Le gouvernement de Javier Milei a annoncé un méga décret : le DNU (Décret de Nécessité et d’Urgence) quelques jours après son entrée en fonction, impactant les conditions de vie de millions de personnes. Ce décret résulte de la collaboration entre les responsables des ressources humaines du groupe d'affaires Techint et d'anciens responsables du gouvernement de Mauricio Macri, parmi d'autres contributeurs.
Nous abordons ici la partie du décret qui vise à modifier les principales lois du travail : loi 14.250 (accords paritaires), 20.744 (contrats de travail), 23.551 (associations syndicales), 25.877 (régime du travail) et 24.013 (emploi), entre d’autres.
Cette déréglementation du marché du travail est anticonstitutionnelle pour les syndicats qui ont déposé une plainte devant le Tribunal du Travail pour stopper les changements introduits depuis le 29 décembre 2023, jour de l'entrée en vigueur du DNU. La Justice a décidé de procéder à une mesure conservatoire contre le DNU, concernant uniquement le chapitre travail, en réponse à une demande formulée par la CGT et d’autres centrales syndicales qui appellent à une grève générale et manifestations le 24 janvier.
Les mesures que Milei cherche à mettre en œuvre affectent différentes parties des contrats du marché du travail. Les indemnisations, les assemblées, les grèves et le paiement des cotisations sont les principales modifications de la nouvelle réglementation.
Le rapport du CEPA (Centre d'Économie Politique Argentine), organisme indépendant, analyse quelques points marquants du décret.
Modification du régime du contrat de travail
Suppression des amendes pour défaut d'enregistrement (abroge les articles 8 à 17 de la loi 24.013 régissant les amendes pour travail non déclaré.) Les amendes pour les employeurs sont supprimées en cas de non déclaration d'un travailleur, ce qui permet de payer un salaire non conforme à la convention collective et le non-paiement des cotisations de sécurité sociale.
Changement du critère du doute favorisant le travailleur : cette modification dénaturalise la règle du « in dubio pro operario », l'un des fondements du principe protecteur reconnu par l'article 14 Bis de la Constitution nationale. Cette modification intègre la théorie du doute insurmontable et exclut toute présomption en faveur du travailleur.
Prolongation de la période d’essai : Modification de l’article 92 bis de la loi de contrat de travail 20.744 (LCT) . La période d’essai passe de 3 mois à 8 mois. L'employeur n’est plus obligé de la déclarer et cette période n’est pas comptabilisée ni pour la retraite ni pour la sécurité sociale.
Suppression du « cuenta sueldo » (compte bancaire gratuit pour le salarié) et de ses avantages : Selon le DNU, les dépôts de salaires peuvent être effectués dans d'autres catégories d'entités considérées par l'autorité responsable de l'application du système de paiement comme adaptées, sûres, interopérables et compétitives. Le droit du travailleur de demander à être payé en espèces est supprimé.
Les heures supplémentaires ne seront pas payées. Elles seront désormais comptabilisées comme "heures d'épargne" dans les autres jours ouvrables. Le système de « banque d'heures » est mis en place.
Licenciement abusif : Si le salarié est licencié sans motif, il recevra moins d'indemnités de licenciement (une grande partie de la protection contre les licenciements arbitraires est supprimée).
En outre, l'employeur peut désormais licencier et retarder le paiement de l'indemnité sans pénalité. L'indemnité de licenciement ne sera actualisée qu'en fonction de l'indice des prix à la consommation (IPC) majoré de 3 % par an. Si l'employeur ne remet pas de certificats de travail, le salarié n’aura pas la preuve d'y avoir travaillé, ni la preuve de son expérience, ni la preuve que l'employeur a versé les cotisations.
Conventions collectives : l'ultra-activité, - un principe selon lequel une convention collective reste en vigueur jusqu'à ce qu'elle soit remplacée par une autre -, est attaquée par la modification de l'article 6 de la loi 14.250, car les conventions collectives ne peuvent que reconnaître des droits plus importants que ceux établis par la loi (plus de vacances ou de congés, moins d'heures de travail, plus de délégués, etc.) L'objectif de la tentative d'abrogation de l'ultra-ctivité est d'éliminer le socle de droits conquis par les travailleurs, de sorte qu'à chaque échéance, les syndicats sont contraints de négocier à partir de zéro les conditions de travail et les salaires de leurs membres.
Une plus grande précarité pour les travailleurs isolés : l'employeur dispose d'une plus grande marge de manœuvre pour dissimuler la relation de travail sous cette forme de "contractualisation" réduisant ainsi la protection de ces travailleurs. La figure du travailleur indépendant est incorporée, qui peut embaucher sans contrat jusqu'à 5 travailleurs pour une entreprise de production. Dans ce cas, le DNU établit qu'il n'y a pas de relation de travail entre le propriétaire de l'entreprise et les personnes embauchées pour y travailler.
Deux secteurs où l'informalité est élevée verront leur situation se dégrader. Les travailleurs.euses d’aide à domicile (90% de femmes): le paiement d'une double indemnité en cas de licenciement est supprimé. Travailleurs ruraux: la sous-traitance par l'intermédiaire d'entreprises de services temporaires et d'agences pour l'emploi, qui était auparavant interdite, est autorisée.
Associations syndicales : le décret criminalise les assemblées et les congrès syndicaux en y ajoutant l'interdiction de bloquer la production dans un établissement et les piquets de grève. L'article 20 bis de la loi 23.551 du DNU exige que les Assemblées sur le lieux de travail n'interrompent pas l'exécution des tâches professionnelles.
Attaque contre le droit de grève : L’article 24 du DNU propose d'étendre la notion de « services essentiels » à 60 %, voire 75 %, des activités économiques. Non seulement les transports et la santé, déjà envisagés, mais aussi l’éducation, l’industrie alimentaire, la métallurgie, les médias, les usines de transformation de la viande, les télécommunications, etc. Lorsque ces travailleurs voudront présenter une réclamation, ils devront garantir entre 60 % et 75% de la prestation normale du service.
Les quelques mesures susmentionnées ont un double impact : elles constituent un recul à la fois pour les droits du travail et pour la viabilité des organisations syndicales.
Les trois centrales syndicales demandent l’intervention de l’OIT
Les trois centrales syndicales argentines ont demandé l'intervention "urgente" de l'Organisation internationale du travail (OIT) avant l'officialisation du protocole « anti-piquete » promu par la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, pour arrêter les protestations contre l'ajustement.
Les représentants internationaux de la CGT et de deux CTA se sont adressés officiellement au directeur général de l'OIT, Gilbert Houngbo, pour dénoncer le gouvernement de Javier Milei pour violations de la Convention 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical.
Le document de huit pages présenté à l'OIT dénonce le fait que le protocole annoncé par le gouvernement argentin criminalise la contestation sociale et viole « les droits et garanties constitutionnels fondamentaux ainsi que les institutions démocratiques de notre pays ». La présentation porte les signatures des secrétaires des Relations Internationales de la CGT, Gerardo Martínez, du CTA de los Trabajadores, Roberto Baradel , et du CTA Autonome, Adolfo Aguirre.
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1. El Mega DNU del gobierno de Milei: desregulaciones, desguace, extranjerización y fuerte retroceso en derechos laborales. Informe CEPA 27 de Diciembre 2023.
2. Secrétaire général du Syndicat des Travailleurs du Bâtiment de la République argentine.
3. Secrétaire général du Syndicat Unifié des Travailleurs de l'Éducation de Buenos Aires (SUTEBA).
4. Secrétaire des Relations Internationales de la Centrale des Travailleurs Argentins Autonome.