6 L'évolution des règles de circulation

La première règle de circulation a été instaurée en France par l’article 9 du décret du 9 août 1852 : « tout roulier ou conducteur de voiture doit se ranger à sa droite à l’approche de toute autre voiture, de manière à laisser libre au moins la moitié de la chaussée. »

Jusqu’à l'arrêté réglementaire du 22 février 1896 (ci-dessous), cette règle n’était pas applicable aux cyclistes qui étaient autorisés à croiser indifféremment à droite ou à gauche les autres véhicules et laissait aux conducteurs de voitures la liberté du côté de croisement des vélocipèdes au motif qu’ « une bicyclette ou machine du même genre ne saurait être considérée comme un véhicule mais bien comme une monture mécanique" (jugement du tribunal de Château-Thierry du 23 février 1892) et autres jugements dans le même sens.

Cette jurisprudence constante fut confirmée par un arrêt de la Cour de Cassation du 1er juin 1894 attendu qu’une bicyclette simple n’est pas une voiture.

Dès 1869 des arrêtés municipaux ont fixé des règles imposant fréquemment un éclairage, interdisant la circulation sur certaines promenades, limitant la vitesse à une « allure régulière et modérée »ou ne dépassant celle « du petit trot d’un cheval » ou n’autorisant la circulation « que sous la condition que leur allure sera franche, régulière et modérée et qu’ils seront conduits par des personnes capables de les diriger » (arrêté municipal de Millau du 23 février 1869 cité par Keizo Kobayashi dans Histoire du vélocipède, mythes et réalités)

Parmi ces règlements locaux, l’Ordonnance de police du 9 novembre 1874 concernant la circulation des vélocipèdes à Paris a une importance particulière. Son exposé des motifs des motifs atteste d’une pratique non négligeable.

Considérant qu’ils ne sont pas seulement un moyen de distraction mais qu’ils ont pour certains particuliers une utilité réelle, que dès lors l’interdiction de faire circuler des vélocipèdes sur la voie publique nuirait à des intérêts sérieux.

Son article 1 impose un grelot et un, éclairage dès la chute du jour au moyen d’un falot ou d’une lanterne, l’article 2 une plaque au nom et adresse du propriétaire.

L’Ordonnance défend de faire passer les vélocipèdes sur les trottoirs, contre-allées des boulevards et toutes parties de voies exclusivement réservées aux piétons et interdit la circulation sur la plupart des grands axes et rues du centre notamment le boulevard de la Madeleine, les rues de Rivoli, de la Paix, Neuve des Petits-Champs, Croix des Petits-Champs, de Richelieu, Montmartre, Pont-Neuf, St-Denis, St-Antoine, St-Martin, du Bac, de Buci, les places de l’Etoile, de la Concorde, du Havre, du Trône les avenues des Champs- Elysées, de la Grande-Armée, du Bois (actuelle avenue Foch)

Cependant des cartes de circulation autorisant à rouler sur ces voies pouvaient être délivrées par la Préfecture de Police.

Cette interdiction a été levée pour les tricyclistes par décision préfectorale du 5 mars 1885 et semblait tombée en désuétude en 1889 d’après A. de Baroncelli (la vélocipédie pratique 1889)

La prolifération de règlements locaux contradictoires, certains abusivement restrictifs tels l’arrêté du Préfet du Rhône du 24 janvier 1874 qui interdisait la circulation dans les rues de Lyon « considérant que la sûreté publique est journellement compromise par suite de l’inexpérience et de l’imprudence des personnes qui parcourent la ville sur des vélocipèdes », rendit nécessaire une uniformisation souhaitée par les usagers..

L’arrêté réglementaire du 22 février 1896 a fixé les principales règles applicables sur le territoire national, imposant le croisement à droite, le dépassement par la gauche, l’obligation pour les véhicules dépassant un cycliste de laisser un espace de 1,5 m à droite (de la saillie au trottoir), l’obligation d’éclairage de nuit et d’un appareil sonore audible à 50 mètres, l’interdiction de rouler sur les trottoirs en agglomération avec une tolérance hors agglomération le long des chaussées en mauvais état.

Signalons que l’on s’est interrogé à cette époque sur la nature du vélocipède. Est-ce ou non une monture, une voiture, un véhicule ?

Le comité de contentieux du TCF a proposé en 1896 la définition suivante : « la bicyclette n’étant ni une monture ni une voiture est un appareil de locomotion mû par l’homme et destiné à accélérer sa vitesse. »

La réglementation a peu évolué au cours des décennies suivantes.

La loi du 17 juillet 1908 oblige à s’arrêter en cas d’accident (délit de fuite distinct du délit de non-assistance à personne en danger qui date de 1942).

Le premier Code de la route (décret du 21 mai 1921 modifié par le décret du 31 décembre 1922) a fixé les règles de priorité aux croisements (routes nationales et assimilées sur les autres routes et priorité à droite au croisement entre routes de même catégorie). Par ailleurs, le code de 1922 précise que tout cycle doit être pourvu dès la chute du jour soit d'un feu visible de l'avant et de l'arrière, soit d'un feu visible de l'avant seulement et d'un appareil à surface réfléchissante rouge à l'arrière.

Les vélos sur les chemins de halage

Le Touring Club de France a développé dans les colonnes de sa Revue l’argumentation de son Comité de contentieux en faveur de la circulation des bicyclettes sur les chemins de halage qui avait été interdite le long de quelques canaux. On peut résumer ce plaidoyer par la constatation évidente que le passage des bicyclettes ne risque pas de dégrader les chemins de halage, ni de gêner le service de la navigation dès lors que les cyclistes laisseront la priorité au passage des chevaux de halage.

Suite aux interventions du T.C.F, le ministre des Travaux Publics a adressé le 3 février 1898 à tous les préfets un modèle d’arrêté préfectoral les invitant à autoriser la circulation des vélos

« Art 1. La circulation des vélocipèdes est tolérée aux risques et périls des cyclistes sur les chemins de halage sous les conditions prévues par les arrêtés préfectoraux des 29 février et 15 juin 1897, et sous les restrictions spéciales ci-après.

Art. 2 La circulation est interdite pendant la nuit, c’est-à-dire entre le coucher et le lever du soleil.

Art 3. Elle est interdite en bordure d’une autre voie publique pouvant être empruntée par le vélocipède.

Art 4. La vitesse doit être réduite à celle d’un homme marchant au pas :

1° aux abords des écluses

2° au passage des ponts et passerelles

3° aux tournants brusques et, en général, sur tous les points où la vue du chemin dans le sens du mouvement, est masquée par un obstacle en tout ou partie.

Art 5 Le vélocipédiste, à la rencontre des chevaux de halage marchant dans le même sens que lui ou en sens inverse, doit s’effacer et laisser le champ libre.

Art 6. Dans aucun cas et sous aucun prétexte, le vélocipédiste ne pourra prétendre à aucune indemnité de la part de l’Etat, l’autorisation de circuler étant accordée à titre de tolérance, et ne concédant au vélocipédiste aucun droit de servitude. »

L’article du décret de 1932 toujours en vigueur qui précise que « nul ne peut circuler, si ce n’est à pied, sur les digues et chemins de halage » a abrogé cette tolérance ce qui paraît peu compréhensible.