Je déteste Ulysse ! Si je pouvais, je l’attraperais, je lui tordrais le cou et je l’avalerais tout cru en prenant bien le temps de le savourer. Croyez-moi ! Pourquoi ?
Parce que si je suis aveugle aujourd'hui, c’est à cause de lui ! Oui, ce... ce nain héroïque que tout le monde acclame, ce soi-disant vainqueur de Troie, m’a mutilé en me crevant le seul œil que j’avais ! Avouez que pour un Cyclope c’est embêtant...
Pourquoi ?
Parce que la particularité d’un Cyclope c’est d’être très grand, mais surtout de n’avoir qu’un seul œil au milieu du front, voyons ! Enfin... On ne peut pas dire que j’ai eu beaucoup de chance dans ma vie. Là où je vis, sur la grande île de Sicile, je connais des Cyclopes très heureux qui ont une famille, une femme, des enfants, une maison... Moi, je n’ai rien de tout cela. Je vis seul.
Pourquoi ?
Mais vous êtes indiscrets avec vos pourquoi ! Ce n’est pas à cause de mon œil, mais pour une histoire d’amour. J’ai aimé passionnément une nymphe. Elle s’appelait Galatée et j’étais prêt à lui offrir mon cœur tout entier. Vous savez, c’est gros un cœur de Cyclope, très gros et ça bat fort, aussi. Malheureusement, le sien ne battait pas du tout pour moi, mais pour un ridicule petit jeune homme de rien du tout. Un jour, je les ai surpris dans les bras l’un de l’autre et ça m’a fait mal. Un peu comme un grand coup de lance dans la poitrine, vous voyez ? Alors, j’ai hurlé de douleur et le jeune homme s’est enfui à toute vitesse.
Fou de colère, j’ai décroché un rocher d’une montagne et je l’ai jeté sur lui. Moi, j’étais assez content d’être débarrassé de ce rival, mais Galatée, elle, n’a pas du tout apprécié. Quand j’ai voulu m’approcher, elle m’a repoussé violemment et s’est jetée dans la mer, retrouver à jamais ses sœurs, les Néréides. Depuis je n’ai jamais aimé une autre femme. C’est comme ça. Ah ! mais j’y pense tout d’un coup, je ne me suis pas présenté.
Je m’appelle Polyphème. Comme tous les Cyclopes qui habitent en Sicile, je profite de ce que la nature nous offre. Ici, nous n’avons pas à travailler la terre, car tout pousse tout seul ; il n’y a qu’à ramasser les fruits tombés au sol, et comme nous possédons des moutons et des chèvres par milliers, nous avons du lait et des fromages à volonté. Comme vous pouvez l’imaginer, vu notre taille nous mangeons beaucoup ! Pas une petite tranche de gigot, non ! Des moutons entiers. Nous sommes très indépendants les uns des autres. Chacun fait ce qu’il veut dans sa maison et n’obéit qu’à sa propre loi. Nous pourrions être très riches c’est vrai, posséder des navires, voyager, conquérir le monde, mais à quoi bon ! Nous préférons nous laisser vivre sur notre belle île et veiller sur nos troupeaux...
Depuis mon chagrin d’amour, je vis dans ma caverne à l’écart des autres. Aujourd’hui, même si je suis devenu aveugle, changé : le matin je sors mes troupeaux, je les mène aux pâturages et j’attends ma vie n’a pas beaucoup tranquillement que la journée passe... Le soir, quand je rentre chez moi, je fais entrer dans ma caverne les chèvres et les brebis pour les traire. Avec la moitié du lait, je fais des fromages et je conserve le reste dans des vases pour le boire. Lorsque j’ai fini de traire les femelles, je mets les petits sous leurs mères. Puis je fais rentrer les mâles, je pousse mon rocher pour fermer la caverne et je ranime le feu. Je mange, je m’endors jusqu’au lendemain matin où je recommence. Voilà, c’est comme ça depuis toujours. Enfin... sauf la fois où j’ai rencontré Ulysse... Comment ? Vous voulez que je vous raconte? Bon...
C’était un soir. En posant mes nouveaux fromages, je m’aperçois qu’il en manque un certain nombre que j’avais fait la veille. Bon ! j’oublie. Je fais rentrer mes bêtes, je ferme ma caverne, je m’avance vers le feu et là, je vois que les braises sont brûlantes ! De plus en plus étrange. J’oublie. Je jette dans le feu les troncs d’arbres que j’avais rapportés, et les flammes jaillissent aussitôt. Et c’est là que je vois avec stupeur, collés contre la paroi au fond de la grotte, une douzaine d’hommes complètement pétrifiés. Je n’en crois pas mon œil ! Des hommes, petites créatures grotesques, bouches grandes ouvertes qui me regardent tétanisés de peur, ici, dans ma caverne ! — Mais qu’est-ce que... Qui êtes- vous ? Que faites-vous ici ? Qui vous a permis de rentrer chez moi, voleurs, pirates... — Non, non, me répond le plus grand et le plus courageux d’entre eux, nous ne sommes rien de tout cela. Je vais t’expliquer. Nous revenons de Troie où nous avons gagné la guerre et nous rentrons chez nous. Mais les vents ne nous sont pas favorables et nos bateaux errent sur l’immensité de la mer. Nous te demandons juste l’hospitalité. Et comme Zeus, le roi des dieux, l’exige, tu dois respecter tes hôtes.
Hein, quoi? Zeus? je réponds, vexé. Mais pauvre ignorant, les Cyclopes n’ont que faire de ton dieu ! Il n’y a que Poséidon, le dieu des Océans qui compte pour nous. C’est notre père à tous ! Mais si je vous épargne c’est que moi seul je le décide et personne d’autre ! Et puis d’abord, où est ton navire ? — Et bien... il est en miettes. Poséidon, le dieu de la mer, l’a brisé sur les rochers et nous sommes les seuls rescapés du naufrage. Je ne pouvais pas deviner que ce petit homme me racontait n'importe quoi à quoi à propos de son navire.
De plus, je n'aimais pas son air arrogant et surtout je déteste que l'on me dise ce que je dois faire. Alors, j’ai avancé le bras, j’ai empoigné deux de ses compagnons et après les avoir fracassés en mille morceaux, je les ai... croqués ! Il y avait longtemps que je n’avais pas mangé d’homme et, ma foi, ça n’était pas mauvais du tout ! Un peu plus fade que le mouton peut-être, mais intéressant tout de même. Puis je me suis versé une grande rasade de lait et je me suis allongé repu au milieu de mes bêtes. Le lendemain matin pour mon petit déjeuner, j’ai attrapé deux hommes qui me tombaient sous la main. J’y prenais goût que voulez-vous ! Puis je fis sortir tout mon troupeau et pris soin de bien replacer le bloc de pierre à l’entrée pour conserver mon nouveau... garde- manger bien au chaud.
Quand je suis rentré le soir, j’ai repris pour mon souper deux hommes bien en chair, à la joie des moutons il faut dire. À ce moment-là, celui qui semblait être le chef s’est approché de moi et m’a dit : — Écoute Cyclope, j’ai un présent pour toi. Un délicieux vin noir que nous avons sauvé du naufrage. C'est la boisson que je voulais t’offrir en guise de remerciement pour ton hospitalité. Goûte-le et... Il pouvait continuer à me raconter ce qu’il voulait, moi je m’en suis emparé et je trouvais son vin tellement bon que j’en voulais beaucoup plus. — En as-tu encore ? lui demandai je. Tiens, donne-moi donc ton nom pour que je te fasse à mon tour un cadeau. L’homme m’a répondu :
— Je m’appelle « Personne ». Maintenant à ton tour de m’offrir ton présent. — Et bien le cadeau, que je te réserve « Personne », est... que je te mangerai en dernier ! lui ai-je répondu en éclatant de rire. J’étais assez content de moi. Si j’avais su... Le vin était fort. Très fort ! Beaucoup trop fort ! Je me suis écroulé ivre mort D’accord. Je m’appelle d’un seul coup et je me suis endormi envahi par les brumes de l’alcool. C’est une douleur épouvantable qui m’a réveillé dans la nuit. Ils étaient en train d’enfoncer la pointe d’un pieu en feu dans mon œil et ils tournaient, tournaient, faisant grésiller ma chair, flamber ma paupière et mon sourcil. J’ai arraché le pieu en hurlant et j’ai appelé mes voisins Cyclopes à l’aide. Ils sont vite arrivés autour de ma caverne.
— Que t’arrive-t-il, Polyphème ? Ouvre ! Pourquoi cries-tu comme ça ? On t’a volé ton troupeau ? Quelqu’un essaye de te tuer ou quoi ?
— C’est « Personne » ! Personne essaye de me tuer ! je répétais en criant. Que t’arrive-t-il, Polyphème ? Et j’entendais les Cyclopes derrière le rocher se parler entre eux : — Personne ? Et bien, si personne n’est en train de le tuer, ça doit être Zeus qui lui envoie ce malheur !
Écoute Polyphème, invoque notre père à tous, Poséidon. Lui seul peut faire quelque chose pour toi. Nous, nous allons nous recoucher. Et moi je continuais à hurler : — Mais non, restez, c’est « Personne » qui ... Mais ils sont repartis et je suis resté seul, aveugle, avec ce fourbe et ses complices.
Au matin, malgré la douleur, j’ai réussi à tâtons à ôter le rocher et je me suis assis en travers de l’entrée pour les empêcher de se sauver. Ils n’allaient pas s’en sortir comme ça ! J’avais décidé de les dévorer un par un ! Mes chèvres et mes brebis bêlaient, car je n’avais pas pu les traire et leurs pis leur faisaient mal. Mais ce n’était vraiment pas le moment de m'occuper d'elles, elles devaient toutes quitter la grotte. Je ne voulais garder à l’intérieur que ces maudits humains.
Quand les brebis franchissaient le seuil pour sortir, je leur tâtais le dos pour les reconnaître et je les laissais passer. Puis ce fut au tour des mâles. Jusqu'au dernier qui fut mon gros bélier. Là, j’aurais dû comprendre... Mon bélier ne sortait jamais en dernier, mais toujours en premier. Pourquoi n’était-il pas à la tête du troupeau comme d’habitude ? Je le compris quelques instants plus tard, en entendant au loin, en direction de la mer, la voix de « Personne » qui me disait : — Tu n’aurais jamais dû manger mes compagnons de voyage, Polyphème... Tu ne serais pas aveugle aujourd'hui ! Je suis loin de toi maintenant, sur mon bateau. Tu veux savoir comment nous avons fait pour sortir de ta grotte ? Et bien nous nous sommes glissés sous le ventre de tes bêtes en nous accrochant à leur toison. Maintenant tu es puni, toi qui accueilles les étrangers pour les dévorer... J’étais dans une rage ! Il m’avait menti pour son naufrage, rendu aveugle et trompé avec mes bêtes. Je me sentais humilié par ses ruses. J’ai arraché tout ce qui me tombait sous la main, des blocs entiers de rochers que je jetais de toutes mes forces dans leur direction. Les rochers ne les atteignaient pas, mais j’entendais à leurs cris paniqués qu’ils se rapprochaient du rivage à cause des vagues qui les ramenaient vers moi. — Cyclope, si quelqu’un te demande qui t’a fait ça, me cria l’arrogant, dis lui que c’est Ulysse, le pilleur de Troie, Ulysse aux mille ruses !
Ulysse... Ulysse... ce nom résonna longtemps dans mes oreilles. Misère ! Je venais de comprendre. Un devin m’avait prédit qu’un mortel portant ce nom-là m’aveuglerait un jour, lui répondis-je avec mépris, mais j’attendais un héros, grand, fort, majestueux et c’est un freluquet, un nain, un moins que rien qui vient me crever mon œil et me plonger dans les ténèbres!
J’ai entendu Ulysse rire et se moquer de moi. Il fallait que je le fasse revenir pour me venger. — Écoute-moi, Ulysse ! Je te promets que Poséidon, mon père, le dieu des mers, t’aidera à te remettre en route, il te guidera dans ta traversée. Et mon père me guérira. Tu n’as rien à craindre ! Reviens ! Mais il m’a répondu : — Me crois-tu aussi stupide que ça, Polyphème ? Tu sais très bien que Poséidon ne peut te guérir. N’oublie pas, Cyclope qu’en matière de ruse je suis bien plus fort que toi ! Alors impuissant, j’ai prié mon père, Poséidon, de m’aider. — Poséidon, si je suis vraiment ton fils, fait qu’Ulysse ne revienne jamais sur son île d’Ithaque. Ou du moins que s’il y parvient un jour, que ce soit seul et après des années de souffrances. Fais aussi qu’en arrivant chez lui, il trouve dans sa maison de grands malheurs. Mon père m’a entendu... Ulysse a erré sur les mers pendant dix longues années. Puis après avoir perdu tous ses compagnons de voyage, il est rentré seul comme un mendiant, un étranger sur sa propre terre. À son arrivée, il a trouvé sa maison occupée par des hommes qui voulaient tuer son fils, prendre son épouse et s’emparer de ses biens. Voilà comment, moi, Polyphème le Cyclope, fils de Poséidon, je me suis vengé de « l’homme aux mille ruses ». Pourquoi ? Non, mais vous vous fichez de moi ? Approchez-vous donc un peu... je crois que j’ai faim !
Coucou, c'est moi, Hermès, le dieu messager, celui sans qui vous n’auriez jamais entendu parler d’Ulysse, le vainqueur de la guerre de Troie ! Oh j'en entends déjà qui murmurent : mais pour qui il se prend ? Et d'autres : c'aurait été aussi bien comme ça si personne ne savait qui c'était… Mais enfin, qu'est-ce que c'est ? Une rébellion ? Je rêve ou quoi ? Ulysse que les Grecs appelaient Odyssée... dans mille ans on en parlera encore, voyons, puisque cela fait déjà des milliers d'années que l'on célèbre ses exploits ! Et la guerre de Troie ! Mais quelle aventure ! Qu'est-ce qu'on s'est amusés, nous les dieux ! Ces pauvres mortels qui se sont entre tués pendant dix ans. Tout ça parce que les Grecs voulaient récupérer la belle Hélène enlevée par le Troyen Pâris ! Et une fois la ville de Troie mise à sac, les Grecs vainqueurs ont eu bien du mal à rentrer chez eux ! D'ailleurs, c'est le retour d’Ulysse dans son île d’Ithaque qui l'a fait connaître, bien plus que ses exploits guerriers ! Vous ne répéterez pas ce que je suis en train de vous dire à ma sœur Athéna parce qu'elle adore Ulysse et elle ne supporte pas que l'on dise du mal de lui, enfin ce n'est pas vraiment du mal, n'est- ce pas, puisque c'est la vérité ? Ulysse était parti de Troie avec douze navires, il pensait que quelques semaines suffiraient pour atteindre sa chère patrie et retrouver son épouse Pénélope et son fils Télémaque qui lui manquaient tant. Et bien pas du tout ! Notre héros a mis dix ans pour rentrer, autant que la durée de la guerre ! Il était malin, mais il ne l'avait pas deviné ! Et sans moi, Hermès, personne ne se souviendrait du nom d’Ulysse. On l’aurait oublié ! Non, non, je ne me vante pas, c’est vrai ! Deux fois je l’ai aidé. Plus qu’aidé même, je l'ai sauvé. La deuxième fois on m’a un peu poussé, je n’avais pas très envie, mais je l’ai fait quand même. C’est Athéna qui m’a un peu obligé. Comme je vous l'ai déjà dit, elle a un gros faible pour Ulysse. Elle le trouve malin, débrouillard, astucieux, intelligent évidemment comme Athéna est la déesse de l’intelligence, elle pense que ce pauvre mortel lui ressemble! En fait, il est surtout un baratineur, il raconte toujours des histoires à dormir debout pour tromper les gens. Enfin… moi je suis toujours là pour rendre service et j’aime bien me déplacer alors j’ai fait plaisir à Athéna et j’ai aidé son chouchou. Personnellement je ne le trouve pas toujours très malin- vous l'avez compris et vous n'avez pas intérêt à le répéter - mais quand on habite dans une île et que l’on veut rentrer chez soi, je pense que l’on doit éviter de contrarier le dieu de la mer. Parce que le seul moyen de retourner chez soi, c’est… par bateau. Alors, crever l’œil du cyclope Polyphème, fils du dieu de la mer, Poséidon, à mon avis ce n’est pas la chose la plus intelligente qu’Ulysse a faite ! Poséidon a l’esprit de famille et il est susceptible. Résultat, il a vengé son fils. J’ajouterai que Poséidon a très mauvais caractère et qu’il est plutôt du genre violent. Donc en s’attaquant à son fils, Ulysse a fait une grossière erreur.
Que la vie des pauvres mortels soit entièrement entre nos mains à nous, les dieux, tout le monde le sait. Parfois les mortels font tout pour nous agacer, alors nous les punissons. Logique ! Mais quelques fois, ils sont confrontés à des situations qui les dépassent et là ils nous font vraiment pitié, alors nous les aidons. Le dieu de la mer a suivi la prière de Polyphème à la lettre : « si jamais Ulysse rentre chez lui, il faut que ce soit après des années de difficultés, seul, ayant perdu tous ses compagnons et qu’il trouve le malheur chez lui ». Et bien Poséidon a promené Ulysse. En fait, ce n’était pas exactement une promenade, c’était plutôt une succession de tempêtes, d’ouragans et d’affrontements avec tous les monstres qui peuplent le royaume des océans, un royaume où les mortels n’ont pas leur place, où ils sont incapables de lutter avec des forces qui les dépassent. Ulysse était égaré dans un monde divin, il ne pouvait en sortir seul. Et comme vous le savez ou comme je vous l'apprends, nous les dieux, nous avons un principe : ne jamais aller à l’encontre d’une décision prise par l’un d’entre nous. Donc nous ne pouvions rien faire contre la décision de Poséidon. Pourtant, je vous l’ai dit, j’ai sauvé Ulysse. Il fallait bien lui donner un petit coup de pouce : un mortel contre un dieu, c’est de la triche. On connaît l’issue d’avance. En quittant l’île des Cyclopes Ulysse n’avait toujours qu’un seul but : regagner son royaume, l’île d’Ithaque et retrouver enfin Pénélope, son épouse, et Télémaque qu’il avait quitté bébé. Au bout de quelques jours de navigation, la petite flotte s’est dirigée vers l’île d’Éole. En fait, je ne devrais pas dire « dirigé ». Pour être plus précis, ils sont tombés dessus par hasard. En effet l’île d’Éole est un peu particulière : elle flotte, elle se promène sur les océans. Une immense muraille en bronze entoure cette île. Éole en est le roi, c’est un ami de tous les dieux et un ami personnel de Zeus. Comme marque d’amitié, le roi des dieux lui a confié la charge d’être le gardien des vents. Éole les a donc enfermés dans une caverne, au plus profond de son île. Il ne les libère qu’avec beaucoup de discernement, au gré de sa volonté et aussi des saisons, mais toujours avec l’accord de Jupiter. C’est une lourde responsabilité. Il n’est pas question de déchaîner des tempêtes qui feraient périr sans raison les navigateurs ni d’envoyer en plein été un vent humide et glacial. Zeus aime l’ordre comme vous savez et Éole est très fier de la confiance qu’il lui témoigne. Éole vit sur cette île avec toute sa famille, il a six garçons et six filles. Ils sont très heureux, mais ne peuvent pas sortir de l’île, que deviendraient les vents ? Alors dès qu’un étranger aborde, il est reçu avec beaucoup d’égards et de signes d'amitié, car il apporte des nouvelles de l'extérieur.
Vous vous doutez bien qu’Ulysse et ses compagnons ont été reçus comme des princes. Éole avait eu « vent » de la guerre de Troie et quelle joie pour lui de pouvoir entendre les récits de la guerre par la voix même d’un de ses héros ! Pendant des jours et des jours, le capitaine raconta les batailles, le cheval,
la prise de la ville, la victoire. Éole ne se lassait pas. Mais au bout d’un mois, Ulysse eut envie de repartir et il eut un échange très poli avec Éole : — Ton hospitalité, Éole, nous est infiniment agréable, mais nous devons rentrer chez nous, à Ithaque. Pourrais-tu nous mettre sur la route ? — Mon cher Ulysse, c’est avec regret que je te laisse partir. Je ne me lasserai jamais de tes récits. Mais puisque tu dois t’en aller, je vais t’aider. Ce cadeau te permettra de rentrer chez toi dans les meilleures conditions. Dans cette outre que je te confie j’ai enfermé tous les vents mauvais, contraires à ta route. Ainsi emprisonnés, ils ne sauraient te déranger. Je l’ai fermée avec un fil d’argent, pas un souffle ne s’en échappe. Je vais moi-même placer cette outre à l’intérieur de ton navire. De plus, pour que vous soyez sûrs de parvenir rapidement à Ithaque, je vais faire souffler un Zéphyr, un vent doux et rafraîchissant, qui vous accompagnera pendant tout votre voyage. Fou de joie notre héros remercie vivement le roi de l’île aux vents et s’embarque avec ses hommes. Pendant neuf jours et neuf nuits Ulysse ne quitte pas la barre, trop anxieux pour pouvoir se reposer. À l’aube du dixième jour, la côte d’Ithaque est en vue. Cris de joie. Accolades. Les marins peuvent même distinguer les habitants sur l’île. Encore quelques heures et ils seront chez eux. Enfin ! Seulement, voilà : à ce moment précis, Ulysse qui, porté par l’excitation, n’avait pas dormi depuis neuf nuits, tombe dans un sommeil de plomb. Le voyant endormi et apercevant leur terre si proche, ses compagnons commencent à discuter : — Mes amis, nous rentrons chez nous plus pauvres que nous ne sommes partis. De quoi aurons-nous l’air quand nos femmes et nos enfants nous accueilleront ? Ulysse, lui, revient couvert d’or et de cadeaux précieux qui lui ont été offerts à chaque étape. — Oui, c’est vrai, même le roi Éole lui a remis une énorme outre. Je l’ai vu la cacher lui-même au fond du bateau ! — Elle doit être pleine de bijoux et de pierres précieuses. Allons vite l’ouvrir et nous partager le butin pendant que notre capitaine dort ! Aussitôt ils se précipitent pour délier le fil d’argent qui fermait l’outre. Instantanément les vents furieux et tourbillonnants s’échappent avec grand fracas. La tempête explose, réveillant Ulysse et en dix fois moins de temps qu'ils n'avaient mis pour être en vue d'Ithaque, ils se retrouvent… devant l’île d’Éole.
Désespéré, le héros ne savait plus s’il devait se jeter à la mer ou reprendre la direction des opérations. — Pauvre de moi ! Je suis maudit ! Les dieux m'ont envoyé un sommeil trompeur! En ce moment, je devrais être chez moi, dans ma maison, entouré de ma femme et de mon fils ! Il faut que je convainque Éole de nous aider à nouveau! Cela ne va pas être facile ! Ulysse, un peu honteux, retourne dans le palais d’Éole, mais ce dernier, stupéfait de le voir apparaître devant lui, ne le laisse même pas franchir le seuil : — Comment ? Ulysse, tu es encore là ? Après tout ce que j’ai fait pour toi ! — Ce n’est pas de ma faute, Éole, lui répond Ulysse très gêné. Je me suis endormi à l’approche d’Ithaque et mes hommes ont ouvert l’outre. — Tu ne sais même pas te faire obéir par tes marins ! Rugit Éole. Je t’avais dit de leur interdire d’ouvrir l’outre. Jamais je n’aurais dû te faire un tel présent ! Tu dois être maudit des dieux ! Disparais de ma vue ! Fiche le camp et que je ne te revoie plus jamais ! Pour comprendre la colère d’Éole, je dois vous préciser qu’il avait agi sans l’accord de Zeus. Jamais il n’aurait dû confier cette outre à Ulysse : en fait, le roi des vents avait un peu peur que cela lui retombe dessus. Évidemment, le plus ennuyé était Ulysse. Tout penaud il redescend à son navire et l’équipage reprend la mer. Une malheureuse incursion dans l’île des Lestrygons, des géants barbares et mangeurs d’hommes, est catastrophique. Les navires sont broyés, déchiquetés par les rochers lancés par les géants. Quant aux marins vous devinez quel fut leur sort ! Sur les douze embarcations parties de Troie, seule celle d’Ulysse en réchappe. La malédiction de Polyphème commence à se réaliser : le héros a perdu la presque totalité de ses compagnons! Pleurant ses amis disparus, Ulysse reprend la mer avec le restant de son équipage et débarque quelques jours plus tard sur une nouvelle île. Pendant deux jours, tellement éprouvés par la fatigue et le chagrin, les voyageurs sont incapables de bouger. Au bout du troisième jour, Ulysse veut envoyer quelques hommes en éclaireurs pour voir qui habite sur l’île. Évidemment, personne n’est volontaire. Se retrouver nez à nez avec un cyclope ou un géant sauvage ne les tente guère. Vous auriez eu envie, vous ? Il faut donc tirer au sort. Une vingtaine d’hommes est désignée et ils partent explorer l’île. Ils aperçoivent au loin une splendide maison vers laquelle ils se dirigent. En chemin ils sont entourés par une horde de bêtes sauvages, des lions, des loups, des ours… Les marins sont terrorisés. Mais au lieu de les attaquer, ces animaux se frottent contre eux, demandent des caresses : ils leur font la fête ! — Dans quel monde sommes-nous donc tombés ? Une île où les bêtes sauvages sont plus pacifiques que les agneaux ! Un monde ensorcelé ? se demandent les hommes peu rassurés. Arrivés à la porte de la grande maison, ils sont accueillis par des jeunes filles qui les guident vers un luxueux salon. Assise sur un trône, la maîtresse de maison surveille le travail de ses servantes qui trient des amoncellements de fleurs et de plantes répandues sur des tables. Très absorbée par son travail, elle donne des ordres, fait faire des mélanges, des décoctions, des onguents.
Cette femme est la déesse magicienne Circé. Très heureuse d’avoir de la visite, la déesse invite les compagnons d’Ulysse à s’asseoir et leur propose un breuvage réconfortant, fait de miel, de vin et de fromage dans lequel elle ajoute subrepticement un peu de poudre magique. Les marins assoiffés boivent leur coupe d’un trait. Circé les frappe alors de sa baguette de magicienne et en l’espace de quelques secondes, les têtes des hommes se transforment en groins, leur bras et leurs jambes en pattes terminées par des sabots fendus, leurs corps se recouvrent de soies dures et luisantes : les compagnons d’Ulysse sont devenus… des porcs ! Ils en ont toute l’apparence, mais ils ont gardé leur esprit humain. Et quand Circé souriante leur jette une poignée de glands à manger, ils prennent alors conscience de leur métamorphose. Heureusement, un des marins d’Ulysse s’était méfié. Des bêtes sauvages, il avait trouvé cela bizarre. Flairant un piège, il n’était pas entré dans la maison. Dès qu’il vit la transformation soudaine de ses amis en cochons gros et gras, il courut aussitôt prévenir Ulysse. Le fougueux capitaine, toujours prêt à se battre, n’attend pas la fin du récit entrecoupé de sanglots et de pleurs, il prend son épée et part sauver ses hommes. Malheureux Ulysse, toujours prêt à affronter le danger ! Si moi, Hermès, le messager des dieux, je n’étais pas intervenu à ce moment-là, le bel époux de Pénélope aurait – lui aussi – été transformé en cochon comme ses hommes et personne n’en aurait plus jamais entendu parler ! Un mortel, aussi rusé et malin soit-il, ne peut rien contre une déesse, qui plus est, une déesse magicienne. Les dieux de l’Olympe devaient intervenir. J’ai pris alors l’apparence d’un jeune homme : — Arrête Ulysse ! Ne cours pas aveuglément chez Circé ! Voici une fleur blanche à racine noire c’est une antidote, un contrepoison. Après l'avoir pris, tu pourras boire la coupe de la magicienne, il ne t’arrivera rien. Mais écoute bien mes conseils : dès que Circé t’aura frappé de sa baguette magique, tu dois tirer ton épée, lui faire peur. Mais ne la tue pas : elle seule peut délivrer tes amis ! Je vis Ulysse réconforté – à peine étonné de cette apparition providentielle – pendant que je remontais sur l’Olympe en un rien de temps grâce à mes sandales ailées. Ulysse suivit mes conseils à la lettre. Il but la coupe. Circé le frappa de sa baguette, mais le charme n’opéra pas. Il sortit son épée et Circé consentit peu de temps après à délivrer ses compagnons. Elle les frotta d’un onguent qui leur redonna l'apparence humaine et les rendit même plus jeunes et plus beaux qu’auparavant! Pas même un mot de remerciement ! Bon d'accord, il ne savait pas qui j'étais... mais quand même... j'étais un peu vexé... Ulysse passa avec Circé le reste de l’année. Au printemps suivant, les compagnons qui commençaient à s'ennuyer ferme le poussèrent à reprendre la mer. Circée ne les retint pas mais elle prévint Ulysse : — Avant de poursuivre ton voyage, tu dois aller demander conseil au devin Tirésias. — Mais voyons, Circé, Tirésias est mort ! Il est au royaume d'Hadès et de Perséphone ! — Oui Ulysse, tu dois te rendre aux Enfers. C'est un passage obligatoire. Je t’expliquerai comment y parvenir.
Ulysse était accablé. Les Enfers – la mort – personne n’en ressortait vivant. Ulysse suivit les indications de Circé. Au bout d’un jour de navigation, il arriva à la frontière du monde des vivants et des morts. Il laissa ses compagnons et seul traversa un marais et arriva près du Styx et de l’Achéron, les fleuves qui bordent les Enfers. Là il rencontra les ombres de tous les héros morts pendant la guerre de Troie : Agamemnon, Achille, Ajax et bien d'autres. Il vit aussi les grands condamnés, Tantale, Tityos et Sisyphe. Mais surtout il écouta les paroles du devin Tirésias : — Tu vas « peut-être » rentrer chez toi, Ulysse. Mais Poséidon fera tout pour t’en empêcher. Il te hait depuis que tu as crevé l’œil de son fils Polyphème. Et surtout, maîtrise tes hommes, fais-toi respecter. En quittant les Enfers, ton navire te portera vers l’île du Trident où paissent les troupeaux du Soleil. Ses vaches sont aussi nombreuses qu’il y a de jours dans une année et elles sont sacrées. Si vous ne touchez pas à ces vaches, vous rentrerez tous sains et saufs à Ithaque. Ulysse écoutait attentivement les paroles du devin, sûr de l'obéissance de ses hommes. Mais il aurait dû se souvenir du sommeil trompeur envoyé par les dieux, pendant lequel ses hommes sont incontrôlables ! Prévenus, les marins retournèrent chez Circé qui leur donna des vivres, de l’eau, du vin et surtout de judicieux conseils : — Sur votre route, vous allez tout d’abord affronter les Sirènes, ce sont des charmeuses d’hommes. Oh ce ne sont pas des guerrières ! Leur arme, c’est leur voix. Leur chant est si mélodieux qu’elles vous attirent vers le rivage. Mais ce rivage est jonché des ossements des malheureux qui les ont écoutées. Je sais que tu voudras vraiment les entendre Ulysse. Dans ce cas, fais-toi lier au mât et demande à tes hommes de se boucher les oreilles avec de la cire et de garder le cap vers votre route. Ainsi, ils n’entendront ni le chant des Sirènes ni tes cris pour te faire détacher. Après les Sirènes, vous aurez un choix à faire, deux routes sont possibles : la première passe près du rocher de Scylla, c’est la route que je vous conseille. Pourtant, Scylla est un monstre, une créature de Poséidon. N’essayez pas de la tuer, elle est immortelle. Elle vit dans un rocher. De sa taille sortent six têtes de chiens horribles, dressées sur six longs cous. Avec ses têtes Scylla pèche et dévore les gros poissons, mais aussi les hommes. Son regard perçant ne laisse passer aucun navire et les têtes des monstres vont fouiller jusqu'à l'intérieur des bateaux pour trouver leurs proies. Tu perdras des hommes Ulysse! — Comment, Circé ? Tu veux que je choisisse cette route où mes hommes vont se faire dévorer par le monstre ? — Oui, Ulysse. Scylla a six têtes de chiens, tu perdras six hommes. Si tu t’aventures sur l’autre route, tu perdras tous tes hommes et toi aussi tu mourras. Car l’autre route mène dans les remous de Charybde. C’est un autre monstre qui, du fond de la mer, happe tous les navires sans exception. Les tourbillons provoqués sont tellement violents que les navires perdent tout contrôle et disparaissent à jamais. Le voyage se passa exactement comme l’avait prévu Circé, la magicienne : Ulysse fut charmé par les sirènes, mais attaché à son mât ne succomba pas à leur chant, Scylla emporta six hommes dans ses gueules de chiens tentaculaires et Charybde fut évité.
En arrivant à proximité de l’île du Trident, Ulysse se souvint des conseils de Tirésias et fit jurer à ses hommes de ne jamais abattre aucune vache du Soleil. Ils avaient de toute façon encore bien assez de provisions. Les marins accostèrent, se reposèrent, mais le lendemain, impossible de repartir. Une terrible tempête déclenchée par la haine de Poséidon dura plus d’un mois. Et au bout d’un mois, il n’y avait plus de vivres ! Un matin Ulysse s’éloigna du bateau, allant explorer l’île. En chemin il fut pris… d’un lourd sommeil envoyé par les dieux et devinez ce qui le réveilla : l’odeur des viandes grillées qui parvenait jusqu’à ses narines ! Maudit ! Ulysse se sentait vraiment maudit ! Le Soleil était très en colère. On avait tué ses vaches, sa fierté ! Il alla se plaindre auprès de Zeus, il ne voulait plus éclairer la Terre ! Pour apaiser le Soleil, le roi des dieux lui promit de le venger en utilisant sa foudre pour punir les compagnons d’Ulysse. Une semaine après, dès la fin de leur ripaille avec les bêtes tuées, les marins reprirent la mer qui s'était calmée. Mais à peine sortis de la rade, Zeus déclencha une nouvelle tempête encore plus effroyable, avec tonnerre, éclairs et foudre. Le navire fut déchiqueté et tous les hommes moururent sauf Ulysse. La malédiction du Cyclope Polyphème continuait : « Si tu rentres un jour à Ithaque, ce sera seul, tous tes hommes auront péri ! » Bon ! Si le nom d'Ulysse est passé dans la postérité, c'est bien parce qu'il est rentré chez lui ! Mais je vous promets que ce n'était pas gagné ! Quelqu'un a dû l'aider et, devinez, c'est encore tombé sur moi, Hermès! Cela s’est passé des années après l’histoire des vaches du Soleil. Après la tempête provoquée par Zeus, Ulysse avait réussi à s’agripper au mât ; il avait dérivé pendant dix jours avant de s’échouer sur une plage.
La déesse Calypso l'avait recueilli et le gardait prisonnier sur son île depuis plusieurs années jusqu’au jour où je vins lui demander de laisser partir Ulysse. En fait, c’est ma sœur, la déesse Athéna, qui a tout manigancé. Elle a toujours aimé Ulysse, je vous l’ai déjà dit. Elle a donc profité d’un banquet sur l'Olympe où nous les dieux, nous étions tous réunis. Enfin, tous sauf mon oncle Poséidon parti en voyage chez les Éthiopiens. Elle est super maligne Athéna! Lors de ce banquet, elle a réussi à convaincre notre père Zeus qu’il était temps pour Ulysse de rentrer chez lui à Ithaque pour retrouver Pénélope et Télémaque. Et comme d'habitude mon père m’a désigné comme messager pour aller persuader Calypso de laisser partir Ulysse. Personnellement je n’avais aucune envie d’y aller. L’île de Calypso est située à l’autre bout du monde dans un endroit où personne ne va jamais. Mais comment ne pas obéir à un ordre de mon père ? Calypso n'a pas été facile à convaincre! Tout compte fait, son île est plutôt agréable, pleine de fleurs et d'oiseaux, mais la déesse est seule et elle s'ennuie. Trop contente d'avoir trouvé un compagnon, elle ne voulait pas le laisser partir! Elle aurait même voulu l’abreuver de nectar et d’ambroisie, nourriture des dieux, pour qu’il devienne immortel ! Enfin…, elle aussi a bien été obligée d’obéir aux ordres de Zeus ! Ulysse a donc construit un radeau et il a fait ses adieux à Calypso, avant d’embarquer. Maintenant je passe le relais. Puisque ma sœur Athéna aime tant Ulysse, à elle de l’aider ! Et puis je panique un peu en pensant au retour de Poséidon. À mon avis, il ne va pas être très content que l’on ait agi derrière son dos ! Et comme c'est une idée d'Athéna....
Ulysse c'est un peu mon "chouchou"! Enfin... un peu beaucoup... C’est simple, Ulysse est le mortel qui me ressemble le plus. Moi, je suis Athéna, une déesse. Pas n'importe laquelle ! La déesse de l’intelligence et de la sagesse. Tous les dieux me respectent pour ces qualités. Et bien, Ulysse est le mortel le plus intelligent que je connaisse. Il est malin, rusé, habile, astucieux. Il réfléchit toujours avant d'agir, avant d'utiliser la force. Tout à fait comme moi! Il a une imagination débordante et raconte des histoires extravagantes pour se tirer d'affaire. Mais ses qualités sont insuffisantes dans la situation où il se trouve, c'est pourquoi j'ai décidé de l'aider.
Vous savez qu'après avoir pris la ville de Troie au bout d’un siège de dix longues années, les Grecs victorieux – soit dit en passant, ma participation à cette victoire ne fut pas négligeable – les Grecs victorieux donc sont rentrés chez eux. Tous sauf Ulysse ! Ce n’est pas juste! Depuis dix ans ce héros vainqueur subit la vengeance de Poséidon, le dieu de la mer. Et uniquement parce qu’il a crevé l’œil du cyclope Polyphème qui est un fils de Poséidon. Mais s’il ne l’avait pas fait, s’il n’avait pas utilisé la ruse, il aurait été dévoré par Polyphème ! Je veux bien respecter Poséidon. D'abord, c’est mon oncle, ensuite un dieu ne peut contrarier la volonté d’un autre dieu. Il a parfaitement raison de défendre son fils. Quand on fait partie d’une famille, il est naturel de soutenir les siens, n’est-ce pas ? Quoi que… ses enfants ...ce sont tous des monstres! Enfin… Là n’est pas mon propos. Ce qui m’importe c’est le retour d’Ulysse et dix ans… c’est long ! Le roi des océans en a fait voir de toutes les couleurs à mon héros préféré, tempêtes, mers démontées, destruction de ses navires, mort de ses compagnons et rencontre avec tous les êtres monstrueux ou divins qui peuplent son royaume. Ulysse doit retourner dans un monde humain. Il doit quitter le monde de Poséidon. Un mortel n’est pas fait pour vivre dans un monde qui n’est pas le sien et la place d’Ulysse est dans son île d’Ithaque auprès de sa femme Pénélope. J’ai profité de l’absence de Poséidon parti en vacances chez les Éthiopiens pour demander à mon père Zeus, le roi des dieux, de libérer Ulysse retenu depuis sept ans par la nymphe Calypso. Je me demande même si mon petit frère Hermès ne vous l'a pas déjà dit ? Enfin, peu importe... Poséidon et moi nous ne nous entendons pas très bien. Il y a souvent des sujets de querelle entre nous et je dois toujours utiliser la ruse pour aller contre sa volonté. Je savais que mon père – Zeus – serait d’accord pour aider au retour d’Ulysse, retenu contre son gré sur l’île de la déesse Calypso. Ulysse a enfin quitté l’île de Calypso sur un radeau et pendant une quinzaine de jours, il a navigué tranquillement poussé par un bon vent.
Mais Poséidon est rentré de vacances ! Il s’est mis très en colère, et ça, il sait faire mieux que tout. — Comment ? Ulysse n’est plus chez Calypso ? Il a suffi que je m’absente pendant quelques jours pour que les dieux viennent le secourir contre ma volonté. Mais ça ne va pas se passer comme ça ! Je vais m’occuper du grand héros… il n’est pas encore rentré chez lui ! Il a alors saisi son trident et déclenché une terrible tempête. La pauvre petite embarcation n’a pas résisté longtemps, le radeau a été disloqué et Ulysse se retrouva à moitié noyé. Poséidon était ravi : — Et voilà, tout seul au milieu de la tempête ! Plus de bateaux, plus de compagnons ! Tu n’as plus qu’une chose à faire maintenant, mon brave Ulysse nager ! On va voir si tu vas encore faire le fanfaron ! Tu te rapprochais de l’île des Phéaciens, les amis des dieux, tu te croyais au bout de tes épreuves, et bien détrompe-toi ! Nage, nage, nage encore ! Poséidon est reparti dans son palais, très satisfait. Puisque je me sentais responsable du départ d’Ulysse de chez Calypso, c’était à moi de le sauver et de le ramener chez lui. Tout d’abord, j’ai calmé la tempête. Au bout de trois jours, tantôt nageant, tantôt se laissant porter par les flots, Ulysse a échoué sur l’île des Phéaciens. À bout de force il s'est caché dans les buissons. Je lui ai envoyé le sommeil, il devait récupérer !
Le peuple des Phéaciens est particulier, il fait partie du monde des dieux ou plutôt il est juste à la frontière entre les dieux et les mortels. Les Phéaciens sont du sang des dieux, leur roi est un petit fils de Poséidon. Aussi mon oncle leur a- t-il attribué des privilèges : ils sont des « passeurs ». C'est-à-dire qu’ils sont les seuls à détenir le pouvoir de « passer » les mortels du monde des dieux au monde des hommes grâce à leurs bateaux magiques. Ces bateaux naviguent sur les océans plus vites que les plus rapides des oiseaux. Ils survolent les flots. Pas besoin de gouvernail, pas besoin de capitaine, les bateaux savent tout seuls où ils doivent aller. Ils ne craignent ni les tempêtes ni les avaries et arrivent toujours à bon port sans aucun problème. Ulysse – simple mortel dans le monde des dieux – ne pouvait rentrer sur son île d’Ithaque qu’avec l’aide des Phéaciens. Eux seuls avaient le pouvoir de lui faire quitter le monde de Poséidon, ses tempêtes et ses monstres. Mais ce n’était pas gagné d’avance. Il ne s’agissait pas pour Ulysse d’aller acheter un ticket et d’embarquer sur le premier bateau en partance. Il fallait acquérir la confiance des Phéaciens et particulièrement du roi et de la reine qui seuls décideraient du « passage » d’Ulysse. Notre héros devait faire leur conquête. Les Phéaciens se méfient beaucoup des étrangers et un naufragé anonyme n’avait aucune chance de réussir. C'était à moi de jouer : d'abord, rendre Ulysse présentable puis le guider jusqu'au palais sans que personne ne le voie. J’ai utilisé la fille du roi, Nausicaa. Je lui ai envoyé un songe lui disant d’aller avec ses servantes laver le linge au bord de la rivière, c'est-à-dire là où Ulysse était caché. — Regardez mes amies, il y a là un pauvre malheureux horriblement maigre, couvert de croûtes de sel, on dirait un vieillard ! Venez vite m'aider, nous allons le laver et l'habiller correctement ! Ulysse lui est ensuite apparu plus beau, plus jeune, semblable à un dieu. Je vous avoue que j’étais passée par là et que j’avais bien amélioré l’apparence de mon héros ! — Maintenant vous êtes digne d'aller voir mes parents ! S'exclama Nausicaa ravie de la transformation effectuée grâce à ses soins. Mes parents sont le roi et la reine de cette île, vous devriez aller leur demander de l'aide si vous voulez rentrer chez vous. Pour qu’Ulysse n’ait pas de problème en chemin, moi Athéna, je me suis métamorphosée en petite fille et je l’ai accompagné en lui expliquant dans quel pays étrange il était arrivé. Et pour le protéger, je l’ai entouré d’une nuée qui le rendait invisible. Ainsi, il est arrivé au palais des parents de Nausicaa sans se faire arrêter par personne. Ulysse utilisa tous les charmes de sa parole pour séduire le roi et la reine qui ordonnèrent qu’un grand banquet soit donné en son honneur. Au cours de la fête, ému par les chants de l’aède, le poète qui vantait les exploits des guerriers grecs lors de la prise de Troie, notre héros révéla à ses hôtes son nom et leur raconta toutes ses aventures par le détail. Les Phéaciens étaient conquis par le vainqueur de Troie et ne voulaient plus le quitter. Il y eut trois jours de festins, de danses et de chants qu’Ulysse trouva interminables – il n’avait qu’une envie : rentrer chez lui. Le roi le couvrit de cadeaux et le fit enfin embarquer à bord d’un de ses bateaux magiques. Dès qu’il fut sur l’embarcation, Ulysse s’endormit. Le navire vola sur les flots et c’est encore endormi qu’Ulysse fut déposé sur son île d’Ithaque avec tous ses cadeaux. Ulysse, le héros de la guerre de Troie, se réveilla sur une île qui était la sienne, mais il ne le savait pas, car moi, Athéna, j’avais utilisé mes pouvoirs et répandu une nuée autour de lui pour qu’à son réveil, il ne reconnaisse rien et qu’il apprenne tout de moi. Parti depuis vingt ans, je voulais qu’il se sente comme un étranger, que personne ne l’identifie avant qu’il n’ait reconquis sa place.
Puis je me suis métamorphosée en jeune berger pour aller à sa rencontre. — Quelle est donc cette île sur laquelle je suis arrivé, mon garçon ? me demanda-t-il. J’ai fait naufrage, je viens d’une terre merveilleuse, mon père était… Et voilà Ulysse reparti pour une histoire abracadabrante, pleine d’épisodes héroïques. Jamais on ne pourrait le changer ! Je ne pouvais m’empêcher de sourire. Je repris alors mon apparence de déesse pour mettre fin à ses discours si imaginatifs.
— Voyons Ulysse ! Ce n’est pas avec moi que tu dois jouer à ce petit jeu. Tu es sûrement le plus doué des mortels pour tromper tes semblables, mais avec moi tu ne gagneras jamais. Tu ne m’as pas reconnue ? Je suis Athéna, toujours à tes côtés pour te secourir. Sans moi les Phéaciens ne t’auraient jamais accepté ni couvert de présents.
— Comment puis-je te reconnaître ? Tu changes tout le temps d’apparence ! Et depuis dix ans je n’ai guère eu l’occasion de t’avoir à mes côtés !
— Je ne pouvais aller contre la volonté de Poséidon. Sa haine te poursuit depuis que tu as aveuglé son fils. Mais maintenant je suis là et tu vas m’écouter :
— C’est bien sur la terre d’Ithaque que les Phéaciens t’ont déposé. Depuis vingt ans ta femme Pénélope t’attend. Des princes des environs sont venus s’installer dans ton palais, ils veulent que Pénélope épouse l’un d’eux. Ces « prétendants » à la main de la reine profitent de toutes tes richesses, ils mangent tes bêtes et boivent ton vin. Pénélope n’en peut plus, elle cherche tous les moyens pour les faire patienter. Il y a quelque temps elle a eu l’idée de tisser un voile, soi-disant pour ensevelir ton père quand il mourrait. Elle annonça que quand le voile serait terminé elle choisirait son nouvel époux. Le jour elle tissait, la nuit elle défaisait ce qu’elle avait tissé le jour. Mais au bout de trois ans, elle fut trahie par une servante qui raconta tout aux prétendants. Maintenant elle ne sait plus quelle ruse inventer. Elle craint aussi pour ton fils Télémaque. Les prétendants aimeraient bien le faire disparaître et s’emparer de toutes tes richesses.
— Mais que puis-je faire seul contre tous ces hommes ?
— Tu ne seras pas seul, tu auras l’aide de ton fils Télémaque .
Voici mon plan : le but est de prendre tout le monde par surprise. Tu dois pénétrer dans la grande salle du palais. C’est là que se réunissent chaque jour tes ennemis. Mais tout d’abord, il te faut changer d’apparence, car personne ne doit te reconnaître. C’est la condition la plus importante pour que tu réussisses !
Je pris ma baguette magique et Ulysse fut métamorphosé en vieillard, sale, chauve, recouvert de haillons.
— Je vais envoyer à ta rencontre ton fils Télémaque. Il ne peut pas te reconnaître puisqu’il était encore un tout jeune enfant lorsque tu es parti pour la guerre. L’espace d’un instant, je te rendrai ton apparence de héros magnifique et ton autorité paternelle devra suffire à ce qu’il retrouve son père qu’il attend depuis vingt ans. Ensemble vous pourrez mettre mon plan à exécution.
Les retrouvailles du père et du fils furent un immense moment de bonheur partagé, d’effusions et de larmes. Télémaque confirma la triste situation du palais, le pillage effectué par les princes voisins qui attendaient que Pénélope se décide à épouser l’un d’entre eux et les mauvaises intentions qu’ils avaient à son égard.
Il était temps que le père et le fils agissent seuls, les ruses d’Ulysse devraient lui permettre de regagner son trône. Le cas échéant, moi, Minerve, je donnerai un petit coup de pouce aux événements.
Il n’était pas très difficile pour Ulysse de pénétrer dans la grande salle du palais déguisé en mendiant, mais ce qui allait être plus compliqué ce serait de contenir ses émotions, sa tendresse pour tous ceux que lui, il reconnaissait après vingt ans d’absence et aussi sa colère à la vue de ses ennemis.
En arrivant aux portes de son ancienne demeure, notre héros aperçut un très vieux chien, maigre et couvert de poux dormant sur un tas de fumier.
— Ce chien a l’air bien fatigué. Pourtant, on devine que cela a dû être une très belle bête, s’étonna le faux mendiant, Ulysse.
— C’est Argos, le chien d’Ulysse, lui répondit une servante. Plus personne ne s’en occupe depuis le départ du maître.
Entendant son nom, le vieux chien Argos leva la tête et fixa Ulysse avec passion. Bouleversé, le héros de la guerre de Troie ne put s’empêcher de verser une larme : son chien l’avait reconnu !
Vieilli par les ans, Argos ferma les yeux pour toujours et mourut tranquillement : son maître était revenu.
Ulysse se ressaisit et entra dans la grande salle où la foule des prétendants, les princes qui voulaient épouser Pénélope, étaient attablés à un banquet. À la vue du mendiant réclamant un peu de pain, les quolibets, les sarcasmes, les moqueries fusèrent. Ulysse reçut même un tabouret qui le blessa à l’épaule. Il ne broncha pas. Il observa, contint sa colère et rumina sa vengeance.
Apprenant l’incident du tabouret, la reine Pénélope demanda à ce que ce mendiant fût traité avec respect et attention comme tout étranger pénétrant dans sa maison. Elle n’avait, bien sûr, pas reconnu son époux sous les haillons de ce clochard.
— Qu’on lui dresse un lit et qu’on lui prépare un bain, demanda-t-elle à ses servantes.
— Non, non, pas tant de soins pour moi. Je dormirai par terre, j’en ai l’habitude, répondit Ulysse, très ému à la vue de son épouse. D'ailleurs, tes jeunes servantes ne voudront jamais toucher un vieillard tel que moi. Par contre si tu as une très vieille femme que les malheurs et les années auront emplie de sagesse, alors dans ce cas je veux bien qu’elle me lave les pieds.
Pénélope appela alors Euryclée qui avait été la nourrice d’Ulysse. L’âge et les rhumatismes l’avaient courbée en deux. En voyant le mendiant, elle s’étonna :
— Jamais je n’ai vu quelqu’un ressembler autant à Ulysse !
Puis, à petits pas, elle partit chercher une bassine d’eau. Quand elle s’agenouilla devant Ulysse, elle reconnut une cicatrice qu’il s’était faite au genou alors qu’adolescent il pourchassait un sanglier.
Folle de joie la nourrice se retourna vers Pénélope pour lui faire part de sa découverte, mais moi Minerve, j’avais préféré l’éloigner. Il était encore trop tôt.
— Garde mon secret, Euryclée, lui chuchota Ulysse. Dans peu de temps il sera dévoilé.
Ulysse avait toute confiance en moi aussi devais-je précipiter les événements pour déclencher le dénouement. La nuit suivante j’envoyai un rêve à Pénélope :
Dans sa cour vingt oies mangeaient du grain. Soudain un grand aigle est arrivé et leur a tordu le cou. Pénélope pleurait la perte de ses oies quand l’aigle se mit à lui parler : « tu ne rêves pas Pénélope, les oies sont les prétendants et moi je suis ton époux. Je m’étais envolé et maintenant je suis revenu. Je vais tous les faire mourir. »
En se réveillant, la reine est allée compter ses oies. Elles étaient toutes là, bien vivantes en train de picorer. Mais ce rêve lui donna une idée : « J’en ai assez du pillage de ma maison. Je vais proposer une dernière épreuve aux prétendants. Celui qui l’emportera je l’épouserai, je quitterai ce palais pour allez vivre avec lui. Ulysse avait l’habitude, pour s’exercer, d’aligner douze fers de haches et d’envoyer une flèche suffisamment forte et suffisamment droite pour qu’elle traverse les douze haches. Le vainqueur devra faire aussi bien qu’Ulysse. Mais déjà il faut qu’il arrive à tendre son arc ! »
Le lendemain matin la grande salle avait été rangée et nettoyée. Les prétendants arrivèrent et comme tous les jours se mirent à manger et à boire. Ils cherchaient toujours querelle au mendiant. Ulysse avait du mal à rester calme, la colère bouillonnait dans son cœur.
Moi, bien loin d’apaiser la querelle, je la laissais durer. Je voulais qu’Ulysse soit à bout. Quand je sentis que sa haine allait éclater, je mis dans la tête de Pénélope que c’était maintenant le moment de leur proposer le défi. Elle alla chercher l’arc et annonça la dernière épreuve aux prétendants.
Les haches furent installées. Pendant ce temps Ulysse fit en sorte que les portes de la grande salle fussent fermées afin que personne ne puisse s’échapper.
Chacun à son tour les prétendants essayèrent de tendre l’arc. Pas un n’y parvint.
Le faux mendiant demanda alors à la reine l’autorisation d’essayer lui aussi. Pénélope accepta bien volontiers et lui promit même des habits neufs en cas de réussite. Le mendiant était bien sûr hors compétition, elle n’allait quand même pas l’épouser !
Puis je suggérai à la reine de se retirer dans ses appartements, préférant qu’elle n’assistât pas à la suite des évènements.
Sous les ricanements et les quolibets des malheureux compétiteurs, Ulysse prit l’arc en mains. Mais la stupeur et l’angoisse remplacèrent les rires quand il le tendit sans effort et surtout quand la flèche qu’il lança traversa les douze têtes de haches. Notre héros se redressa alors, rejeta ses haillons et commença à viser et tuer ses adversaires les uns après les autres. Télémaque l’aidait de son épée. Mais le nombre n’était pas en leur faveur : une vingtaine de prétendants se tenait encore en face d’eux armés de piques et de lances.
Moi, Minerve, je voulais que le père et le fils montrent vraiment leur courage. La victoire devait être la leur non pas la mienne. Aussi je me suis changée en hirondelle et du haut d’une poutre je suivis le combat avec passion. Quand je voyais Ulysse et Télémaque en danger, je déviais les piques qui allaient les atteindre.
Ce fut un carnage, pas un des prétendants n’en réchappa.
Pendant ce temps, Pénélope, retirée dans ses appartements, ne se rendait pas compte du massacre qui avait lieu sous son toit. Je l’avais plongée dans un sommeil profond.
Quand tout fut nettoyé et la grande salle remise en état, la nourrice Euryclée alla la réveiller. « Ulysse est revenu, criait-elle très excitée, c’est lui le mendiant, il a tué tous les prétendants. »
Mais Pénélope refusait de la croire, elle doutait encore. Combien de fois, depuis dix ans, des étrangers avaient voulu se faire passer pour son époux !
J’avais redonné à Ulysse son apparence de héros semblable à un dieu, mais la reine avait besoin d’un signe, d’une marque que seuls eux deux, Ulysse et Pénélope, pouvaient connaître. Autrefois, au tout début de leur mariage, Ulysse avait construit leur lit de ses propres mains. Ce lit ne pouvait être déplacé, car l’un de ses pieds était un tronc d’olivier enraciné dans le sol autour duquel le lit avait été bâti. Ils étaient seuls à partager ce secret.
— Que l’on apporte notre lit dans la grande salle ! demanda Pénélope
Ulysse aussitôt s’exclama :
— Déplacer mon lit ? Mais c’est impossible ! C’est moi qui l’ai construit ! Un de ses pieds est un tronc d’olivier. J’ai bâti ma chambre autour. Personne ne peut déplacer ce lit à moins de couper l’arbre !
Enfin convaincue Pénélope en pleurs se jeta dans les bras de son époux.
Je rallongeai la nuit. Après vingt ans de séparation, ils méritaient bien cela.
Je n’avais plus qu’à remonter sur l’Olympe. Ma mission était accomplie : Ulysse était rentré chez lui !