2013 - Règles de jeu et éthique
Sébastien Frigault et Jean-Jacques Naels
L’Escalade : Réflexion sur les règles du jeu et l’éthique.
L'éthique en jeu
Qu’est que l’escalade pour un encyclopédiste : " C’est l’ascension d’une paroi, d’une montagne soit en ne s’aidant que des prises ou des appuis offerts par le rocher (escalade libre) soit en utilisant des pitons (escalade artificielle) ". Source : Encyclopédie Universalis.
Nous retiendrons pour la définition de « l’escalade libre », que l’enjeu de l’escalade implique que le grimpeur n’a pas d’autre moyen de progression que ses membres, et qu’il accomplit l’escalade sans artifice aucun et uniquement avec les prises naturelles telles que la nature les a forgées. Et en complément, nous pouvons ajouter qu’il est entendu que l’escalade est à la fois un sport et un jeu. Un sport parce que le grimpeur est confronté au réel avec ce que cela implique corporellement et un jeu par l’aspect symbolique et ludique de sa finalité. En effet, l’escalade est un jeu de conquête, plus exactement "la conquête d’un territoire hostile" qui a pour finalité d’atteindre ou plutôt de rejoindre un point caractéristique qui a bien souvent une valeur symbolique ; et, comme tout jeu de conquête, la règle du jeu de l’escalade est au demeurant, implicite, spontané, liée à l’acte et confondu avec la finalité. Effectivement, si l’on s’en tient à l’origine de l’escalade, à son invention, quelque furent les terrains d’action, d’abord seul comptait le but, c’est-à-dire le sommet et qu’importait le cheminement pourvu que l’on arrivât à celui-ci. Mais d’expérience, l’alpiniste fut bien obligé de considérer l’itinéraire emprunté et sa difficulté, aussi peu à peu il prit conscience que le véritable enjeu de l’alpinisme était, avant même que soit achevée la conquête des principaux sommets des Alpes, de réussir à surmonter les obstacles qui s’opposent au grimpeur pour atteindre le sommet. Bien même qu’il a toujours subsisté dans les esprits une certaine confusion entre l’objectif, réussir un itinéraire, et atteindre son point d’accomplissement, puisque l’un et l’autre sont indubitablement lié. Aussi, s’il y a une règle du jeu à l’alpinisme, elle se précise au mieux, et le plus simplement du monde, autour de la description de l’itinéraire de l’escalade, que l’on devra bien entendu emprunter et parcourir intégralement jusqu’à son terme afin de prétendre à la réussite. Aussi, il nous semble, que ramener au bloc, il n’y a fondamentalement pas d’autre règle de jeu que celle-ci : faire le bloc suivant la description de la ligne que l’on convoite réaliser.
En fait, si l’on va plus loin, on peut considérer que la description d’itinéraire d’une voie, même si elle est implicite par la configuration même du rocher ou suggérée simplement par un marquage, constitue la règle de jeu qui lui est propre, car elle dit d’où et par où faire le passage exactement, sans dire pour autant comment (Méthode). Aussi en quelque sorte, il n’y aurait pas une seule règle de jeu mais autant de règles de jeu qu’il y a de passages décrits. (Prenons l’exemple de description d’un bloc telle que Gourmandise : « Toit. Départ assis tout au fond du dévers avec les inversées les plus à droite, rejoindre le bord du toit et sortir par l’arête de gauche ». Cette description, ne nous dit pas comment, mais nous dit bien où partir, par où passe la voie, et où elle s’achève ; et le contrat, nous parait clairement être la règle du jeu liée au 8b de Gourmandise. Cela admis, et puisque tout est affaire de convention d’itinéraire, peut-on ainsi avoir autant de descriptions, donc de règles de jeux, que l’on souhaite autour d’une même ligne que l’on peut appeler maîtresse ? - Évidemment, on le peut, et c’est du libre arbitre ou de la liberté du grimpeur, comme on voudra, de s’en inventer à l’infini. Mais si l’on prend une nouvelle fois en exemple, la ligne célèbre de Gourmandise, initialement parcourue dans sa plus grande amplitude possible, est-il souhaitable d’inventer « pour tous et à la vu de tous» une version moins exigeante (ou raccourcie) ? - Et bien nous pensons raisonnablement que non, suivant une suggestion dictée par une espèce de bon sens commun que l’on nomme esthétique ou éthique, oui cette fameuse éthique prise souvent pour la règle de jeu alors que c’est autre chose…
Mais qu’est-ce que l’éthique... Si ce n’est pas la règle du jeu ?
Ce que l’on en conclut, après bien des discussions passionnées avec des grimpeurs de divers niveaux de pratique, voire avec de non grimpeurs également, c’est que l’éthique s’occupe des conséquences de notre action : soit sur l’essence morale et sociale de l’escalade, soit sur le rocher, soit sur l’environnement, et définit les comportements que devrait avoir le grimpeur dans sa pratique pour atténuer ou supprimer un problème. Ainsi, l’éthique relève d’abord d’une prise de conscience, d’une réflexion sur sa pratique portée à maturité. Elle se distingue donc de la règle de jeu et ne saurait alors être confondue avec elle. Par exemple, si la taille des prises a semblé être d’abord une solution « allant de soi » pour créer des voies, et bien au regard des atteintes irréparables sur le rocher et de la trahison que cela représente dans la définition de l’escalade libre , s’est imposé un « interdit » pour la contrecarrer. On voit par cet exemple deux choses : que l’éthique précède rarement les problèmes liés à la pratique mais que ce sont les problèmes qui conduisent à une éthique, et aussi que, l’interdiction de tailler » n’est pas véritablement une règle du jeu mais une moralisation de l’action de grimper. (Tous les moyens ne sont pas bons pour arriver là).
Si nous avons réfléchi sur la nature de l’éthique et proposé ces quelques lignes pour en parler, c’est que jamais, on ne l’a autant évoquée ces dernières années, s’articulant surtout autour du mot respect : respect des règles du jeu, respect de l’enjeu de l’escalade même, car on ne compte plus les « infractions apparentes depuis qu’internet existe. Mais en réalité, ces dites infractions que l’on voit autour des mots et des chiffres, celles qui malmènent ce que nous avons appelé plus haut « l’essence morale et sociale de l’escalade », appartiennent assez peu au monde des grimpeurs en réalité car assurément derrière l’arbre un peu trop visible, il y a la majorité qui s’accorde de bonne foi, à pratiquer suivant les règles et qui ne sont pas prêts de les enterrer pour une poignée de croix en plus. En conclusion ces infractions ne nous paraissent pas si graves, nous intéressent peu même, car elles ne sont dommageables en fin de compte qu’à l’impalpable, à l’image comme on dit, mais surtout à l’image de ceux qui les entretiennent et qui les commettent. Le plus inquiétant, c’est en somme tous les excès qui concernent le non-respect du rocher et le non-respect de la nature, ces inflations à l’éthique les concernant étant infiniment plus regrettables et destructrices que de tronquer un départ assis. C’est pourquoi nous osons proposer un certain nombre de recommandations civiques qui suivies réduiraient notre impact sur le rocher et la nature environnante.
L’éthique : quelques prescriptions pratiques de conservation.
Comme nous l’avons vu plus haut, l’éthique est un ensemble de prescriptions morales et pratiques que l’on s’impose à soi-même durant sa pratique avec plus ou moins de fidélité. Mais celles qui nous paraissent les plus importantes, ce sont celles qui vont au-delà de soi, au-delà de l’indicible image que l’on a d’une performance, ce sont celles qui touchent à la matière et aux vivants, et qui engagent chaque pratiquant et ouvreur en particulier car elles engagent aussi l’avenir de notre terrain de jeu.
Nous distinguons trois sous-ensembles ; ensembles qui peuvent s’articuler, s’imbriquer l’un dans l’autre.
- Les règles de partage du terrain de jeu avec autrui.
Ne pas stationner hors des zones autorisées et sur les chemins agricoles.Ne pas obstruer l’accès aux secours.
Ne pas grimper dans les propriétés privées sans le consentement des propriétaires.
Garder les chiens en laisse car il n’est pas rare que leurs comportements génèrent des gènes pour autrui, les chiens pouvant être agacés par la présence de beaucoup de passants.
De plus leur présence est réglementée en forêt domaniale.
Occuper raisonnablement la place d’un bloc, ne pas le réserver pas la présence des effets personnels si on s’éloigne.
A l’inverse, ne pas grossir un attroupement autour d’un bloc si celui-ci est déjà fortement occupé, il y a toujours d’autres passages qui méritent l’attention en attendant.
La courtoisie et le calme sont de règle aussi il est plus avantageux de chercher la rencontre plutôt que la défiance comme cela arrive dans des massifs très fréquentés par des visiteurs de provenances diverses. Les visiteurs en revanche doivent se conformer aux usages des locaux et à la réglementation de la forêt.
- Les règles et le respect du vivant suivant le souci du minimum d’impact.
Respecter de la réglementation en vigueur sur la protection des forêts.
Ne pas faire de feu.
Ne pas faire de camping dans les zones non autorisées.
Ne pas couper d’arbres, de branches ou arracher des
bonsaïs
Ne pas détruire les écosystèmes qui se sont développés sur les rochers.
Éviter les grands rassemblements dans des zones protégées, car ils ravinent irrémédiablement les sols fragiles.
Ne pas biner ou arracher la végétation autour des rochers.
Éviter de créer des nouveaux passages si le milieu est manifestement fragile ou dans les zones interdisant toute activité humaine (réserves intégrales).
Éviter de faire ses besoins en forêt, si urgence, enterrer ses déchets organiques.
Remporter si possible, les objets, les bouteilles, les papiers, et autres ordures ménagères que l’on peut trouver abandonnés par d’autres, prendre la précaution d’apporter avec soi un sac poubelle facilite cette action vitale pour la forêt et ses animaux.
Limiter l’impact de sa pratique en toutes circonstances en somme.
- Les règles de respect du rocher. (Le grès résiste bien à l’usage mais il est néanmoins fragile).
Ne pas grimper lorsque le grès est humide.
Ne pas tailler de prise, ni retoucher par quelque procédé que ce soit les prises existantes (collage, limage, piquetage, etc).
Essuyer consciencieusement ses chaussons, l’usage d’un tapis brosse est à ce propos indispensable.
Ne pas déposer de magnésie sur le rocher, ce qui est un contre sens si l’on recherche l’adhérence. Elle ne sait qu’assécher les mains. Au contraire, nettoyer les prises blanchies à l’eau avant votre départ ou en fin de journée ; ou à défaut les brosser avec une brosse à poils tendres et naturels (pas de brosse métallique qui détruit irrémédiablement la couche extérieure du grès, celui-ci étant tendre sous la fine couche qui fait le toucher exceptionnel du rocher).
Brosser les prises sableuses avec un chiffon uniquement.
Ne pas utiliser d’autres chaussures que celles conçues pour l’escalade (pas de chaussure de type baskets ou grosses chaussures de montagne).
Même les enfants doivent pouvoir grimper équipés de chaussons d'escalade, comme les adultes.