Epicurisme et Stoïcisme

Dans la croyance populaire, un stoïcien est un être insensible et sans émotions et un épicurien une personne qui jouit de tous les plaisirs, jusqu’à l’excès. Or, rien n’est plus faux. Le stoïcien comme l’épicurien ont de riches émotions et suivent une discipline stricte dans leurs désirs et plaisirs. La différence entre ces deux écoles, fondées vers l’an 300 avant Jésus-Christ, se situe à un autre niveau.

Éthique : suivre son plaisir ou son devoir ?

Faut-il suivre son devoir ou le plaisir pour être heureux ? Pour les stoïciens, c’est le devoir ; pour les épicuriens, le plaisir. C’est la différence fondamentale entre stoïcisme et épicurisme.

Plus précisément, un épicurien suit principalement les désirs naturels et nécessaires :

Les désirs naturels et non nécessaires, comme la recherche de l’agréable (sexe, confort, vêtements…) sont acceptés tant qu’ils sont sous contrôle et qu’ils ne nous dominent pas. Les désirs non naturels et non nécessaires, comme le luxe, la célébrité ou l’immortalité, sont à rejeter.

Un stoïcien, pour sa part, suit son devoir et ce qui préserve sa constitution d’être social et raisonnable : il cherche avant tout à agir avec justice, courage, modération, prudence. Il ne fait pas dépendre son bonheur de l’absence de troubles du corps, de l’amitié ou du plaisir. Les plaisirs accompagnent la vie bonne mais ne sont pas nécessaires à sa tranquillité, qui provient de la vertu seule.

ÉPICURISME
Et c’est pourquoi nous disons que le plaisir est le principe et la fin de la vie bienheureuse. Car c’est lui que nous avons reconnu comme le bien premier et connaturel, c’est en lui que nous trouvons le principe de tout choix et de tout refus, et c’est à lui que nous aboutissons en jugeant tout bien d’après l’affection comme critère.

Épicure, « Lettre à Ménécée », § 124

STOÏCISME
La vertu suffit au bonheur comme disent Zénon, Chrysippe au premier livre Des Vertus et Hécaton au deuxième livre Des Biens. « Si, dit-il, la grandeur d’âme suffit à mettre l’homme au-dessus de tout, et si elle n’est qu’une partie de la vertu, la vertu y suffira donc avec son mépris de tous les embarras apparents. »

Diogène Laërce, Vies et opinion des philosophes, VII, 125-127

Politique : Jardin d’Épicure vs Portique du stoïcisme

Le mode de vie des stoïciens et des épicuriens est très différent.

Les épicuriens vivent dans un Jardin situé en dehors de la cité. Ils considèrent que la vie en communauté d’amis est nécessaire à la tranquillité de l’âme et refusent la participation politique, sur le mode « vivons heureux, vivons cachés ». Cela ne les a pas empêché de mener des réflexions sur le droit, la notion de justice ou la rhétorique.

Les stoïciens, eux, font école en plein milieu de la cité, sous le portique peint d’Athènes et considèrent qu’il faut se mêler de politique si les circonstances nous y conduisent ou obligent. Pour eux, vivre caché n’est pas une condition nécessaire au bonheur : c’est la vertu qui compte, que l’on vive caché ou que l’on se mêle de politique.

ÉPICURISME
Ne nous occupons pas, disait Métrodore, de sauver la Grèce ni de mériter des couronnes civiques. La seule couronne désirable est celle de la sagesse. Mais faisons belle chose sur belle chose , en ne tenant plus à cette vie terrestre que par le corps et en nous plongeant dans les divins mystères d’Épicure.

Métrodore, De la philosophie, cité par Plutarque

STOÏCISME
Selon les Stoïciens, le sage fera de la politique, s’il n’en est pas empêché, comme dit Chrysippe dans le premier livre « Des Vies »; il arrêtera le vice et encouragera à la vertu.

Diogène Laërce, Vies et opinion des philosophes, VII, 121

Logique : discours intérieur vs sensation

Les stoïciens et les épicuriens s’accordent sur le fait que la connaissance utile est celle qui doit permettre de mieux vivre.

Les épicuriens agissent selon le plaisir. Leur critère de vérité est la sensation : si quelque chose me procure du plaisir, elle est à choisir ; si c’est de la douleur, elle est à éviter. Cette psychologie de l’action n’est pas aussi basique qu’il n’y paraît. Tout plaisir n’est pas bon à prendre et toute douleur n’est pas à éviter. Par exemple, terminer un projet important qui demande des efforts (douleur) mais qui m’apportera une réelle satisfaction et allégera ma charge mentale (plaisir stable) est une douleur à choisir. À l’inverse, consommer de l’alcool de façon excessive qui provoquera une gueule de bois et des éventuelles troubles durables (douleur) est un plaisir à rejeter.

Pour connaître les plaisirs à choisir et les douleurs à rejeter, un épicurien se fonde sur son expérience propre (car le critère de la vérité est la sensation) et sur la valeur qu’il attribue à chaque plaisir. Les plaisirs stables, ceux qui provoquent une tranquillité du corps et de l’esprit sont à préférer sur les autres. Ces opérations logiques sont appelées « raisonnement sobre » par Épicure.

Les stoïciens, à l’inverse, ne font pas du plaisir le critère de choix ou de vérité. Ils s’en remettent à ce qu’il convient de faire ici et maintenant : le devoir, la vertu. Leur critère est la représentation exacte, celle qui n’ajoute aucun jugement de valeur à la réalité des choses. Selon eux, la représentation exacte guide nécessairement à la vertu. Par exemple, si je suis sur la route et que j’arrive dans un embouteillage, la représentation exacte consiste à voir cet embouteillage sans ajouter de discours intérieur. Si j’ajoute un discours du type « ce bouchon est terrible, il va me faire arriver en retard, ce qui est terrible aussi », je m’éloigne de la réalité factuelle des choses. Je considère cette « douleur morale » comme un mal, ce qui n’est objectivement pas le cas. Dans le stoïcisme, les seuls jugements de « ceci est bien » et « ceci est mal » se rapportent respectivement à l’attitude vertueuse et à l’attitude vicieuse. L’éthique stoïcienne est ainsi guidé par un examen minutieux de nos représentations et par le fait de donner son assentiment aux représentations exactes uniquement.

ÉPICURISME
Il nous arrive de laisser de côté de nombreux plaisirs, quand il s’ensuit, pour nous, plus de désagrément. Et nous considérons que beaucoup de souffrances l’emportent sur des plaisirs, chaque fois que, pour nous, un plaisir plus grand vient à la suite des souffrances que l’on a longtemps endurées. […] C’est toutefois par la nature comparative et l’examen de ce qui est utile et de ce qui est dommageable qu’il convient de discerner tous ces états, car, selon les moments, nous usons du bien comme d’un mal ou, à l’inverse, du mal comme d’un bien.
Épicure, « Lettre à Ménécée », §129-130

STOÏCISME
Que toute passion soit donc effacée et l’âme apaisée, en lui enseignant que ce qui donne naissance au plaisir et au désir n’est pas un bien, et que ce qui produit la crainte ou la peine n’est pas un mal. […] Il y a une autre manière de raisonner et de parler qui, en supprimant l’opinion fausse, retranche en même temps la peine.
Cicéron, Tusculanes, IV, 28, 60

Physique : indifférence des dieux vs Nature divine

Dans le stoïcisme et l’épicurisme, la compréhension de la nature a un effet libérateur pour l’âme.

Pour Épicure, l’étude du monde permet de se libérer de la peur des dieux et de la mort. Sa physique soutient que les dieux ne sont pas à craindre car ils n’agissent pas sur le monde. Les événements s’expliquent naturellement, sans leur intervention. Par exemple, quand une pandémie survient, c’est l’effet mécanique de lois naturelles qui la provoque et non une volonté de la nature.

Par ailleurs, la physique épicurienne est matérialiste : tout est matière, y compris l’âme de l’être humain. Celle-ci est composée d’atomes qui se désagrègent lors de la mort et qui perd toute sensibilité, comme le corps. Ainsi, la mort n’est pas à craindre car elle la disparition du corps et de l’âme, c’est-à-dire de la sensation de vivre. Nous ne pouvons pas souffrir d’être mort.

Dans le stoïcisme, la physique permet de comprendre notre place dans l’univers et de « vivre en accord avec la nature ». Comprendre l’univers et ses lois revient ainsi à accepter ce qui ne dépend pas de nous et à voir les choses comme elles sont, sans y ajouter de jugements erronés. Comprendre l’humanité revient à identifier notre rôle dans la société, nos devoirs à l’égard d’autrui et notre capacité à produire le bien comme le mal . Comprendre notre âme revient à identifier ce qui dépend de nous (nos désirs, jugements, assentiments…) et à agir pour produire le bien, seul capable de nous rendre heureux. L’éthique stoïcienne dérive de l’observation de la nature : la nature est harmonieuse, cohérente et bienveillante ; l’être humain doit refléter ces mêmes qualités.

ÉPICURISME
On ne peut se libérer de la crainte à propos des choses les plus essentielles [les dieux et la mort] si l’on ne sait pas exactement quelle est la nature de l’univers, mais qu’on attribue quelque soupçon de vérité aux récits mythologiques, en sorte que sans l’étude de la nature, il n’est pas possible d’obtenir nos plaisirs à l’état pur.

Épicure, « Lettre à Pythoclès », §86

STOÏCISME
Celui qui veut vivre d’accord avec la nature, doit en effet partir de la vision d’ensemble du monde et de la providence. On ne peut porter des jugements vrais sur les biens et sur les maux, sans connaître le système entier de la nature et la vie des dieux, ni savoir si la nature humaine est ou non d’accord avec la nature universelle.

Cicéron, Des biens et des maux, III, 23, 73

Le stoïcisme et l’épicurisme se distinguent donc sur de nombreux points (éthique, politique, logique, physique…). Pourtant, ces deux philosophies partagent le même désir d’aider les êtres humains à vivre leur vie au mieux, par la discipline de vie, la recherche, l’exploration et la connaissance. Alors, êtes-vous plutôt stoïcien ou épicurien ?