Peter Brook

Le jeu ne s’enseigne pas, il est l’enseignement même. La formation ne doit pas formater. Elle indique des chemins. La préoccupation essentielle est la conscience du jeu, ce qu’il représente, ce qu’il énonce.

L’INSTANT

C’est entre le temps humain et le temps théâtral, dans cet espace qui semble restreint, que ce situe l’enjeu.

Paul Valéry suggère : « L’instant crée la forme, et la forme fait voir l’instant. »

On ne parle pas de théâtre, mais la porosité s’exerce, l’acteur est perméable et non malléable. Il est toujours en état de résistance et non de soumission. Etre perméable ne signifie pas changer de matière. La porosité ne change pas la matière, mais en change la charge et le mouvement.

UN COMPORTEMENT

Il s’agit de commencer avec très peu d’éléments, puisque le théâtre est un processus de personnification.

Quand l’acteur arrive en scène, même s’il est déjà porteur du texte de l’auteur a fortiori dans l’improvisation, son travail consiste à manifester d’instant en instant au public un personnage qu’il ne connaît pas.

L’acteur en situation de création doit réaffirmer sans cesse l’existence fictive du personnage.

S’il arrive en jeu avec trop d’éléments connus, il aura tendance à vouloir ressembler à l’image qu’il s’est fait du personnage.

Il y a deux conséquences à cela : d’une part, n’étant pas dans un processus de création et d’invention de l’identité du personnage, il réarticule les idées qu’il en a, d’autre part, il n’écoute pas ses partenaires et ne prend pas chez eux de quoi alimenter son propre jeu.

Tout ce qui, dans les propositions des autres, n’est pas conforme à son idée du personnage est rejeté.

L’échange ne peut être productif qu’à partir du moment où ce que dit l’autre me constitue moi-même.

Encore faut-il que je n’aie pas d’a priori sur qui je suis et sur qui est l’autre.

DENSITE

Le théâtre de Brook affirme sans cesse son goût pour le concret. Jamais envahissant, car toujours soumis à un travail de raréfaction et soustraction, ce concret ne se pense jamais en termes d’entendre, mais toujours en termes de densité.

FLUIDITE

Le flux de la vie : Humilité, travail, rigueur, opiniâtreté, effort d’observation de la vie.

Mais la fluidité, Brook le sait mieux que quiconque, ne peut être seulement le fait d’un souhait de mise en scène. Elle est fonction du groupe et de ses ressources.

C’est pourquoi Brook dirige si obstinément le préparation dans ce sens là, improviser signifie aussi continuer, développer un thème, entrer sortir.

Pour ce qui est du spectacle lui-même, les nombreuses scènes publiques qui précédent la première visent à améliorer surtout la fluidité.

En l’assouplissant, en l’affirmant, Brook sait qu’il s’approche ainsi de ce qui sera pour toujours son idéal : l’impression organique. (T’ai chi)

« Le texte du poète est mort, l’impulsion du poète est vivante. »

Dans « la Cerisaie » c’est « la ponctuation (qui) permet de saisir ce que cache les mots ». Il faut donc chercher non pas le sens, mais ce qui, blotti dans les profondeurs, n’a pas été touché par le temps garde encore les vertus de la source et atteste la persistance du noyau vivant de l’œuvre (voir 153 Peter Brook – Georges Banu / Flammarion).

Le texte est, dit Brook « une abstraction à incarner, ici et aujourd’hui, avec un groupe de comédiens qui représentent un certain potentiel ». Le texte proposé et travaillé par Brook donne d’emblée des indications sur la direction à suivre, et en même temps il apparaît comme a une matière très concentrée permettant le développement. Désormais la question qui se pose ne concerne ni le dégagement d’un sens ni la composition des images, mais l’incarnation. Il n’y a pas de vérité à ce sujet (jouer à l’acteur), l’acteur devra trouver les ressources pour tracer sa propre voie et admettre qu’il sera seul à imprimer son originalité.

Le jeu est un moyen et non pas le but.

La création théâtrale, c’est mettre en vie. Il faut avoir envie de mettre en vie.


« Le texte du poète est mort, l’impulsion du poète est vivante. »

Dans « la Cerisaie » c’est « la ponctuation (qui) permet de saisir ce que cache les mots ». Il faut donc chercher non pas le sens, mais ce qui, blotti dans les profondeurs, n’a pas été touché par le temps garde encore les vertus de la source et atteste la persistance du noyau vivant de l’œuvre (voir 153 Peter Brook – Georges Banu / Flammarion).

Le texte est, dit Brook « une abstraction à incarner, ici et aujourd’hui, avec un groupe de comédiens qui représentent un certain potentiel ». Le texte proposé et travaillé par Brook donne d’emblée des indications sur la direction à suivre, et en même temps il apparaît comme a une matière très concentrée permettant le développement. Désormais la question qui se pose ne concerne ni le dégagement d’un sens ni la composition des images, mais l’incarnation. Il n’y a pas de vérité à ce sujet (jouer à l’acteur), l’acteur devra trouver les ressources pour tracer sa propre voie et admettre qu’il sera seul à imprimer son originalité.

Le jeu est un moyen et non pas le but.

Extraits de - L'espace Vide -

Deadly Theatre - Le théâtre mortel

Peter Brook emploie l'expression "deadly theatre", qui signifie un théâtre à la fois frappé de mort et, plus familièrement, "ennuyeux". Nous avons préféré l'expression de "théâtre mortel". Toutefois, afin de garder à l'adverbe utilisé par Peter Brook ses autres significations, nous avons à d'autre moments traduit par "théâtre sclérosé" ou sclérose.

Si vous demandez à un acteur de jouer dans le « style romantique >>, il se jettera bravement à l'eau, en pensant qu'il sait ce que cela signifie. Sur quoi peut-il s'appuyer ? Sur son instinct, son imagination et des bribes de souvenirs de théâtre, qui lui donneront un vague halo romantique qu'il mêlera à l'imitation déguisée d'un acteur plus ancien qu'il admire. S'il cherche des matériaux dans sa propre expérience, le résultat peut fort bien ne pas convenir au texte; s'il s'en tient à jouer ce qu'il pense être le texte, on aura une imitation conventionnelle. Dans un cas comme dans l'autre, le résultat est un compromis, la plupart du temps peu convaincant.

[...]

J'ai assisté un jour à une répétition à la Comédie Française. Un très jeune acteur se tenait devant un autre acteur, plus âgé. Il disait et mimait le rôle comme s'il contemplait son image dans un miroir. Il ne faut pas confondre ce genre d'imitation avec la vraie tradition, celle, par exemple, des acteurs du théâtre Nô, chez qui le savoir se transmet oralement de père en fils. Dans ce cas, c'est le sens qui est transmis, et le sens n'appartient pas seulement au passé. Mais imiter les facettes extérieures du jeu perpétue seulement une apparence qui n'est plus reliée à rien de valable.

Comme pour la tragédie classique, on nous dit pour Shakespeare: « Jouez ce qui est écrit. » Mais qu'est-ce donc qui est écrit ? Des signes sur le papier. Les paroles de Shakespeare sont les transcriptions des mots qu'il voulait que l'on dise, des mots en tant que sons, émis par des bouches humaines où timbre, pause, rythme et gestes font partie intégrante du sens. Un mot n'est pas, à l'origine, simplement un mot. C'est un produit achevé qui part d'une impulsion stimulée par l'attitude et la conduite qui entraînent un besoin d'expression. [...] Le mot est la petite portion visible de tout un univers caché. Quelques écrivains ont essayé de préciser leur mes sage et leurs intentions par des indications scéniques et des explications. Pourtant, nous savons que les meilleurs auteurs dramatiques sont ceux qui s'expliquent le moins. C'est comme s'ils savaient qu'un surcroît d'indications serait inutile. Ils se rendent compte que le chemin qui mène à la diction d'un mot passe par un processus parallèle au processus originel. Ceci ne peut être ni évité, ni simplifié.

[...]

Le théâtre est un art autodestructeur. Il est écrit sur le sable. Le théâtre réunit chaque soir des gens différents et il leur parle à travers le comportement des acteurs. Une mise en scène est établie et doit être reproduite - mais, du jour où elle est fixée, quelque chose d'invisible commence à mourir. [...] Une mise en scène ne peut, à notre avis, durer plus de cinq années. [...] Les divers éléments de la mise en scène, les indications de jeu qui traduisent certaines émotions, les gestes, les déplacements et les tons de voix sont tous fluctuants, selon une invisible Bourse des valeurs. La vie évolue, des influences s'exercent sur l'acteur et sur le public, [...] Au théâtre, toute forme, sitôt créée, est déjà moribonde. Toute forme doit être pensée à nouveau, et sa nouvelle conception doit porter les marques de toutes les influences qui l'entourent. Dans ce sens, le théâtre est relativité. [...]

La musique est indépendante de l'interprète. [...] Mais l'instrument du théâtre, c'est la chair et le sang du comédien. Des lois totalement différentes entrent en vigueur. Le véhicule et le message ne peuvent être séparés. Il faudrait qu'un acteur soit nu pour ressembler à un pur instrument, tel le violon; et encore faudrait-il qu'il eût un physique absolument classique, sans bedaine ni jambes arquées... [...]

Le grand opéra, évidemment, est du théâtre mortel poussé à l'absurde. La représentation de l'opéra est un cauchemar de gigantesques rivalités au sujet de détails infimes ; un cauchemar d'anecdotes surréalistes qui, toutes, tournent autour de la même affirmation : rien ne doit être changé. Tout, dans l'opéra, doit changer, mais tout changement est bloqué. [...]

Il y a partout des facteurs de mort : dans le contexte culturel, dans les valeurs artistiques dont nous avons hérité, dans la structure économique, dans la vie de l'acteur, dans la fonction du critique. [...] À New York par exemple, le facteur de sclérose le plus important est de nature économique. [...] Le temps n'est pas tout. Il n'est pas impossible d'obtenir un résultat surprenant en trois semaines. Parfois, une certaine forme d'alchimie ou la “chance” apportent un étonnant renfort d'énergie, si bien qu'une invention suit l'autre, comme des réactions en chaîne. Mais c'est rare : la plupart du temps, si le système exclut qu'on répète plus de trois semaines, les résultats sont désastreux. [...] Dans de telles conditions, on ne trouve que rarement la tranquillité et la sécurité nécessaires pour oser s'exprimer pleinement. Je veux dire : la véritable et discrète intimité que procure un long travail.

Quelques sites :

Peter Brook wiki

bouffes du nord

Peter Brook - L'espace vide - écrit sur le théâtre

IBSN 2.02.051122.3 - Points 465 - essais