Les allemands avaient donc remplacé les italiens qui, après leur défaite avaient été arrêtés et emmenés par leurs anciens alliés qui les avaient parqués à l’hôtel de Savoie à Thonon. Certains d’entre eux avaient réussi à leur échapper et à se réfugier en Suisse. C’est avec, il faut bien le dire, une joie non dissimulée que nous regardions les allemands embarquer, sans ménagement, leurs alliés de la veille. Les italiens avaient perdu leur superbe et étaient bien pitoyables.
photo du poste de douane allemand à St Gingolph
- des douaniers allemands, en général des réservistes, chargés de la surveillance du lac et de la frontière à St Gingolph.,
- des blessés et des convalescents SS de retour du front Russe et cantonnés à l’hôtel Royal,
- un service de la Gestapo avec Mandssoln, Kiel, Becker stationnés à la villa « la Clarté » au bord du lac,
- un agent de l’Abwer ( service de renseignement de l’armée allemande), avec sa secrétaire. Ils logeaient villa « Blanche-Neige » sur le boulevard Jean-Jaurès.
Bien entendu, la rue nationale a eu droit parfois aux défilés de sections de soldats allemands , chantant au pas cadencé…les fameux bruits de bottes.
A propos de l’agent de l’Abwer cité ci dessus, il était jeune et ignoré de tous, avec sa secrétaire, très jolie, il agissait en dehors de tout contact avec les occupants. C’était le modèle du parfait agent de renseignement. Il était officier et se faisait appeler Schneider, alsacien refugié . Mais en plusieurs occasions, il a utilisé le nom de Richard. Il parlait parfaitement le français. Nul, à priori ne pouvait les soupçonner. Il a fallu les déclarations à la Résistance d’un dénommé Quinson. pour que l’on sache réellement qui ils étaient. Quinson, imprimeur à Lyon, avait été arrêté pour avoir fabriqué de fausses cartes de rationnement. Contacté en prison par le service de renseignement allemand, il avait consenti à travailler pour eux, moyennant quoi les allemands l’avaient fait sortir de prison. C’est ainsi qu’il est devenu un informateur de Schneider alias Richard en réalité Rauch.. Quinson affecté en Haute-Savoie pour recueillir des renseignements sur le maquis, avait pris contact avec la Résistance à qui il avait proposé le marché suivant : il était en mesure de donner tous les renseignements en sa possession concernant les missions dont il était chargé et le nom de son manipulateur ainsi que son refuge. Moyennant quoi la Résistance se chargeait de le faire passer en Suisse, afin qu’il puisse échapper aux Allemands et éventuellement à des ennuis de la part des Français.
Cette transaction a été acceptée et c’est ainsi que j’ai été chargé de me renseigner sur ce couple qui logeait villa « Blanche Neige » (Minguet)
Je suis allé dans cette villa, sous prétexte de rechercher un appartement pour des amis et j’ai vu au premier étage le couple en question, qui m’a adressé à la propriétaire Mme Minguet.
J’ai donc pu renseigner la Résistance qui est venue dans l’après midi opérer leur arrestation.
Un taxi gazo-bois est arrivé de Thonon avec deux résistants et un gardien de la paix en tenue (Cruz-Mermy). Le taxi a été mis en station dans la descente de Neuvecelle afin de pouvoir repartir rapidement. Le gardien de la Paix s’est présenté au couple. Rauch est venu sur le palier où il a été saisi par les deux résistants. Sa secrétaire s’est inquiétée et est venue voir ce qui se passait, elle a été immédiatement emmenée par le gardien de la Paix pour explication.
A peine sur le Bd Jean-Jaurès, Rauch s’est rendu compte qu’il avait à faire à des « terroristes » et il s’est mis à appeler les allemands. Rauch et sa secrétaire ont été poussés de force à l’intérieur du véhicule. Les sentinelles postées sur la terrasse de l’hôtel Splendide ont entendu les cris, mais le temps de réaliser et de chercher d’où ils provenaient, le taxi avait disparu . Les allemands ont patrouillé dans la ville sans trouver quoi que ce soit.
J’ai su par la suite qu’ils avaient été interrogés mais je crois qu’ils n’ont pas parlé. Ils ont été fusillés.
Au cours de cette période, j’ai été souvent appelé soit à faciliter le passage en Suisse, soit à conduire à la frontière des gens qui, pour toutes sortes de raisons, devaient fuir soit les autorités françaises, soit les Allemands. Souvent , ma carte de police m’a servi de laisser-passer.
J’ai eu à conduire à la frontière, avec mon collègue Sissi Meynet , un résistant de Thonon, Kiki Meunier. Responsable de l’AS pour la région, Kiki Meunier avait été identifié par la Gestapo. J’ai été contacté par des amis et nous avons décidé de le conduire à St Gingolph où l’hôtel de France avait des chambres dont les fenêtres donnaient directement sur la Morge, torrent frontière qu’il suffisait de traverser de nuit pour se retrouver en Suisse. Là il fallait progresser sans se faire repérer par les gardes-frontière suisses pour ne pas se faire refouler.
Nous avons donc conduit Kiki Meunier et au passage du Locum , j’ai montré ma carte de police en indiquant aux douaniers allemands qui contrôlaient la route, que nous allions en mission. Nous sommes passés. Kiki était attendu à l’hôtel de France où il est resté planqué toute la journée. La nuit tombée, il a pu franchir la frontière sans inconvénient.
Les agents de la Gestapo d’Evian ne sont pas restés inactifs. Ils ont procédé à de nombreuses arrestations. Certains sont revenus des camps comme M. Staub, Gabriel Blanc, le Dr Bernex, d’autres ne sont jamais revenu.
A propos du Dr Bernex, il s’en est fallu de peu que je puisse le prévenir. En effet, j’ai été avisé que Mendelson, un des agents de la Gestapo, venait d’arriver en voiture rue Nationale et qu’il cherchait le Dr Bernex. Je m’empressais de me rendre à son domicile pour le prévenir, mais en arrivant à proximité de la villa « Duplan », j’ai vu la voiture de la Gestapo devant la porte. Il était trop tard, je ne pouvais rien faire . J’ai attendu, caché dans un angle de rue, et j’ai vu Mendelson redescendre avait le docteur et l’emmener en voiture. Nous ne l’avons revu qu’à la libération, au retour de sa déportation.
Néanmoins, avec Sissy Meynet, nous avons réussi à en faire fuir à temps quelques uns.
Un pêcheur de Grande-Rive, Bonnevie, au sujet duquel nous avions reçu un mandat d’arrêt. A quatre heures du matin nous sommes allés l’avertir qu’il nous faudrait revenir pour l’arrêter dans la matinée et qu’il avait quelques heures pour disparaître, ce qu’il fit.
Jaquier, dit le Rouquin, que j’ai prévenu et qui a disparu à temps. Il devait être arrêté par les Allemands.
A un moment le risque a été grand pour moi car certains ne peuvent pas s’empêcher de parler et il s’est dit dans Evian que untel avait été prévenu par l’inspecteur Picot. J’ai donc du faire la leçon à quelques uns pour un silence total. Je crois que souvent la chance m’a servi et que nous ne nous rendions pas forcément compte des dangers que nous courions ;
J’avais été contacté par Camille Blanc (futur maire d’Evian) et un soir, avec ma femme, nous nous sommes rendus à un rendez-vous qu’il nous avait fixé dans l’arrière salle de son café l’Eden Bar près de l’église. Là , nous nous sommes trouvés avec M. Morel , responsable de l’AS pour Annecy sur le plan politique et supervisant la région du Chablais. Il m’a demandé si je voulais participer à 100% à l’action des FFI. J’ai accepté et de ce jour, je pouvais être appelé pour toutes sortes de missions, dont les principales devaient découler de mes fonctions au commissariat. Il faut dire qu’au commissariat il n’y avait plus de patron, le dernier commissaire nommé avait donné sa démission à l’arrivée de la milice.
Une nuit, vers quatre heures du matin, les gardiens de la paix du commissariat sont venus m’avertir qu’un attentat venait d’avoir lieu à Amphion Deux gardes mobiles avaient été tués. Je me suis habillé en vitesse, j’ai pris mon pistolet et à vélo je suis allé sur les lieux . Peu après le passage à niveau de la Botte (qui n’existe plus aujourd’hui) j’ai vu les corps des deux gardes mobiles abattus par une rafale de mitraillette alors qu’ils étaient en faction pour protéger les voies des sabotages.
Le Parquet de Thonon a chargé la PJ de l’enquête. Les auteurs ont été plus ou moins identifiés mais pas arrêtés. L’un d’entre eux a été tué aux combats pour la libération de Thonon.
Maintes fois j’ai été contacté par le vieux pasteur d’Evian M. Bordeuil. Je me souviens encore de la façon dont il m’a abordé la première fois « M. Picot, il faut faire quelque chose pour nos jeunes gens ». J’ai fait ce qu’il m’a demandé : des fausses cartes d’identité afin d’échapper au S.T.O. Il en était de même pour le curé plébain qui lui aussi recevait des jeunes d’un peu partout. Il existait trois façons d’échapper au S.T.O. le maquis, la fuite en Suisse, ou la fausse carte d’identité falsifiant l’âge ou le métier car les agriculteurs étaient exclus de cette mesure.
M Belley, directeur de la Société des Eaux, sous les ordres du Colonel Grousset m’avait contacté également pour les fils Cruze, gros actionnaire de la société, afin de faire des cartes d’identité falsifiant leur âge
M. Vion , artisan en sanitaires m’avait demandé des cartes d’identité pour des connaissances et combien d’autres dont je ne me rappelle plus les noms. Je n’ai jamais rien refusé.
L’affaire de ce genre la plus importante et qui mérite d’être signalée s’est produite à la suite de l’attaque et des représailles des SS à St Gingolph. Les maquis de Novel avaient attaqué les Allemands à St Gingolph puis ont du se replier. Les SS ont été chargés des représailles. Heureusement, les Suisses ont ouvert la frontière pour permettre à la population de se réfugier, ce qu’elle à fait, à l’exception de quelques personnes dont le Curé. Celles-ci furent exécutées et le village fut détruit à 80%. Les autorités suisses de St Gingolph ne pouvaient garder trop longtemps les réfugiés. Les Allemands avaient fait savoir qu’ils fusilleraient tous les hommes de St Gingolph qu’ils pourraient trouver. C’est pourquoi, mon collègue Sissi Meynet et moi avons vu arriver un douanier qui nous a demandé de lui faire des cartes d’identité pour les hommes de St Gingolph, à leur nom véritable mais en les domiciliant partout sauf à St Gingolph. Nous avons dû faire une centaine de cartes en cachette, au commissariat, car dans ces affaires, moins il y avait de gens au courant mieux cela valait. En plus de la signature illisible comme toujours, nous avons fait disparaître le nom d’Evian du tampon sec. Je ne sais si une enquête sérieuse de la gestapo avec recherche d’identification des lettres du cachet ne leur aurait pas permis de nous découvrir. Toujours est-il que le douanier, qui n’avait pas peur car le risque d’un contrôle était grand, a quitté le commissariat en emportant toutes les cartes bien étalées sous sa chemise. Nous n’étions pas bien tranquilles mais tout s’est bien passé. Je n’ai jamais revu le douanier, j’ignore qui il est et ce qu’il est devenu.
Le maquis n’était pas très loin. Il était constitué par des groupes organisés, dirigés par des ex-officiers de l’armée régulière ( AS, FTP) mais aussi par des groupes non contrôlés officiellement, comme la BRI (Brigade Rouge Internationale), qui, à coté d’action militaire véritables, se livraient à des vols, perquisitions et chapardages de toutes sortes, sous prétexte d’opérer chez des collaborateurs ou soi-disant tels. Il y avait également des réfractaires isolés, qui se livraient sans contrôle à des coups de mains plus ou moins heureux et plus ou moins justifiés. Mais il est certain que le groupe le plus craint était la BRI commandée par un Russe, se faisant appelé Nicolas. Il a disparu à la libération et il aurait été fusillé par les soviétiques. A la libération des commissaires avaient été envoyés en France, chargés de rechercher les citoyens soviétiques déserteurs. Ces dérives ont cessé dès que les autorités de la France libre ont pu prendre les choses en mains. Nous étions donc appelés à constater ces vols et pillages (les objets de valeurs et les bijoux disparaissaient) effectués par la B.R.I. chez certains particuliers . Evidemment, vu les circonstances, ces enquêtes ne pouvaient aboutir, cela nous paraissait de peu d’importance en raison des évènements autrement plus graves qui se déroulaient.
Il y eut de nombreuses exécutions. Pour nous policiers, la difficulté résidait dans l’obligation de procéder à une enquête sans faille, mais qui devait absolument se terminer comme étant infructueuse.
L’un des premiers qui fut exécuté ( « dessoudé était le terme utilisé à l’époque) était le directeur d’EDF à Evian., un nommé D*** D. eu le tort de donner raison aux allemands et de prôner la collaboration. Il était persuadé du bien fondé des arguments en faveur de cette politique. Je ne pense pas qu’il ait fait quoi que ce soit mais il s’était rendu suspect. Il fut abattu d’une rafale de mitraillette alors qu’il circulait sur le quai à proximité du collège ‘ aujourd’hui VVF. Le tireur était embusqué dans les jardins qui dominaient la route et prêt à disparaître en remontant vers l’avenue des Grottes.
Prévenus, mon collègue et moi nous sommes rendus sur les lieux. Il était mort. Nous l’avons chargé dans la voiture du commissariat, une traction avant qui nous avait été affectée et nous l’avons conduit à l’hôpital. Il a fallu faire une enquête infructueuse naturellement.
L’auteur de cette action fut arrêté par les Allemands bien plus tard, probablement sur dénonciation pour ses activités de maquisard. Il est mort en déportation.
Je ne puis donner dans l’ordre les morts tombés sous les balles des résistants et dont nous avons dû nous occuper. Le docteur Héraud-Joly exerçait à Evian. Il était bel homme, assez mondain ayant beaucoup de succès auprès des dames. Il a été abattu alors qu’il sortait de chez sa maîtresse qui habitait une villa à Amphion . Nous le transportâmes jusqu'à la morgue de l’hôpital. L’enquête ne pouvait rien donner. Il avait eu le tort de tenir des propos en faveur de la collaboration. Après cet attentat sa femme quitta le pays et on ne l’a jamais revue. Moriau, époux de la sage-femme d’Evian a été abattu devant le magasin Coop qui se situait face au Palais des festivités. Le Palais n’existait pas encore, il y avait un mur de soutènement très haut dans le fond de la place. C’est de là qu’on lui a tiré dessus. Je me trouvais à proximité lorsque cela est arrivé. Il était mortellement blessé et étendu sur le bord du trottoir. Tous les témoins s’étaient éclipsés. J‘ai réquisitionné le taxi de Max Floret qui passait à ce moment là et nous l’avons transportés à l’hôpital. Dès notre arrivée, le Dr Escoubès nous l’a fait placer sur la table d’opération. Sissi Meynet m’avait rejoint. Le Dr à dit à Moriau « Ca va aller ». Moriau a répondu « « Peut-être ». Nous sommes partis. L’opération n’a pu sauver Moriau.
Grâce à nos contacts, nous étions assez renseignés sur l’origine de ces attentats car il nous fallait discerner s’il ne s’agissait pas de crimes crapuleux. En fait Moriau était potentiellement dangereux car il était d’une part partisan de la collaboration et d’autre part il connaissait bien les opposants aux Allemands. C’est certainement la raison pour laquelle la décision de le faire taire à jamais a été prise. Il nous fallut expliquer cet attentat sans compromettre qui que ce soit. Nos rapports étaient lus par la milice qui était chargée implicitement de se renseigner sur la façon dont le service était assuré dans les commissariats. Cette fois encore, il n’y a pas eu d’inconvénient pour nous.
Puis ce fut Cavorel qui fut abattu devant sa villa du Bennevy. Ancien agent de la police municipale, il avait envoyé une lettre de dénonciation à la Kommandantur. Cette lettre fut interceptée par un employé de PTT. A partir de ce moment, le sort de Gavoret était réglé.
Encore un fois, mon collègue Meynet et moi dûmes nous occuper de cette affaire. Cavorel avait été cisaillé par une rafale de mitraillette. Les doigts de sa main gauche avaient été coupés par les balles. Nous l’avons fait transporter à la morgue. Notre enquête n’a pas abouti.
Il faut dire qu’une dénonciation à la kommandantur, même si elle n’était pas fondée ne pouvait qu’entraîner au moins l’arrestation de celui qui en était victime et la déportation.
Il y eu d’autres exécutions mais l’une m’a particulièrement marquée. Il s’agit de Janot qui tenait un magasin de photos sur la place du marché ( aujourd’hui Charles de Gaulle). D’origine italienne, il était assez sympathique mais il avait un beau-frère Médico, véritable agent de renseignements travaillant pour l’O.V.R.A. (service de renseignement italien). Médico allait très souvent voir Janot dans son magasin.
Un jour de marché, j’ai été averti que Janot était étendu, sans connaissance, dans son magasin. Je m’y suis rendu et j’ai trouvé Janot étendu par terre, râlant, incapable de parler. J’ai fait appeler Sissi Meynet et un taxi pour l’emmener à l’hôpital. Il n’avait qu’une légère blessure à la tête que je ne croyais pas très grave. Vu sa position quand je l’ai trouvé, j’ai pensé qu’il avait eu un malaise et qu’en tombant sa tête avait heurté le bord de son comptoir. En fait, une balle de petit calibre était entrée par le tempe, faisant un trou quasiment invisible, puis avait fait le tour de la tête . Bien entendu l’enquête n’a pas identifié l’auteur.
Un des événements les plus graves qui s’est produit à Evian et qui aurait pu avoir des conséquences tragique pour la population, a malheureusement coûté la vie à son auteur.
C'est ici que fut fusillé, dans la grotte du parc de l'hôtel Splendide, Alleno Joseph Yves dit le Breton
L’hôtel de Bourgogne situé au début de la rue nationale, était exploité sous l’occupation par M.Pillet, ancien combattant de 14-18, grand blessé de guerre. Il s’occupait essentiellement de la cuisine alors que son épouse tenait la caisse. Ce jour là, il y avait un client important, M. Reider, autrichien, adjoint et paraît-il ami d’Hitler. Il avait été chargé par le Fürher d’organiser à Evian, le repos et la convalescence des SS de retour du front russe. Rieder était donc en relation avec les hôteliers d’Evian pour réquisitionner leurs établissements. Le principal hôtel réquisitionné était l’hôtel Royal.
Rieder était un organisateur, ayant le contact facile et d’après les commerçants, plutôt arrangeant sur le plan des indemnités. Donc, un jour, en fin d’après midi ( je ne me souviens plus de la date mais tous les évènements que je cite peuvent être facilement retrouvés dans les archives du commissariat d’Evian), j’ai été appelé pour un événement grave qui venait de se produire au « Bourgogne ». Le rideau de fer de l’Hôtel était à demi baissé lorsque je suis arrivé. La rue était vide. J’ai su par la suite que les gendarmes qui étaient casernés à proximité, hôtel des quatre saisons, s’étaient empressés de disparaître, alors qu’ils avaient plus ou moins vu et en tout cas entendu ce qui venait de se passer. En un mot, tout le monde avait fui. Je suis entré dans la salle du Bourgogne en passant sous le rideau de fer. Là, je me suis trouvé en présence d’un homme hagard, plein de sang, les cheveux en broussaille. Il était appuyé contre une table, près du bar à quelques mètres de l’entrée. M. et mme Pillet et leur personnel étaient réfugiés dans le fond de la salle, complètement affolés et ayant peur des conséquence de se qui venait de ce passer et que j’ignorais encore . A ce moment est arrivé mon collègue Meynet qui avait été prévenu. J’ai demandé les papiers au blessé, pensant que c’était un maquisard et j’ai eu beaucoup de mal à saisir son portefeuilles, car il nous traitaient d’agents de la gestapo. M. Pillet nous a expliqué qu’il était entré peu de temps auparavant, armé d’un pistolet et avait déchargé son arme à bout portant sur Rieder, qui consommait au bar en compagnie de son chauffeur. Ce dernier avait sauté sur celui que l’on appelait « le Breton » qui était descendu du maquis et qui avait été poussé à cet attentat par un nommé Descamps, alors garçon boucher à Evian. « Le Breton » n’était pas dans son état normal et n’avait réussi qu’à blesser légèrement Rieder, heureusement d’ailleurs car s’il l’avait tué, ou blessé gravement, cela aurait entraîné des représailles envers les hôteliers et probablement des otages éviannais. Le chauffeur avait donc blessé le Breton à coups de crosse du révolver de ce dernier qu’il avait saisi mais qui n’avait plus de cartouche. Rieder et son chauffeur s’étaient enfuis immédiatement en hurlant pour alerter la garnison qui se trouvait à l’hôtel Splendide. Nous avons essayé de raisonner le Breton et de lui faire reprendre ses esprits, c’était impossible à cause de l’alcool qu’il avait ingurgité et de l’excitation provoquée par l’attentat.
Les soldats allemands, prévenus par Rieder étaient descendu comme des fous, le fusil à la main. Il se répandaient dans la ville en patrouilles terriblement excitées. Le danger a alors été très grand pour les éviannais.
Une patrouille est arrivée au « Bourgogne » en courant et en criant . Nous avons vu pointer vers l’intérieur, des fusils ,par en dessous le rideau de fer. Je me suis précipité vers la porte en montrant ma carte de police et en criant « Polizei ». Ils ne devaient pas être bien renseignés de ce qui venait de se passer car ils sont repartis en courant . Le Breton ne voulait pas s’enfuir, il voulait aller rue nationale pour invectiver l’occupant. En raison de ses blessures, qui nous ont paru sérieuses. Nous avons décidé de le conduire à l’hôpital. Nous avons pu faire sortir le Breton de l’hôtel de Bourgogne. Je me souviendrai toujours de ce parcours avec le Breton qui hurlait contre les allemands et que nous n’arrivions pas à faire taire. Le chemin nous paraissait interminable. Tout le monde était aux fenêtres, les gens sortaient de chez eux, des magasins sur le pas de la porte pour voir ce qui se passait. Je me demandais comment cela allait se terminer et ce que je craignais arriva. Une patrouille a soudain surgit au pas de course. Elle était dirigée par un colonel, fusil à la main et fort excité. La patrouille nous a arrêtés. Le colonel nous connaissait Meynet et moi comme étant des policiers. Il parlait le français et nous a demandé qui c’était en désignant le Breton du bout de son fusil. J’ai répondu de la façon la plus évasive possible : il a trop bu et il s’est blessé, nous l’emmenons à l’hôpital. Cette réponse n’était pas géniale mais elle ne livrait pas le Breton et ne pouvait être considérée par les Allemands comme susceptible de leur cacher la vérité car le moindre soupçon à notre égard concernant notre collusion avec le maquis nous aurait été fatale.
Heureusement, pendant les quelques secondes qu’a duré cette intervention, le Breton n’a rien dit. Il s’est peut-être rendu compte que nous essayions d’éviter que les Allemands nous l’enlèvent.. Il nous fallait gagner du temps car non seulement le Breton était incapable de fuir dans son état, mais ne le souhaitais pas et voulait plutôt en découdre avec les Allemands.
Nous fûmes rattrapé à nouveau par une patrouille qui s’empara immédiatement du Breton sans rien nous demander. Seul le chef de la patrouille nous dit : « vous libres » Nous sommes restés un instant sans réaction. Nous avions l’impression que nous venions d’échapper à une arrestation, mais il n’était pas certain que cela n’irait pas plus loin. C’est en regagnant le commissariat que nous avons rencontré le Dr Escoubès, qui, alerté par téléphone, se rendait à l’hôpital. Nous lui avons expliqué ce qui s’était passé. Lui aussi n’a pu faire qu’un geste d’impuissance. Rien ne pouvait plus être fait pour le Breton. Cependant il nous restait à voir ce que contenait le portefeuille du Breton que j’avais toujours en ma possession. Nous nous sommes rendus au toilettes du commissariat situées au sous-sol. Nous avons retiré du portefeuille des listes de noms, des adresses, des photos dont un jeune infirmier de l’hôpital. Au fur et à mesure, on jetait ces papiers déchirés en petits morceaux dans la cuvette des WC et on tirait la chasse d’eau. C’est ainsi qu’en cachette du personnel du commissariat nous avons tout fait disparaître sauf la photo d’une femme et d’un ou deux enfants ( je ne me souviens plus), sa famille probablement. Il fallait bien laisser quelque chose dans le portefeuille.
A peine venions nous de reposer le portefeuille sur le comptoir du commissariat, que deux soldats allemands sont arrivés en courant et nous ont demandé « papiers ». je leur ai montré le portefeuille et je vois encore la main d’un soldat s’abattre sur celui-ci, sans explication. Tous deux sont repartis au pas de course à l’hôtel Splendide où avait été emmené Le Breton.