« Nous avons la chance de posséder d’admirables témoignages écrits. Il convenait de les remettre en valeur, de les lier les uns aux autres et de suivre ainsi le cheminement d’une connaissance technique qui s’affine, qui se précise et tente de devenir maîtresse de son destin. C’est ce difficile apprentissage de la nouveauté – nous ne parlons pas encore d’invention – qu’il fallait éclairer. De la nouveauté, mais aussi de l’intelligence de ce que l’on faisait. De l’un à l’autre de ces hommes, il n’y a pas seulement héritage, il n’y a pas seulement l’apport de détails supplémentaires, il y a cette marche continue vers la généralisation des cas, vers la création de ces formules, de quelque nature qu’elles aient été, qui permettent à tout moment et en toutes circonstances une réussite matérielle. »[1]
Le plus ancien traité technique qui nous soit parvenu date de 366 av. JC. C’est la Poliorcétique[2] d’Enée le Tacticien. Cet ouvrage marque, pour Bertrand Gille, le début de la technologie. C’est clairement un ouvrage de transmission de techniques.
L’activité humaine s’est développée tout au long de l’Histoire en un fil continu que l’on a coutume d’appeler le progrès.
Les noms d’Archimède, Héron d’Alexandrie ou Vitruve nous sont connus : pourtant, si aucun écrit de leur main ne nous est parvenu, leurs travaux font partie du bien commun. Repris par leurs élèves, transmis oralement, écrits, réécrits, parfois développés, améliorés, nous en avons des traces qui datent, pour les plus anciennes, des plus anciens manuscrits conservés. Nous ne parlerons ici que des manuscrits ou imprimés dont nous avons eu connaissance : c’est pourquoi nous ne nous réfèrerons pas à des textes arabes, indiens ou chinois.
Pourtant, on sait que les textes grecs ont été préservés et nous sont parvenus grâce aux Byzantins et aux Arabes. Quant aux découvertes ou à l’influence des Chinois, cela dépasse le cadre de nos connaissances.
La communication et la transmission des connaissances ne datent pas d’hier : même la question du droit d’auteur existe depuis l’Antiquité !
A l'aube de la Renaissance, des débats se font jour entre "ingénieurs" pour savoir s'il faut transmettre (notamment grâce au livre) ou garder le secret des techniques mises au point ou améliorées (en cachant, en utilisant des codes ou simplement en ne communiquant pas du tout). Cette question est toujours d'une grande actualité.
Mais au XXIème siècle, nous disposons d’un outil exceptionnel d’accès aux connaissances : les bibliothèques numériques que certaines institutions mettent à disposition de tous. Ainsi, la Bibliothèque Nationale de France, le Max Planck Institut de Berlin, le Musée des Sciences de Florence, la bibliothèque de Cornell University, etc… proposent en ligne de télécharger des ouvrages anciens numérisés : nous avons accès à des trésors du passé que l’on peut consulter à l’envi, et utiliser pour travailler avec nos élèves. (Tous les liens sont disponibles ici).
L’utilisation de ces documents avec les élèves, des fac-similés, provoque des réactions : lorsque l’on date ces documents, qu’on les réfère à notre époque, les enfants se montrent très sensibles et émus d’imaginer quelqu’un écrire il y a plusieurs siècles et de réaliser que son écrit nous est parvenu.
Il est également intéressant de confronter les manières de représenter une même situation à des époques différentes par des personnes différentes : ingénieurs d’il y a quelques siècles, et enfants d’aujourd’hui. L’effet produit est souvent pour l’élève une « décontraction » par rapport à sa capacité à dessiner : il réalise qu’il s’inscrit dans un cheminement de pensée.
Rapprochement
Deux dessins qui évoquent la même situation : Juliano Turriano, 1595, et Nazade (9 ans), en 2010.
Cela rend beaucoup plus dynamique le travail en classe et justifie pleinement le recours au dessin par l’enseignant. Les élèves de cycle 3 sont souvent rebutés par le dessin (« je sais pas dessiner »), ou sont dans le désir de répondre à une pseudo attente de l’enseignant en se perdant dans les distinctions entre dessin, schéma, croquis, plan…
Ici, l’affaire est simple, on fait avec nos moyens, comme le faisaient les ingénieurs d’autrefois. Il y a des différences acceptées d’habileté au dessin, de précision, d’imagination. Tout un chacun y a sa place, le principal étant d’être compris par l’autre (et bien sûr par soi-même).
[1] Bertrand GILLE : Les Mécaniciens grecs, Seuil, Paris , 1980.
[2] La poliorcétique est la technique de défense et de prise des villes et de leurs fortifications