C’est en novembre 1942 que nous vîmes arriver les occupants italiens et que notre région devint zone réservée alpestre. Un passeport, c’est à dire un laisser-passer délivré par les autorités était nécessaire pour venir dans cette zone qui comprenait toute la région frontalière. Les italiens s’installèrent à Thonon : hôtel Lausanne et à Evian : hôtel de Noailles. Ils furent aidés par certains éléments de la population d’origine italienne mais furent rejetés par l’ensemble des évianais. Bien que loin d’être comparable à celle que les allemands devaient nous faire subir par la suite, cette occupation était assez pénible à supporter et des heurts avec la population ne devaient pas tarder à se produire. Un jour, alors que les italiens emmenaient un éviannais à l’hôtel de Noailles afin de l’incarcérer, la population les prit à partie. Ceux-ci répliquèrent en tirant sur les gens sans blesser personne heureusement. Il y avait deux italiens résidant à Evian , les frères Terrini ,qui exploitaient une boucherie chevaline rue de l’Eglise. L’un, Pietro, était considéré comme consul et l’autre était un fasciste notoire et agissant, détesté de la population. C’est avec celui-là que j’ai parlementé pour amortir les effets de cette révolte contre l’occupant. Je dois dire ici que peu d’italiens résidant à Evian avant la guerre, ont eu une action en faveur des fascistes, la grande majorité était plutôt contre eux.
Le PC italien se trouvait à l’hôtel de Noailles, mais il n’était dirigé que par un officier subalterne , le commandant se trouvait à Thonon. Alerté par son subordonné, il vint à Evian avec plusieurs officiers et sous-officiers pour faire une enquête sur cette rébellion des éviannais.. Sissis Meynet et moi, nous fûmes chargés de les accompagner pour cette enquête, l’officier ayant l’intention d’interroger les habitants de la rue nationale en notre présence.
C’est ainsi qu’après plusieurs interrogatoires négatifs, nous nous sommes trouvés en présence d’un couple, M et Mme T*****. Si le mari fut d’une extrême prudence et ne répondit qu’évasivement, en revanche sa femme fut beaucoup plus loquace et n’hésita pas à dire au commandant que les éviannais avaient insulté les soldats, les traitant notamment de « sale caraques ». Heureusement, le commandant italien a été très calme et n’a pas pris l’affaire au tragique ( il n’en aurait certainement pas été de même avec les officiers allemands qui ont suivi ). Cependant l’homme qui avait été arrêté à été transféré dans une prison à Turin, il n’en est revenu qu’a la fin de la guerre.
L’occupation italienne était relativement folklorique mais tout pouvait dégénérer à tout moment car les rapports avec les évianais étaient très tendus.
Ainsi, lors des funérailles de Roger Wutrick, évianais tué au combat, une foule imposante, venue de partout a suivi le cortège de l’église au cimetière de Thonon dans un silence impressionnant car la troupe italienne avait été mobilisée et renforcée sur tout le parcours, le fusil à la main, chargé, prêt à tirer. Ce fut une cérémonie patriotique voulue pour marquer nos sentiments pour les parents et vis à vis de l’occupant.
J’ai dû encore à diverses reprises intervenir auprès de l’officier italien pour essayer de défendre des évianais.Il m’est arrivé d’intervenir pour un nommé « Allemand » qui avait insulté les soldats italiens et s’était bagarré avec eux. Arrêté et conduit à l’hôtel du Nord, en attendant d’être transféré en Italie, mon intervention auprès de l’officier commandant le détachement d’Evian a été payante puisqu’il a été libéré immédiatement. En effet, je l’ai emmené au commissariat car j’avais expliqué aux italiens que je devais faire un procès verbal à son encontre. En réalité je n’avais pas l’intention de faire quoi que ce soit mais j’ai recommandé à Allemand de disparaître d’Evian pendant quelques temps.
A plusieurs reprises des drapeaux Français ont été placés soit au sommet d’un arbre ou d’un édifice. Ce qui a le plus mis les italiens en rage c’est le drapeau placé au sommet du clocher.
Camille Blanc, le futur maire d’Evian a été soupçonné car ses sentiments contre l’occupant étaient bien connus et il tenait l’Eden Bar juste à coté de l’église. A tort ou à raison , il a été emmené à l’école des Suets à Thonon où étaient cantonnées les troupes italiennes. Là, il a été interrogé et passablement battu et a eu les doigts de pieds écrasés. J’ai pu intervenir pour le faire libérer de la façon suivante : je suis allé trouver Pietro Pellini (cité plus haut) , et bien moins fasciste que son frère, à son domicile rue du Commandant Madeleine. J’ai pu le convaincre d’intervenir auprès du commandant et d’obtenir que Camille Blanc soit relâché.
Inutile de dire que chaque jour ou presque il y avait un incident qui pouvait nous conduire parfois jusqu’au couvre feu .
Les italiens, en dehors des vexations que nous devions subir de leur part n’ont commis aucune atrocité. Leurs rapports avec le commissariat de police d’Evian n’ont pas été trop difficiles. Tout devait changer avec l’arrivée des allemands.
Les Allemands rompent les clauses de l’Armistice. Ils entrent en zone libre. Nous ne les avons pas vus arriver tout de suite à Evian et nous avons conservé pour quelques temps encore les italiens.
C’est à partir de cette date, que dans cette régions du bord du Léman, si éloignée semblait-il, des remous, horreurs et atrocités de la guerre, que va commencer pour nous une occupation étouffante.