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Concentration des médias

Le Cambodge raconte des nouvelles histoires

Les médias au pays des jeunes

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Concentration des médias

83,4%. C’est le pourcentage d’audience qu’atteignent, tout média confondu, les quatre plus grands groupes médiatiques du Cambodge. Un chiffre faramineux qui en dit long sur le degré de concentration des médias cambodgiens et l’absence de cadre légal approprié.

Le secteur audiovisuel visé

D’après une étude du CCIM (Cambodian Center for Independent Media) couvrant la période septembre-décembre 2015 et relancée en 2018, cette forte concentration est particulièrement visible dans le secteur audiovisuel. Média favorisé par la population cambodgienne, la télévision est un secteur lucratif pour les quatre grands groupes de médias qui rassemblent à eux seuls 78% des téléspectateurs. Sur les dix premières chaines, sept ont un propriétaire affilié au parti politique actuellement au pouvoir, soit faisant directement partie du gouvernement, étant nommé en tant que conseiller. CBS, première chaine au Cambodge avec plus de 47% de part d’audience, appartient à un de ces grands groupes, The Royal Group, et compte au moins trois filiales dans divers secteurs, allant de la téléphonie aux opérateurs internet. S’asseyant ainsi sur le secteur audiovisuel, ces grands groupes élargissent leur influence aux activités limitrophes.

D’autres médias atteints

La presse est également dans le collimateur de ces grands groupes, en témoigne les 59% de ce secteur que le CCIM estime aux mains des quatre magnats. Toujours selon cette étude, le pouvoir de ces groupes sur le secteur est à relativiser car la presse n’est que très peu suivie par la population du pays. On considère que seulement un Cambodgien sur dix lit les journaux ou les magazines. Le marché de la radio présente une moindre concentration, ce que l’on peut mettre en parallèle avec la faible audience que ce type de média présente au Cambodge : les dix premières stations n’étant écoutées que par 3 à 6% de la population. Un média, donc, où le contrôle des antennes n’a qu’une faible influence.

Qui sont derrière ces grands groupes ?

Ces grandes corporations qui se partagent une part écrasante du secteur médiatique ont pour point commun d’être reliés de près ou de loin au gouvernement en place. Le Royal Group, le plus important, possède des parts dans de multiples secteurs autres que les médias : transport, télécom, hôtellerie, banque, éducation, etc. Son PDG, Kith Meng, est le chef d’affaire le plus renommé du Cambodge. Affichant publiquement son soutien au premier ministre Hun Sen, il accompagne régulièrement ce dernier lors de voyages officiels pour promouvoir les intérêts économiques du pays. Il est largement critiqué pour ses liens étroits avec le gouvernement et ses pratiques douteuses.

D’autres groupes ont des liens beaucoup plus directs avec le parti dirigeant, notamment Hun Mana qui n’est autre que la fille aînée de Hun Sen et qui possède des parts dans tous les secteurs médiatiques.


Mathilde Vincent


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Le Cambodge raconte des nouvelles histoires

Le cinéma cambodgien est en pleine renaissance. Après son début en 1950, son âge d'or dans les années 1960 et sa quasi-suppression par les Khmers rouges entre 1975 et 1979, l’industrie cherche à retrouver la grandeur de son passé dans un pays changé mais qui a toujours besoin de raconter des histoires sur grand écran.

Avant l’arrivée du régime de Pol Pot, le cinéma khmer était aussi prolifique que culturellement particulier. Près de 400 films sont sortis entre 1960 et 1975, beaucoup d'entre eux écrits, réalisés et produits par l'ancien roi, chef de l'État à l'époque, Norodom Sihanouk. Sihanouk produit des comédies sentimentales mélodramatiques à message social, y joue lui-même et y fait figurer ses proches. Parmi ses titres nous trouvons Apsara (1966) et Ombre sur Angkor (1967), ce dernier avec sur l’affiche Dy Saveth, une des plus grandes stars du cinéma cambodgien. D'autres classiques de cette période sont Lea Haey Duong Dara (Au revoir Duong Dara) et Le Serpent de Keng Kang de Tea Lim Kun. Deux tiers des films sortis pendant cette époque sont des «borans », inspirés par des légendes traditionnelles cambodgiennes.

La plupart des films de cette époque ont été détruits par les Khmers rouges, et les acteurs et réalisateurs qui n'ont pas péri sous le génocide de Pol Pot ont fui le pays. Avec la démise des Khmers rouges en 1979, les cinémas qui n’avaient pas été détruits ont rouvert, mais les spectateurs ont dû se contenter de films venant du Vietnam, de l’USSR, de l’Europe de l’est et de l’Inde.

Si aujourd'hui le pays a trouvé la paix depuis plus de 25 ans, il faut du temps pour reconstruire tout une industrie de zéro. Le grand défi de cette renaissance a été à la fois réapprendre aux cambodgiens à aller au cinéma (et reconstruire des salles après leur destruction), d'insérer du professionnalisme dans une industrie jeune et en manque de moyens et régulations, et de montrer au reste du monde que le Cambodge est beaucoup plus qu'un pays qui a été ravagé par des guerres.

Cependant, avec l'arrivée des caméras digitales et le smartphone, tourner un film est devenu plus facile et bien moins cher. L'accès à internet a fait que des métiers comme réalisateur, ingénieur son ou cameraman peuvent s'apprendre sans aller à l'école. Sur Facebook ou YouTube, les cambodgiens ont pu trouver une culture cinématographique et l'arrivée des cinémas multiplexes et des nouvelles sociétés de distribution donnent l'espoir qu'un jour l’industrie pourrait devenir rentable.

Le défi de cette grande reconstruction a été accepté par plusieurs cinéastes, souvent des cambodgiens qui ont pu se former à l’étranger pour ensuite s'installer dans leur pays natal. Voici quelques acteurs qui travaillent pour mettre le Cambodge de nouveau sur le radar international du cinéma :

Rithy Panh

Né en 1964 à Phnom Penh, Panh a perdu ses parents dans des camps de travail khmers rouges mais a réussi à s’échapper pour la Thaïlande, puis pour la France. Diplômé de l’IDHEC en 1988, ce réalisateur franco-cambodgien s’est beaucoup consacré à raconter les horreurs imposées par le régime Pol Pot. En 2013, le long-métrage de Panh L’image manquante est devenu le premier film cambodgien à être nommé aux Oscars.

En 2006, Panh a cofondé, avec Ieu Pannakar, ancien réalisateur et sénateur, le Centre Bophana, consacré à la restitution, la protection et la mise en valeur du patrimoine audiovisuel cambodgien. Le centre met en disposition des milliers d'œuvres khmers gratuitement au public, organise des expositions et conférences et met en place des cours de production cinéma pour des jeunes cinéastes.

Loy Te

Le réalisateur et producteur franco-cambodgien a pour objectif professionnel de proposer des alternatifs aux comédies romantiques et films d’horreur qui sont emblématiques du cinéma cambodgien. Sa société de production, Kongchak Pictures, a produit le film d’action Jailbreak (2017), qui a été un succès local et international. Le film a été présenté au Festival international de films Fantasia à Montréal, où il a été récompensé par deux prix pour son innovation et son originalité.

Ngoeum Phally

Cette jeune réalisatrice et scénariste cambodgienne a commencé sa carrière en tant qu’étudiante au centre Bophana, sous la tutelle de Rithy Panh. Elle a coécrit le documentaire The Storm Makers : Ceux qui amènent la tempête (2014), un documentaire sur le trafic humain en Asie du Sud-est produit par la centre Bophana en coproduction avec ARTE.

Phally tient à améliorer la situation des femmes au Cambodge, un pays où elles ne sont pas souvent encouragées à faire carrière, surtout pas dans le cinéma. Son court-métrage The Guide Boy / Le Guide a été présenté au Festival du Film International de Cambodge en 2015.

Justin Stewart

Cet entrepreneur australien a ouvert sa société d’animation et postproduction, ithink, en Australie en 2002. Après avoir travaillé pour un ONG à Phnom Penh, il a ouvert ithinkasia en 2012. Aujourd’hui basé à la capitale cambodgienne, la société a travaillé sur des projets importants internationaux et locaux, dont le film animé Funan (2017), du réalisateur franco-cambodgien Denis Do.

Le studio de Stewart propose une formation gratuite pour des jeunes cambodgiens qui souhaitent entrer dans l’industrie d’animation. En recrutant spécifiquement une majorité de stagiaires féminines, le programme vise à promouvoir l’égalité des sexes dans le marché naissant de l’animation cambodgienne.

Davy Chou

Le réalisateur franco-cambodgien, né en France et diplômé de l’ESSEC, est le petit-fils de Van Chann, l’un des principaux producteurs du cinéma cambodgien dans les années 1960. Son documentaire Le Sommeil d’or (2012), qui cherche à retrouver les témoignages de cet âge d’or du cinéma cambodgien, a été sélectionné dans de nombreux festivals de cinéma. Son premier long-métrage de fiction, Diamond Island, a été sélectionné par la Semaine de la Critique du Festival de Cannes en 2016 et a gagné le prix SACD (de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques). Chou a également fondé la société de production Vycky films et un collectif de jeunes cinéastes cambodgiens à Phnom Penh.

Monica Philipot


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Les médias au pays des jeunes

La moitié de la population du Cambodge a moins de 24 ans, et les goûts et les attitudes de ces Millennials marquent profondément le paysage médiatique et ses tendances.

L’accès aux médias traditionnels est généralisé chez les jeunes, avec une prédominance logique du milieu urbain sur le milieu rural, et avec une consommation quotidienne de télévision (70%) plus élevée que pour la radio (54%). Tandis qu’ils concentrent leur écoute de la radio en début de matinée (43% de 6h à 8h) et pendant l’heure de déjeuner (33% de midi à 14h), la télévision est leur média du soir, avec des pics d’audience jeune entre 18h et 22h, pendant lesquels le public féminin est particulièrement présent.

C’est sans surprise que cette tranche horaire est dominée par des feuilletons et mini-séries, avec une forte prédilection pour ceux d’importation thaïlandaise: des production plus puissantes qui servent de vitrine à une culture attirante pour les jeunes cambodgiens, assez proche mais perçue comme plus moderne et stylée. Cette tendance a été lancée par le premier grand succès populaire de Yeay Vorneath, doublé en Khmer. Comme craint le professeur Hang Soth, directeur du département des arts du Ministère de la Culture, le vide culturel laissé par des années de guerre civile pousse ces jeunes à se rabattre sur l’engouement Thaï. Même quand le show business local commence à se doter de plus de moyens, l’imitation est au rendez-vous.

Côté cinéma, les regards se tournent également vers l’étranger. L’industrie locale d’avant-guerre ayant été coupée en plein essor, les films d’art et d’essai cambodgiens ont aujourd’hui une meilleure chance à l’étranger et dans les festivals internationaux que dans leur propre pays, alors que c’est les films d’horreur qui envoûtent les jeunes devant le grand écran: des productions locales pour les petits cinémas indépendants, mais aussi des blockbusters internationaux, à nouveau avec une forte présence thaïlandaise, dans le réseau multiplex. Si l’amour pour ce genre dans ce pays superstitieux date de la sortie du film culte Pous Keng Kang (The Snake King) en 1970, c’est au début des années 2000 qu’il revient en force en suivant les inspirations japonaises et sud-coréennes. Au vu des succès récents comme The Crocodile (la plus grosse production locale en date), The Haunted House ou le film à zombies Run, c’est avec le cinéma d’horreur que les Cambodgiens semblent tenir tête à la concurrence étrangère.

Les nouveaux médias montrent aussi des particularités là où la plupart ont sauté la phase de l’ordinateur de bureau pour connaître internet directement sur le smart phone. Si la téléphonie mobile est pratiquement universelle et utilisée fréquemment chez les jeunes, dans une étude de 2016 menée par le United Nations Development Programme (UNDP), 43% déclaraient l’utiliser pendant moins de 10 minutes par jour, seulement 34% déclaraient avoir accès à internet (65% dans le milieu urbain), et 49% de ces internautes seraient connectés pendant plus de 30 minutes par jour.

Ces chiffres assez bas risquent de surprendre n’importe quel visiteur ayant constaté nombreuses têtes sur des portables à l’arrière des mobylettes dans les rues de Phnom Penh, mais aux dires de nos interlocuteurs professionnels pendant notre séminaire Médiamonde, les jeunes cambodgiens ont un concept assez flou de ce que c’est internet, et déclarent dans le même souffle ne pas avoir internet mais avoir… Facebook. En effet, le géant des réseaux sociaux s’impose comme porte d’entrée aux contenus online, avec environ 3,5 millions d’utilisateurs, une dépendance à laquelle se confrontent les acteurs du secteur.

Le rapprochement des médias et des télécom s’opérant au Cambodge tout comme en Occident a un attrait particulier dans les formes de payement online via la facture de l’opérateur, dans un pays où les cartes bancaires ne sont pas très répandues.

Tandis que la même étude de l’UNDP observait une confiance des jeunes cambodgiens dans les médias comme source d’information et relevait les effets positifs de l’accès aux médias dans la prise de conscience civique, les professionnels rencontrés lors de notre séminaire se sont alignés sur un constat moins flatteur: un manque d’intérêt pour l’actualité politique au profit des contenus légers, happy-happy (sabay-sabay), à exception du milieu universitaire ou la classe moyenne en ascension, privilégiant les sources en anglais pour s’informer.


Francesco


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