4 Le vélo dans la société française de 1869 au XXIème siècle
L’historien du tourisme à vélo dispose d’éléments statistiques et d’un trésor de récits sous forme de romans, articles, guides, témoignages, documents divers.
L’évolution technique a été largement décrite et l’histoire associative est maintenant bien connue.
Evolution du parc de vélos en France
1869 : 5000
1890 : 50 000
1895 : 100 000
1900 : 980 000
1907 : 2 240 000
1911 : 3 000 000
1914 : 3 559 000
1930 : 9 500 000
1969 : 9 200 000
1987 : 17 000 000
2012 : 27 000 000
Concernant le parc de 1869, début du développement du vélocipède, on ne peut risquer qu’un ordre de grandeur : plusieurs milliers sûrement, peut-être plus d’une dizaine de milliers.
Des indications peuvent être données par le recensement effectué par Keizo Kobayashi (Histoire du Vélocipède) qui a relevé pour 1869 un minimum de 109 fabricants en France, le nombre réel étant plus important, et 20 fabricants de pièces détachées et accessoires (roues, bandages de caoutchouc, compteurs etc.) et cite le Journal Illustré du 13-20 juin 1869 qui indique que la Compagnie Parisienne, plus importante entreprise pouvait expédier tous les jours plus de cinquante vélocipèdes.
Par ailleurs, le principal journal spécialisé le Vélocipède illustré lancé le 1er avril 1869 tirait à 5000 exemplaires.
Le chiffre indiqué pour 1890 est encore une approximation.
Le nombre de vélos est connu assez précisément de 1900 jusqu’au milieu des années 1950 grâce à la plaque de contrôle de la taxe sur les vélocipèdes.
Au cours de cette période, on évalue la fraude à 3 % et il faut par ailleurs ajouter quelques % de vélos administratifs et militaires exonérés
De 1893, première année de taxation, à l’obligation de la plaque à partir de 1900, période de développement rapide du parc, la fraude était évaluée à 40 %.
La taxe a été supprimée en 1959 mais dans les dernières années le contrôle s’étant relâché, les statistiques fiscales ne sont plus une base fiable.
Pour la période postérieure, le parc est évalué moins précisément d’après les ventes et les enquêtes ménages.
par la baisse du coût qui s’est accompagnée par une amélioration de la qualité.
Après une période d’expérimentations, du vélocipède de 1865 à 1868 à roues en bois à cerclage métallique, dès 1869-1870 à rayons métalliques en tension à bandages de caoutchouc plein, au tricycle et au grand bi des années 1870-1880, la bicyclette de la fin du XIXème munie de pneus était déjà relativement légère et robuste mais il restait 2 améliorations pour la rendre plus commode.
La roue libre qui nécessitait de bons freins n’a été diffusée que vers 1900 et généralisée vers 1914. La polymultiplication peu répandue avant 1914 s’est développée dans l’entre-deux-guerres.
La majorité des vélos vendus en 1939 étaient équipés de dérailleurs arrière en attendant la diffusion du changement de plateaux à partir des années 1950-60.
Sources
La diffusion de 1890 à la période d’entre-deux-guerres s’explique assez largement
Prix courant d’une bicyclette : les Trois âges du vélo. Philippe Gaboriau)
Salaire horaire moyen d’un ouvrier professionnel. Le grand espoir du XXème siècle. Jean Fourastié Paris Gallimard 1963. Tableau 43 p.299.
Les âges du vélo
Les spécialistes distinguent plusieurs périodes
Catherine Bertho Lavenir.
Voyages à vélo. Du vélocipède au Velib’ (livret de l’exposition qui s’est tenue en 2011 à la maison des bibliothèques de la Ville de Paris)
1812 ( ?)-1880 l’âge du vélocipède.
1880-1914 la bicyclette et le loisir bourgeois
1918-1945 la culture populaire du vélo
1945-1980 la bicyclette au temps de l’automobile
1980-2010 Le renouveau du cyclisme
Philippe Gaboriau
Les 3 âges du vélo Revue Vingtième siècle. N° 29. 1991. p. 17-34
La vitesse bourgeoise au XIXème siècle, la vitesse populaire au XXème siècle, la vitesse écologique à partir des années 1970
Hervé LE CAHAIN
1883 – 2008 : 125 ans de récits de voyages et de randonnées à bicyclette (339 ouvrages)
L'histoire de la publication des récits de voyage à vélo peut se découper en 4 périodes :
1ère période : 1883 – 1912, les précurseurs.
Les voyageurs viennent d'un milieu aisé : médecin, journaliste, professeur. Il faut d'une part, pouvoir prendre des congés et d'autre part, acheter le vélo qui coûte cher. L'on voyage surtout en France et pays limitrophes, l'hébergement se faisant à l'hôtel. Le voyage du lieutenant Guyot "De Montélimar à Constantinople par mer et retour à bicyclette" est un des premiers voyages internationaux de l'époque, à bicyclette.
2ème période : 1922 – 1947, les passionnés, les aventuriers.
Les récits publiés correspondent à des voyages effectués avant la seconde guerre mondiale par des cyclistes pratiquant dans leur majorité le cyclo-camping. Il est surprenant qu'avec l'avènement des congés payés en 1936, il n'y ait pas eu de publications d'ouvrages.
3ème période : 1947 – 1980 : les marginaux.
Cette période correspond au développement de la voiture. On délaisse la bicyclette pour l'automobile.
1950 : année de publication du récit de voyage le plus connu : Lionel Brans "Seul à bicyclette de Paris à Saïgon" (ma première lecture de voyage à vélo à la bibliothèque municipale de La Rochelle en 1971).
Des noms de grands voyageurs restent dans la mémoire : Jean-Pierre Vuillomenet
, Jean-François Bernies, Joël Lodé, Alain Guigny, Albert Leblanc. Seulement une à deux publications de récits par an ou tous les deux ans, nous sommes loin des 15 à 20 publications annuelles de maintenant.
4ème période : 1980 à nos jours : La (re) découverte
Le voyage à bicyclette correspond, bien souvent, à une coupure dans un monde de consommation, beaucoup plus de publications que dans les trois autres périodes, il y a un besoin de raconter par écrit son voyage, bien souvent sous forme de brochures photocopiées.
Concernant la première période de 1880 à 1914, des nuances peuvent être apportées à ce schéma.
La bourgeoisie cycliste était plutôt représentée par ce qu’on appelait des classes nouvelles, enseignants, professions libérales ou par une bourgeoisie modeste de commerçants, fonctionnaires. La vogue de la bicyclette n’a été répandue dans l’aristocratie et la grande bourgeoise qu’au cours de la courte période de 1892 à 1897.
La bonne société s’est ensuite détournée de la Reine Bicyclette pour l’automobile.
La classe ouvrière bien que minoritaire n’était pas absente. Les cyclistes étaient plutôt des ouvriers qualifiés, bien sûr les salariés des fabriques de vélos, mais aussi ceux d’industrie de pointe.
Ainsi on voit plusieurs cyclistes dans le premier film de l’histoire, la sortie des usines Lumière tourné en 1894 d’après Louis Lumière, en mars 1895 d’après l’historien du cinéma Georges Sadoul.
Alex Poyer dans son étude sur les véloce-clubs mentionne plusieurs clubs cyclistes d’entreprise dont un club de mineurs dans le Pas-de-Calais.
Evaluation des différents usages
Le vélocipède a été utilisé dès l’origine pour des randonnées touristiques, pour la compétition et pour les déplacements
Le premier voyage connu est celui des frères Aimé et René Olivier de Paris à Avignon fin août 1865 et la Compagnie parisienne proposait en 1869 un vélocipède spécial pour le voyage et la promenade. Les véloce clubs organisaient à la même époque des sorties.
Après la première course Paris-Versailles le 8 décembre 1867, les épreuves sportives se sont multipliées en 1868 et 1869.
Une utilisation professionnelle est connue en 1869 : facteurs à Marennes à l’initiative d’Aimé Olivier Maire de la commune et à Visan dans le Vaucluse.
La motivation de l’ordonnance de police du 9 novembre 1874 concernant la circulation des vélocipèdes à Paris atteste d’un usage utilitaire.
" Considérant qu’ils ne sont pas seulement un moyen de distraction mais qu’ils ont pour certains particuliers une utilité réelle, que, dès lors, l’interdiction de faire circuler des vélocipèdes sur la voie publique nuirait à des intérêts sérieux."
La course qui a son importance pour l’image, la culture du vélo, comme le montrent Philippe Gaboriau (les trois âges du vélo) ou Maurice Martin (voyage à vélo de Bordeaux à Paris) est évidemment négligeable statistiquement.
Il reste à évaluer l’importance de l'origine à nos jours, des différents usages, utilitaire, loisirs (de la promenade au voyage) et compétition.
La revue éphémère Le Vélocipède publiée de janvier à août 1874 fait état d'une renaissance de la pratique vélocipédique à Paris après une éclipse au cours de la guerre de 1870.
Deux décennies plus tard, la sortie des usines Lumière montre une utilisation pour les déplacements travail-domicile.
Dans les activités de loisirs on peut distinguer la promenade, la randonnée, le voyage.
Les enquêtes-ménages et divers recoupements permettent des évaluations pour la période contemporaine. Pour les époques plus éloignées, au-delà d’un sentiment sur les évolutions générales, nous manquons encore de précisions.
Il semble que le vélo ait été majoritairement utilisé pour les loisirs jusque vers 1900.
La revue du Touring Club de France évalue ainsi l'utilisation de la bicyclette : "Le budget prévoit pour 1897 250 000 bicyclettes payant l’impôt soit en chiffres ronds 350 000 personnes circulant à bicyclette. Sur ce nombre, les deux-tiers utilisent la bicyclette comme instrument de voyage et d’excursion, l’autre tiers comme mode de transport pour se rendre à leur travail ou à leurs affaires."
Les usages utilitaires se seraient ensuite proportionnellement développés pour devenir majoritaires dès avant 1914 et encore plus dans la période de l’Entre-Deux-Guerres où le vélo, moyen de déplacement habituel des ouvriers et employés, était également très répandu dans les campagnes. La balade à vélo restée très populaire ne représentait cependant qu’une minorité des parcours. L’usage du vélo sous toutes ses formes a décliné à partir des années 1950, au cours des trente glorieuses, plus encore pour les déplacements que pour les loisirs. Si le parc a poursuivi une croissance, la plupart des vélos sont peu utilisés.
Malgré un renouveau, l'importance de l’utilisation de la bicyclette au début du XXIème siècle n’est pas comparable à celle des années 30.
Le vélo à la fin du XIXème siècle
Le vélo à la fin du XIXème siècle
Le triomphe de la Reine Bicyclette dans la bonne société
Le chalet du Cycle à Longchamp vers 1895
Illustration de la Reine bicyclette (Jacques Seray) p. 65
Le chalet du Cycle était situé à proximité du pont de Suresnes
Illustration de la revue du Touring Club de France 1892
Sortie des usines Lumière en 1895
Premier film de l'histoire du cinéma
Le cyclotourisme dans l'Entre-Deux-Guerres
Pierre et Marie Curie en 1895
Le cyclotourisme dans l'Entre-Deux-Guerres
Deux cyclotouristes en randonnée dans les Vosges en 1938
au col de la Schlucht
L'époque contemporaine
La balade à vélo au cinéma
Film Fric Frac de 1938
L'époque contemporaine
Quinzaine de Cyclo-Camping International
Randonnée de CyclotransEurope
dans le Val de Loire en 2003
Randonnée de CyclotransEurope
dans le Val de Loire en 2003
Bibliographie
HENRY (Raymond), “1865-1939 - Histoire du cyclotourisme" 1ère partie, Fédération française de cyclotourisme, 2010.
KOBAYASHI (Keizo), Histoire du vélocipède de Drais à Michaux 1817 – 1876 – Mythes et réalités. Bicycle culture center, Tokyo, 1993.
POYER (Alex), Les premiers temps des véloce-clubs Apparition et diffusion du cyclisme associatif français entre 1867 et 1914, Coll. Espace et temps du sport, L’Harmattan, Paris 2003.
REYNAUD (Claude), Le vélocipède illustré … et déjà la bicyclette, Musée du vélo et de la moto, Domazan, 2008
SERAY (Jacques) La Reine Bicyclette plus d’un siècle d’images, de films et de chansons. Editions Le Pas d’Oiseau. 2009 www.lepasdoiseau.com
Les bienfaits de la vélocipédie. Anthologie. Editions le pas de côté. 2013
PAPON Francis. Le retour du vélo comme mode de déplacement. Mémoire de synthèse. . Université de Paris-Est (non encore édité)
Le vélocipède illustré Revue bihebdomadaire 1869-1872 (2 interruptions)
Revue mensuelle du Touring Club de France publiée à partir de 1891
Ces revues ont été consultées à la Bibliothèque du Tourisme et des Voyages (Trocadéro) de la Ville de Paris