Témoignages
TEMOIGNAGES DES ANCIENS
Témoignage du révérend père Louis de l’amicale du 3e RIMa/3e RIC 1988
Arrivée d’un lieutenant au régiment en 1929
Vers 1888, un jeune homme s’engage à Rochefort au 3ème de Marine. Il effectue une brillante carrière de marsouin gravissant tous les échelons de la hiérarchie. En 1928, colonel, il reçoit le commandement de ce même régiment devenu le 3èmeColonial. Le 1er octobre 1929, ce chef de corps, le colonel Bouet accueille à Rochefort, cinq jeunes sous-lieutenants, deux de Saint-Maixent Le Bourhis et Servant, trois de Saint-Cyr: Berdel, Reibelle et moi-même. Nous étions tous les cinq en grande tenue avec le sabre. C’était impressionnant cette entrée dans l’arme. Le colonel m’affecte à la 9ème compagnie me chargeant surtout de l’instruction des soldats : jeunes du contingent, engagés et rengagés de tous âges. Deux autres missions m’incombaient : la rédaction de l’historique du régiment et j’ai consulté de vieux journaux de marche de la campagne de Chine. L’enseignement des mathématiques aux sous-officiers du régiment préparant le concours de l’école de Saint-Maixent. Fin décembre le colonel Bouet me convoque : "A Bordeaux, au peloton des élèves officiers de réserves du corps d’armée, les candidats proviennent aussi des unités de la division coloniale. J’ai reçu l’ordre d’y envoyer un jeune officier comme instructeur et c’est vous que je désigne". A regret je quitte donc Rochefort pour Bordeaux où m’accueille mon ami Berdel qui avait été affecté au bataillon de cette ville. Au peloton des EOR, tous étaient disponibles pour l’instruction militaire, c’était fort intéressant. Mais le capitaine (un métropolitain) se référait toujours à la guerre de 14-18, douze après ! L’autre officier instructeur, pourtant promu vers la fin de la guerre était lieutenant ! Parmi ces jeunes du contingent étudiants, certains étaient sursitaires…dont mon professeur de physique en terminale. Mon tour de départ colonial approchait : je demande d’abord l’Afrique Equatoriale Française, puis la Chine ou la Syrie. Je quitte donc le peloton pour servir à la 6ème compagnie du bataillon de Bordeaux. Le 15 novembre 1930, j’embarque sur le paquebot "l’Amérique" pour le port de Matadi et l’AEF… mais ceci est une autre histoire. En 1937, je rentre du Tchad et entre au grand séminaire de Paris gardant au cœur un très vif attachement à la Coloniale.
Prêtre en 1943 le père Louis sera aumônier militaire en 1945 et sera affecté successivement à Paris, en Indochine, en Allemagne et il terminera sa carrière militaire en 1964.
Témoignage du lieutenant-colonel (er) Mabille de l’amicale du 3e RIMa/3e RIC Mai 1986
Anecdotes du drapeau de 1940
Les adhérents de l’amicale connaissent certainement l’histoire du drapeau du 3ème RIC en 1940. Je rappellerai seulement qu’il fut enterré dans le cimetière de Bouzanville (Meurthe-et-Moselle) derrière l’église, afin d’échapper aux allemands. Récupéré en 1941 par un prisonnier libéré, puis caché pendant quatre ans il fut remis au général de Lattre. Le drapeau fut alors confié à la garde du 4ème groupe de tabors marocains à Dommartin le 27 mars 1945. Ce n’est qu’en novembre 1945 que l’on retrouve trace du drapeau du 3ème RIC, alors que ce régiment venait d’être recréé à Rochefort aux ordres du colonel Cariou, ancien du 14èmeRTS avec qui j’avais fait toute la retraite en juin 1940 depuis la Meuse jusque dans les Vosges, le jour de l’armistice. Affecté au 3ème RIC, en novembre 1945, je dirigeais à l’époque comme lieutenant un peloton de sous-officiers en vue de leur obtention du brevet de chef de section. Le colonel Cariou qui venait de recevoir une note lui apprenant qu’on lui destinait un drapeau pour son régiment, me fit appeler et me désignant comme futur porte-drapeau en tant que décoré de la légion d’honneur. Il me chargea de partir à Paris dès le lendemain pour prendre possession du drapeau du régiment. Après avoir reçu cet emblème des mains du colonel chef du service historique des armées, à l’hôtel des Invalides, je rentrais rapidement à Rochefort, mission accomplie. Mais alors que je m’attendais à des félicitations, je reçus une algarade "maison"de la part du colonel Cariou. "Regardez ce drapeau" me dit le colonel, "les lettres des mots honneur et patrie, ainsi que les noms de bataille ne sont pas brodées, elles sont en papier, c’est un faux". J’étais confondu, n’ayant jamais regardé un drapeau d’aussi près et ne pouvant vérifier les constatations du colonel Cariou. Il écrivit en vain au service historique, pour exprimer son mécontentement, car il espérait recevoir le drapeau qui avait fait campagne en 1940 et auquel s’attachait un passé à la fois douloureux et héroïque. On lui répondit que les drapeaux chargés de souvenir étaient conservés au musée des Invalides et que les corps de troupe étaient dotés de drapeaux neufs. Quant aux lettres de papier, j’appris que tous le drapeaux recevaient sur leur étamine, des inscriptions en parchemin et n’étaient pas brodés. Je pense ainsi que les jeunes et les moins jeunes auront appris à regarder de plus près leur drapeau.
Témoignage du marsouin (er) Jean Rossi de l’amicale du 3e RIMa/3e RIC Mars 1989
Affectation d’un marsouin au régiment en 1945
Engagé pour quatre ans à Pau le 23 août 1945 au titre des troupes coloniales, après avoir passé une huitaine de jours au DITC ( dépôt des isolés des troupes coloniales) de Bordeaux, caserne Carayon-la-Tour, puis quatre à cinq semaines dans un centre de rassemblement et de démobilisation au 3ème RIC qui occupait une caserne partiellement incendiée : la caserne La Touche-Tréville, laquelle était conjointe avec la caserne Joinville (comme Foch et Delestraint à Vannes). Peu de temps après, j’ai été dirigé par voie ferrée sur Bordeaux (probablement le 1er décembre) où s’est formé, à la caserne Xaintrailles, un bataillon d’instruction, sans doute le 1er bataillon car le seul refrain d’appel au clairon était le "marchand d’allumettes en bois". Je fus affecté à la 1ère compagnie, qui, en fait était le peloton d’élèves caporaux. Nous étions nombreux car il fallait remplacer nombre de petits gradés démobilisés. Le régiment était commandé par le colonel Cariou, la compagnie par le capitaine Moretti, avec comme adjoint le lieutenant Faucher, le chef de section le sergent Héry. Le peloton s’acheva le 1eravril 1946, date à laquelle je fus nommé caporal et détaché avec d’autres camarades pour perfectionnement à l’école des cadres d’Audignac (Ariège) où je restais ensuite comme instructeur de tir et armement jusqu’au 31 décembre 1946 (avec le grade de caporal-chef). C’est pendant ce séjour que se situe ma mutation du 3ème RIC au 1er RIC le 15 mars 1946. Ce qui me laisse supposer que cette date doit correspondre avec le départ du 3ème RIC pour la région parisienne. Ceci est d’ailleurs corroboré par l’arrivée à Audignac en juin 1946 du sergent Gagnon, venant de Paris et portant le nouvel insigne du "3", "Debout les morts" que nous avons tous remarqué. Je crois d’ailleurs pouvoir dire que cet insigne avait été dessiné en novembre 1945 à Bordeaux par une équipe de la 1ère compagnie. C’était un écusson rond avec un groupe de squelettes. Cet insigne n’a été en service que très peu de temps.
Note complémentaires de Georges-André Guyot: Ces souvenirs précieux, sur une période peu connue du régiment nous ont été adressés par le lieutenant-colonel Rossi, résidant maintenant à Vannes. Le caporal-chef a, en effet, été admis à l’ESMIA, promotion général Leclerc, avec d’ailleurs une autre élite du peloton, du nom de Besson, qui a pris sa retraite comme lieutenant-colonel dans le Finistère, après une carrière de para-colo. Ajoutons que le lieutenant-colonel Rossi a fait don de son insigne au 3ème Rima en 1985.
Témoignage de l'adjudant-chef (er) Jean Foll de l’amicale du 3e RIMa/3e RIC 1998
Renaissance du 3e RIC à l’issue de la 2e guerre mondiale 1945-46
Une première reconstitution du 3ème RIC, décimé lors des combats de 1940, avait déjà eu lieu de novembre 1944 à janvier 1945, à partir des maquis du sud-ouest. Mais, après avoir participé à la libération de Bergerac et de Bordeaux, puis avoir été engagé dans les combats de la pointe de Grave et de la poche de Royan, les diverses compagnies qui constituaient le régiment furent ventilées dans certaines formations de la 1ère armée.
Ce n’est qu’en août 1945 finalement que ces unités, renforcées de jeunes engagés de souche européenne provenant du CI/9ème DIC d’Altkirch et d’autres formations coloniales, réintégrèrent leurs anciennes garnisons : l’état-major et un bataillon à Rochefort (casernes Joinville et La Touche-Tréville), un autre bataillon à Bordeaux (caserne Xaintrailles) et le troisième à Marennes où servait alors le futur général Perron, président fondateur de notre amicale. En provenance du 4ème RTS de Toulon, je rejoignis pour ma part la portion centrale (Rochefort), avec une dizaine de camarades. Affectés à la CHR (compagnie hors rang), nos occupations strictement militaires y furent réduites à leur plus simple expression, la grande préoccupation de notre chef de corps (colonel Cariou) en cette fin du mois de septembre 1945, étant le maintien de l’ordre en ville. De nombreuses bagarres éclataient en effet dans les bars de l’agglomération entre aviateurs, marins et marsouins, nécessitant l’intervention d’impressionnantes patrouilles de police militaire, comportant pas moins d’un sous-officier et trente hommes.Devant notre inaction, il fut finalement décidé de former un peloton d’élèves caporaux. Un lieutenant organisa des tests de sélection réduits à un simple entretien et, courant octobre, je rejoignis la caserne Xaintrailles à Bordeaux.
Parmi les élèves gradés : d’anciens étudiants, mais aussi quelques ex-prisonniers de guerre. A ses débuts, le peloton ne comprenait pas loin de 200 élèves. Nous nous rendions sur le terrain de Luchey, au sud-ouest de la ville pour nos exercices. Mais une nouvelle sélection eut lieu aux environs de Noël et c’est à environ une centaine que nous parachevâmes notre instruction au camp de Souges.Celui-ci abrité des éléments de la division "Das Reich" en 1944, avant ses tristement célèbres exactions à Tulle et Oradour-sur-Glane. Les allemands avaient laissé sur place de nombreuses barriques de choucroute et des paquets de pain de guerre qui furent la base de notre alimentation. Les installations existantes servirent à notre entraînement, notamment une piste du risque, avec fosse aux ours, mur d’escalade…Quant aux exercices de combat, ils avaient lieu dans les dunes avoisinantes. Après cinq mois d’instruction, sous les ordres du capitaine Moretti, du lieutenant Faucher et pour ma section du sergent-chef Orcet, nous fûmes nommés au grade de caporal, le 1er avril 1946.Quelques jours après la fin du peloton, le bataillon auquel nous étions rattachés rejoignit Rochefort, avant que le régiment ne soit lui-même déplacé en totalité dans la région parisienne.
Ma compagnie (lieutenant d’Aiguillon) s’installa à Courbevoie, mais pour peu de temps, car l’ordre nous fut presque aussitôt donné d’aller relever un détachement du 5ème RTM au camp de Frileuse, alors en cours de construction. Notre mission était d’assurer la garde de prisonniers allemands affectés à ce travail. Par un caprice du destin, beaucoup de ces prisonniers étaient d’anciens « SS » de la division "Das Reich", dont nous avions pris la place au camp de Souges. Pour éviter toute tentative d’évasion, nous rassemblions leurs vestes de treillis et leurs chemises en tas, au pied d’un arbre. Durant ma présence, aucun incident notable ne fut à signaler.Courant juillet 1946, je fus convoqué avec quelques camarades pour subir une inspection par le général de Lattre de Tassigny, qui désirait former des cadres en vue de l’incorporation des futurs appelés. C’est ainsi que je me retrouvai pendant cinq mois en Alsace, à Rouffach tout d’abord, puis à la citadelle de Strasbourg. L’entraînement y était intensif dans tous les domaines : close-combat, boxe, instruction auto, radio…En cors de stage, je fus nommé caporal-chef et promu sergent lors de l’appel sous les drapeaux de la classe 1946. Je n’avais pas vingt ans. De retour en région parisienne, à Maisons-Laffitte, je fis l’instruction d’un contingent sous les ordres du capitaine Kohler. Mon chef de section était l’adjudant Nicolaï et mon chef de bataillon le commandant Alain. Durant mon séjour en Alsace, le 3ème RIC avait été scindé pour donner naissance à la 1ère DBC (demie- brigade coloniale) comportant le 1er BIC à Paris et le 3ème BIC à Maisons-Laffitte et à Versailles. Et le 1er mars 1947 fut créé le CIC (centre d’instruction colonial) au camp de Satory. J’y fus muté en tant qu’instructeur des engagés destinés aux renforts en Extrême-Orient et ce jusqu’en juillet 1947, date où un certain nombre de cadres du CIC, au rang desquels je figurais, furent désignés pour l’outre-mer.
J’ai ainsi passé environ deux ans entre le 3ème RIC et le 3ème BIC, au cours desquels j’ai pu assister à la renaissance du régiment, en même temps qu’à celle de l’armée coloniale, avec le réarmement (mars 1946) en matériel français et l’abandon des tenues américaines, pourtant seyantes, pour le tenues modèle 45 et 46.
Notre entraînement avait été très poussé, tant au peloton de caporal qu’en école des cadres et, aujourd’hui encore, il m’arrive de rappeler à certains professeurs d’EPS comment se conduisait alors une séance d’hébertisme ou de raconter à des jeunes toutes les traîtrises rencontrées sur les pistes "rouge" ou "bleue" du camp de Satory, dont je fus l’un des animateurs.Je n’ai hélas pratiquement pas retrouvé d’anciens camarades de cette époque dans la suite de ma carrière et c’est au sein de notre amicale qu’il m’est donné maintenant de ressentir quelques unes des émotions de ce temps passés.
Document transmis par le capitaine Hervé Pierre du RIMAP(NC) de l’amicale du 3e RIMa/3e RIC en 2001
Compte rendu du capitaine Alibran commandant la 7e compagnie du BM/3e RIMa sur l’attaque du bivouac d’Aïn El Oussif (Tunisie) en Tunisie 1955
Le 20 août 1955, vers 21h00, une sentinelle, en faction sur une crête rocheuse dominant à une vingtaine de mètres la face sud du bivouac que la 7ème compagnie occupe à Aïn El Oussif depuis le 10 août, aperçut des ombres et demanda le mot de passe. Elle reçut en réponse une salve de coups de fusils. Simultanément, de nombreux coups de fusils et d’armes automatiques venant de toutes les directions pleuvaient sur le bivouac. En même temps, les attaquants hurlaient des injures en arabe, principalement destinées à l’interprète tunisien de la compagnie, tandis que les cris de « hauts les mains…, rendez-vous…, en avant…, Allah Akbar ! » retentissaient de partout.
Quelques individus, en utilisant des canaux d’irrigation, réussirent à s’approcher à une dizaine de mètres du PC placé au centre du dispositif de la compagnie. Le premier d’entre eux reçut, à quelques mètres une rafale de PM tirée par un sous-officier qui rejoignait son groupe ; son corps n’a pas été retrouvé.
Pendant ce temps, un nombre indéterminé de rebelles s’installaient sur l’arête rocheuse qui domine au sud le bivouac. La section européenne de la compagnie devait les en déloger quinze minutes plus tard. Sur le reste de la périphérie du bivouac, les hors la loi arrivés à quelques mètres des tentes des sections se heurtèrent au dispositif de défense. Ils se retirèrent alors dans les angles morts et leur tir diminua de précision. On entendit alors des gens demander à un nommé Belcacem ce qu’il fallait faire. Chassés des angles morts par l’emploi des grenades à fusil et des mortiers de 60, puis par l’envoi de patrouilles, les rebelles disparurent vers 22h00 en laissant sur le terrain environ 600 cartouches et étuis de tous calibres, des baguettes de nettoyage de fusil Mauser, des pièces détachées d’une culasse de fusil Statti. Il semble qu’ils aient utilisé un fusil mitrailleur, comme permettent de le supposer des traces de bipied et un tas de cartouches de 7,5 mm trouvées sur le terrain le lendemain matin.
Les pertes de la 7ème compagnie ont été de un mort par blessure au ventre et un blessé léger. Celles des rebelles sont inconnues. Aux dernières nouvelles, de nombreux blessés auraient été vus se dirigeant vers l’Algérie.
Témoignage du caporal-chef infirmier (er) Jean Mercier de l’amicale du 3e RIMa/3e RIC 2000
Souvenir et réflexion d’un appelé du 3e RIMa en 1961
Je rejoins la caserne Guynemer (PC du 3ème RIMa) à Rueil-Malmaison, le 2 septembre 1961. Là, trois destinations : l’AFN en direct, l’Allemagne (exempts d’AFN) et le CI/3ème RIMa au camp de Maisons-Laffitte. L’après-midi, je découvre ce camp situé en forêt de Saint-Germain-en-Laye et suis affecté au peloton d’élèves gradés de la 3ème compagnie, pour mise en route sur l’AFN dans quatre mois. Des baraquements en bois, hangars, construction en dur, terrains de sport, stands de tir…composent cet univers qui jouxte le parc de Maisons-Laffitte. Plusieurs centaines de français de souche européenne (FSE) et de français de souche nord-africaine (FSNA) sont rassemblés en ce lieu. L’entraînement prend très vite le pas sur la rêverie : parcours du combattant, tir, topographie, instruction tactique, art du camouflage, sports de combat, cours sur les mines…nous sont enseignés par des instructeurs dont un grand nombre ont un passé glorieux de combattant, en France, en Indochine ou en Algérie. Des conférences nous sont faites sur l’AFN et l’entraînement se poursuit de manière accélérée, avec parcours-test, marches chronométrées, patrouilles types AFN… Je suis surpris de voir que je tiens la distance. Est-ce l’habitude ? L’esprit de corps qui peu à peu s’imbrique en nous ? Dans l’effort, la camaraderie est de rigueur et la cohésion du groupe y gagne. A la sortie du camp, la baraque du Père La Frite et son triporteur à moteur ravivera bien des souvenirs à ceux qui passèrent jadis en ces lieux.
Au bout de deux mois, l’adjudant de compagnie demande des volontaires pour différents stages (radio, conducteur…). Membre d’équipes de secouristes dans le civil, je pose ma candidature à celui d’infirmier de corps de troupe. L’infirmerie du CI devient donc mon affectation et mon quotidien est désormais fait de soins à dispenser, de gardes à assurer, de missions d’EVASAN…De cette époque, je garde les visages du médecin-chef, un grand martiniquais très gentil, et de son adjoint, le médecin-aspirant Rouy, lequel m’avait fait passer la visite d’incorporation.
Début décembre, je pars en manœuvre au camp de Mourmelon le Grand, pour deux semaines, avec un détachement du 3èmeRIMa. Sous la neige, le fortin du type AFN nous servant de base paraît bien mort. Nous vivons au rythme des patrouilles et autres exercices. Dans ces conditions difficiles, certains ne résistent pas et sont évacués. Pour la marche de trois jours, en fin de séjour, la neige nous a quittés. Nous faisons équipe avec une sanitaire et son équipage appartenant aux Transmissions. Dans le train du retour, je continue à soigner des camarades, surtout victimes de maux de gorge. Je récolte d’ailleurs une superbe angine qui me vaut à mon tour une hospitalisation. Quand je reprends le service, j’apprends que j’ai été inscrit sur la liste de départ AFN début janvier, mais qu’un autre est parti à ma place.
Puis le temps passe. Le médecin-chef et l’aspirant nous quittent, remplacé par le médecin-commandant Armstrong et le médecin-capitaine Renaud. Ce dernier partira un peu plus tard, pour un an, aux îles Kerguelen. J’éprouve de la peine de le voir partir, tant il était sympathique et bon pédagogue pour les infirmiers. Quant au docteur Armstrong, il reste pour moi un homme de terrain discret, qui nous faisait confiance et sur qui on pouvait compter. Je découvrirai tardivement son passé glorieux, à la lecture du magnifique ouvrage de monsieur Bondroit du 3ème BCCP. En plus de la salle de soins, je me vois confier la gestion de la pharmacie. Ce travail intéressant me permet d’approfondir mes connaissances.
Un dimanche de permanence, je constate que la plupart des FSNA ne sont plus dans le camp, ils sont en route pour l’Algérie. Puis, en mai, des harkis arrivent en France. Les familles de ceux pris en compte par le régiment sont hébergées au fort de Cormeilles-en-Parisis. L’infirmerie est chargée de leur couverture sanitaire. Aussi, je monte souvent au fort, en compagnie du toubib ou même seul. Cette assistance médicale gratuite avec ses problèmes spécifiques, les questions d’hygiène à suivre de près, l’aspect relationnel avec tous ces hommes, femmes et enfants restent pour moi l’un des temps forts de mon passage sous les drapeaux. Et le sacro-saint thé à la menthe réveille encore en moi bien des souvenirs.
Des manœuvres ont lieu en septembre, en forêt de Fontainebleau. J’en fais partie comme infirmier de la compagnie d’un grand capitaine, costaud, moustachu, entraîneur d’hommes, avec un cœur énorme, le capitaine Hamburge me semble t-il, dont le visage m’est resté familier. Comme véhicules sanitaires, pour les EVASAN, on dispose de 4x2 ou de 4x4 Renault 1T, de Peugeot 403 avec caisse et de Dodge WC54 ou S7 Ma 51. Le 1er octobre 1962, le 3ème RIMa devient le 23ème RIMa. Un matin, on découvre des inscriptions OAS sur les murs du camp. On est alors consigné un mois. En dépit des conseils qui me furent prodigués pour rester dans l’armée, je décidais de partir et fut démobilisé le 28 février 1963. Avec le recul, je dois avouer qu’à vingt ans on ne voit guère plus loin que le bout de son nez.
Les leçons tirées de ma modeste contribution à mon devoir "d’appelé français sous les drapeaux" sont : Honneur d’avoir servi dans cette arme prestigieuse que sont les troupes de marine, Utilité sentiment de n’avoir pas perdu mon temps, Droiture dans la tenue, le comportement, Camaraderie dans l’effort. Je dis, au risque de choquer certains, que j’ai été heureux et fier d’avoir fait mon temps. Certes, je mesure la chance que j’ai eu de le faire comme infirmier, donc au service des autres et aussi d’avoir rencontré des camarades de l’Arme qui savaient nous entourer de leur conseils et nous considéraient comme faisant partie des leurs, nous les appelés du contingent. A ceux là, qui n’étaient pas bornés, mais ouverts, vont ma reconnaissance et mes remerciements. Un seul regret, celui de n’avoir pu participer à des missions TOE. Il y a presque 40 ans de cela et pourtant bien des souvenirs me restent en mémoire. Mais que sont devenus mes camarades infirmiers Calvei, Desrues, Polycarpe, Sauteron.., les infirmiers-majors Cassado, Larouette et les médecins déjà évoqués ? Je n’ai pas rencontré grand monde de cette époque, mais si la possibilité m’en était donnée ou si le hasard faisait que cela arrive, j’en serai particulièrement heureux. Lorsqu’il m’arrive de passer par vannes et de pénétrer au quartier Foch-Delestraint où se trouve maintenant stationné le 3ème de marine, je suis toujours très agréablement surpris du chaleureux accueil que j’y reçois, aussi bien des militaires du rang que des cadres et j’en ressens alors une vive émotion. La preuve qu’en dépit du temps qui passe, les valeurs restent. A l’heure ou l’armée est en pleine restructuration, où les missions extérieures projettent les hommes en Europe, en Afrique ou ailleurs, où l’on brade un peu les valeurs, le respect de l’autre, la tâche de nos camarades n’est pas toujours des plus faciles ; elle est même souvent délicate. C’est donc à eux et à leurs familles que je pense en terminant cette plongée dans le temps ; à eux à qui je dis Bravo et Merci pour le flambeau que vous avez repris et que vous savez maintenir si haut. Enfin, pour conclure, ma gratitude ira à mes camarades de l’amicale du 3ème de marine, pour le dynamisme dont ils font preuve. Merci, chers amis, et croyez bien que je regrette cet éloignement qui m’empêche de m’investir à vos côtés comme je le souhaiterais.
Témoignage du lieutenant-colonel (er) Scoarnec de l’amicale du 3e RIMa/3e RIC 1990
Arrivée d’un aspirant au régiment et raid à pied au retour de La Courtine en 1966
En ces fêtes de Pâques 1990, le son de cloches de la cathédrale de Freiburg où je continue à servir auprès de la 3èmedivision blindée, me rappelle je ne sais pourquoi, mon intronisation dans les troupes de marine par affectation au 3ème de l’arme le 1er mars 1966. En ce temps là le colonel Le Coniac de la Longrays était le chef de corps. Le 3ème RIMa comptait dix compagnies, avait un bagad et aussi une équipe de rugby dans laquelle se frottait déjà un sergent Moutet…qui ne le connaît pas ? Le commandant (er) Conan usait ses treillis sur les bancs du PPMIA à Strasbourg. L’adjudant-chef Oguer présidait aux destinées du service général au quartier Foch. Certains en gardent, j’en suis sûr un impérissable souvenir…surtout les retardataires et empressés du soir. Le 3 mars, le régiment embarquait dans un train, destination le camp de La Courtine où nous arrivions deux jours plus tard. Au rythme de 25 kms de marche à pieds quotidiens, le thème principal était alors l’embuscade anti-char avec esquive par le bas. Nos appelés attendaient avec impatience le train du retour au bercail vannetais, nombreux étaient libérables. Leur surprise de Pâques ne fût pas un œuf, mais une marche La Courtine-Tours baptisée "Rangers" et réalisée par toute la 9ème brigade qui n’était pas encore la 9ème DIMa. Le départ se fit sous une tempête de neige. Le drapeau du régiment était confié chaque jour à une unité différente. C’est ainsi que l’aspirant que j’étais devint porte-drapeau d’un jour au nom de la 1ère compagnie du capitaine Guilbaut (l’adjoint étant porte-drapeau en titre). La reconnaissance des lieux de bivouac était réalisée par son second le lieutenant Bizzoto. C’est lui qui m’appris que l’on ne devait pas écrire 3ème RIMA mais 3ème RIMa et encore bien d’autres choses que l’on apprend à ceux qui aspirent. Donc marche, pause, marche, bivouac, drapeau (sous plastique) reposant en faisceaux, feux, sentinelles, nuit silencieuse…très silencieuse. Le lendemain matin en ouvrant nos tentes individuelles tout était recouvert de neige. Nous devions marcher dix jours. Les prévisions furent donc modifiées. Les bivouacs se feraient si possible dans les écoles libres d’écoliers pour raison de vacances pascales. Cette décision fût à l’origine d’une vaste opération Armées-Nation dont le souvenir m’émeut encore. Lever 5h00, petit déjeuner, toilette spartiate, nettoyage, départ en colonne par un, sections espacées de vingt minutes. Le long des chemins creux, car il fallait éviter les routes pour cause de touristes et risques d’accident, nous étions accueillis avec curiosité et sympathie. Les derniers militaires rencontrés dans certains coins par les paysans des terroirs parcourus étaient des allemands en 1944. J’ai souvenance de granges accueillantes, l’odeur du foin et de la paille, les omelettes fermières, les champignons et les anguilles du lieutenant Poulaillon de la 4ème compagnie. Je revois cette vieille femme qui avaient placé deux caisses de piquette locale sur un muretin et qui servait à boire au passage des marsouins pour une…fois assoiffés. Au fil des jours, le printemps devenait magnifique et il faisait chaud. De temps en temps nous étions accompagnés par le commandant Chaveriat patron du bureau instruction, méhariste connu, qui marchai d’un pas alerte en s’appuyant sur un bâton digne d’un pèlerin. Les enfants se rassemblaient dans les villages et recueillaient parfois les gâteries des boîtes de ration encore musulmanes. Les vieux nous regardaient en plissant les yeux, souriants. "Vingt Diou, de mon temps dans la coloniale, quand ma compagnie marchait, il y avait toujours son fanion en tête, avec la première section…". C’est ainsi qu’un de nos aînés en retraite dans la Creuse profonde fit sortir notre fanion mis à l’abri depuis le départ en raison des intempéries. A la halte le soir, c’était la visite des pieds et selon les souffrances, l’application de la poudre du même nom. Organisation de la garde, toilette, changement de tenue. Les tenues de sortie sur cintres, suivaient dans les GMC. C’était alors le "rush" sur les cafés et restaurants du coin. Là, les jeunes rencontraient les vieux qui racontaient leurs campagnes et refaisaient le monde, ce qu’ils n’avaient pu faire de leur temps. Histoires, chants, l’ambiance ! Je me souviens encore du lieutenant Tounkara, guinéen d’origine, qui, après quelques libations entre anciens, donc honorables, chantait en breton…Imaginez la tête de nos appelés bretonnants de l’ouest…Pour les autochtones c’était tout simplement de l’africain ??? Certainement allez donc savoir dans la colo… Le fin du fin c’était quand un orchestre rejoignait la compagnie. La musique de la brigade avait été divisée en plusieurs orchestres. Tous les trois jours la java n’était pas à Broadway. Il y avait alors un bal gratuit offert à la population dans leur salle des fêtes sous la présidence du maire de la commune d’accueil. Les cœurs étaient à l’unisson et gaulois…Quel tonus ! Quel ramage champêtre ! Le pire c’était aux aurores, les nuits étant courtes. Il fallait cependant repartie. Marchez, soufflez, les jeunes avaient la "pêche", les anciens des ailes au sac à dos, tout le monde avait l’âge des bourgeons. Après dix jours, tout cela sans incident, nous arrivâmes à Nouâtre (Tours) au pas cadencé et en chantant. Là, nous retrouvâmes le train et ce fût le retour à vannes, sous les yeux humides et impatients des bretonnes délaissées depuis plus d’un mois, marsouines convaincues et gagnées à la cause. Je n’ai pas oublié le serre-file de ma section. Il n’était pas breton mais mélanésien, le sergent-chef Jean-Baptiste dit Doudoute dont c’était une des dernières manœuvres avant la retraite à Nouméa. Ce fût aussi lors de son ultime rassemblement, rapatriable par voie maritime, qu’il vint en tirant un bateau en bois au bout de la ficelle. Je ne l’ai pas retrouvé en Nouvelle-Calédonie dix ans plus tard, j’ai revu avec plaisir le colonel (er) Guyot et fait connaissance à Nandaï du capitaine Thorette et de son adjoint le lieutenant de Dompsure…Mais ceci est une autre histoire. Pourquoi ai-je raconté cela ? La vieillesse dira t-on, un début d’ancienneté qui m’agace, certainement. Je me le suis cependant demandé mais, isolé des TDM en RFA je me suis dit que si cela me réjouissait ça pourrait également, sans nulle autre prétention, raviver quelques souvenirs chez mes anciens que je salue à cette occasion. J’ai eu l’honneur, mais aussi le bonheur, de servir au 3ème de l’arme plusieurs fois. J’ai donc vu que la relève était là et que s’il n’y avait plus de marche "Rangers" dans la Creuse les horizons s’étaient bien élargis, illustration de la pérennité mais aussi de la confiance placée dans celui qui nous est le plus cher, le 3èmerégiment d’infanterie de marine pour qu' Au nom de Dieu,vive la Coloniale !
Témoignage du lieutenant-colonel (er) Scoarnec de l’amicale du 3e RIMa/3e RIC 1991
Camp de Meucon ou Marsouineries en Pays Celtes 1968-1972
Les anciens sont partout ! Entre l’adjudant-chef Jossien croisé à Lutèce sur la piste de la reconversion, le caporal-chef Bracq entré maréchal des logis chef dans le matériel rencontré en Germanie avec le caporal-chef Gendron de Stetten, l’occasion m’a été donnée d’évoquer quelques moments très vivants, spécifiques aux initiés que sont ceux qui ont servi et servent au 3ème régiment d’infanterie de marine. Ma nuit a été bercée d’images du passé. J’ai toujours estimé qu’à côté du service de la rigueur pratiqué par tous avec honneur, il existe aussi l’Esprit, un certain "Canal plus 3". A l’approche du solstice d’hiver propice à la nostalgie et à la méditation, j’ai pensé proposer en guise de vœux un "remake" à ceux qui du marsouin au colon, ont une âme sous le calot dans l’espoir que cela leur remue les bretelles…, l’amicale attend toujours des articles pour le bulletin de liaison. Cependant avant toute gauloiserie, permettez moi de présenter mes respects à ceux qui, alors officiers de l’arme, présidèrent à nos destinées en ce temps là, je veux dire les colonels Fournier, Barthélémy et Mistral.
Donc, comme on dit aujourd’hui, à quelques "swings" de la capitale, FOMEC dans la lande bretonne sur un mouvement de terrain dominant le golfe de la "Petite Mer", c’est là qu’ils s’épanouissent.
Les chefs de tribus successifs marquent leur passage de leur personnalité. Qui n’a souvenance du commandant Betbeder dont le malin plaisir était de semer l’inquiétude chez les téméraires qui avaient osé accepter de monter dans sa jeep qu’il conduisait en tout terrains…d’une seule main…car il était manchot ? Il tournait parfois le volant avec son moignon tout en discutant très décontracté. Sensation garantie, accroché de préférence aux ridelles…."T’occupes pas, je m’en occupe"disait toujours le commandant Mengès appelé familièrement Paul, par les intimes introduits. A ses côtés tonitruait le commandant Thai : "Ancien champion de boxe en Algérie, je vais vous faire voir ce qu’un officier parachutiste de 50 ans passés peu faire", et de traverser en équilibre sur les mains, en tenue de sortie, la route départementale au carrefour situé près du PC sous les yeux ébahis des jeunes appelés à l’instruction défilant en chantant "Sont-ils fous ces gaulois ?". La pipe au bec, l’œil narquois, le capitaine Muriel "cornaquait" l’instruction. Le capitaine Rilhiac lui succéda, la pêche permanente et le coup de gueule du chef. Les plus jeunes se disaient qu’il était un des trois évadés de Dien-Bien-Phu. Il inspirait le respect. Il y avait aussi le capitaine Goulette mais vous saisirez mieux l’homme quand on l’évoquera dans ses fonctions d’officier directeur du mess. Un certain adjudant-chef Dorso sévissait à la salle de service renforçant son autorité d’une moustache quotidiennement taillée au poil près. Le casernement était à la main de l’adjudant-chef Favroulo qui rêvait toujours de stade et qui découvrit la "réunion Connection", une sombre affaire de transit de tenues d’été en tergal qui partait vers Saint-Denis sans dédouanement…Telle était peuplée la hutte de commandement dans les années 68-72. La journée du marsouin va nous remettre en mémoire quelques illustres figures et évènements.
A l’heure ou le coq de la gargote de "l’Oiseau Bleu"couinait tel un stradivarius fatigué, le marsouin était déjà debout. Aux aurores une bétaillère conduite un temps par le grand caporal Sioul au sourire plein de soleil, ramassait l’encadrement pour les mener au camp. Chaque matin tout le monde regardait le bord de la piste car il s’agissait de récupérer au passage le lieutenant Lapeyronnie qui, pour se remettre en forme, n’avait rien trouvé de mieux que de courir de Vannes au "piéton-stop", son espoir étant qu’un jour il arrive avant le char à bancs de Sioul.
Le matin c’était sport et tir. Un jour les aspis fraîchement affectés, persuadés que les meilleurs pourraient partir outre-mer, participèrent à un parcours du combattant sanglant. Pour agrémenter la compétition des lieutenants avaient réparti un peu de sang séché sur quelques obstacles et surtout approfondi un peu plus la fosse à ours. Au tir régnait l’adjudant-chef Brochon, "l’homme de Montauban". Il devait tout monter, stand Ballplast, stand lourd, buttes et champ de tir. Maniant l’aide pédagogique n°1 avec "délicatesse" ses résultats dépassaient toutes les espérances lors des concours de tirs, chasseur devant l’éternel il parcourait les bois du matin au soir. Pour les séances de combat il fallait éviter la butte situé sur un mouvement de terrain du nord de la 11ème compagnie et de laquelle on pouvait voir Plaudren. Un heureux attentionné et intentionné propriétaire avait gracieusement placé un écriteau "Interdit aux chiens et aux militaires". Il fut amicalement mis fin aux hostilités quand un chef de section lui fit remarquer qu’il se trouvait sur l’ancienne voie ferrée Vannes Camp de Meucon et non sur ses terres…Un coup de rouge et un casse-croûte firent disparaître toute interdiction et animosité.
A midi, il fallait se rendre à l’ordinaire. Nouveau au camp avec mon adjoint, nous encadrions la section qui s’y rendait en chantant : "Ils ont traversé le Rhin". Nous n’avions traversé que la route départementale du PC lorsqu’un vendredi un cri m’interpelle. Laissant le sous-officier continuer avec la section je rejoignais un lieutenant, stick sous le bras, appartenait au 4ème escadron du RICM, chargé de l’instruction du régiment frère. "Mon lieutenant, ce chant appartient à mon escadron". Ne sachant si c’était du lard ou du cochon, mais conscient que je n’étais pas du RICM, je lui présentais mes respects en lui rétorquant que nous étions tous des Troupes de Marine et que le répertoire appartenait à tout le monde. Il appela alors mon attention sur la noblesse du chant et de sa spécificité "Arme Blindée Cavalerie". Le vendredi suivant, même endroit, je saluais au passage le lieutenant en dirigeant ma section sur l’ordinaire au son de : "A Saïgon la ville principale…Lin Taî Mot al Baï Congaï… ". Je remercie encore mon adjoint le sergent-chef Michel, d’origine vietnamienne, de nous avoir appris notre premier chant colo et de rendre, avec respect, la politesse d’un fantassin du 3ème de Marine à un cavalier. Mais tout ceci est de bonne guerre, quoi de plus naturel en fait que de bahuter un sous-lieutenant.
L’ordinaire était le royaume du mandarin Shum-King qui très colo, conscient de son rôle et de la diversité des origines de sa clientèle, faisait le même jour à midi des frites pour les gaulois du terroir et du riz pour les gaulois d’outre-mer. La délicatesse de nos papilles méritait bien cette attention particulière.
Le mess était tenu par un ancien sous-officier du RICM, monsieur Morel dit "Gégène". Il avait toujours un faible pour ses "tchiots lieutenants" qui lui en faisaient voir pourtant de toutes les couleurs, sans parler du pince-sans-rire capitaine Goulette, un poème…Le mess est une véritable chaumière dont l’intimité amoureusement entretenu par Gégène, était particulièrement appréciée le dimanche. Un jour pour améliorer le décor, le gérant veut acquérir quelques tableaux. Achetés ils sont exposés sur les murs d’une salle à manger. A midi Gégène les présente au capitaine Goulette qui s’arrête d’un coup devant l’un d’eux en s’écriant "Mais c’est un Bobet !". Le capitaine Corbi et son fidèle compagnon le capitaine Zimon dit "Tarasboulba"opinent du chef, félicitent le gérant de son acquisition. Dans un des coins en bas, il y a bien quelque chose…Une signature débutant par un B et se terminant peut-être par un T…Gégène le brave prend comme tel d’autant que l’affaire s’ébruite et que les lieutenants affirment qu’à ses heures perdues, Bobet abandonne le vélo pour le pinceau. C’est ainsi que Gégène présente ce tableau, lors d’une inspection au RICM, à l’inspecteur de l’ABC le général de corps d’armée Marzloff. Vous pouvez peut-être encore contempler l’œuvre de Bobet aujourd’hui, elle représentait l’église porte Paterne à vannes avec vue enseigne Kronenbourg en bas à droite. Gégène a dû oublier tout cela, certains peut-être pas. Qu’il veuille bien nous pardonner notre jeunesse.
Qui se souvient du grand et sympathique capitaine Lasserre ? Nous étions installés face à face dans son bureau de la 11èmecompagnie près du bassin aux poissons rouges, lui pouvait voir l’allée centrale dans mon dos. C’était par un après-midi du mois de juin. "Qu’est-ce-que c’est que çà ?". Je me retourne et vois une superbe longue voiture américaine décapotable trainant en remorque un canot à moteur. Au volant un homme au style américain accompagné d’une blonde aux rondeurs à faire pleurer de rage Samantha Fox. L’individu se présente à la semaine et à travers la porte on entend qu’il veut voir le capitaine Lasserre. Ce dernier me dît "mais je ne le connais pas". Je me lève et vais au renseignement. "Ah ! Mon lieutenant j’aimerais voir votre commandant de compagnie car j’ai fait l’Indochine avec lui, quand nous étions sous-officiers". La porte s’ouvre, et le capitaine grand sourire aux lèvres les bras ouverts sort pour les retrouvailles. L’homme raconte ses campagnes. Il était devenu collectionneur de véhicules civils et militaires de la dernière guerre qu’il louait au profit des réalisateurs de films. Croyant lui faire plaisir, après le pot traditionnel, voilà le capitaine qui part lui présenter un vieux char Patton ou Sherman qui servait au combat CRAC. Il monte dessus et y pénètre, le met en marche. Enthousiasme ! Il fallut toute la force de dissuasion du capitaine Lasserre pour convaincre qu’il ne pouvait le vendre "même discrètement" le vieux char approche d’ailleurs de la réforme. Il me confia peu après, qu’il avait du temps à situer l’oiseau dans sa mémoire et qu’il croyait se souvenir qu’il avait était jadis mêlé de près ou de loin à un trafic de piastres. Le colonel Mistral se souvient-il du jour où il vit un député, membre de la commission de la défense nationale, prendre le capitaine Lasserre familièrement sous le bras et lui demander de lui exposer en se déplaçant les problèmes de sa compagnie ? Ceci n’était pas prévu dans le programme, ni le parcours d’ailleurs…C’est ainsi que le génie de la 3ème région militaire débloqua les crédits, alors introuvables, pour installer des blocs hygiènes dans les vieux bâtiments.
Au soleil couchant ceux qui n’allaient pas crapahuter au clair de lune du côté de la chapelle Burgo ou au stand lourd, se rassemblaient devant le PC pour reprendre la "bétaillère" et retrouver leurs charentaises dans les chaumières autour du golfe. Le lieutenant Tounkara natif de Conakry avait une vue très claire du combat de nuit. Estimant sa mission quotidienne remplie, il embarque pour s’entendre interroger par son capitaine : "Dites Tounkara je croyais que vous deviez faire ce soir la piste du silence ?". "Mais c’est déjà fait mon capitaine. A 16h00, j’ai rassemblé la section près du parcours et pour le côté nocturne de la chose j’ai fait faire le circuit avec des lunettes de soudure empruntées au casernement". Rire énorme dans le char à bancs…
Prendre la permanence du samedi midi au lundi matin n’était pas dépourvu de charme, notamment lors du grand vide des permissions d’été. J’ai souvenance de caporaux-chefs qui se débrouillaient, pédestrement même, pour aller au bal à Grand-Champ le samedi et qui au retour se faisaient ramener par leurs conquête d’un soir. Les adieux à la brune étaient parfois déchirants. Ce sont les grincements et les ondulations suspectes d’une 2CV, des soupirs chaleureux puis des cris d’oppositions, qui m’interpellèrent sous les grands arbres près du Ballplast…Toutefois le plus beau "fait d’armes" dans cette gamme marsouine de modulation, m’a été gracieusement offert par une après-midi ensoleillée, torride pour certains. Le silence téléphonique d’un service de semaine se prolongeant je décidais de m’y rendre pour prendre la mesure exacte de cette"panne radio". Un transistor hurlait sa solitude sur le bureau du sergent. En faisant le tour je ne trouvais personne. C’est à ce moment que je perçus des coups sourds contre un mur, des frottements de pieds métalliques d’un meuble sur le carrelage. Les bruits provenaient d’une chambre. "Ambiance présentement !" Je frappe à la porte mais personne ne s’en soucie. J’ouvre les bruits s’arrêtent…ceux du lit…Je tombe sur une rencontre "culturelle" Bretagne- Antilles et regrette encore d’y avoir mis fin. Ce caporal de semaine, car c’était lui, saute du lit pour me présenter les armes pendant que la bergère cherche désespérément un drap pour couvrir une nudité qui prouvait au moins que notre marsouin avait bon goût. Le sergent étant parti au stand lourd le caporal assurait à sa manière les relations publiques Armée-Nation.
Revenons aux choses plus sérieuses. C’est avec le lieutenant Saillard, aujourd’hui colonel délégué militaire départemental que j’appris le fonctionnement de la 12,7 à l’armurerie de la 13ème compagnie, pendant que le lieutenant Taverny nous serinait les oreilles avec ses jeux olympiques. Je ne sais pas s’il baratine toujours autant ? Nous le verrons bien à une prochaine assemblée de l’amicale. Entre lui et le caporal-chef Allouche nous étions toujours assurés d’avoir une musique de fond. A nos jeunes aujourd’hui je dirai qu’ils sont de bonne trempe tout comme leurs anciens. Ainsi par exemple savez-vous que l’OSA du régiment à l’époque était le commandant d’Aboville ? La relève a été assurée…
L’esprit assure la pérennité. Mon propos primesautier, parfois grivois, veut y contribuer et n’a pour but que de faire, s’il peut, renaître le sourire sur le visage de ceux qui pourraient l’avoir perdu. Je pourrais évidemment évoquer le DEVOM ou encore un certain lieutenant Thévenon dont la hutte était alors plantée au carrefour de Saint-Avé avant Meucon…mais ce sera peut-être à une prochaine occasion…Pour l’heure tout en saluant mes supérieurs, anciens, officiers, sous-officiers, caporaux-chefs et marsouins, je me réjouis de le voir commander le 3ème de l’arme et en profite pour lui présenter, ainsi qu’au colonel Guyot et à tous ceux de notre grand clan que constitue l’amicale, mes meilleurs voeux pour 1992. Soyons fiers sans fausse modestie de servir ou d’avoir servi dans les rangs de celui qui contrairement à certaines légendes du sud-ouest de la Gaule a été choisi pour devenir le premier régiment professionnalisé après la seconde guerre mondiale, je veux dire le 3ème régiment d’infanterie de marine, pour qu’ »Au nom de Dieu, vive la Coloniale ! »
Témoignage du lieutenant-colonel (er) Jean-Claude Hervé de l’amicale du 3e RIMa/3e RIC 2004
Première Opex d’un lieutenant de l’ALAT à l’EMT 1/3e RIMa 1971
Mongo, centre Tchad, printemps 1971. Lieutenant pilote ALAT à l’époque, j’étais détaché auprès de l’EMT1/3ème RIMa, stationné à Mongo. Lors d’une opération héliportée montée sur renseignements, une section du 3 était tombée sur une réunion de chefs politiques locaux du FROLINAT. Au cours de cette affaire, un des rebelles dont j’ai retenu le patronyme, Q. Bichara, avait été blessé, alors qu’il tentait de s’enfuir à quatre pattes dans les kékés. Il avait été ramené dans le coma à bord d’un H34 du détachement air. J’étais de retour depuis quelques minutes dans mon boukarou, lorsque le médecin de l’EMT, le MDA L., qui avait depuis peu remplacé le toubib du 3 rentré en France pour y prendre sa retraite, est venu me voir. "Si vous n’avez rien de spécial à faire, on a besoin d’un coup de main, le docteur K. et moi, pour opérer un rebelle". Un peu interloqué, je lui réponds que je n’ai effectivement rien de spécial à faire, mais que je ne voyais pas en quoi je pourrais être utile dans ce genre de boulot. "Ne vous en faites pas", me dit-il, "Il suffit d’avoir le cœur bien accroché ; on vous dira quoi faire".
Je me retrouve donc à l’hôpital de Mongo, essayant de cacher mon appréhension. Cet établissement était dirigé à l’époque par un chirurgien russe, le docteur K., assisté de sa charmante épouse qui, elle, était médecin généraliste. Le gouvernement soviétique, qui n’était pas avare de ses coopérants, l’était en revanche de ses matériels et de ses médicaments. Et c’était bien sûr l’armée française qui dépannait régulièrement le couple, car ils n’avaient quasiment rien qui puisse leur permettre de remplir la mission pour laquelle ils avaient rejoint Mongo.
Je m’attendais au pire, mais je dois avouer que, lorsque j’ai découvert le bloc opératoire, j’en suis resté comme deux ronds de flan. Dans une pièce lépreuse à souhait, à laquelle on accédait par une porte munie d’une moustiquaire, deux tables d’écolier avaient été disposées en long. Ce billard improvisé était découvert d’un drap qui devait provenir tout droit du service de l’intendance. Là, allongé sur le dos, nu comme un ver : le blessé. Au niveau des jambes, le chirurgien avait disposé son petit matériel et il n’y avait pas grand-chose.
J’ai alors était très brièvement du rôle que j’aurais à jouer. On m’a remis ce que j’ai identifié comme étant un inhalateur, avec une face adaptable sur le visage et, de l’autre côté, une partie en forme de tronc pyramidal, remplie de coton hydrophile. Le docteur K a placé l’ustensile sur le visage de son patient, a versé une large dose d’éther dans le réceptacle et m’a dit à peu près cela : "Vous maintenez le masque sur son visage et, s’il bouge, vous remettez un coup d’éther dans le réservoir". Et voilà comment, tenant le masque d’une main et le litre d’éther de l’autre, j’ai été élevé au rang et appellation d’anesthésiste.
Il devait faire autour des 38/40° dans la pièce et les mouches s’en donnaient à cœur joie. A l’appel de K, un aide est entré, muni d’une antique pompe fly-tox et a abondamment diffusé son produit. Puis, l’artiste a commencé son numéro, après m’avoir cependant informé qu’un projectile était entré par la face interne d’une cuisse et avait probablement traversé la cavité abdominale, mais sans ressortir. L, lui, était plutôt pessimiste. "Tu m’emmerdes", disait-il, "la balle doit être dans le foie, tu ouvres pour rien". "On verra bien" répondait le russe,"on verra bien". Et le voilà qui ouvre le pauvre bougre du pubis jusqu’au sternum. Je transpirais à grosses gouttes et je ne pense pas que la température y était pour quelque chose. Il y avait dans la salle un mélange d’odeurs qui me mettait vraiment mal à l’aise et j’avais très peur de tomber dans les pommes. J’ai dû me mordre les lèvres quand j’ai vu K prendre les tripes à pleines mains et rechercher les trous susceptibles de s’y trouver ; et il y en avait ! Comme il ne disposait que de peu de compresses pour assécher la cavité, K utilisait un pan du drap. Pchitt-pchitt, le préposé aux mouches repassait régulièrement. Quant à moi, je versais une giclée de liquide de temps en temps, glouglou…, pendant que K jouait les petites mains et recousait les nombreux trous, la balle ayant traversé l’accordéon. Peu à peu je m’accoutumais et j’oser même regarder un peu plus près ce que faisais le chirurgien. Quand il a été certain de n’avoir rien oublié, il a remis en place l’amas de boyaux, puis s’est mis à rechercher le projectile, le bras presque entier dans l’abdomen de Bichara. L en tenait toujours pour le foie ; mais K s’entêtait et il était dans le vrai. La balle, une 9mm, s’était coincée entre deux côtes. Finalement, K a recousu son patient, puis l’a confié à son équipe, sous la surveillance de quelques gardes de la GNNT (Garde Nationale Nomade Tchadienne).
En regagnant mon boukarou, je me disais que compte tenu de conditions d’hygiène dans lesquelles s’était déroulée l’intervention, le pauvre bougre n’irait pas loin. Eh bien, je me plantais. Quelques jours après l’opération, il fallut lui couler un plâtre aux deux jambes, car le blessé avait des velléités de fuite. Une fois retapé, il a été transféré à Fort-Lamy où, d’après ce que j’ai appris plus tard, il avait été retourné, puis reconduit en brousse avec mission de convaincre ses anciens amis de cesser le combat. Mais, à ma connaissance, personne n’a plus entendu parler de lui.
Témoignage du lieutenant-colonel (er) Sourisseau de l’amicale du 3e RIMa/3e RIC 1995
Création de l’insigne de la compagnie motorisée du 6e RIAOM TCHAD 1970-1972
En 1970, le président Pompidou, répondant aux préoccupations de l’opinion publique, assurait que les troupes françaises engagées au Tchad contre le Frolinat allaient être rapatriées. Ce retrait fût effectif courant 1971, avec notamment le retour en France de l’EMT du 3ème RIMa, nécessitait le renforcement du 6ème RIAOM. Ce corps, positionné à Fort-Lamy, base essentielle du dispositif militaire français en Afrique centrale, ne comportait que deux unités de combat : une compagnie de parachutiste et un escadron blindé.
La solution adoptée à cet effet fût la mutation pour un an de l’ensemble des personnels de la 2ème compagnie du 3ème RIMa au profit du 6ème RIAOM. Procédure de mutation d’unité tout à fait exceptionnelle, bien que la longue histoire des troupes de marine puisse sans doute en fournir quelques exemples.
Pour satisfaire à des impératifs politiques, la mise en place de la compagnie se déroula dans la plus grande discrétion entre le 26 novembre 1970 et le 16 janvier 1971. Les personnels rejoignirent le 6ème RIAOM par petits détachements, en civil, au titre de la relève individuelle.
Au Tchad la confidentialité du mouvement resta de rigueur plusieurs mois, et si la compagnie fût reconstituée dans ses structures et ses personnels, elle n’apparaissait pas dans les organigrammes officiels comme compagnie de combat, mais comme détachement de protection de la CCS (compagnie de commandement et des services). Cette fiction se maintint d’autant plus facilement que les sections étaient dispersées fréquemment sur le territoire au gré des besoins opérationnels.
Début 1971, l’unité participa à l’opération "Bison" dans le nord du Tchad pour des missions essentiellement logistiques et de sécurité de bases. Enfin équipée en compagnie d’infanterie motorisée, elle prit part aux opérations sous la désignation, toujours officieuse, de compagnie d’infanterie de marine (CIMa), et à partir du mois de juin de compagnie motorisée. Mais depuis quelques temps déjà, elle était pour ses personnels "la compagnie fantôme".
Cependant cette situation exceptionnelle, prise avec humour, était susceptible à la longue de poser problèmes de discipline qu’il fallait prendre en considération, compte tenu de la jeunesse en âge et en service de nos marsouins et des conditions éprouvantes d’engagement sur le terrain. Le commandement le comprenait fort bien, mais la reconnaissance officielle de la compagnie tardait à venir.
Favoriser la cohésion de l’unité dans un contexte d’emploi marqué par une grande dispersion géographique et des conditions physiques et morales souvent pénibles, confirmer l’appartenance et une subordination sans ambiguïté au 6ème RIAOM furent les préoccupations à l’origine de la création de l’insigne de la compagnie motorisée, dernière dénomination. Cette idée s’est imposée d’autant plus aisément que la compagnie "sœur", la compagnie para (CPIMa), commandée alors par le capitaine Canal (futur chef de corps du 3ème RIMa) portait très officiellement son insigne compagnie.
Le projet retenu et mis à exécution présente une panthère noire en entier, dressée, qui symbolise force, vivacité, souplesse, discrétion, audace et noblesse, mais qui, également, fait référence au 6ème RIAOM dont l’insigne porte la tête de cet animal. Cette panthère se substitue au "3" plaqué sur l’ancre de marine qui caractérisait en 1970 l’insigne du corps d’origine que les personnels conservaient précieusement dans leur paquetage. La baïonnette précise l’appartenance à l’infanterie. Mais, on peut y voir aussi un autre sens : l’action militaire de pacification…A chacun d’apprécier.
Cependant, la fin de la mission approchait. Solliciter au préalable une homologation de cet insigne paraissait hors de propos. Au demeurant, le succès final d’une telle demande était des plus aléatoires. L’insigne fut donc tiré à 180 exemplaires, il fut porté le temps de la mission, mais non homologué. Insigne conçu par le capitaine Sourisseau, commandant d’unité.
Témoignage de Gilles Pélissier. Opération Tacaud au Tchad, en 1978.
Je me suis engagé en mai 1977 au 3ème RIMA de Vannes dans le Morbihan. Au mois de février 1978, notre compagnie se retrouve dans un avion en partance pour le Tchad, opération Tacaud. Le jour du départ, nous n’avions pas encore un an d’armée. Avant de partir la compagnie s’était donné le surnom de « chats maigres ».Nous sommes partis soutenir les forces gouvernementales du général Malloum en guerre contre les rebelles de Goukouni Oueddeï. Les forces armées du nord d’ Hissène Habré étaient alliées au général Malloum. En arrivant au Tchad, nous avons débarqué dans un endroit désertique. Il n’y avait rien. Nous avons dû construire notre camp nous-mêmes. Le 3ème RIMA avait à sa tête des officiers et sous officiers de grande valeur: je citerais le capitaine Lhuiller et mon chef de section l’adjudant Allouche. J’étais à Ati avec ce dernier. Il devait mourir là, le 1er mai ainsi que le caporal Lenepveu. Une journée qui fut rude et difficile pour tous, en particulier pour les jeunes militaires qui avaient connu la guerre seulement à la télévision. Tous se sont montrés dignes des anciens marsouins. La chaleur atteignait facilement les 50° et plus d’eau dans nos bidons! Nous n’avions jamais imaginé cela: les balles, les obus qui pleuvaient de toutes parts. Nous sommes fiers d’appartenir aux marsouins du 3ème RIMA. L’esprit de la coloniale règne dans le régiment. Il faudrait beaucoup de pages pour tout décrire. Aujourd’hui nous avons un devoir de mémoire. Participons, avec nos associations et nos amicales, aux cérémonies du souvenir pour retrouver l’esprit "colo" et surtout pour honorer tous ces hommes qui sont tombés sous le feu ennemi.
Témoignage sur la reprise du poste de Verbanja le 26 mai 1995
par l'adjudant Daguzan
La journée du 26 mai avait été super merdique pour les casques bleus francais dela FORPRONU en général et du BATINF IV en particulier !
Les serbos avaient fait le coup de force, l'offensive sur Sarajevo reprenant à la fin de la trève hivernale. J'étais alors chef de section à Forban 3 (3ème section, 1/3èmeRIMa, Cie Lecointre), en poste à Debelo Brdo, piton chauve situé au dessus du quartier de Souk Bunar tenue par les bosniaques et en dessous de la crête de Staro Brdo tenu par les serbes... Mon adjoint se trouvait au poste dit du "cimetière juif sud" situé à quelques 400 mètres en dessous à vol d'oiseau. Les journées précédentes avaient été chaudes et nous avions dormi en treillis avec le casque et le gilet pare-balle, tantôt dans le chalet, tantôt dans l'abri de fortune fait de plaques PSP. Le 26 mai, nous avions suivis sur le réseau haut les chutes de Polinje et de Lukavica, pris par traîtrise par les serbes... Moralement cela était dur car la mission pour laquelle nous étions là était devenu caduque....
Dans la soirée, le commandant d'unité nous donna l'ordre de passer en alerte noire, "danger imminent", et sur Debelo les relèves aléatoires se faisaient au top radio, la consigne que je donnais étant " tir à tuer dans l'enceinte du poste" hors de la relève. Le VAB avait mis en travers de l'accès et les gradés nous avions pas ou peu dormi cette nuit du 26 au 27 ami.... Vers 6h00 le poste se réveilla sans problème par une journée radieuse. J'en profitais pour refaire les postes d'observation détruit quelques jours auparavant. Vers les huit heures, une sentinelle m'avertit que des casques bleus en grand nombre (sic) passaient dans son secteur de surveillance vers le poste du "cimetière juif nord". Le temps de bondir sur mes jumelles et d'observer ! Plus rien. La radio étant demeurée silencieuse, nous continuâmes à vaquer à la réparation des postes d'observation. Puis soudainement le voile de silence se déchira et les rafales puis les explosions suivi du trafic radio se déchaînèrent. Nous étions hors du temps, incapables là-haut, de comprendre la violence du feu qui embrasait les rives de la Miljacka... Même à la jumelle on ne voyait rien de Vrbanja que quelques fumées blanchâtres entre les bâtiments... Puis l'enfer de feu se calma pour ensuite s'arrêter laissant la place à des tirs sporadiques et à des messages brefs à la radio... Nous fûmes attérés quand le CDU annonca à la radio :" Ils ont tué mon lieutenant", car nous ignorions tout du reste. Puis l'assaut cessa, les serbes se retranchant derrière des otages positionnés comme des boucliers. Le caporal-chef Guérin fut blessé par un tireur bosniaque en "appui instantané" qui pris le dit caporal-chef pour un serbe, ces derniers ayant revêtu treillis casques et gilets français....
Puis ce fut les palabres qui durèrent toute la journée pour que les "tchekniks" récupèrent leur mort. Nous entendîmes deux otages de Vrbanja, ramenés sur les lieux, hurler de peur, les serbes voulant les exécuter (environ 1000 mètres à vol d'oiseau entre Debelo et Vrbanja). Ce n'est que le lendemain, après une nuit assez hard que nous apprîmes officiellement la mort au combat de nos deux marsouins. Jacky Humblot a été tué sur le poste de Vrbanja et Marcel Amaru a été tué sur le poste du "cimetière juif nord" alors qu'il était en appui avec la 12,7. Dix sept autres marsouins ont été blessés lors de l'assaut dont deux sérieusement, les caporaux-chefs Danat (poumons) et Colantonio (fémorale). Les "tchekniks" ont eu 5 tués, plusieurs blessés et 4 prisonniers. Plus tard, dans la nuit, un des otages, le caporal-chef Chapdelaine a réussi à s'évader et à rejoindre avec beaucoup de chance nos lignes, sans se faire rafaler par les nôtres, les chats maigres de la 3... Ayons donc une pensée pour ce fait d'armes qui a pris la vie de nos deux camarades. Je ne connaissais pas personnellement Humblot, mais je connaissais très bien Marcel Amaru. Quelques jours avant, au poste d'entrée du cimetière juif nord, il m'avait confié sa peur, s'étant fait tirer dessus par les bosniaques, côté entrée du poste d'observation, c'est à dire côté des gens que l'on défendait.....
Le mandat du BATINF VI de mai à septembre 95 a été dur, très dur... Mais l'ensemble des bataillons français a mangé gras tant à Sarajevo (Skanderia, Ptt building, Tito Barrack et l'aéroport) que sur Igman.
Sans bons soldats, il n'y a pas de bon chef ! Le contraire est aussi valable, je sais.
Mon courage je l'ai puisé dans les paires d'yeux qui me regardaient quand tout allait mal.
Ma force je l'ai puisé dans la confiance que m'ont accordé mes marsouins même quand tout allait mal.
Ma modestie je l'ai puisé dans l'abnégation quotidienne des marsouins dont l'histoire ne retiendra pas le nom.
Ce que je leur ai donné, ils me l'ont rendu au centuple.
Merci au "Capitaine" Lecointre pour le chef qu'il a été et l'exemple qu'il en a donné. Toute la compagnie l'aurait suivi en enfer.
Merci donc pour tous ces "hommes" là avec qui j'ai contribué à écrire les pages de l'histoire de notre pays et de notre Arme.
Extrait de Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail. Témoignage du lieutenant Héluin.
Sarajevo 27 mai 1995 08H 45
La France est présente depuis 1992 au cœur des conflits consécutifs à l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. Deux bataillons français de casques bleus sont alors présents dans la ville de Sarajevo assiégée par les forces Bosno-Serbes. Dans la nuit du 26 au 27 mai, une unité bosno-serbe s’empare par surprise d’un des postes du bataillon implanté dans la vieille ville. L’ordre est immédiatement donné de le reprendre par un assaut afin de libérer les prisonniers Français qui y sont gardés et de montrer la détermination de la France.
Je suis le lieutenant Héluin, je suis en tête de la première section des Forbans du 3ème régiment d’infanterie de marine et je marche vers mon objectif à travers les ruelles qui bordent le cimetière juif en direction du pont de Verbanja. J’ai reçu ma mission, il y a un peu plus d’une heure. Elle est très simple : reprendre le poste français près du pont.
Mon idée est d’attaquer simultanément les trois petits bunkers qui composent le poste avec un groupe de trois binômes pour chaque objectif. Chaque binôme, qui comprend un homme qui connaît le poste et un autre qui ne le connaît pas, à un point d’arrivée précis. J’ai laissé mon adjoint en arrière avec les véhicules, les tireurs d’élite dont un avec un fusil Mac Millan de 12,7mm et les tireurs antichars. Sa mission consiste à nous appuyer depuis les hauteurs. Lorsque je lui ai donné cet ordre, il m’a regardé, désespéré : "mon lieutenant, vous pouvez pas me faire ça ! ". Le capitaine Lecointre nous accompagne pour gérer l’environnement de la section, en particulier l’appui des pelotons du RICM (régiment d’infanterie et de chars de marine).
Guidés par un soldat bosniaque nous arrivons en vue du poste. Je regroupe la section. Pour franchir les barbelés, nous avions prévu deux portes, pauvre expédient à l’absence de matériel spécifique. Elles sont restées dans les véhicules. Tant pis. Nous ferons sans. Je regarde mes marsouins. Ils sont calmes et silencieux. Comme eux, je me sens étrangement serein. Il est vrai que depuis mon réveil, il y a trois heures, je n’ai pas eu une minute pour penser au danger. J’ai une confiance absolue dans mon chef et mes hommes. A mon signal, nous dévalons, baïonnette au canon dans la tranchée à une cinquantaine de mètres de l’objectif, appuyés d’abord par les tirs bosniaques. Nous portons les équipements de protection pare-balles complets, les mêmes qui n’avaient été conçus que pour des missions purement statiques de garde. Certains de mes marsouins sont en treillis de cérémonie. Ils ne savaient pas, quelques heures plus tôt, que le point fort de la journée ne serait pas la prise d’armes prévue mais un assaut.
Je lance d’abord Le Couric et son groupe en direction de l’objectif le plus éloigné, le poste de garde ouest. Je les vois courir puis s’arrêter devant les barbelés qui entourent le poste. Ils sont incapables de franchir et les coups commencent à pleuvoir depuis l’immeuble Prisunic qui les surplombe. Un obus de 90 mm frappe alors le bâtiment, suivi de rafales de 7,62 et de 20 mm en provenance des pelotons du RICM. Nous sommes désormais enveloppés d’une bulle de détonations, claquements, sifflements, impacts. Impuissant devant les barbelés, un marsouin regarde hébété sa cuisse perforée, un autre a deux doigts sectionnés. Une balle se loge dans son pare-cou. Ils resteront sur place, sans même de morphine, car elle a été retirée des trousses de premiers secours, pour éviter la toxicomanie. Deux autres gars sont vidés de toute énergie par la violence qui les entoure, ils sont comme des mannequins inertes. Le groupe est hors de combat. Mon plan a tenu deux minutes trente à l’épreuve des faits.
Je dois réagir immédiatement. Au lieu de s’emparer simultanément des trois points, on les nettoiera successivement en commençant par le poste de sécurité à l’est. Nous allons tous franchir les barbelés en face de nous, à 90 degrés de ceux qui ont arrêté le premier groupe mais au-delà d’un glacis de cinquante mètres dans l’axe de tirs des serbes. Je m’élance en direction de la rivière Miljaca suivi par le deuxième groupe, tandis que les autres marsouins se déchaînent contre Prisunic, Mammouth et Center, les trois nids à snipers bosno-serbes. A ma gauche, Dannat, l’infirmier, s’effondre, le poumon perforé. Il se relève et marche vers l’arrière en croisant les regards des marsouins qui avancent, hypnotisés par le sang qui coule le long de son bras. Djaouti tombe à ma droite. Je suis maintenant face aux barbelés et malgré les douze kilos du gilet pare-balles, mon armement et mon inutile poste radio PP39, je parviens à franchir les barbelés suivi par mes hommes.
Nous nous trouvons au milieu de croisillons métalliques et obliquons vers la gauche en direction du poste. Il pleut alors des balles comme à Gravelotte. Mon cerveau est comme la focale d’un appareil photo. Je suis actuellement en mode "panorama". Je me retourne et vois mes tireurs au fusil-mitrailleur Minimi enchaîner rafale sur rafale sur toutes les ouvertures de Prisunic. L’un d’entre eux, Coat, court vers un blessé pour lui prendre ses chargeurs Famas, mais comme ceux-ci ne vont pas sur les Minimi, il est obligé de retirer les cartouches une à une pour garnir ses "camemberts". D’un seul coup, sa tête fait un mouvement étrange et il s’affaisse sur le côté.
Je poursuis ma route vers le merlon de terre qui protège l’entrée du poste. Je ressens le besoin d’ouvrir le feu mais mon Famas refuse obstinément de fonctionner. Je pense qu’il faudrait que je m’arrête pour y remédier mais que je n’ai pas le temps. A aucun moment il ne me vient à l’esprit que j’ai peut-être oublié d’armer mon fusil d’assaut. A côté de moi, Dupuch s’arrête net : "je suis touché…". Il s’observe pendant une seconde "non … c’est bon !" et repart. Il a effectivement été touché mais la balle a traversé la gourde accrochée au ceinturon et est venue se loger dans sa lampe torche. Nous nous entassons sur le merlon de terre face à la porte d’entrée. Il y a quelques secondes, je fonctionnais en panoramique, maintenant plus rien n’existe hormis l’espace dans les barbelés par lequel je lance la grenade que me tend Dupuch. Explosion.
Je me lance baïonnette en avant, bien décidé à embrocher le premier Serbe qui se présentera dans le couloir. Les hommes sont collés à moi, deux par deux. Nous sommes à peine une dizaine, le tiers de l’effectif de départ. La section avec ses trois groupes s’est rapidement reconfigurée en un élément d’assaut, tiré par moi avec des binômes injectés au fur et à mesure dans l’action et un deuxième échelon, pour protéger les arrières et "nettoyer". Un geste et Dupuch se lance dans le poste de garde est, pendant que Llorente lance une grenade dans le couloir des WC. Humblot et Jego suivent, je les envoie sur le toit pour se mettre en appui. Nous poursuivons vers le deuxième conteneur qui nous servait de zone vie et qui forme le deuxième objectif. Delcourt s’avance dans le couloir mais une rafale en provenance du fond du poste le refoule. Je prends une grenade au capitaine Lecointre qui me suit et la lance derrière le rideau de la zone vie.
Lorsque je surgis devant ce qui nous servait de salle à manger, je vois un rideau de feu monter le long du mur du fond et glisser au-dessus de moi sur le plafond. Je hurle : "la bonbonne de gaz !". Depuch et Delcourt reculent précipitamment. Une fraction de seconde plus tard, j’entends une énorme explosion et je vois distinctement sur fond de flammes, un petit objet foncer vers moi. J’ai l’impression d’être dans une séquence de film au ralenti. Je prends un choc terrible à l’œil gauche et je suis projeté en arrière alors qu’un jet de sang part dans la direction opposée. Les hommes me regardent en hésitant et je baragouine ce que je crois être des ordres pour les empêcher de s’arrêter. J’ai encore le temps de dire au capitaine que je ne me sens pas bien avant de m’effondrer.
Je reprends mes esprits, quelques instants plus tard, réveillé par les impacts de balles sur les sacs à terre contre lesquels je suis assis. Je suis couvert de sang. Je me relève, sort du bâtiment du côté de la rivière Miljiaca. Une explosion me renvoie à l’intérieur. Je suis comme une petite souris buttant contre des électrodes dans un labyrinthe. Mon cerveau fonctionne par éclipses. Je vois un marsouin posté face au dernier bâtiment tenu par les serbes. "Qu’est-ce que tu fais là ? C’est là que je devais être à la fin." Dans le désordre général cet homme s’est raccroché à l’ordre que j’avais donné avant l’assaut. Je comprends alors que le capitaine a pris l’action à son compte et a entrepris d’éliminer les serbes dans la pièce du fond puis de sauver les prisonniers français qui s’y trouvent. Avec la poignée d’hommes qui reste, il abat deux tchetniks dont un lui sourit en disant "Français, bons combattants !" mais les autres ont réussi à s’enfuir avec les prisonniers dans un poste voisin.
A la radio, j’appelle Check et lui ordonne d’envoyer un tireur d’élite et un tireur antichar. Je compte les placer face à l’immeuble. Je circule dans le poste ravagé. Je vais dans la zone vie, il y a trois prisonniers serbes, et un cadavre, serbe également, allongé au milieu. Le caporal-chef Jego, vient vers moi. Je remarque que sa gourde et un de ses porte-chargeurs sont perforés. Il a pris une rafale dans le "buffet". Sa voix est cassée : "Humblot est encore sur le toit. Il est blessé et ne répond plus". Je me place en appui face à l’immeuble qui nous surplombe tandis que Mandart et le capitaine Labuze descendent Humblot. Ils le déposent au pied de l’échelle au moment de l’arrivée du toubib. Celui-ci prend le pouls et me regarde au bout de quelques secondes : "Désolé mais pour lui, c’est fini.".
Le combat est terminé. J’apprends qu’Amaru a été abattu par un tireur d’élite alors qu’il mitraillait les bâtiments depuis sa tourelle, non protégée, de VAB. Dix-sept autres marsouins sont blessés dont trois grièvement. Nous avons tué quatre Serbes dans le poste et fait quatre prisonniers. J’ignore le bilan des pertes ennemies dans les immeubles alentour. Nous récupérerons nos soldats prisonniers en les échangeant avec ceux que nous avons faits.
Errant dans les couloirs, en attendant la relève, je croise un caporal-chef qui me dit d’aller me faire soigner. Je me déplace vers le véhicule sanitaire, criblé d’impacts, qui s’est posté devant l’entrée puis m’indigne: "ce n’est pas un caporal-chef qui va me donner des ordres !" et je reviens sur mes pas. Le gars me voit et insiste "mon lieutenant, il faut vous faire soigner !". Je réponds "bon d’accord" et ressort. A l’extérieur, le sol est jonché des équipements qui ont été arrachés aux blessés pour leur donner les premiers soins et de chargeurs, dont beaucoup sont encore à moitié pleins. Beaucoup de gars profitaient de chaque moment de répit pour jeter leur chargeur entamé et en mettre un plein. Nous avons ainsi utilisé plus de 4000 cartouches en quelques dizaines de minutes sur une surface d’un hectare.
Vers 10h30, la section du lieutenant Provendier est là pour nous relever. Quelques minutes plus tôt, ils ignoraient même qu’un assaut avait eu lieu. Les hommes sont muets et ouvrent de grands yeux en me voyant. Je pense : "aucun ne me salue, c’est quoi ce bordel !". J’amène Provendier à l’intérieur pour lui expliquer la situation. Je m’installe sur une table et commence à lui faire un croquis. Un cadavre Serbe est à mes pieds sans que cela me trouble le moins du monde. Mon sang tombe en goutte à goutte sur le croquis et lorsque je l’efface négligemment avec ma manche, je perçois que la situation n’est peut-être pas habituelle. Les consignes données, j’embarque dans les véhicules avec mes survivants en direction de la patinoire de Skanderja, notre base. Nous sommes hagards. A Skanderja, nous recevons des soins rapides puis vers 13 heures, je pars avec les autres blessés en direction du groupe médico-chirurgical de PTT Building, l’état-major de la force. Dès le contact avec le lit de l’hôpital, je m’effondre, épuisé.
Lettre du caporal-chef Rodolphe Guadalupi en milieu de séjour en Guyane. Le 2 août 2004
Cher Régiment,
Une petite pensée de Guyane. J’espère que pour toi tout va bien et que ton lot d’OPEX, MCD et autres missions rassasie ton insatiable envie d’action et ton assiduité à élever notre arme. La vie dans le golfe (du Morbihan) t’est-elle toujours aussi douce? Il faut dire que tu y occupes une place de choix. Et comment vont tes hommes? Ici, ma vie de marsouin en poste en Amazonie française suit son cours. Du reste, plutôt motivant et captivant ; car servir à la CRAJ (Commandos de Recherche et d’Action en Jungle) est certes le boulot le plus prenant ici, mais aussi le plus excitant et le plus valorisant. C’est un peu comme servir dans tes rangs.
Toi, pour en avoir vu beaucoup dans ta belle et longue expérience, tu sais bien que la vie d’un marsouin est jalonnée d’événements qui changent et grandissent son âme. Et toi, cher "3", tu m’auras apporté beaucoup. Hélas ! Oui je dis bien "auras", car au moment du choix des affectations pour le retour en métropole, prévu en juillet 2005, j’ai la tristesse de t’avouer que tu ne figures pas sur ma FIDEMUT.
Parce que, et tu le sais bien, la vie d’un homme est, elle aussi, truffée d’expériences qui l’amènent à réfléchir, se poser des questions, se donner des priorités, changer et prendre des décisions. Aujourd’hui après de magnifiques années passées avec toi, j'aspire à m’offrir un peu plus de temps et à en consacrer à celle qui partage ma vie. Entre toi et elle, j’ai choisi. J’espère que le jeu des affectations me conduira où je le souhaite. Je sais que tu comprendras. Ne m’en veux pas.
Pourtant reste convaincu que, où me porte le vent de la vie, tu garderas une place précieuse dans mon cœur et dans mon âme de marsouin et d’homme. Tu as contribué à faire le marsouin et l’homme que je suis. Je me rappelle, je suis arrivé en ton sein un certain mois d’avril 1992 et, depuis, tu n’as eu de cesse de t’occuper de moi, en me confiant à la belle famille des « Chats maigres » (3ème Cie), chez lesquels je suis toujours resté. Je t’en suis éternellement reconnaissant. Merci.
Je profite de ces quelques mots pour te demander un petit service. Tu te souviens, Sarajevo, en 1995? C’était chouette avec toi ; c’était une belle aventure, malgré les risques. On faisait notre boulot. J’ai été blessé au poignet droit ; tu te souviens comme ma montre à volé en éclats sous l’impact de la balle ? Et moi ?! C’était quelque chose. Et depuis, je t’ai confié ce qu’il en reste, que tu gardes précieusement dans ta salle d’honneur. Mais il y a un petit problème que je n’ai jamais soulevé et que j’aimerais bien faire corriger aujourd’hui. Le nom qui est indiqué, le mien, est mal orthographié : "GUALOUPI" ou quelque chose approchant, au lieu de "GUADALUPI". Voilà, si tu pouvais faire quelque chose, afin qu’on puisse y lire vraiment mon nom, je t’en serai reconnaissant. Merci.
Je pense bien sûr venir te rendre une petite visite dès que j’en aurai l’occasion, car je ne souhaite pas perdre le contact avec toi et certains de tes hommes qui me sont chers.
Je te souhaite de continuer à rayonner haut et intensément, comme tu sais si bien le faire. Tu sais, ne plus jouer un quelconque rôle, si minime soit-il, dans ta renommée me pince le cœur. Mais je me console avec la sereine attitude que de n’importe quel coin du monde je pourrai toujours admirer tes couleurs flottant haut et entendre parler de toi.
Prends soin de toi et de tes hommes et souhaite-moi bon vent. Je te salue bien respectueusement et affectueusement. Indéfectibles et coloniales amitiés