Confucius disait qu’une image vaut mille mots.
Mais n’est-ce pas encore plus vrai quand le créateur de l’image disparait brutalement et dépose sur son œuvre un épais brouillard où s’entremêlent questions et interrogations ? Gilles Caron est un journaliste et photographe français disparu en 1970 à l’âge de trente ans. Il sera le premier, d’une vingtaine de journalistes et de coopérants de toutes nationalités, à disparaître brutalement sous le régime de Pol-pot. Cette photo a été prise en 1967, dans un petit village entre le Vietnam et le Cambodge. Aussi à l’aise face sur un champ de bataille qu’en face de Gainsbourg et Bardot, Gilles Caron a réussi à traverser les époques grâce à ses photos. Il nous semblait intéressant d’opposer à cette photo le regard taquin de cet enfant et le destin tragique du photographe.
L’image n’est en fait qu’un ensemble de contradictions et d’éléments s’opposant les uns aux autres. La photo est prise dans ce qui ressemble à un village rural. Les informations concernant ce cliché sont assez minces, mais il ne serait pas inconcevable de croire qu’au vu des trous et des tranchées, cet endroit ait servi de champ de bataille. Un groupe d’enfants s’est regroupé ou a été regroupé au deuxième plan de l’image. Un soldat, fusil à la main, marche du second vers le premier plan, donc vers l’enfant. La zone parait endommagée au vu du fragile tronc d’arbre servant de pont de fortune au militaire. Au premier plan, un petit garçon, d’à peine une dizaine d’années, semble s’être éloigné du groupe. Il fixe l’objectif de Gilles Caron. Il n’a pas l’air inquiet. Son regard semble presque moqueur. Les autres enfants du groupe au second plan regardent le bambin provocateur.
Ce décalage est renforcé au second plan par cette rivière qui agit comme une séparation entre le reste du groupe et ce petit garçon. Comme un ultime geste de rébellion face au soldat qui s’en vient le chercher, ce petit garçon, cigarette à la main, montre au photographe une sorte de refus de coopérer. On comprend cependant que le soldat derrière vient chercher cet enfant et que son air malicieux lié sûrement à l’ignorance de son jeune âge n’est pas fait pour durer. Gilles Caron réussit à travers ce cliché à capturer l’innocence de l’enfance vouée à être bafouée par les horreurs de la guerre. Le sentiment d’empathie est renforcé par le fait que quasiment aucun adulte n’est présent sur la photo et que ces enfants semblent seuls face à leur destin incertain.
Ici le spectateur est directement concerné par ce petit garçon et par son sort. Ce regard caméra nous est directement adressé, comme si cette jeune victime des horreurs de la guerre nous lançait un appel. Il nous prend en quelque sorte à témoin, il recherche notre complicité.
Ce regard farceur et espiègle pourrait-il être alors un moyen d’attirer notre attention afin qu’on lui vienne en aide ? Gilles Caron finira par s’interroger sur la finalité de son métier : peut-on se contenter d’un rôle de témoin, de spectateur ? Est-il un simple messager de l’horreur ou un acteur de celle-ci ? Il semble que, quel que fut son choix, il paya de sa vie pour son art.
Thomas Dechery
Mathieu Courdesses