L’image manquante, film documentaire franco-cambodgien, a été coproduit, écrit et réalisé par Rithy Panh. Sorti en 2013 (diffusion sur Arte en octobre 2013), il a été adapté du récit L’élimination de Rithy Panh et Christophe Bataille. Le film a notamment reçu le prix Un certain Regard du Festival de Cannes en 2013. Par le biais de figurines d’argiles et d’images d’archives, Rithy Panh retrace les atrocités du génocide cambodgien vécues lors de son enfance, entre 1975 et 1979.
L’Image manquante
Le choix du titre L’Image manquante permet au réalisateur d’évoquer plusieurs idées. Tout d’abord, celle de l’image de son enfance, de sa famille et de la vie innocente et paisible, effacée par l’horreur du régime Khmer. Mais ce titre permet aussi de faire référence aux images d’archives, ou volontairement oubliées (la faim, les crimes et les camps de travail notamment), supposant un travail de mémoire pour le spectateur.
Enjeux et technique de l’image
Au travers de cette oeuvre, l’auteur souhaite mettre en lumière la volonté de montrer l’horreur, de témoigner d’un passé traumatique, de rappeler des souvenirs d’enfant. Pour livrer une représentation de ces images mentales, il opère un travail de reconstitution, créant des images de toutes pièces en utilisant des figurines en terre cuite. Par ce biais, le réalisateur parvient ainsi à esthétiser l’horreur, à la voiler de pudeur, mais également à la personnaliser en racontant par le prisme des yeux d’enfant que l’auteur avait au moment des événements.
Cette image se donne ainsi pour objectif d’emprunter ces figurines de terre cuite afin de faire renaître des images inexistantes, faute d’archives réelles. Une forme de résilience transforme dès lors la souffrance en art, en utilisant un tiers.
Description de l’image & analyse
Les enfants cambodgiens retenus par des soldats, assis et alignés, représentés sous forme de figurines de bois, regardent un film sur l’horreur du génocide sur un écran de cinéma. Celui-ci présente des images d’archives de cette guerre ; on peut y voir des enfants creusant un trou.
L’image est structurée par des axes horizontaux (enfants assis alignés) croisant à angle droit les axes verticaux (gardes, écran de cinéma) : tout cela renvoie au sentiment d’une organisation militaire, stricte, sans espace de liberté, par contraste avec la nature même de l’enfance qui devrait être libre et insouciante. Les couleurs sont froides (noires, grises), sombres, évoquant la pénombre, la nuit, éventuellement la peur. En retrait, le spectateur est en position d’observateur, les personnages lui tournent le dos. Il assiste à cette scène mais n’y prend pas directement part.
Mais ce qui frappe, c’est une curieuse mise en abyme, doublée d’un jeu de contraste entre réalité et fiction. On peut voir deux cadres, celui de l’image dans lequel s’incorpore celui de l’écran de cinéma. A travers ce jeu de cadrage, les figurines de bois à la forme d’enfants observent un autre enfant, a travers une image réelle cette fois : l’horreur de la réalité des enfants lors du génocide est ici encore voilée, subtilement, contenue dans le cadre de l’écran de cinéma, comme renvoyant à une fiction.
Finalement, cette image invite le spectateur à projeter du sens. Grâce à ces petites figurines, celui-ci est invité à imaginer par lui-même la réalité du génocide, à substituer une image réelle imaginée à l’image manquante.
Abigail Bouaziz
Jeanne Fremin du Sartel