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I. Brix, Michel. Histoire de la littérature française : voyage guidé dans les lettres du xie au xxe siècle. Louvain : de Boeck, 2014, 2017.
CHRÉTIEN DE TROYES ET LE ROMAN ARTHURIEN
Chrétien de Troyes est le créateur du roman arthurien. Il est l’auteur de cinq romans en vers octosyllabiques. Il parle un peu de lui au début des deux premiers, Érec et Énide (env. 1170) et Cligès (env. 1176), et signale les liens qu’il entretenait avec la cour du comte de Champagne, où il aurait été le protégé de Marie, la comtesse, fille de Louis VII et d’Aliénor d’Aquitaine. Il évoque aussi ses traductions d’Ovide et révèle avoir composé des chansons d’amour (deux nous sont parve- nues) ainsi qu’une version de la légende de Tristan et Yseut. Les romans de Chrétien de Troyes racontent les aventures de jeunes chevaliers à la recherche de la maturité (on a rapproché ces récits de la tradition européenne du « roman d’apprentissage », ou Bildungsroman). Chaque roman est centré sur un personnage de chevalier errant, solitaire, qui s’engage dans une série d’épreuves pour prouver sa valeur, effacer une faute (souvent vis-à-vis d’une femme) ou conju- rer un sortilège. Contrairement aux héros des chansons de geste, les personnages des romans arthuriens évoluent, du point de vue de leur mentalité ou de leur comportement. Des épisodes merveilleux accroissent la grande qualité poétique de ces récits.
Entre 1171 et 1181, Chrétien de Troyes rédigea, peut-être conjointement, Yvain, ou le Chevalier au lion et Lancelot, ou le Chevalier de la charrette. Yvain, menant une vie d’aventures et de tournois, oublie que le délai qui lui a été accordé par son épouse pour rentrer au foyer conjugal est écoulé. Quand il se présente à elle, elle le renvoie. Fou de douleur, il va d’aventure en aventure, suivi par un lion auquel il a sauvé la vie, jusqu’à ce qu’il obtienne de sa femme, et grâce à ces exploits, le pardon désiré. L’histoire d’Yvain illustre la vertu ennoblissante de l’amour : pour convaincre son épouse de le reprendre, Yvain se fait défenseur du droit, réparateur des injustices, protecteur des faibles et libérateur des opprimés. Le Chevalier de la charrette lie Lancelot et Guenièvre, qui a été enlevée par un mystérieux étranger et que recherchent les chevaliers de la Table ronde. Toute une série d’épreuves permettent à ceux-ci de montrer leur valeur, selon le principe que c’est le meilleur des chevaliers qui retrouvera Guenièvre. Ainsi, Lancelot doit notamment accepter l’humiliation suprême pour un chevalier, celle de se faire passer pour un manant (il circule non sur un cheval, mais en conduisant une charrette). Le roman est sous-tendu par la thèse qu’il faut se soumettre sans réserve à l’amour, et par amour accepter même les humiliations. Le récit montre comment Lancelot parvient à délivrer Guenièvre, puis décrit la relation adultère qui unit la reine et le chevalier d’Arthur. L’ouvrage est dédié à Marie de Champagne : c’est elle qui a sans doute demandé à l’auteur de traiter le sujet de l’adultère. On pense que Chrétien de Troyes n’a pas terminé lui-même la rédaction de ce roman.
Enfin, entre 1182 et 1190, Chrétien de Troyes a composé le Conte du Graal, ou le Roman de Perceval, ouvrage inachevé, peut-être à cause de la mort de l’auteur. Perceval, dont le père et les frères sont morts au combat, est élevé dans la forêt par sa mère ; celle-ci espère qu’il ne deviendra jamais chevalier. Mais, le jour où il voit passer des chevaliers, Perceval veut les suivre et il part, abandonnant sa mère, pour apprendre le métier des armes. Ayant conquis la gloire par ses prouesses, il est accueilli dans le château mystérieux du roi Pêcheur, infirme, et dont le pays est dévasté. Au cours de la soirée, pendant un festin magique, il est tout surpris d’assister à une procession où l’on porte un grand vase – le Graal – et une lance qui saigne. Perceval se tait, malgré sa curiosité. Or il apprendra plus tard que des questions de sa part sur cette procession auraient rétabli le roi et rendu la fertilité à son pays. Il apprendra aussi que c’est son état de péché qui l’a empêché de parler : il est responsable du décès de sa mère, qui est morte de chagrin après son départ. Commencent alors des années de pérégrinations, au cours desquelles Perceval cherche à revoir la fameuse procession et à poser les questions qu’on attendait. En contrepoint, l’auteur narre les aventures du chevalier Gauvain, qui apparaissait aussi dans Yvain et dans Lancelot. Quand s’arrête le Conte du Graal (mais le roman est inachevé), les recherches de Perceval n’ont pas abouti ; les progrès de celui-ci en chevalerie, en spiritualité et en charité suggèrent cependant que ses efforts sont en voie d’être récompensés.
Alors que les auteurs de chansons de geste utilisaient le décasyllabe, les romanciers ont recours pour leur part au vers octosyllabique, qu’on retrouvera aussi dans les Lais de Marie de France, dans les fabliaux et dans une bonne part de la production dramatique. L’octosyllabe, qui sera encore le vers favori de François Villon, concurrence le décasyllabe pendant tout le Moyen Âge. À partir du XVIe siècle, il se verra cantonné aux genres « légers », comme la chanson.
Le Graal, motif païen, est au départ un vase, un plat à poisson, ou un chaudron celtique. Le roman de Chrétien de Troyes suggère qu’il s’agit en fait d’un objet central de la liturgie. La christianisation du Graal devient un fait accompli dès les toutes premières années du XIIIe siècle, avec le Roman de l’Estoire dou Graal, dû à l’auteur franc-comtois Robert de Boron. Celui-ci fait du Graal le calice qui aurait été utilisé par le Christ lors de la dernière Cène et que l’on aurait utilisé ensuite pour recueillir le sang du Seigneur, lors de la crucifixion. Ce calice aurait été apporté en Bretagne par un beau-frère de Joseph d’Arimathie. Dans un roman ultérieur de Robert de Boron, Merlin, l’enchanteur prédit qu’un chevalier du roi Arthur fera la conquête du vase sacré.
Au début du XIIIe siècle, le Graal se trouve ainsi au centre d’une très importante tradition romanesque. On dénombre d’abord quatre continuations différentes, en vers, du Roman de Perceval, qui aboutissent à une scène où le héros assiste enfin à une nouvelle procession et pose cette fois les questions qu’on attendait. Mais le Graal est aussi le prétexte, au XIIIe siècle, de cycles romanesques en prose. Ainsi le « Didot-Perceval » – constitué vers 1220 par la mise en prose des deux romans de Robert de Boron, et d’un troisième, Perceval, dont l’original en vers a disparu (il ne s’agit pas, bien sûr, du Perceval de Chrétien de Troyes) – et surtout le « Lancelot- Graal », d’une ampleur considérable, et qui voit le jour dans les années 1225-1230. Le « Lancelot-Graal » est une trilogie, dont la première partie est consacrée entiè- rement à Lancelot, qui se voit dépossédé de son titre de premier des chevaliers d’Arthur. Abusé par un philtre, croyant se trouver avec Guenièvre, Lancelot passe la nuit avec la fille d’un roi. De cette union naît Galaad, modèle du pur chevalier. La Queste del saint Graal, deuxième volet de la trilogie, décrit la recherche du Graal par les chevaliers d’Arthur, – Lancelot, Perceval, Gauvain et Galaad, lequel finira par retrouver le Graal. Ces personnages représentent les différents degrés dans l’apprentissage de la charité et l’ascension vers la perfection spirituelle, et toute la quête du Graal est l’allégorie de la recherche de Dieu. On voit l’évolution du chevalier, dont la mission sociale (défendre les faibles et les opprimés) était évoquée dans Yvain, et qui devient dans le « Lancelot-Graal » une sorte de moine, protecteur de l’Église. Enfin, le dernier volet du « Lancelot-Graal » a pour titre : La Mort le roi Artu (la mort du roi Arthur). (pp.21-24)
II. Brix, Michel. Histoire de la littérature française : voyage guidé dans les lettres du xie au xxe siècle. Louvain : de Boeck, 2014, 2017.
TRISTAN ET YSEUT
Les récits rapportant la légende de Tristan et Yseut constituent, avec les romans de Chrétien de Troyes, l’autre pan essentiel de la littérature romanesque en ancien français.
Tristan et Yseut est aussi une fiction « bretonne ». Tristan vit à la cour du roi de Cornouailles, Marc, dont il est le neveu. Lui aussi, comme tous les chevaliers de son temps, mène une existence d’aventures. Un jour, on le laisse pour mort dans une barque qui dérive et finit par aborder en Irlande. Là, il se fait passer pour un jongleur et on lui confie la fille du roi, Yseut la Blonde, afin qu’il l’initie à la musique. De retour en Cornouailles, Tristan s’offre à aller chercher la seule femme que Marc consent à épouser, et qui est précisément Yseut. Au cours du voyage qui voit Tristan amener Yseut en Cornouailles, les deux jeunes gens boivent par erreur un philtre que la mère d’Yseut destinait aux mariés, et tombent irrésistiblement amoureux l’un de l’autre. On rejoint ici le schéma courtois : Tristan aime et convoite l’épouse de son suzerain. Yseut se fait remplacer dans la chambre nuptiale par une de ses suivantes, et les deux amants se donnent des rendez-vous pendant la nuit. Mais ils sont dénoncés, doivent fuir et se cachent dans une forêt où ils vivent misérablement. Retrouvés, ils sont épargnés par le roi, qui a été abusé et croit que les deux jeunes gens sont restés chastes (on les a découverts dormant l’un à côté de l’autre, séparés par l’épée de Marc). Yseut revient à la cour et Tristan, chassé, part pour la Bretagne, où il épouse une autre jeune femme, Yseut aux blanches mains. Il ne peut cependant oublier Yseut la Blonde, revient en Angleterre, et se déguise en mendiant, ou en fou, pour s’approcher d’elle. Au retour, il est blessé gravement dans un combat et déclare à sa femme que seule la présence d’Yseut la Blonde peut le guérir. On va chercher celle-ci mais Yseut aux blanches mains, par jalousie, induit en erreur son époux en lui faisant croire qu’Yseut la Blonde ne se trouve pas sur le bateau qui vient d’arriver. Tristan meurt, et Yseut la Blonde meurt à son tour, lorsqu’elle arrive dans sa chambre, en se jetant sur son corps. On enterre les deux amants en Cornouailles, et deux arbres, s’entrelaçant, surgissent de leurs tombes respectives.
La légende de Tristan et Yseut illustre la thématique de l’amour impossible, en suggérant qu’il s’agit là, en fait, et paradoxalement, du seul amour possible. L’épisode de la forêt est explicite : alors que les deux amants sont réunis et peuvent se livrer à leur passion, ils se lassent rapidement l’un de l’autre et on les découvre chastement endormis. Mais lorsqu’on leur impose d’être séparés, rien n’égale le désir enragé qui les saisit de se trouver à nouveau ensemble. Cette idée forme un des axes majeurs de l’éthique courtoise : pour faire « durer » l’amour humain, pour qu’il ne s’éteigne pas, il faut recourir à des épreuves, des obstacles, des séparations, des temps d’attente toujours renouvelés. Pareil constat se trouve à l’origine d’une thématique sur laquelle les œuvres littéraires françaises reviendront à maintes reprises : l’incompatibilité de l’amour et du mariage.
Quels sont les témoignages qui ont porté jusqu’à nous la légende de Tristan et Yseut ?
Des textes courts d’abord : le Lai du chèvrefeuille, de Marie de France (Tristan, séparé d’Yseut, dépose sur son passage une branche de noisetier, entrelacée de chèvrefeuille, où il a gravé un message), la Folie d’Oxford et la Folie de Berne (épisodes où Tristan, déguisé en fou, essaie de rentrer en contact avec Yseut). Deux textes plus longs ensuite, mais déparés cependant par d’importantes lacunes (il faut se référer à des adaptations allemandes de la légende pour reconstituer l’histoire complète) : le Tristan de Thomas (3 000 vers ; composé aux environs de 1176) et le Tristan de Béroul (4 500 vers). Ces deux romans semblent destinés au public anglais en général, et à la cour d’Henri II Plantagenêt en particulier. On observe que, dans le récit de Thomas, Tristan et Yseut sont déjà amoureux l’un de l’autre avant de boire le philtre. Enfin, une dernière remarque sur l’adaptation de la légende qu’aurait composée Chrétien de Troyes : si l’on en croit les premières lignes de Cligès, cette adaptation était, curieusement, intitulée « Du roi Marc et d’Yseut la Blonde ».
Au XIIIe siècle apparaît un Tristan en prose, qui est connu par quatre versions s’échelonnant de 1230 à 1300. Celles-ci amalgament la légende et l’histoire des chevaliers de la Table ronde : Tristan devient un desdits chevaliers et sa relation passionnée avec Yseut est mise en miroir de la relation Lancelot - Guenièvre. (pp.24-25)
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ANALYSES. Chrétien de Troyes, Le Chevalier de la charrette, « Lancelot monte dans la charrette » : explication de texte. Par Cécile BOISBIEUX. 2022.
https://www.vertigesediteur.com/sites/lecturiels.org/lecturiel/0097.pdf
Marie de France. Deux Lais. “Le lai du chèvrefeuille” et “Le lai du Laüstic”.
https://fr.wikisource.org/wiki/Po%C3%A9sies_de_Marie_de_France_(Roquefort)/Lai_du_Laustic
Poésies de Marie de France (Roquefort)/Lai du Laüstic.
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https://www.youtube.com/watch?v=rPEEK8z79kc
Les Musiciens de Provence - Musique des Trouvères et des Troubadours.
https://www.youtube.com/watch?v=RIcu8XEKDPw
Les Troubadours d'Aliénor Chanson Le prince d'Orange.
https://www.youtube.com/watch?v=ydsCLsXjNVo
Medieval music of France: "A Chantar", an Occitan troubadour song (best version).
https://www.youtube.com/watch?v=Xk1W22yHLJQ
Medieval music - Troubadour love song.
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