J3 : L'étape


61 km

Départ Cale de Lamagistère : 9 h

Pause à Agen sur le l'ancien barrage : 12 h

Pause à Port-Sainte-Marie : 15 h 

Arrivée à Monheurt : 19 h

6h30: Saint Nicolas de la Grave, la seconde nuit n'a pas été très reposante. Nous sommes inquiets pour la suite de l'aventure. Le mauvais temps semble se maintenir et les prévisions annoncent des vents forts et de fortes averses pour la matinée. Ce matin nous sommes loin de notre point de mise à l'eau. Déjeuner, chargement, transport, déchargement, équipement... il nous faudra 2 bonnes heures avant la mise à l'eau, pour l'étape la plus longue de l'aventure.

Le téléphone de Jean-François sonne tôt ce matin. Les journalistes des radios locales prennent de nos nouvelles pour leurs flashes info du matin. Il se prête au jeu bien volontiers.  Il sera sollicité pendant les 4 prochains jours. Il semble que ce que nous faisons commence à susciter l'intérêt. C'est un peu ce que nous recherchions: attirer l'attention sur la possibilité d'apprivoiser la Garonne et d'en faire un espace de découverte et d'aventure accessible.


9h: Lamagistère la mise à l'eau se fait sur les quais en aval de la centrale de Golfech, dans le Lot-et-Garonne. Nos amis de Verdun-sur-Garonne sont de retour dans l'aventure pour nous accompagner avec Sprinteau et zodiac sur cette longue étape. Le ciel est noir, il fait 12°.

Après 1/2 heure de navigation, et le passage de 2 ponts, un gros coup de vent accompagné d'une très forte averse s'abattent sur l'équipe. Nous n'y voyons plus rien, le vent est tellement fort qu'il nous faut sortir les bras pour ne pas reculer sur un fleuve qui coule pourtant fort lui aussi. Nous sommes soumis aux éléments, et nous devons reconnaître qu'à ce moment précis, nous devons nous protéger et nous mettre à l'abri.

Nous nous accrochons sur une grève et patientons quelques minutes dans nos kayaks. Les amis du Sprinteau ont préféré eux aussi se poser. Sprinteau et Zodiac reposent seuls sur la grève. Nous nous verrons que le dos des derniers équipiers qui courent dans les hautes herbes pour rejoindre plus haut sur la route, la voiture d'assistance qui les suit pour s'y abriter. Nous savons que nous reverrons nos amis plus tard dans la journée, ils veulent absolument aller au bout, jusqu'à Bordeaux. Nous comprenons, une nouvelle fois, que leur matinée s'arrête ici. Nous devrons naviguer seuls.


10h: Le vent a faibli un peu, assez pour nous laisser repartir. Allez, il nous reste plus de 50 km, il faut y retourner. On se décroche du bord et on repart. La pluie est toujours très forte, mais le fleuve accompagne nos coups de pagaie, qui nous rechauffent. On commence à avoir froid.

Si une petite pluie ne gène pas un kayakiste bien équipé, la pluie ce matin est tellement forte que le seul moyen de rester sec est de ne pas sortir !


En se rapprochant d'Agen, les conditions météo s'adoucissent comme pour nous permettre de reprendre le pouls de la civilisation après le déluge. Nous naviguons à un bon rythme menés par notre détermination. Après avoir croisé le Gers, la proximité  de la RN 21, nous apercevons le panneau de radar de la nationale qui passe à quelques mètres, comme pour nous indiquer de ralentir. 

Le pont de Beauregard se dresse devant nous, annonçant l'arrivée de l'obstacle redoutable : l'ancien barrage du même nom. Nos précédents repérages nous avaient permis de savoir que le canal aménagé sur la rive gauche ne présentait pas assez d'eau pour l'emprunter. Notre prudence nous défend de nous engager sur le passage rive droite avec des kayaks de mer de près de 5 m de long. 


12h: Nous accostons sur le promontoire en béton largement découvert. Nous sommes heureux d'être arrivés jusque là et d'avoir traversé un tel rideau de vent et d'eau. Quelques noisettes, une banane et beaucoup d'eau, nous font du bien.

Nous avons décidé de tester les gourdes filtrantes Lifestraw. Jérôme avec de l'eau du robinet et Jean-François avec de l'eau de Garonne. Nous en sommes à 2 jours et demi, et jusque là tout va bien...

L'étape est longue, nous ne pouvons pas nous attarder.

12h30: La remise à l'eau nécessite quelques cordes et nous voilà repartis pour glisser sous le pont canal d'Agen. Nathalie de la Rivière nous attend rive droite, elle nous encourage depuis la berge. Sa présence nous fait du bien et nous filons poussés par la Garonne, grossie par plusieurs jours de pluie et cette dernière grosse averse.


Le soleil finira par percer les nuages pour venir nous cogner au moment le plus chaud et humide de la journée. Après le froid du matin, nous avons chaud. Nous profitons d'une pause pour nous rafraîchir en piquant une tête. On se change, nous sommes trempés depuis ce matin. Nos amis de Verdun-sur-Garonne en profitent pour nous retrouver sur l'eau.

Nous pagayons comme des métronomes, doucement mais sans s'arrêter. Jérôme sursaute dans son kayak. 

"Je crois que je viens de réveiller un silure !" Sa pagaie a touché quelque chose qui s'est mis en mouvement et qui à bousculé sur kayak. 

De nouveau d'énormes nuages noirs et le tonnerre lointain nous inquiètent. 


15h: Pause à Port-Sainte-Marie, nous sommes dans les temps pour tenir cette longue étape. Lorsque nous avons préparé le parcours, nous avons été mis en garde sur la longueur de cette étape. "60 km, c'est trop long!", "Vous n'y arriverez pas...". Nous avons malgré tout décidé de maintenir ce tracé qui nous paraissait certes ambitieux, mais possible.  Nous sommes donc concentré sur les temps intermédiaires et sur notre forme physique. Une pause nous fera du bien et nous permettra de ne pas nous refroidir à nouveau sous une nouvelle averse que l'on voit et entend déjà arriver. 

Nous nous abritons sous le pont de chemin de fer. Le TGV et l'orage viendront à peine perturber une sieste à même le sol, dans la "douceur" d'un gilet de sauvetage (il faut peu de chose pour trouver le confort et le sommeil quand le corps en a besoin).

 

16h: Il est temps de repartir et de parcourir la quinzaine de kilomètres pour atteindre Monheurt. Nous croiserons la Baïse, le Lot qui viendront rajouter leur eau pour changer une nouvelle fois la couleur de la Garonne. Nous pagayons mécaniquement, dans des sensations contraires, partagés entre l'envie d'arriver et le plaisir de prolonger des instants que nous savons uniques. Nous multiplions les petites pauses dans une nature verte et brillante, comme un jour de printemps arrosé d'eau et de soleil.

Enfin dans un grand calme et juste à la sortie d'un dernier virage, Monheurt nous offre sa cale. 


Cette journée aura tenu ses promesses et la nature nous aura réservé ses extrêmes pour la saison (pluie, vent, soleil, orage, froid à 12°, chaud à 32°) pour marquer nos souvenirs.


19h: Un nouveau comité d'accueil, le maire, les habitants du village et un vin d'honneur nous attendent. Thomas, un ami viticulteur de Cahors est sur le quai. "Je suis venu pour voir les frangins aventuriers. C'est sympa votre aventure, ça donne envie !" On ne se doute pas à ce moment de ce que nous allons faire ensemble l'année prochaine.

Monheurt est un village paisible posé sur la rive gauche d'une Garonne qui a déjà avalé le Tarn, Gers le Lot et la Baïse. Posé entre le terrain de rugby et la Garonne, il y a l'unique commerce bistrot du village où tout se passe. Stéphane et Sabrina de La Calenquère, ont dressé les tables au bord de l'eau, la paëlla cuit doucement et nous attend. Les habitants sont heureux de nous voir arriver. Nombreux sont ceux qui viennent à notre rencontre pour partager avec nous leurs expériences de Garonne et leurs secrets aussi.

Il parait qu'"un peu plus haut, un pilote allemand a crashé son avion dans Garonne. On l'a jamais retrouvé celui-là".  Légendes ou pas, des histoires, il y en a. Il reste aussi des traces de la décharge sauvage, à quelques mettre en aval de ce magnifique point de vue, qui en dit long sur la relation compliquée que des générations de "Gens de Garonne" ont eu avec leur fleuve. Ce que nous voulons inspirer dans le présent, est une relation apaisée avec un espace naturel vital, accessible qu'il faut préserver et se réapproprier.


22h: Il faut aller nous reposer. Jérôme marque des signes de fatigue. Heureusement, ses maux de ventre qui ne l'accompagneront pas plus loin que la nuit. Une douche, et les paillasses du gymnase nous tendent les bras pour un repose bien mérité. Demain la météo sera belle. Une nouvelle Garonne nous attend.