Un peu d'histoire locale

Le projet d'enfouissement

de déchets nucléaires


En 1993, les élus du Sud Vienne sont informés qu'un projet de laboratoire souterrain de recherche pour l'enfouissement de déchets nucléaires est à l'étude. Son implantation est prévue dans le Sud Vienne, dans une commune des canton de Charroux ou Civray. Face à ce projet qu'ils jugent inacceptable, un collectif d'opposants se crée à Charroux. Au bout de quelques années, ce projet sera abandonné. Raison officielle : le sous-sol n'a pas les qualités requises pour recueillir les déchets nucléaires à vie longue et à haute activité. Raison officieuse : une opposition extrêmement forte d'une partie de la population qui a provoqué des dégâts considérables sur les relations entre les habitants de la zone concernée.



En août 1996 un groupe de paysans charlois est parti de la ville de Charroux, au sud de la Vienne, pour monter à Paris avec un troupeau de vaches. Sous la direction de Pierre GROLLEAU, qui avait eu l'idée de cette action spectaculaire, ils voulaient interpeller consommateurs et hommes politiques suite à la Crise de la vache folle .

Ces éleveurs de bovins étaient touchés de plein fouet par la conséquence de cette crise due à la bêtise humaine. Face à l'effondrement des cours de la viande qui menaçait de les ruiner (alors qu'eux-mêmes élevaient leurs animaux en les nourrissant avec l'herbe de leurs pâturages et non avec des farines de viande) ils avaient décidé de se mettre en marche pour manifester leur indignation et leur colère face à l'injustice qu'ils ressentaient. Du 11 août au 30 août ils traversèrent une partie de la France au pas de leurs vaches, engrangeant étape après étape de plus en plus de soutiens. Même la FNSEA, quelque peu réticente à les soutenir au début, finit, bon gré mal gré par se rallier au mouvement initié par les paysans charlois. Arrivés fin août à Paris, cinq d'entre eux furent reçus par le président Jacques CHIRAC.


La marche de l’espoir.


Un dimanche matin, sur la place Saint Pierre,

C’était en août, le onze, en la cité charloise

Vous avez rassemblé vos vaches sans manière,

disposé les tracteurs, préparé les ardoises

Expliquant les raisons de cette longue marche

Et vous voilà partis quand le père Berbon

Eut béni le troupeau. Devant, le patriarche,

Le père d’Olivier, fier de son rejeton

Qui, avec ses copains, comme lui paysans,

Willem, Philippe, Pierre ainsi que Nathalie,

Sébastien, Dominique et tous ceux que j’oublie,

Mène ce beau combat pour vivre dignement.

Au premier soir du périple, vous faites halte

Auprès d’un stade, en la commune de Sommières,

Bien connue de Nathalie qui comme Ulysse hier

Y voit son Ithaque. Les bêtes sur l’asphalte

Se sont fait les sabots, elles n’ont pas coutume

D’emprunter si longtemps les routes goudronnées

Et ça les change un peu d’être ainsi cantonnées,

Quand arrive le soir, tout au bord du bitume.

Le lendemain matin, il vous faut repartir

Cap sur la Villedieu où vous auriez aimé

De l’église écouter les cloches retentir

Pour que soit annoncée la pacifique armée.

le clocher resta muet mais après tout, qu’importe,

Les choses vont au mieux et rien d’autre ne cloche,

Vous êtes bien reçu, et même on vous apporte

De quoi vous restaurer et vous taper la cloche !

Lors du troisième jour c’est l’entrée dans Poitiers.

Devant la préfecture est parqué le troupeau

L’accueil à la mairie n’est pas fait à moitié.

Un boulanger fournit le pain qui fait défaut.

Les nuits sont fraîches un peu, mais ça fait chaud au cœur,

Ces gens qui vous soutiennent et qui, chemin faisant,

Vous apportent leurs dons et suivent les tracteurs

Précédés des bovins, marcheurs au rythme lent.

Ainsi vous arrivez en vue de Jaunay-Clan,

Le quatrième jour, empruntant la grand-route,

La Nationale 10, et vous pensez sans doute

Qu’elle mène à Paris pour peu qu’on ait du cran.

Le camp est établi face au futuroscope,

sur un coin de parking, les bêtes font relâche.

Contraste de deux mondes qui se télescopent :

Le grand parc à images auprès du parc à vaches.

Votre groupe s’étoffe et reçoit le renfort

de quelques paysans venus d’autres régions.

Éleveur de bovins ou berger de moutons,

Ils veulent vous aider et vous rendre plus forts.

Avant de repartir le lendemain matin,

Vous avez pénétré dans l’enceinte magique,

Le soir, et là, assis sur d’immenses gradins,

Vous avez pu goûter un moment féerique.

Ces jeux d’eau musicaux, ces foisonnants lasers

Vous ont fait pour un temps oublier vos problèmes.

Peut-être cependant vîtes-vous un emblème

Dans le fier destrier surgi de la lumière.

C’est à Châtellerault que vos pas vous amènent

Lors du cinquième jour, chez votre ancien ministre,

Elle qui essuya des propos peu amènes

Proférés bêtement par des machos sinistres

Du temps qu’elle avait charge de l’agriculture

Et qu’elle défendait votre cause avec cœur.

Mais c’était une femme, voilà bien le malheur,

Vêtue d’un tailleur rose, autre point de rupture.

Son adjoint vous reçoit très chaleureusement.

L’ambiance dans la ville est des plus amicale :

C’est avec sympathie que votre mouvement

Est suivi en ce jour de quinze août marial.

Le 16 vous atteignez Port de Piles où la troupe

Pour la dernière fois fait halte dans la Vienne.

L’Indre et Loire reçoit, au cours des jours qui viennent

Les croisés de Charroux qui ont le vent en poupe.

Les premiers pèlerins accueillent des novices

Et foulent à présent le jardin de la France.

Escale à Sorigny, rencontre d’un comice,

Arrivée à Chambray pour se remplir la panse

Sur l’hippodrome où les chevaux, galants,

ont laissé place aux bovins ambulants.

Les élus, semble-t-il, sont beaucoup moins frileux,

En la ville de Tours qu’en celle de Charroux

Et si quelques soutiens sont moins à votre goût,

car venus un peu tard, ambigus, à vos yeux,

Vous savourez l’accueil des habitants

Venus trinquer avec les paysans.

Le soir c’est à Monnaie que vous faites étape

Avant de repartir cap sur Château-Renaud.

Les gendarmes qui vous escortent rient sous cape :

« Ils sont gonflés, les gars !». Derrière, les autos

Ralentissent, intriguées, puis s’en vont,

Vous saluant d’un coup de klaxon.

Après le déjeuner à la Grande Vallée,

Sur une aire de sport vous installez vos bêtes.

Ainsi que chaque soir la commune vous fête.

Et là, le vin d’honneur une fois avalé,

Vous dégustez une bonne omelette

Puis vous dormez, des rêves plein la tête.

Après Château-Renaud, La Nationale 10

Vous mène vers Vendôme et vers le Loir et Cher.

Onze journées déjà ! On ne donnait pas cher

De votre pari fou, il faut bien qu’on le dise,

Quand vous êtes partis, et vous voilà pourtant,

Hommes, femmes, enfants, au soleil déclinant,

Marchant sur la grand-route, accueillis tels des rois,

Vous, les gens de la terre, par les vendômois.

La troupe s’est gonflée d’autres agriculteurs

Vendéens ou sarthois ou du pays de Loire.

A présent vous savez que vaches et tracteurs

Iront jusqu’à Paris : la marche de l’Espoir

A le soutien du peuple et les médias vous suivent.

Et les dons maintenant de toute part arrivent.

Ainsi qu’en Indre et Loire, ainsi que dans la Vienne

La N R accompagne aussi en Loire et Cher

La montée vers le Nord d’une troupe sans haine

Qui veut vivre de ce métier qui lui est cher.

Après Morée c’est Chateaudun : une région

De gros céréaliers où les bêtes à cornes

Hormis les escargots ne sont guère légion.

La riche Beauce vous accueille dans sa dorne

Et apprécie l’exploit que vous accomplissez,

Vous saluant tels des coureurs, quand vous passez.

Les journaux parisiens à présent s’intéressent

Aux croisés de Charroux : vous êtes dans le Monde

Et dans le Figaro. Bientôt toute la presse

En Europe, d’abord, puis jusqu’au Nouveau Monde

Va faire mention des marcheurs se dirigeant

Vers la capitale pour voir leur Président.

Lors du quinzième jour de votre long chemin,

Entre Vitré en Beauce et Chartres la gothique,

Les femmes ouvrent la marche, allant main dans la main.

Elles qui bien souvent font tourner la boutique,

Elles qui, à la ferme, assurent l’intendance,

Ont leur journée à elles et vont à leur cadence

Vers les flèches superbes, à l’horizon lointain.

Nathalie qui connut les revers du destin

Plus que d’autres savoure une telle journée :

Nul obstacle à présent ne pourra détourner

Ses petits pas têtus de la route suivie

Et marcher jusqu’au bout signifie la survie.

Le 26 c’est Ablis, le 27, Rambouillet,

Pendant que vous marchez, un homme se démène

Pour que le Président au soir de la semaine

Fasse en sorte que vous ne soyez dépouillés.

Dès le départ cet homme a fait cause avec vous,

Vous promettant alors qu’il ferait son possible

Pour vous faciliter l’accès à votre cible,

Et vous avoir à l’Élysée un rendez-vous.

Perray en Yvelines : déjeuner sur le stade.

Alors que vous mangiez un bon beefsteak fondant,

La nouvelle est tombée, stoppant les rigolades :

Sensible à vos difficultés, le Président

Accepte de vous recevoir en son palais.

Rendez-vous est fixé au trente du mois d’août.

Ça y est, vous l’avez, enfin, ce rendez-vous !

Le député a bien assuré le relais.

Il s’agit maintenant de se mettre d’accord :

Choisir des délégués n’est pas chose évidente

Et puis vu les délais, c’est en un temps record

Qu’il faut rallier Paris. Votre marche gagnante

Accélère le rythme et, grâce aux bétaillères,

Se retrouve à Versailles avec un jour d’avance.

Là, vos représentants donnent leur conférence

Aux journaux qui se pressent, plus nombreux qu’hier.

Et c’est l’ultime étape qui mène à Paris :

« Les paysans charlois ont gagné leur Paris ! »

Annonce un quotidien en gros titre à la une.

De la Tour Charlemagne et des bords de Charente

Jusqu’à la Tour Eiffel, girafe nonchalante,

Vous marchâtes non pas pour décrocher la lune,

Mais pour prendre à témoin un pays tout entier,

Et lui faire savoir qu’au fin fond du Poitou

et des autres régions la France a des atouts

Qu’il ne faut pas brader. On y fait un métier

Transmis de père en fils, celui de paysan,

On y fait de la viande ou du blé ou du lait.

Les bêtes sont nourries à l’herbe car on sait

Respecter la nature à qui bien trop souvent

Des apprentis sorciers se prenant pour des sages

Au nom du rendement font subir des ravages.


Fin


Gérard Minault. Août-septembre 1996