2022 - Les circuits jaunes

 Pépito

Une petite histoire en trois actes

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Simplement du fait que le circuit d'initiation en principe repérable à sa couleur jaune se devait être facile pour être accessible à tous sans encadrement et sans nécessité pour le débutant d’être pourvu de chaussons techniques, simplement de « basquet ».  Et cela suivant l'idée clairement explicitée à l'époque, qu'il devait briser le rapport hiérarchique de type guide-client (maitre-élève) entre l’initiateur dont le rôle se résumerait a priori « à montrer les mouvements » et le débutant depuis trop longtemps assujetti au bon vouloir du premier. En clair, le débutant se devait être autonome dès ses premiers pas d'escalade, et le circuit "jaune" se devait était être impérativement facile pour l'y aider. Or, la réalité est que cette conception du circuit d'initiation n'a pas vraiment fait école. 

- Pourquoi ? Déjà parce que les débutants arrivent à l'escalade très rarement sans être accompagné, et aussi parce que cette conception de l'initiation en autodidacte s'apparente trop à une sorte de désocialisation de l'enseignement pour qu'elle soit adoptée culturellement " par tous " : c'est du moins mon opinion de concepteur de circuits jaunes et d'initiateur.

L'autre raison des plus pragmatiques : simplement parce que les circuits jaunes avaient une autre utilité : permettre la pratique de l’escalade, ou comme on disait autrefois, l’entraînement à l’escalade. En clair, dès leur apparition " officiel " en 1967 certains circuits jaunes ont été créés, plus ou moins consciemment, pour satisfaire aussi les besoins sportifs de grimpeurs qui n'avaient nul besoin d'être initiés. Si bien que dix ans après sa conception et la création de près de 25 circuits " jaunes " en principe pour les débutants,  il a été demandé en commission des circuits d’escalade du Cosiroc la possibilité de tracé des circuits de niveau F pour « facile » estimant que les circuits jaunes étaient trop difficiles pour les débutants. Comme quoi !


 Au lieu d'être dans le mythe que les circuits jaunes étaient des circuits faciles pour les débutants, il aurait été tellement plus simple de dire dès le départ que les circuits jaunes étaient en fait des circuits comme les autres : comme les circuits orange, les circuits bleus… D'expliquer que certains, les plus abordables sans doute, pouvaient être utiles à l’initiation, du moins veiller à qu'ils soient pédagogiquement abordables et intéressants ; et que les autres, les plus difficiles, étaient explicitement destinés aux grimpeurs d'expériences. 


De plus, pourquoi les circuits "jaunes aurait dû être tous faciles alors que factuellement l'initiation réussie dépend moins du circuit que de la qualité pédagogique de l'initiateur. Je m'explique, dès la naissance de l’escalade rocheuse dite alors acrobatique, il s’est trouvé des volontaires pour s’y essayer. Ce qui signifie qu’il y a toujours eu des néophytes et des bonnes âmes pour les initier aux gestes de l’escalade. Mais à part le bruit qui courait  que : « La connaissance parfaite de la technique alpine permet de pratiquer l’alpinisme avec une sorte de sécurité », on sait très peu de choses des usages des anciens concernant la pratique de l’escalade rocheuse à Bleau et son enseignement. Cependant, on imagine que l’initiation devait se faire à l'improvise sur le tas : soit au sein d’un petit groupe constitué, soit auprès de parrains, ou encore « entre copains ». En tout cas, comme il y avait assez peu de prétendants à l’alpinisme d'une année à l'autre, l’initiation à la technique de l’escalade à Bleau s’est faite, durant près d’un demi-siècle,  sans la prévoir spécifiquement. 

Il faudra attendre la naissance du premier circuit d’escalade en 1947 pour que l’enseignant ait en quelque sorte son support pédagogique. Car aux dires de Fred Bernick, l’inventeur du circuit : « il permettait l’entraînement à la marche en cordéeavec toute l'utilité que cela présente pour l'enseignement de l'alpinisme. Remarquons la double utilité que donnait Fred à ses circuits : l’entraînement et l’enseignement.

 

Au cours des années cinquante, le succès de plus en plus marqué pour les sports de montagne, allant avec la super médiatisation des grandes conquêtes himalayennes et Andines, apporta d’année en année de plus en plus d’aspirants montagnards aux portes des organisations alpines ; et tant qu’ils durent à un moment donné s’organiser pour les accueillir et les initier à l’alpinisme. Voici ce qu’on pouvait lire en 1956 dans la revue du CAF, Paris Chamonix : « Nos écoles d'escalade sont de plus en plus fréquentées. Chaque dimanche y apporte son contingent de nouveaux participants (comprendre des débutants)… C'est pourquoi nous organiserons désormais, à l'intention des jeunes et des nouveaux adhérents des sorties spéciales dites « sorties d'initiation ». Leur but est de donner aux débutants les premiers éléments de leur formation alpine… »

A cette époque : on utilisait beaucoup le terme « école d’escalade » devant le lieu de sortie comme : École d’escalade au Cuvier ou École d’escalade à Surgy, de sorte qu’on pourrait penser que le grimpeur passait tout ses dimanches à apprendre à grimper, alors que paradoxalement les débutants ne se retrouvaient décidemment pas dans la plupart de ces petites écoles d’escalade que sont les divers sites d’escalade à Bleau, et ça malgré la hausse du nombre de circuits propices à l’entraînement et à l’enseignement de l’alpinisme. Un petit paradoxe !

En effet, le nombre de circuits n’avait cessé d’augmenter avec le nombre de pratiquants, mais assez peu pour les grimpeurs de niveau modeste et les débutants : six dits « faciles » sur les soixante-dix existant à Bleau aux environs de 1967, dont le célèbre circuit rouge montagne créé en 1960 à grand renfort de prises taillées aux Gorges de Franchard. Surnommé La Cerise du Débutant, il a été en réalité peu utilisé pour l’enseignement de l’escalade. 

- Pourquoi, ai-je choisi de m'arrêter à l’année 1967 ? Parce que ça fait vingt ans que le circuit d’escalade a été inventé, mais aussi parce que c’est l’année de naissance de la commission de travail sur les circuits d’escalade regroupant les principales associations de la région parisienne (CAF, FSGT, GUMS, pour citer les plus importances et les plus actives). Présidée par Pierre Bontemps, la commission a aussitôt adopté le principe d’une normalisation de la couleur des circuits en rapport avec sa difficulté globale. En l’occurrence pour les circuits estimés Peu Difficiles (PD), la couleur Jaune. Et chose peu connue, durant la même réunion, il a été aussi décidé collégialement : « …de tenter d'équilibrer la tendance actuelle de créer des circuits de plus en plus difficiles, l'effort d'entretien devra s'accompagner de la mise en service de nouveaux circuits P.D et A.D. de telle sorte qu'il en existe au moins un dans chaque massif ». Paris Chamonix, de juin 1967 et février 1968 (1).

Ce compte rendu ressemble fort au mot d’ordre de la célèbre opération de la FSGT : « Un circuit jaune par massif » traduit parfois par : « Un circuit jaune par an ». En effet, le groupe de la FSGT-GUMS, dont le rêve commun était de voir se développer la pratique populaire de l’alpinisme, s’est investi sur le terrain pour créer ces fameux circuits jaunes, perçus alors comme des instruments nécessaires à la démocratisation de l’escalade. Ce qui les a conduits à affirmer plus tard que : « La F.S.G.T et le G.U.M.S, chacune de ces organisations avec ses caractères propres, ont toujours su unir leurs forces afin de développer la pratique populaire de l’alpinisme… et sont les promoteurs et les principaux réalisateurs des circuits faciles et peu difficiles actuellement tracés ». Guide de Bleau, 1970.


Plus tard, cette dernière phrase sera simplifiée : « La FSGT et le GUMS sont les principaux promoteurs des circuits d’initiation ». A partir de là, l’égalité circuit jaune égale circuit d’initiation entrera dans les esprits aussi facilement que 1+1=2, alors que la majorité créés à l’époque ont été faits suivant le modèle de circuit montagne avec son cortège de voies hautes et engagées, du moins intimidantes. On peut s’en étonner, mais comme le circuit jaune avait vocation à servir à la démocratisation de l’alpiniste, il fallait préparer le débutant aux escalades peu assurées en montagne. (A l’époque peu de gens doutaient de la prolétarisation de l’escalade, c’est pour ça que les conservateurs la redoutaient et en parlait comme d’un fléau : mais ça, c’est une autre histoire). 

Maintenant, au tour du CAF de donner son sentiment : le troisième partenaire de cette aventure… En  1971 sortait dans la revue Paris-Chamonix un article de Pierre Bontemps sur les circuits faciles créés à Fontainebleau, dans lequel on pouvait lire : …Les circuits se sont développés… si bien que vers la fin des années soixante chaque site un peu important possédait son circuit d’escalade, voire plusieurs… mais rares étaient les massifs qui offraient aux débutants toujours plus nombreux un circuit leur permettant de s’entraîner seuls, en dehors des sorties encadrées à leur intention. Les associations telles que le CAF en ont pris conscience et l’on peut dire que la plupart des circuits faciles et peu difficiles sont nés de leurs initiatives… circuits qui permettront aux grimpeurs de niveau encore modeste et aux débutants de s’entraîner et se perfectionner. On voit là que les circuits faciles et peu difficiles servaient à s’initier en autodidacte, à s’entraîner et à se perfectionner à la fois. Donc à grimper tout simplement (2). 

Entre 1965 et 1980, environ 40 circuits jaunes seront créés (3). Mais créer ne suffit pas, pour satisfaire les besoins des grimpeurs, il faut aussi maintenir en état ce qui se dégrade vite, et amender même ce qui n’est pas satisfaisant. Surtout que la fermeture des forêts domaniales, s’accompagna d’une restriction administrative quant à la création de nouveaux circuits : plus question d’improvisation, de faire à la vite et au pinceau large. L’ONF l’a dit et les membres de la commission circuits étaient globalement d’accord : Il a été décidé que la priorité sera donnée à l’entretien et à l’amélioration (où au remplacement) des nombreux circuits insatisfaisants souvent délaissés d’où l'adoption du fameux : Numerus Clausus

Cette politique restrictive a quasiment stoppé l’élan créatif car entre 1980 et 2015, seuls trois circuits jaunes seront créés en forêt domaniale dont deux en échange de disparus sur la dizaine de perdus. Pour ce qui a été de la maintenance de l'existante, les motivations se sont avéré bien moindre que pour les créations. La FSGT a effectivement grandement contribué jusqu'au milieu des années quatre-vingt à l'implantation des circuits peu difficiles un peu partout dans la forêt, mais le fait est aussi que cette organisation n’a pratiquement pas contribué à pérenniser son œuvre jusqu'à ce jour (4). Trente cinq ans, c’est beaucoup, c'est en tout cas largement assez pour que ses œuvres délaissées disparaissent. Parfois remplacées par d'autres circuits jaunes qui ont peu à voir avec les tracés initiaux. Aussi, je trouve qu'il est déloyale que cette association continue à revendiquer le mérite de leur présence alors qu'on le doit grâce au travail apolitique de dizaines de bénévoles de toutes provenances, souvent des indépendants. 

En effet, savez-vous qu'en 2015, suite à une campagne de recensement précis et minutieux des circuits, sur les 47 circuits jaunes dénombrés, seul un tiers restaient entièrement praticables, un autre tiers partiellement, le reste étant dans un tel état d’abandon qui ne permettait plus la pratique de l’escalade : autant dire qu'ils n’existaient socialement plus. Le plus étrange dans cette affaire, c’est que ce bilan désastreux n’a motivé aucune réaction au sein de la commission circuits, aucun projet collectif de sauvegarde n’a été proposé par les membres de la commission (FSGT, CAF, GUMS en autres). Quelques sympathisants sont demeurés actifs et se sont occupés de leurs circuits préférés mais globalement aucune association n’eut l’envie ou l’énergie de prendre le taureau par les cornes comme on dit. Cependant : comme le besoin de circuits de niveau abordables demeurait, quelques "individuels" ont réagis de leur propre initiative... Et on peut dire aujourd'hui que les circuits "jaunes" modernes sont principalement l'œuvre d'indépendant " apolitiques ", des pragmatiques généreux en somme.

 

Comment cela a-t-il pu être possible après 35 ans d’austérité contrôlée par la commission des circuits ? Je ne rentrerais pas dans les détails mais il a fallu faire sans le consentement de ce collectif en panne d’influence pendant quelques temps. En tout cas, entre 2015 et 2022, 15 circuits jaunes neufs sont apparus rien que dans les forêts domaniales des Trois Pignons et de Fontainebleau. Toutes ces réalisations furent conduites sans mandat, entreprises sans mot d’ordre fédéral, simplement du fait de la conscience et du savoir faire des intervenants. Mais également grâce à la compréhension de l’enjeu de la part de l’ONF qui a accepté de leur faire confiance. On ne le dira jamais assez, c’est aussi parce que les gestionnaires de L'ONT l’ont bien voulu que nous avons aujourd’hui 54 circuits d’escalade de niveau jaune en état d'être suivi donc 29 d’entre eux propices à l’initiation des débutants, Les autres étant prévus pour des grimpeurs confirmés qui trouvent leur satisfaction à les parcourir. 


 Le 02 juin 2022 (révisé le 18 janvier 2023)


(1) Le long article de Pierre Bontemps prodigue plusieurs conseils sur la procédure de création et sur ce que doit être un circuit qui n’est pas mauvais de se souvenir : « …il est important qu'avant sa mise en service, le tracé soit étudié soigneusement en équipe, ce qui ne peut qu'améliorer son intérêt. Aussi il paraît souhaitable d'établir à la craie grasse un premier tracé provisoire et de le faire parcourir par des grimpeurs n'ayant pas participé à son élaboration ; d'une manière générale un niveau moyen doit être respecté et les liaisons particulièrement soignées, traversées et descentes ne doivent pas être négligées... Dans la mesure du possible il faut éviter que le grimpeur ait à mettre pied à terre, la forme boucle (simple ou double) permettant une meilleure répartition des collectives est jugée préférable au tracé en ligne ».

(2) Noter que le mots " jaune " est absent, substitué par le mot " Facile ". Peut-être pour éviter de contredire la tendance de la FSGT à proclamer :  " Les circuits "jaunes" c'est nous ! "  

(3) Le premier circuit " jaune " a été créé en 1965 au Rocher Canon par Gérald Weyl  du CAF. Le premier circuit " facile " nécessitant ni chausson d'escalade, ni initiateur pour respecter le principe : ne pas établir de hiérarchie maitre élève " a été créé en orange par Bernard Lebert aussi au Rocher Canon en 1955. Le premier circuit propice à l'initiation a été créé en 1954 par Gaston Chédoir au Rocher Saint Germain. Ce qui signifie que la notion de  " premier " s'accorde aux mots utilisés ce qui lui enlève tout sens factuel. 

(4) Le circuit jaune PD du Diplodocus : « vient d’être retracé par un collectif de la FSGT, avec l’intention d’en faire un circuit accessible à toutes les personnes débutantes, sans encadrement nécessaire. Pour ce faire, les blocs les plus usés ont été soit supprimés, soit simplifiés et de nouveaux blocs ont été ouverts. Le Diplodocus est un lieu idéal pour l’initiation car il propose de nombreuses voies accessibles sur un espace réduit, rendant très facile la communication et l’entraide entre grimpeurs et grimpeuses. Mais au-delà de cette reprise d’un circuit devenu difficile à suivre, cette refonte a aussi été pensée comme une opération de formation à l’entretien des circuits ». (Déclaration non signée).

Tableau de recensement des circuits de niveau jaune praticables actuellement dans les sites autorisés à l'escalade.

Tableau de recensement des circuits dits jaunes disparus ou remplacés.