Il était une fois Virac

Il était une fois Virac d’après Roger ROBERT


Il faut remonter loin, bien loin pour avoir une lueur sur la naissance de Virac. De son lointain passé préhistorique, nous ne savons rien… les traces ont disparu. Seule peut-être encore une grotte, cavité creusée ou aménagée dans le roc est visible de nos jours, dans le flanc de la colline, sur main gauche en allant à Carmaux, passant par la côte dite du « Touron ». Une sorte d’autel se remarque en son intérieur, assez malaisé à atteindre.


Franchissons des siècles… L’empire romain étend sa domination sur la Gaule transalpine, 50 ans à 60 ans avant Jésus Christ. Cette invasion dut amener en nos lieux un certain Virius ou Viros. D’où l’étymologie de Virac : un nom d’homme gaulois sur une terre, ajoutez à ce nom le suffixe « aucum » : propriétaire. C’est ainsi qu’a dû naître Virac.


La décadence de l’empire romain amena les invasions des Wisigoths au 5ème siècle, des Ibères, puis celles des Burgondes, avec l’épisode tragique du supplice de la princesse Brunehaut, attachée à la queue d’un cheval indompté dans la forêt de la Grésigne – puis les invasions des Celtes dont, sans nous en douter, nous employons encore certains mots dans notre langue occitane…


En l’an 574, Virac vit arriver les Francs. Certains enfants reçurent jusqu’à notre siècle le nom de leur chef, Clovis ! Depuis que le nommé Virius ou Viros s’était installé propriétaire en nos lieux, son domaine, agrandi au cours des siècles, dut être partagé en parcelles qui formèrent des hameaux assujettis à son centre, Virac. Au cours d’autres invasions qui suivirent, ces lieux furent rasés et leurs habitants vinrent se réfugier, ici, dans la première enceinte. C’est ainsi qu’au lieu-dit Tauriac, hameau de Virac, il a été retrouvé en plein champs sur une petite hauteur, un lieu de sépulture avec des squelettes dans des sarcophages. Lors de quelles invasions les gens des hameaux vinrent-ils chercher refuge à Virac ? On ne sait… Etait-ce lors de l’avance des Sarrasins au 8ème siècle, de la croisade contre les Albigeois vers le 13ème siècle, de la guerre de cent ans ? Je pencherais plutôt pour celle-ci. Ce hameau de Tauriac ne contient en ce moment que trois fermes très éloignées l’une de l’autre.


Dans la même direction, un peu plus à gauche, un lieu-dit appelé la Gauginié devait être très peuplé aussi. En effet on peut encore voir sur des registres de la mairie que vers 1793, on écrivait facilement Virac-la Gauginié. Il n’y a maintenant qu’une seule ferme en ce lieu, ceci nous montre la fin, la mort lente de nos campagnes.


Donc le premier Virac « gonflé » si je puis dire par l’appoint des réfugiés a grandi. Tout comme Salles, il a longtemps dépendu du Ségur où en l’an 900 un monastère important moitié religieux, moitié militaire, devait « garder » les confins du Rouergue. A ces très lointaines époques, notre village se trouvait ballotté, dépendant suivant les moments, du Ségur, de Cordes, du vicomte de Toulouse qui à son tour le passait au vicomte ou à l’Archevêque d’Albi. C’était la valse dansante… Et les viracois ?… Les impôts et le travail devaient être leur lot qui égalait la misère…


En 1226 beaucoup de tisserands de Cordes étaient affiliés à la religion cathare. Ils prenaient leurs directives à Najac dans l’Aveyron… Le chevalier de Lavistour (à Magot) et le chevalier Guillaume de Virac étaient en étroites relations avec eux. Leurs maisons et leurs ateliers étaient les lieux de leurs réunions. Le chevalier Taillefer de Saint-Marcel faisait lui aussi partie de l’équipe.


En 1313, le seigneur de Virac, tout comme ceux des villages d’alentour, était le vassal de celui de Cordes. Cette année là, Virac ne voulut payer aucune servitude d’impôt de taille à Cordes. C’est à cette époque je crois que les habitants de Virac ne pouvaient s’approvisionner en viande qu’à Cordes exclusivement et ce, un tel jour de la semaine… Mais entre nous les pauvres gens ne devaient point manger de bifteck chaque jour !


En 1459 (30 juin) le sénéchal de Toulouse somme les consuls de Virac de réparer les fossés et les murs d’enceinte de Virac (époque de Charles VIII).


Des seigneurs Alamans « trônèrent » à Virac au 13ème siècle, les marquis de Trévien au 18ème siècle, plus près de nous au 19ème siècle la famille de Fonpérouse…

Au 16ème siècle s’installèrent ici les religieuses de Notre Dame des Fargues.


Elles dispensaient un certain enseignement et avaient créé une école dans le village. Chaque dimanche et à tour de rôle, chaque famille apportait pour elles le pain nécessaire à leur nourriture et pour beaucoup une petite obole en plus. Leur présence à Virac dut prendre fin aux alentours de 1880. J’ai entendu raconter tout cela par mon grand-père. D’autres anecdotes m’ont souvent été racontées par les anciens du village. Tout comme moi, ils l’aimaient, ils avaient pris racine dans notre sol natal. Avec son passé, leur jeunesse revivait : maintenant, moralement je les comprends mieux, car moi aussi je commence à avoir l’âge canonique.


Avant 1789, il y avait un notaire à Virac : Maître Favarel. En 1772 il reçut en son étude le marquis de Solages Gabriel et mademoiselle Jeanne de Clary qui y passèrent leur contrat de mariage. Cela indique la certaine importance du village à cette époque.


Au point de vue des autres activités, Virac a vu un bon nombre de commerces et d’artisans. Avant et même un peu après la guerre de 1914, il y avait encore 2 cafés, un tailleur, un coiffeur, un forgeron, un charron, un menuisier, 2 épiciers, un chercheur de truffes connu de 20 lieues à la ronde, 2 cordonniers, un boulanger…


Dans le domaine religieux, pendant longtemps nous avons eu un curé résident. Maintenant c’est une équipe de trois ou quatre curés demeurant à Cordes qui desservent la paroisse et un certain nombres d’autres.


Sur le plan scolaire, depuis 1883, nous avons toujours eu des instituteurs à Virac. L’un d’eux, monsieur Martiel, est resté en fonction à Virac de 1892 à 1922. Je suis du nombre des élèves qu’il a formés pour la vie… Nous lui devons tous beaucoup et nous n’avons qu’à le remercier d’avoir eu souvent la mains leste ; une gifle, ça fait du bien ; elle aide à l’attention du « comprenoir » et au comportement des écoliers que nous étions.


Depuis 1835, l’administration des PTT avait une poste auxiliaire rurale. Sa suppression en 1959 a été assez mal ressentie par les villageois, à cause de la commodité de pouvoir faire leurs opérations financières à n’importe quelle heure. Puis l’habitude, cette seconde nature s’est perdue : nous n’avons plus qu’à nous louer de notre préposé. Il est bien dévoué et sérieux.


De nos jours, le vieux village, par le fait, n’existe plus… Il se devine ; on pénètre en haut par un porche-portail ; des encoches servant à cacher des poutres dans le mur sont visibles… Vous entrez, c’est la plus grande désolation… Là où moi-même avais vu des ruines… rien…rien… Deux anciennes aires à dépiquer recouvertes de ronces et d’immondices. Les restes de l’ancien château seigneurial ont disparu en 1922. Le four banal « tombe en loques », j’y avais moi-même encore cuit du pan, durant la guerre de 1914, et c’était mon grand-père qui s’occupait du chauffage… A l’angle de cette bâtisse, vous voyez encore un trou percé de part en part dans la pierre. Il servait à mettre une torche de résine pour éclairer la rue. La date de 1649 se lit encore sur l’une des pierres.


Descendons un peu plus loin… A peine si on devine qu’il y avait là un autre portail. A gauche, à la sortie, un grand étang, d’environ 20 m de long et 7 à 8 m de large, représentait le dernier restant des fossés de Virac. J’y ai vu des femmes laver du linge, des animaux boire ; Pendant les hivers beaucoup plus rigoureux que maintenant, c’était la patinoire pour les gosses que nous étions. Cet étang a été comblé… Plus loin, tout au bord d’un chemin, une fontaine, ancien puits communal, porte sur l’une de ses pierres la date 1612…


Puis c’est l’église et son clocher. La date 1489 est marquée sur un pilier à gauche du chœur ; elle ne se voit plus à la suite du crépissage qui s’est fait. Si l’ouvrier avait eu bonne conscience et respect du passé, il aurait dû « encadrer » cette date par son travail. Je ne fais point sa description, mais je me suis toujours demandé la signification des ancres de marine peintes sur la pierre formant la clef des arcs-boutants de la voûte. L’une des clefs de voûte est ornée d’une fleur de lys…ça, c’est la royauté. Le clocher a dans les 35 mètres de hauteur en y comprenant une croix qui le surmonte. Lors de la réparation, vers 1925, j’ai vu cette croix descendue sous le porche ; elle avait au moins 2,50m de haut. Autrefois il y avait 3 cloches, mais l’une d’elle a été envoyée à je ne sais quelle fonderie pour être transformée en canons, en vue de la défense nationale. Admirez donc notre cloche dont « l’airain sacré » fut changé en « brutal tonnant » faisant fuir les ennemis de la 1ère république. Quant à la grosse cloche, elle a été fondue en 1737, sur la place même de notre village. Un trou avait été creusé, près du chemin de la Lande : dans cette cavité, était placé le moule où se coulait le métal en fusion ; pendant le coulage, les seigneurs voisins, le seigneur de Virac, de même que des gens de conditions de toute sorte, jetaient dans ce métal en fusion soit des écus d’argent soit d’autres monnaies. Ils étaient encouragés en cela par les fondeurs qui leur disaient que la cloche aurait meilleure sonorité, ou par le curé qui leur promettait des indulgences pour aller au ciel ! De fait, la cloche a un son un peu argentin…


Trois personnes sont enterrées dans l’église. La première, c’est le curé Tristan Dolmière, le 18 février 1704, qui desservait la paroisse depuis 36 ans. Les deux autres, en janvier et février 1749 ; l’une était encore un prêtre : Auguste Paulin, desservant Virac depuis 1714, la seconde une dame : Antoinette Delmur, âgée de 73 ans. La flèche du clocher a été réparée en 1837, en 1883, puis en 1925 et encore dernièrement… Pourquoi une si vaste église pour Virac ? tout simplement parce que notre village était prospère en ce temps-là. Son revenu égalait celui de Monestiés et de Salles réunis.


Allons ensemble sur la place où trône cette grande croix sur piédestal, en pierre de taille, commandée en 1867 au sieur Escaffre, tailleur de pierre à Raoul, commune de Monestiés. Le coût fut de 500 francs ; les papiers signés par la commune et le constructeur ont été approuvés par le préfet, le 1er juin 1867 : le timbre impérial de Napoléon III coûtait 50 centimes ; à cette occasion, Pierre Jean Yèche a donné 200 francs pour cette croix. La vierge que vous voyez sur son socle est la conclusion tangible d’une mission religieuse effectuée vers 1880 ou 1890. A côté vous avez la plaque souvenir des enfants morts pour que la France vive durant les deux guerres. Je les ai tous bien connus. Il s’en est fallu de peu que, moi aussi, je ne leur tienne compagnie, sur cette plaque. Parfois je me prends à regarder leurs noms, car ceux qui sont tombés sous l’avalanche et le tonnerre des obus méritent notre pensée : « Ceux qui sont morts pour la Patrie, ont droit qu’à leur cercueil, la foule vienne et prie ». Ces vers sont bien anciens, ils prouvent un sentiment de pérennité, car la Patrie, le Pays, c’est l’ensemble de ces villages de France que nous aimons.


Tout comme à Salles, le cimetière entourait l’église. Je ne sais quand la partie gauche a été désaffectée, par contre le côté droit a été supprimé durant la 2ème guerre mondiale. C’est en 1896, que le nouveau cimetière a reçu les premières sépultures.


Deux cents mètres plus haut, sur la hauteur du Brandou est situé, à l’intérieur même du mamelon, la terre le recouvrant, le réservoir d’eau alimentant le village. L’adduction est l’œuvre de la commune (1952-1953). La station de pompage se trouve dans la vallée de la Zère, tout à côté du ruisseau de ce nom. Auparavant, en lieu et place du réservoir, était un ormeau énorme, je ne sais combien de fois centenaire. Juché sur les 317 m de cette hauteur et dominant le village, il se voyait à des lieues à la ronde… point de repère de la carte d’état major.


La grande école, sur la place du Couderc, a été construite vers 1880. L’école, dite des petits, date de 1953. La grande bascule de 1954. La grande salle de fêtes a vu le jour en 1960.


Population de Virac : début du 18ème siècle : plus de 600 habitants ; 1834 : 446 ; 1974 : 263 ; 1976-77 : 243-220.


Notre village, signe des temps, se vide de beaucoup de ses enfants. Il se meurt, petit à petit, malgré les efforts de tous ceux d’entre nous qui restons. Les jeunes vont vers des cieux plus « rentables ». Pourtant la jeunesse seule qui donne l’entrain, la joie, l’enthousiasme, chasse les idées moroses et donne son sens à toute activité, elle est source de vie. Mais n’est-ce pas de la part de tous, des « commandants », comme des « commandés » d’être un peu allés trop loin, d’avoir favorisé cet exode. La ville et ses merveilles n’est pas toujours accueillante… Elle donne moins que ce qu’elle a promis. C’est pourquoi enfant du pays, je regarde autour de moi ce qui se passe, et je me dis, comme Montaigne, qu’ « à la sueur de mon visage, j’aurais gagné ma pauvre vie, après long travail et usage, c’est la mort qui me convie ! ».


Car tout meurt, tout s’en va… les villages comme leurs villageois !


Source « Journal de l’Association Monestiés Combefa d’hier et d’aujourd’hui » (décembre 1979)