14 Napoléon Bonaparte

Napoléon Bonaparte, né le 15 août 1769 à Ajaccio, en Corse ; mort le 5 mai 1821 sur l'île Sainte-Hélène, fut général, Premier consul, puis empereur des Français. Il a acquis une notoriété aujourd'hui universelle pour son génie militaire et politique, ainsi peu d'hommes ont suscité autant de passions que Napoléon Bonaparte.

Extrait : Mémorial de Sainte-Hélène ou Journal ou se trouve consigné, jour par jour, ce qu’a dit et fait Napoléon durant Dix-huit mois

Editeur : Par le comte de Las Cases ; 1823-1824 ; Tome Troisième ; Lundi 22 au Jeudi 25 (Avril 1816) : Le Gouverneur visite ma chambre. - Critique du Mahomet de Voltaire. - Du Mahomet de l'histoire.- Grétry ; page 133 à 137

Sir Hudson Lowe est venu visiter l'établissement; il est entré chez moi et y est demeuré un quart d'heure. Il m'a dit être fâché de la manière dont nous nous trouvions; nos demeures étaient plutôt des bivouacs, convenait-il, que des chambres. […]

Il allait donner l'ordre d'y remédier autant que possible, disait-il, et a ajouté poliment, qu'il avait apporté avec lui quinze cents à deux mille volumes français; que, dès, qu'ils seraient en ordre, il se ferait un plaisir de les mettre à notre disposition, etc., etc….

Racine et Voltaire ont fait les frais de ces soirées: Phèdre, Athalie, qui nous étaient lues par l'Empereur, ont fait nos délices. Il ajoutait des observations et des commentaires qui leur donnaient un nouveau prix.

Mahomet a été l'objet de sa plus vive critique dans le caractère et dans les moyens. Voltaire, disait l'Empereur, avait ici manqué à l'histoire et au coeur humain. Il prostituait le grand caractère de Mahomet par les intrigues les plus basses. Il faisait agir un grand homme qui avait changé la face du monde, comme le plus vil scélérat, digne au plus du gibet. Il ne travestissait pas moins inconvenablement le grand caractère d'Omar, dont il ne faisait qu'un coupe-jarrets de mélodrame, et un vrai manque....

Voltaire pêchait ici surtout par la base, en attribuant à l'intrigue ce qui n'appartient qu'à l'opinion. « Les hommes qui ont changé l'univers, observait l'Empereur, n'y sont jamais parvenus en gagnant des chefs; mais toujours en remuant des masses. Le premier moyen est du ressort de l'intrigue, et n'amène que des résultats secondaires; le second est la marche du génie, et change la face du monde! »

De là, l'Empereur, passant à la vérité historique, doutait de tout, ce qu'on attribuait à Mahomet.

«Il en aura été sans doute de lui comme de tous les chefs des sectes, disait-il. Le Coran, ayant été fait trente ans après lui, aura consacré bien des mensonges. Alors l’empire du Prophète, sa doctrine, sa mission, étant déjà fondés, accomplis, on a pu, on a dû parler en conséquence. Néanmoins il reste encore à expliquer comment l'événement prodigieux dont nous sommes certains, la conquête du monde, a pu s'opérer en si peu de temps; cinquante ou-soixante ans ont suffi. Par qui' a-t-elle été opérée? par des peuplades du désert, peu nombreuses, ignorantes, nous dit-on, mal aguerries, sans discipline, sans système. Et pourtant elles agissaient contre le monde civilisé, riche de tant de moyens! Ici le fanatisme ne saurait suffire; car il lui a fallu le temps de se créer lui-même, et la carrière de Mahomet n'a été que de treize ans….»

L'Empereur pensait qu'indépendamment des circonstances fortuites qui amènent parfois les prodiges, il fallait encore qu'il y eût ici, en arrière, quelque chose que nous ignorons. Que l'Europe avait sans doute succombé sous les résultats de quelque cause première qui nous demeurait cachée; que peut-être ces peuples, surgis tout-à-coup du fond des déserts, avaient eu chez eux de longues guerres civiles, parmi lesquelles s'étaient, formés de grands caractères, de grands talens, des impulsions irrésistibles, ou quelque autre cause de cette nature, etc.

En somme; Napoléon, sur les affaires de l’Orient, s'éloignait beaucoup des croyances communes, tirées de nos livres habituels. Il avait, à cet égard; des idées tout à fait à lui, et pas bien arrêtées, disait-il; et c'était son expédition d’Egypte qui avait amené ce résultat dans son esprit.

« Il est étonnant, pour revenir à Voltaire, disait-il, combien peu il supporte la lecture. Quant la pompe de la diction, les prestiges de la scène ne trompent plus l'analyse ni le vrai goût, alors il perd immédiatement mille pour cent. On ne croira qu'avec peine, continuait-il, qu'au moment de la Révolution, Voltaire eût détrôné Corneille et Racine : on s’était endormi sur les beautés de ceux-ci, et c'est au Premier Consul qu'est dû le réveil. »

Editeur : Par le comte de Las Cases ; 1823-1824 ; Tome Troisième ; Vendredi 26 (Avril 1816) : Ma visite à Plantation House – Insinuation - Première méchanceté de sir H. Lowe – Proclamation de Napoléon – Sa politique en Egypte – Aveu d’acte illégal ; page 143,144

« Et après tout, observait-il gaîment, ce n'est pas qu'il eût été impossible, que les circonstances m’eussent amené à embrasser l'islamisme; et, comme disait cette bonne reine de France : Vous m’en direz tant !... Mais ce n'eût été qu'à bonne enseigne; il m'eût fallu pour cela au moins jusqu'à l'Euphrate. Le changement de religion, inexcusable pour des intérêts privés, peut se comprendre peut-être par l'immensité de ces résultats politiques. Henri IV avait bien dit : Paris vaut bien une messe. Croit-on que l'empire d'Orient, et peut-être la sujétion de toute l'Asie, n'eussent pas valu un turban et des pantalons;[...]. Cependant voyez les conséquences ! je prenais l'Europe à revers, la vieille civilisation européenne demeurait cernée, et qui eût songé alors à inquiéter le cours des destinées de notre France, ni celui de la régénération du siècle !... »

Extrait : Précis des guerres de César, par Napoléon, écrit par Marchand, à l’île de Saint -Hélène sous la dictée de l’Empereur suivi de plusieurs fragmens inédits

Librairie - Editeur : J. P. Meline ; 1836 ; Fragmens Divers ; Observations sur la tragédie de Mahomet par Voltaire ; page 249

Pour que l'ouvrage de Mahomet soit vraiment digne de la scène française, il faut qu'il puisse être lu sans indignation aux yeux des hommes éclairés de Constantinople comme de Paris. Mahomet fut un grand homme, intrépide soldat : avec une poignée de monde il triompha au combat de Beder; grand capitaine, éloquent, grand homme d'état, il régénéra sur patrie, et créa au milieu des déserts de l'Arabie un nouveau peuple et une nouvelle puissance.

Extrait : Guerres d’orient – Campagnes d’Egypte et de Syrie – 1798-1799, mémoire pour servir à l’histoire de Napoléon, dictée par lui-même à Saint -Hélène

Editeur : Par le général Bertrand ; 1847 ; Chapitre V : Affaires religieuse ; Partie I : De l’islamisme ; page 208

Mahomet fut prince. Il rallia ses compatriotes autour de lui. En peu d'années, ses Moslems conquirent la moitié du monde. Ils arrachèrent plus d'âmes aux faux dieux, culbutèrent plus d'idoles, renversèrent plus de temples païens en quinze années, que les sectateurs de Moïse et de Jésus-Christ ne l'ont fait en quinze siècles. Mahomet était un grand homme. […]