personnelle de Ferdinand Cheval est entachée de malheurs.

Orphelin de mère à 11 ans, il perdra son père 7 ans plus tard.

Il se marie en 1858 avec rosalie ; de leur union, naîtra un premier fils, emporté à l'âge d'un an. Le second fils succombera à 46 ans.

A 32 ans, rosalie décède. Il se remarie en 1878 et l'année suivante naîtra Alice, terrassée par une méningite à 15 ans.

Sa deuxième épouse disparaîtra 10 ans avant le décès du facteur Cheval.

Deux fois veuf, aucun enfant ne lui survivra.


Au début de la construction, le facteur Cheval était considéré comme un être étrange, qui passait ses nuits et ses jours de repos à amasser des pierres et à les assembler bizarrement. Quand le monument commençait à prendre forme, les admirateurs se pressaient chez lui.


Il a fallu attendre 1969 pour une juste reconnaissance de ce travail hors du commun. André Malraux, ministre de la culture, n'a pas tenu compte des propos infamant de certains de ses collaborateurs et classa le palais idéal au titre des monuments historiques.

La villa appelée Alicius (1895 – hommage à sa fille Alice), qu'il a bâtie à l'aide d'un maçon et son tombeau situé dans le cimetière d'Hauterives, bénéficièrent également du classement au titre des monuments historiques.


1879-1912 : 10000 journées, 93000 heures, 33 ans d'épreuves, un joyau de 26 m de long, 14 m de large et 12 m de haut, représentant 1000 m3 de maçonnerie, ayant nécessité 3500 sacs de chaux ou de ciment et un océan de courage, de volonté, de ténacité.


De 43 ans à 76 ans, le facteur Cheval, au prix d'une opiniâtreté invraisemblable et d'une ingéniosité inouïe, construisit son palais idéal.

De 78 ans à 86 ans, sa frénésie de bâtisseur le mena à ériger son dernier chef d’œuvre, le tombeau du silence et du repos sans fin, dans lequel reposent son épouse Marie-Philomène, sa fille Alice et lui-même.


On l’affubla de l’étiquette d’autiste asperger. Mentionnons que le syndrome d’asperger se caractérise, entre autres, par un quotient intellectuel supérieur à la normale et parfois par une intelligence exceptionnelle. Notre propos n’est pas d’analyser le profil psychiatrique du facteur cheval, mais d’appréhender l’étendue de sa détermination, de son ardeur qui ont prévalu pour parvenir à une telle merveille.


Au terme d'une vie ternie par de nombreuses blessures sentimentales, Ferdinand Cheval s'éteindra à 88 ans, apaisé et comblé d'avoir pu mener à bien la construction de son palais idéal.