CINEMA

кино

Kagemusha 影武者



La Doublure du Seigneur

(titre original remplacé par L'ombre du guerrier à sa sortie en France)

réalisation Akira Kurosawa

Japon ,1980 palme d'or au festival de Cannes


Ce soir sur la chaine Arte à 20 heures 55.


Nous sommes au Japon médiéval en 1573, la guerre civile fait rage opposant Takeda Shingen, Nobunaga, et Tokugawa allié de ce dernier.

Mais plus simplement un homme meurt un autre est mis à sa place.

Il perd ainsi son identité propre, il était fantassin, le voilà cavalier, il n'était personne, il a une identité d'emprunt, pour masquer à l'ennemi la mort prématurée du Daimyo historique Takeda Shingen (le tigre de Kai 甲斐の虎 ), pour sauver le clan des Takeda (ce qui n'est pas sans nous rappeler La Forteresse Cachée dont ce navet qu'est Star Wars n'est également que l'ombre). Pour sauver par delà le clan ce qu'il représente: Fūrinkazan (風林火山), littéralement « Vent, forêt, feu et montagne », l'étendard et devise du clan, qui sonne dans le film comme un appel aux puissances ancestrales qui viendront se fracasser sur les arquebuses du futur Shogun Tokugawa.

Comme toujours chez Kurosawa, vous l'aurez bien compris, c'est l'histoire d'un monde qui disparaît au profit d'un autre.

Il y croit le malheureux sosie du prince, on y croit avec lui, pour lui, c'est ça le cinéma, c'est une affaire de crédulité comme dans la vie.

Comme dans la vie, on reste toujours l'ombre d'un autre, d'un ancêtre, d'un Pavillon d'or auquel il faudra bien mettre feu, c'est un théâtre de marionnettes tout ça, c'est du No, c'est du Kabuki, c'est Mishima le ventre ouvert, c'est Kurosawa après le bombardement américain qui rasa Tokyo le 25 février 1945 de la surface de la terre, à coups de bombes incendiaires.

C'est pour ça que c'est plus grand que la vie (c'est pas du cinéma actuel pour midinettes, à la sauce Französisch, j'aurais envie de vous dire).

"Vas-y voir petit(e)" Tatsuya Nakadaï cinq ans avant l'apothéose de Ran ( Le chaos) chevaucher à la rencontre d'un destin déjà tout écrit, à y perdre la raison avant d'y perdre la vie, comme dans les tragédies de l'antiquité, comme chez Dante et Shakespeare, comme dans le théâtre No. Ici comme chez Bergman tout commence et tout finit par le théâtre en somme, le cinéma est un art du dix-neuvième disait Louis Skorecki et il avait sans doute bien raison.


CINEMA


du grec ancien κίνημα (kínēma, “mouvement”) + γράφω (gráphō, “écrire, enregistrer”)


par Sergueï Poplovich


Boris Barnet 1926 Miss Mend

Kine-ma, cinétique, motion picture, autant de potentiels synonyme à l'horizon du spectateur enfiévré que nous sommes.

Mais pourquoi chercher à voir plutôt qu'à vivre, la question est ancienne.

De la même manière que, mais également à contrario, l'état naturel n'a jamais existé chez l'être humain, l'humain-spectateur existe depuis toujours. A l'instar des différentes drogues, et autres substances hallucinatoires, il est concomitant de l'apparition de l'espèce homo-erectus et consorts.

L'image y est en mouvement, mais pourtant elle fut toujours immobile paradoxalement, suite de clichés, instants volés au passé.

Si l'on enlève les jeux du cirque que sont 99% de l'image cinématographique, informatique, télévisuelle actuelle, il reste quoi?

Il reste le culte des morts.

Le cinéma c'est la trace, mais plus que la trace c'est le geste qui l'a imprimé réitéré à l'infini, et c'est justement cet infini qui lui confère son grand pouvoir.

Si nous écoutons une chanson de Georges Brassens nous n'écoutons pas de toute évidence le malheureux Georges, mort il y a bien longtemps et qui s'en tamponne le ciboulot, non, nous écoutons la trace de sa voix, un écho, l'empreinte, le microsillon.

Or la trace c'est l'ancêtre (confère section ethnique du site), de la même manière que certains adorent Jésus ou Bouddha, nous adorons nos ancêtres, dans les musées, dans les cinémas, dans les livres; enfin la trace laissée par ceux-ci, et cette trace à l'époque moderne, pour renforcer le simulacre de la vie nous la mettons en mouvement.

Ce sont nos propres cadavres que nous observons s'agiter en quelque sorte derrière l'écran. Opération ô combien morbide, mais absolument nécessaire pour que, comme chez les peuples qui précédèrent les nôtres, nous soyons en accord avec nous-mêmes, avec l'inexorable fuite des secondes, que nous tentons par la même occasion de retenir dans notre paume comme de l'eau courante.

Paradoxalement, quand vient sa décadence comme de nos jours, la société se détourne du culte des morts.

Il ne lui reste que les jeux du cirque, le rock, le bruit, la fureur, les jeux olympiques, les jeux de dupes, jeux de masques.

Peut-être en l'absence de choix face à notre conscience de notre finitude, mieux vaut-il être dans le culte des morts, après tout, on peut y conserver un semblant de dignité, c'est déjà ça de gagné.



SEAN CONNERY



vu par Sébastien de Monbrison



La mort du Roi de la Jungle

Sean Connery nous a quitté... Pour nous le seul James Bond. Revenons donc aux james Bond de Sean, le seul qui nous intéresse. Sean Connery est le seul qui a su porter le caractère animal de James Bond. C'est le dernier primitif, un homme de cro-magnon en costard, tarzan qui est allé à Oxford mais bon qui reste Tarzan quand même. La fusion parfaite de Lord Byron et de l'homme des cavernes, le premier mutant, et n'en déplaise à Marvel et compagnie, le mutant parfait. Le sujet : sexe et violence. Enfin le jeu du sexe et de la violence. Paradigme simple : Tout homme veut être James Bond, toutes les femmes veulent tomber dans les bras, c'était simple, c'était con, c'était bon, James Bon... (j'ai pas pu m'empêcher).

Sean Connery est le seul avoir su jouer James Bond avec la frontalité brut que demandait le rôle (les autres sont des poseurs sophistiqués)

Le vrai et le seul sujet de James Bond (celui de Sean) c'est la libération de la femme. James Bond aka Sean Connery est l'agent libérateur. Chez James Bond, les femmes sont prisonnières d'un jeu social dans lequel l'homme bourgeois domine. Souvent acoquinée avec un méchant qui règne en maître sur l'ordre social dénoncé comme criminel. les yachts, les casinos, les sublimes villas tout ça est taché de sang. Le méchant règne là en usant des faux semblants de la bourgeoisie triomphante et des bonnes convenances. La dedans la James bond girl se meut, elle accepte ce jeu à la limite de la prostitution dans un mélange de peur et de soumission. Et voici James Bond, objet du désir, objet libérateur qui surgit. La perfection de la première séquence 'Bond, James bond" dans docteur No dit tout.

Nous sommes dans un casino, lieu du mensonge, du social, la scène est volontairement bordélique. Les personnages sont perdus dans un monde où règne l'argent et où les êtres ne sont que des fantômes, des spectres (l'organisation maléfique qu'affronte James est le Spectre, monde des morts, spectre social, spectre de l'argent etc)... Elle lui demande son nom, son visage apparait, il répond désinvolte; s'allumant sa clope "Bond, James bond". Lui est isolé, clair, échappant au tumulte et à tout ce qui se passe. James Bond ne joue pas le jeu des masques, il ne joue pas la séduction, il est le sexe. C'est bien le seul espion qui avance à visage découvert. Il n'a pas peur dans un monde où tout le monde a peur de se dévoiler, se cache, il prend le risque mortel d'être qui il est . C'est pas le genre à faire un selfie ou à être sur Instagram, James.

Dès que son nom est dit, la musique-signature se met en route, quelque chose s'est passé...

Quelques instants plus tard, lorsque le travelling (sensuel et parfait) se met en route et que les deux se mettent en marche, le tumulte social est d'un coup rejeté au loin, il n' y a plus qu'eux deux. La façon dont James s'accoude pour lui parler terminant la conversation le rapproche plus de la sensualité brut d'un Marlon Brando que de l'attitude qu'on attendrait d'un gentlemen dans un casino huppé. Choisir Bond, c'est choisir la liberté. En cela, homme ou femme, nous regardons James Bond avec le même regard, la même envie: celui d'une liberté totale, triomphante du social.

Evidemment choisir Bond est un risque et bon nombre de femmes y perdront la vie, l'émancipation n'est pas gratuite. L'amour à mort. L'oeil qui regarde James Bond au début de chaque épisode, nous le savons tous, n'est pas celui d'un pistolet mais celui d'un oeil féminin désirant et voyeur.

De son côté James Bond doit lui aussi faire un chemin, s'émanciper de ses parents, le Mi5 et tout particulièrement de M (Mother, Maman) qui malgré son caractère turbulent couve son enfant chéri. Car James bond est lui-même enfermé, il séduit des femmes mais retourne toujours chez maman, il faudra qu'il s'en affranchisse s'il en veut pas vivre à l'infinis les mêmes choses, le même rôle. Les finales des James Bond sont presque toujours les mêmes, l'ennemi vaincu, James et sa dulcinée sont isolées et James décide de couper (enfin) la communication avec M(aman) pour l'embrasser. L'autre carcan, la famille est brisé. James est enfin totalement libre. La victoire n'est pas fêtée ou acclamée par un retour triomphant, par la création d'un foyer familial et social, elle n'est pas dans une reconnaissance social ou du bon peuple mais dans un amour qui affranchit. L'ultime question comment faire du désir un amour est alors tranchée: "les amoureux sont seuls au monde", c'est notre seule chance. James Bond, c'est l'histoire de Tarzan qui va chercher Jane qui l'avait oublié et qui l'emmène avec lui (le travelling). "Bond James bond" n'est qu'un mantra pour dire "Moi tarzan toi Jane", et soudain Jane se souvient ...

https://www.youtube.com/watch?v=b15-P12gIf0&fbclid=IwAR1XROakVmzxSOVAu_GmEX4-0tGT5z5kGNIsgmS6QmIAS-q3kuRki2jQCWQ




DEAD ZONE

de David Cronenberg

vu par Sébastien de Monbrison



Ce lundi, Arte propose de revoir Dead Zone de Cronenberg aimable adaptation de Stephen King. Un bon ptit film pas désagréable. Le héros c'est Johnny Smith interprété Christopher Walken. D'ailleurs tout l'intérêt du film réside dans la présence de Christopher Walken, l'acteur le plus étrange de sa génération. Il se passe toujours quelque chose quand Christopher Walken est à l'écran.

Chez Wikipedia, ils disent "l'expression « zone morte » (dead zone) fait référence à la partie du cerveau de Johnny Smith qui est endommagée au-delà de toute réparation, ce qui entraîne l'éveil de son psychisme latent." Psychisme latent voila ce qui est tellement fascinant chez Walken. Ce qu'il ne joue pas mais qui est là, tapi dans l'ombre dans son jeu qu'on perçoit dans un regard, dans un ptit geste. C'est l'acteur possédé par excellence, possédé au sens premier de la transe de possession. Il est tout à la fois incarné d'un intensité folle et en même temps on se demande toujours si il est vraiment là. Échappant aux catégories hollywoodiennes du "good guy" et du "bad guy", les questions morales ne se posent pas, il évolue dans un état transitoire entre humanité et animalité, tout semble être pur instinct. Lorsqu'il est là (et non pas évoluant dans son étrange absence), il y a dans son regard et son sourire, une certaine ironie dont on ne sait si elle est démoniaque ou divine, qui n'est pas sans évoquer la fascinante expression du Saint Jean Baptise de Leonard de Vinci.

Contrairement au jeu psychologique de nombreux comédiens "caractérisant le personnage", procédant de l'identification entre le spectateur et l'acteur. Les personnages de Walken nous échappent immanquablement, on en sort avec toujours des interrogations sur les motivations, sur qui était ce personnage venu d'ailleurs...

D'ailleurs, on se demande des fois si il a vraiment eu une carrière d'acteur, tant il semble surgir dans les films depuis nulle part, faisant d'un coup dévier la musique ronronnante de bien des productions hollywoodiennes.

Deux réalisateurs ont peut-être mieux que personne su réellement utiliser cet acteur iconoclaste: Cimino tout d'abord utilisant sa beauté androgyne étonnante dans Voyage au bout de l'enfer et Heaven's gate et ensuite Ferrara. Chez Abel Ferrara, difficile de choisir entre le dandy boitant du trop méconnu New Rose Hotel et le vampire classieux de The Addiction" mais c'est quand même son interprétation du Roi de New-york qui reste le rôle de sa vie. Alors donc qui est Christopher Walken, pour le comprendre il faut bien sûr le regarder comme ce qu'il est avant tout, un danseur. C'est ce qu'il lui donne son élégance particulière et peut-être la véritable motivation de ces interprétations ne pas être un personnage mais un dieu dansant. En cela, il revient aux racines du théâtre sacré, celui des dieux chevauchant les adeptes dans les danses des danses de possession. Et ce n'est que que tardivement qu'il révèle enfin totalement sa nature secrète dans un envol final. Regarder Christopher Walken jouer c'est le regarder danser.