Contribution de JM Lex

La journée des CDPA-CRIE de ce 4/9/2009 à Saint Vaast fut très riche d’enseignement. Les contenus de la principale intervention de la matinée ne cessent de trotter dans ma tête. Parce que, de la réponse qui sera donnée à la question posé ce matin-là dépend le sort de l’humanité et le sort de l’humanité de l’homme, je ne puis m’empêcher de relancer le débat…

Marketing, publicité et communication :

Mise à prix du démantèlement de la pensée

  1. Communiquer, « l’universelle aragne » qui phagocyte la pensée

    • C’est de Louis XI que l’on parle, lui qui voulait déjà à son époque tout contrôler, tout contrôler dans la gestion de son territoire et de ses sujets. L’universelle aragne depuis le 11ème siècle est une tentation qui, à chaque époque, renaît de ses cendres : hégémonique, totalitaire, manipulatrice des corps et des esprits, elle continue de conserver ses héros, ses adeptes et ses croyances, ses errances et ses dangers pour la liberté de pensée.

    • Ainsi du triangle marketing-publicité-communication.

    • Dangerosité accrue dans une culture toute entière menacée d’être absorbée par la religion de la croissance économique, faite de production et de consommation de biens, de services et de besoins. Si tôt le besoin assouvi, s’en présente un autre, savamment conçu par une ribambelle de spécialistes, tous acquis au modèle dominant fondé sur le marché. Et le développement durable de soupirer sans cesse : « Mais bon Dieu, quels enfants laisserons nous à notre terre ? »

    • Micro en main pour bien s’assurer du contrôle de la parole et des échanges, s’attaquant de manière incantatoire à une campagne (mauvaise, et combien !) curieusement, (tiens !) initiée par un pouvoir public, par une autre boîte (tiens !) concurrente certainement, et martelant : « Voilà ce qu’il ne faut pas faire, voici ce qu’il faut faire, et au fond, pourquoi ne me le confieriez-vous pas ? »

    • En filigrane, certes, subrepticement, sans avoir l’air d’y toucher. Le conférencier nous a fait la démonstration par l’absurde.

  1. Communiquer ou éduquer ?

    • Car au fond, qu’est-ce qu’il faut faire pour bien communiquer ?

    • Pour une communication efficace (aux effets mesurables, diable !).

    • D’abord se rappeler que le cerveau est composé de trois tiroirs dont un, au moins, est superflu et l’autre, quasi facultatif. Reste le troisième. Ce célèbre cerveau reptilien dont Albert Einstein disait qu’il suffit à tous ceux qui marchent au pas cadencé…

    • Et donc, chers animateurs, chers enseignants, chers responsables de services publics, vous qui visez des changements de comportements, faites comme les grands communicateurs : déconnectez donc ces hémisphères cérébraux, ces empêcheurs de vendre en rond, ces perturbateurs du célèbre Stimulus-Réponse si chère aux béhavioristes…

    • Nous n’avons pas vocation à communiquer, heureusement !

    • Et les mécanismes mis à nu par notre conférencier, ce matin-là, il faut nous imprégner de toute leur inhumanité pour mieux la combattre.

    • Eduquer, aider à faire jaillir les trésors que l’enfant a en lui : e-ducare et e-ducere, faire sortir des ténèbres et pousser en avant. Apprendre et comprendre (cum-prehendere) emporter avec soi pour la vie.

    • Faire advenir un adulte équilibré, citoyen conscient de sa place et de celles des autres, acteur capable de jugement, de choix, balisés par des valeurs patiemment éprouvées aux expériences de l’enfance et de la jeunesse.

    • Notre défi à nous est en antipodes de celui, reptilien, du publiciste-communicateur car il vise la mobilisation conjointe des trois couches du cerveau : le reptilien parce qu’il est aussi le siège de la crainte et de la peur salvatrice qu’il convient de mobiliser pour ouvrir l’avenir ; le limbique parce que ces émotions qui nous habitent fleurent bon l’envie du beau, d’amour, de vérité, de reconnaissance, indispensables à faire de cette avenir un lieu de convivialité pour l’humanité d’abord ; le réflexif enfin, comme instance non pas inhibitrice, mais bien régulatrice, capable d’associer dans un projet, une vision où les dimensions personnelles et collectives sont totalement imbriquées et interdépendantes, espace enfin où les savoirs, les senteurs du monde et les envies de vivre se cristallisent pour donner naissance à toutes les formes de l’installation des hommes sur Terre.

    • Nous le savons bien, nous, que les comportements ne se changent pas d’un coup de baguette magique, mais qu’il s’agit d’en construire de nouveaux, patiemment, fondés intellectuellement, émotionnellement et activement, que l’on adapte puis adopte pour remplacer les anciens…

    • Le développement durable ne passera pas par le désapprendre à penser, mais au contraire et d’urgence, et d’urgence encore une fois dans l’apprendre au plus grand nombre possible d’humains à penser le global et à appréhender le complexe.

    • Penser parce que cela passe par le cerveau et appréhender parce que – prehendere – cela passera par la main, l’agir, le faire.

    • Mais non, le seul faire ne fait pas faire !

    • Ce que notre conception de l’homme nous invite à entreprendre, c’est de donner à penser l’agir (le faire) et de mener des actions qui font penser.

    • Alors certes, le chemin n’est pas facile, il ne l’a jamais été et ne le sera, sans doute, jamais. Et notre hantise à nous tous tourne toujours autour de ces questions : grandiront-ils ? Pourront-ils vivre heureux ? Sauront-ils gérer leur vie, leur famille, le monde ?

    • Inlassables, l’éducateur et l’enseignant, inlassables parce qu’ils ne croient pas aux recettes miracles, à la poudre à pirlimpimpim, à la poudre aux yeux, aux campagnes de pubs, aux slogans vite usés.

    • Eduquer demande du temps, exige de s’adresser à tout l’individu et à tout le groupe dans une attitude de profond respect pour l’histoire de chacun et l’Histoire du genre humain dans laquelle s’insèrent chacune et chacun.

    • Elle vise le cerveau global et ses références, ses maîtres à penser qui sont d’avantage à rechercher parmi les pédagogues ou des initiatives citoyennes comme celles de l’Institut d’Eco-pédagogie présentées lors de la matinée.

    • Et de repenser à l’appel à mettre en œuvre un « Printemps de l’Education au Développement Durable ». J’y indiquais que : « la distance nécessaire au paquebot humanité pour effectuer le virage à 180° qu’il lui permettra d’éviter la collision avec les limites de la planète est très exactement celle qui couvre les champs de l’éducation et de la formation des générations futures ».

    • Je terminerai en laissant la parole à deux maîtres à penser. Laissons d’abord parler Léon Tolstoi :

    • « Il faut choisir entre deux écoles : celle où il est facile pour le maître d’enseigner et celle où il est facile pour l’élève d’apprendre ».

    • Ensuite, Michel Serres, qui nous dit :

    • « Aucun apprentissage n’évite le voyage. Sous la conduite d’un guide, l’éducation pousse à l’extérieur. Pars : sors. Sors du ventre de la mère, du berceau, de l’ombre portée par la maison du père et des paysages juvéniles. Au vent, à la pluie : dehors manquent les abris. Tes idées initiales ne répètent que des mots anciens. Jeune, vieux perroquet. Le voyage des enfants, voilà le sens nu du mot grec pédagogie. Apprendre lance l’errance. »

    • Si loin, si loin de la communication dont nous parlâmes ce matin-là.

    • Jean-Michel Lex

    • P.S. : Mai 2001. Siège de l’Unesco à Paris. Une petite dizaine de belges impatients sont invités par une des directions. On va vous présenter un outil pour économiser l’énergie dans les écoles… Impatience !

    • Cadre : Présentation en anglais par des japonais très convaincants. Deux personnes peinent à suivre… D’où l’interrogation… au fil du temps les choses s’éclairent. Un produit miracle ! -10, -20, -30 % de consommation… y compris à la maison. On travaille juste les comportements, pas les contenus. Rien pour comprendre les énergies, rien sur le climat, juste réduire la facture et l’ampleur du conditionnement acquis… Il nous a quand-même fallu deux jours pour démonter la supercherie et convaincre tout le groupe que cela en était bien une…