Rameaux

Méditation sur l’icône des rameaux, Jn. 12, 12-19

 « Qu’Il entre le Roi de Gloire ! »

Introduction                                   

Si l’entrée messianique à Jérusalem est une prophétie de la Passion et de la Crucifixion du Christ, elle renvoie plus particulièrement à cette dernière, à la Crucifixion en tant qu’élévation. Elle nous ramène au plan d’amour de Dieu conçu pour le monde depuis toute éternité, et les yeux du chrétien se lèvent vers ce point culminant qu’est le Golgotha. Mais nos regards ne sauraient s’y arrêter sans prolonger la vision vers un lieu en lequel notre espérance y voit la source et l’avenir de chacun : Jérusalem, la cité sainte, là où la Gloire de Dieu a décidé de demeurer. Jésus monte vers son Père, et nous montons avec lui. A mesure dont il s’éloigne de nous physiquement, il devient plus proche parce que la communion grandit, parce qu’il choisit librement de partager ses prérogatives divines avec tous.

Jésus est Roi. Mais à ceux qui voient en lui le roi d’un monde fini, limité, sa montée est cachée. Déjà après la multiplication des pains, lorsque la foule veut s’emparer de lui pour le faire roi, il s’enfuit (Jn. 6, 15); ici sous les acclamations de la foule, il se tait (Jn. 12, 12-19). Il faudra attendre sa comparution devant Pilate pour qu’il affirme sa royauté avec force (Jn. 18), et c’est seulement parce que cette royauté obéit à d’autres lois et tisse d’autres liens…

 

Description de l’icône           

Au centre de l’icône, tenant en sa main le rouleau de la Parole, Jésus est assis sur un âne et s’avance résolument vers Jérusalem. Son manteau bleu, très sobre, contraste étonnamment avec sa tunique pourpre richement ornée découverte partiellement, signe que sa Royauté ― celle qui n’est pas de ce monde, est cachée. Elle le sera d’ailleurs jusqu’après la Résurrection quand, dépouillé de tout ce qui situe et limite, le Christ s’attachera le cœur des plus indécis au cri de " Mon Seigneur et mon Dieu ! "(Jn. 20, 28)

Sa position en "amazone" vient de ce que rien de sa personne n’est jamais dissimulé, il se présente toujours de face. Tous ses attributs sont visibles : il est Prêtre, Roi et Prophète. Quant à son dos, il le présente déjà au bois de la Croix pour clouer à jamais le péché; la Mort est réduite, impuissante, à compter ses dernières heures. Ce dos-à-dos tragique avec la Mort prépare un face-à-face avec ceux à qui le Christ rendra la Vie.

Symbole de Résurrection, il s’agit d’un palmier qui s’élance vers le ciel illuminé d’or tel une plante cherchant la lumière. Cet arbre qui évoque également le bois de la croix, donne ici en abondance son feuillage, nourriture pour les bêtes et signes festifs pour le peuple. Mais le fruit principal est cet enfant qui, à l’instar de tous les baptisés, continue à cueillir les palmes que tant de martyrs ont déjà reçues, signes de la fécondité de toute une vie au service de l’Évangile.

 

Il est comme un écrin pour le Christ. L’âne est le signe par excellence de la paix. Présent depuis la Nativité, il témoigne de l’intention profondément humble de la Royauté du Christ. L’âne était aussi la monture de Jésus et de sa mère pour échapper aux intentions meurtrière d’Hérode, lors de la fuite en Egypte. Le Christ est Roi d’abord par ce que tous ceux qui s’attachent à lui le font par amour et dans la liberté des enfants de Dieu. Il n’est pas un conquérant qui aurait besoin de la force brutale des chevaux pour s’imposer. Il est un Roi pacifique monté sur le trône de l’humilité.

 

Ils étaient naguère étendus en signe d’acclamation et d’intronisation des rois (2 R.9, 13). Ici ce sont les enfants qui prophétisent le règne du Christ. Mais les manteaux représentent aussi notre identité sociale dont nous pouvons accepter de nous séparer pour être revêtus du seul vêtement qui fait de nous des enfants de Dieu et frères du Seigneur, signe du Salut pour son peuple : la robe du baptême.

 

 

Dans ses enseignements, Jésus les a souvent pris comme modèles pour notre Foi.

Ici ils sont quatre revêtus du blanc du baptême. Bravant les pattes robustes de l’âne, deux d’entre eux étalent les manteaux tandis que les deux autres sont sur l’arbre. Le premier, tel Zachée qui voulait voir Jésus, escalade le tronc comme pour exprimer l’élan de nos âmes portées vers les sommets spirituels. Le second qui cueille les rameaux, progresse toujours plus haut, pour nous montrer que la montée ne prendra fin qu’auprès du Père qui est dans les Cieux.

 

De part et d’autre du Christ il y a deux foules, celle des disciples et celle des habitants de Jérusalem. Ce qui les caractérise c’est l’attente : les uns attendent la venue du Christ, les autres son départ, mais tous semblent figés contrairement aux enfants et à Jésus lui-même. Attendre sa venue et le suivre, n’est-ce pas ce même mouvement intérieur qui nous anime simultanément lorsque l’on cherche le visage de notre seigneur ? Pourtant la foule est sujette aux manipulations et au mimétisme; ceux qui l’acclament en liesse aujourd’hui le condamneront dans la fièvre demain. Ils portent d’ailleurs leurs riches vêtements d’apparat et ne semblent pas disposés à voir dans le Christ le pauvre, l’humble qui vient. Ils attendent plutôt le roi victorieux qui va les libérer de l’occupant romain.

A la suite du Christ, les apôtres peinent à se mettre en route. La fête populaire n’arrive pas totalement à contenir la crainte qui trouble leur cœur et qui fit dire à Thomas (Jn. 11, 16) : " Allons, nous aussi, pour mourir avec lui ! " On reconnaît ce dernier en haut à droite, ainsi que Pierre, Jacques et Jean, respectivement habillés de jaune, vert et rouge. Les autres sont rassemblés derrière en une foule compacte qui semble sortir de la grotte, ce qui signifie qu’ils commencent déjà à sortir des ténèbres et de l’ombre de la Mort. Le jour où leur Maître sortira définitivement de leurs rêves pour devenir Celui qui les aura conduits à adorer le Père en esprit et en vérité, ce jour-là , à la lumière de la Résurrection, ils comprendront qu’ils seront eux-mêmes la manifestation du Christ pour le monde.

                                                                                                                                   

A gauche, pointe Béthanie, sobre et familière. Jésus y a ses amis intimes, et plus particulièrement Lazare qu’il vient de ressusciter. Il délaisse ce lieu rassurant pour avancer vers Jérusalem, quittant la montagne qui représente le Mont des Oliviers, lieu d’aridité et de souffrance à venir pour le Christ, mais qui sera aussi, au jour de l’Ascension, le lieu de son retour au Père et de la promesse de sa venue prochaine. Quant à Jérusalem, digne et belle, transparente comme une pierre précieuse, en ses murs résonnent déjà les chants d’action de grâce de la foule de ceux qui auront été guéris, pardonnés et aimés. Pour l’instant ce sont des chants d’espérance qui remplissent ses rues étroites : " Exulte avec force, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Car voici que ton roi vient à toi : il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne…"(Za 9, 9). En son cœur et parmi les représentations des édifices religieux de toutes les confessions chrétiennes, sous une coupole dorée, se tient silencieux le Saint Sépulcre : le Christ avance résolument et librement vers son tombeau.

 

Conclusion                             

Le titre grec de cette icône, qui se traduit La Montée, signe d’un mot ce qu’il faut toute une vie pour comprendre et désirer. Cette élévation a commencé dès la venue du Sauveur dans une grotte à Bethléem, et elle continue jusqu’à la fin des temps. Il nous reste à choisir quelle attitude adopter dans l’élan de la montée du Christ à la Jérusalem Céleste. Somme-nous figés, comme cette foule, en attendant la venue de celui que nous suivrons ? Somme-nous décidés, comme ces enfants, à étendre le manteau de notre identité pour renoncer à tout ce qui dans notre vie s’oppose à reconnaître et acclamer le Christ Roi de l’univers ? Peut-être préférons-nous, comme les disciples, suivre Jésus et entrer triomphalement avec Lui dans le Royaume des Cieux ?

Ensemble portons le joug de celui qui est doux et humble de cœur. Que les portes de nos cœurs s’élargissent et les portails de nos égoïsmes se lèvent et qu’Il entre, oui qu’Il entre le Roi de Gloire ! Qu’Il entre avec sa Paix dans le tumulte de nos vies, qu’Il entre avec son humilité dans l’orgueil de nos cœurs. Oui ! " C’est toi mon Dieu, je te rends grâce, mon Dieu je t’exalte ; je te rends grâce car tu m’exauces, tu es pour moi le Salut "(Ps 118, 28).

Jacques Bihin et Vincent Minet, janvier 2007.

Pour prolonger la méditation : Psaumes 24