Né en 1970 dans les forêts du Lot, en pleine période de croissance du mouvement féministe et de l'émergence de deux parties extrêmes, Jérémie Labsolu est un homme très sensible et d'une extrême gentillesse, qui armé de son crayon de bois et de son ordinateur devient un barbartiste de bande dessinée. Après plusieurs années d'expérimentations mais aussi de traversée du désert (décor emblématique dans ses travaux) à se décarcasser et à toucher du bois, il est repéré en 2008 par Run, l'auteur de la série Metafukaz qui lui proposera de prendre les commandes d'un spin-off : Meta Muta. Après s'être heurté à un mur, l'auteur fait avec cet album, un début fracassant de carrière. Une carrière de cailloux pourrait-on dire, tant son univers en est saupoudré : désert rocheux, crânes (des durs, des broyés) mais aussi par ses dessins semblant réalisés à la pierre dure et à l'os creux avec ses touches de rouge qui rappellent la peinture rupestre. Jérémie cultive l'art du déroutant en triturant les images autant que ses méninges pour casser les codes graphiques et narratifs du support dans des fulgurances foutraques. Il conduit le lecteur dans son univers cruel fait de beaux accidents graphiques mais aussi routiers, où avec sa narration éclatée, il prend plaisir à retourner le cerveau comme ses personnages font des tonneaux en voiture. Cet ancien disciple du cirque Silvia Montfort jongle avec les contradictions, imposant un trait brut et abstrait à des décors (dé)construits et texturés à l'ordinateur,(à partir de recyclage de photographies glanées sur le net, aux rythmes de musiques pêchues : The Arctic Monkeys, Arcade Fire) avec un discours complexe sur le dictat de l'Etat. Dans ses récits, l'artiste alterne les scènes d'action intenses aux influences shonen et les scènes mélodramatiques braillées comme des chansons punks par des personnages marginaux et débordants. Des femmes farouches et robustes côtoient des personnages masculins pathétiques. Généralement pieds nus, à quatre pattes, les cheveux hirsutes, sans sous-vêtements mais habillés de crânes ou de masques tribaux très beaux, ses héros hors cadre s'opposent à toutes formes de règles. N'entrant dans aucune case, ils sont prêts pour l'amour de la liberté, à mourir plutôt que vivre entre quatre murs. Aujourd'hui, retour à la case départ pour Jérémie qui s'est lancé un nouveau défi créatif : celui de créer un jeu vidéo... qui sera à coup sûr unique !
Parole à l'Auteur:
Au début, ce sont les bornes d'arcade, dans les cafés, toujours en spectateur. On est dans les années 80 :). Quand la borne est libre, je fais semblant de jouer sur la démo du jeu qui passe en boucle :').
Plus tard, une Game & Watch que j'ai vivement désirée, mais qui m'a très vite lassé. Des heures aussi passées un soir, jouant avec les voisins d'en face sur un ordinateur d'un bureau inoccupé, à ce qui doit être un des premiers RPG. Nous explorions ces labyrinthes monochromes infinis. Les jeux vidéo étaient inaccessibles. La GameBoy ne sortira qu'en 89. Le jeu vidéo encore, au moment où j'achète une console à ma fille, une DS Lite. Je veux qu'elle ait ce « marqueur culturel d'une génération » (oui, c'est vraiment ce que je pensais xD). Avec le sentiment d'être moi-même passé à côté de quelque chose, le soir, je squatte sa console comme un forcené, on joue aux mêmes jeux. Avec le temps, on développe un méta-langage, faisant référence à des univers que nous seuls connaissions. C'était cool. Arrivée d'internet, les premières vidéos retraçant l'histoire de l'informatique, du Web et du jeu vidéo. Cela m'a passionné, on découvre des vidéos où des développeurs expliquent comment ils exploitent le moindre bit disponible des consoles de l'époque. Et oui, il y avait vraiment les dernières bornes à la mode dans ma petite ville du Lot, je suis pantois.
En 2011, les jeux deviennent réalistes. Trois ans plus tard, une PSP et The Binding of Isaac... je crois que c'est tout ce que j'ai à dire sur cette console. Les années passent, je commence à penser très fort aux jeux vidéo. Le monde se confine, mon Mac décède, je monte un PC: Inside, Inscryption, Firewatch, Vane, Jusant, Sable, Cocoon... j'aime les jeux de balade. Je ne cherche pas le réalisme dans les jeux. Je me promets d'essayer Dark Souls 1. J'ai le temps de faire quelques expériences, construire quelques univers de jeu, certains restés à l'état d'illustrations. Le monde se déconfine ; beaucoup de créateurs, nés avec une PS One dans les bras, font revivre le low poly, nourrissant mon besoin d'abstraction. Je suis content. Je ne sais plus ce qui m'a décidé, comment j'en suis venu à rechercher un moteur de jeu « pour essayer ». Je n'ai pas les bases, même pour des logiciels simples : RPG Maker, oui, mais bof. Puis j'ai croisé sur ma route Hylics de Mason Lindroth. On pouvait dépasser les limites graphiques de RPG Maker. Cela m'a vraiment donné envie de m'y mettre. Cela m'a pris du temps de comprendre la nature de l'espace qui s'offrait à moi, encore plus de temps de me rendre compte que j'aimais penser gameplay. Je viens de la BD, je crois savoir ce qu'est la construction d'un univers, d'une ambiance, d'une narration. Il faut que je comprenne ce nouveau terrain de jeu, cet espace où on peut tout raconter, mais pas de n'importe quelle façon ou plutôt pas de toutes les façons. Trouver des raccourcis vers la sortie du labyrinthe.
Bibliographie
2009-2023 : Mutafukaz : Méta Muta (1ère édition) | Edité par Ankama Editions, Label 619, Roubaix, France.
2010 : Deadline, fanzine (3 numéros) sous le pseudonyme Mad Dog | Edité par la Quadrature du Cercle, Popcube & Florian Hien, Sommières, France.
2011 : Nana Huxe, bande dessinée | Edité par Ankama Editions, Label 619, Roubaix, France.
RS: Instagram @jeremielabsolu