Il est facile de se perdre à l’intérieur des toiles de l’artiste cambodgien Leang Seckon, et Blessing to Heaven (Bang Skol) ne fait pas exception. Sous l’aspect d’un collage mural, faute de perspective, c’est la taille des éléments qui permet d’y trouver une hiérarchie, dominée par la figure centrale d’un Bouddha chevauchant un gaur. L’euphorie harmonieuse des choix chromatiques s’avère trompeuse dès que notre regard se plonge dans les détails d’une réalité plus sombre. La composition adoptant un équilibre dynamique et délicat, jamais strictement géométrique, nous distinguons ensuite trois zones séparées verticalement qui donnent sens au titre de cette œuvre.
En bas, 18 figures représentent des nations d’Occident, avec des habits blancs dont les formes renvoient à l’architecture des temples cambodgiens. Chacune porte un conteneur d’offrandes entre ses mains, et est identifiable à l’aide d’une icône : une Tour Eiffel pour la France, la Statue de la Liberté pour les Etats-Unis, une feuille d’érable pour le Canada, etc. Un personnage plus imposant, s’ajoutant aux 18 autres, est l’emblématique roi cambodgien Suryavarman. De part et d’autre au-dessus des personnages se trouvent deux animaux qui n’existent plus à ce jour sur Terre ou sont en voie de disparition.
En haut, 18 figures divines renvoyant aux traditions hindouistes et bouddhistes du pays, présentées sans ordre de prédilection apparent. Tout comme dans la partie basse, il y a sur les côtés deux animaux en nombre important et vénérés au Cambodge.
La partie centrale du tableau, la plus grande zone, est occupée par la mort, à travers une multitude de crânes laissant à peine entrevoir des motifs typiques des tissus traditionnels cambodgiens. Quelques figures de la vie quotidienne parviennent à peine à se détacher sur ce fond macabre : deux écoliers, un homme d’affaires, un couple, etc.
Mais c’est sans doute le Bouddha qui règne sur toute la composition, signe de spiritualité fort au Cambodge. Le buffle (gaur) symbolise le véhicule qui transporte l’âme humaine vers l’au-delà. Bouddha domptant le buffle marque également son ascension spirituelle à travers la maîtrise de la pensée et des passions. Sur le ventre de l’Eveillé, un lotus bleu, symbole de la victoire de l’esprit sur l’ignorance, côtoie encore deux têtes de mort, rouges et noires, comme le sang et la mort.
Dans son éclectisme, Seckon tente de réconcilier la tradition religieuse du Cambodge avec la période d’extrême violence où il a grandi, l’une dotant l’autre de sens. Si tout un peuple plongé dans la souffrance et la mort semble n’être qu’une offrande des pouvoirs occidentaux aux divinités anciennes, le bouddhisme s’impose comme force transformatrice où la mort se sublime dans la transcendance spirituelle, et les victimes reçoivent enfin leur bénédiction.
Vincent Louvart de Pontlevoye
Francisco Vina Perez