Descente aux Enfers

L’icône de la Résurrection – Affiche de « Pâques dans la Cité 2011 ».

Pour qu’elle soit inscrite au canon iconographique, une icône doit pouvoir être justifiée par la Parole de Dieu. Or, nous avons ici sous les yeux une icône de la Résurrection dont il est difficile de trouver un passage de l’Écriture qui décrive explicitement la descente aux Enfers et qui verrait Jésus relever, à travers Adam et Ève, toute l’humanité. Avant de voir en quoi cette icône est l’exception qui confirme la règle, découvrons ensemble ce que nous y voyons :

Au centre, telle une lumière flamboyante au milieu de la nuit, la blancheur du Christ est d’autant plus significative de cet éclair instantané qui illumine nos vies, qu’elle est exprimée dans une attitude corporelle très dynamique. D’habitude, les icônes sont plutôt sages et contenues ; les personnages y sont représentés dans une attitude hiératique propre à la liturgie. C’est pourquoi l’élan et le jaillissement de lumière de cette icône la rendent d’autant plus extraordinaire.

Mais cette action salutaire, le Christ, auréolé de gloire, ne la fait pas pour lui-même...

Le titre qui colle le plus à cette icône est : la Descente aux Enfers (dans ce cas-ci : la Résurrection), ce qui semble, en apparence, en contradiction avec le mouvement ascensionnel du Christ qui relève Adam et Ève de leurs tombeaux. C’est pourtant sur deux modes que l’on conjuguera ce titre, deux mouvements en un seul, descendant et ascendant, simultanés, immédiats et définitifs, zoom arrière et avant sur le mystère du Salut.

A chaque fois qu’il nous rejoint, le Christ descend et monte à la fois, au rythme de son cœur, aussi profond, aussi haut et aussi loin qu’il est possible, c'est-à-dire infiniment. Au-delà même de notre imagination, Jésus va résolument au plus bas rejoindre l'humanité la plus blessée, la plus meurtrie par le péché au point de n'avoir plus visage humain. Fracassant le bois des portes dressées, contre sa présence, entre notre nuit et son jour, il fait parler la puissance de la Gloire de ce Roi qu’après son crucifiement l’on croyait déchu : « Voix du Seigneur qui fracasse les cèdres, qui fracasse les cèdres du Liban » (Ps. 28, 5). Il nous le dit solennellement dans l’Évangile : « Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver » (Jn 12,47). Et il n'est pas de pêcheur qui soit exclu définitivement de la main que Jésus nous tend.

Alors, une fois que nous acceptons d'être relevés et de tendre notre main vers la sienne, il nous saisit fermement le poignet et, dès lors, nous ne risquons plus de choir. Nous ne sommes plus tentés de récupérer dans les ténèbres ces chaînes et ces verrous que nous avions jadis à nos chevilles d’esclaves, et qui sont, en bas de l’icône, dispersés à jamais dans la nuit.

C'est ainsi que nous voyons ici le Christ empoigner avec vigueur Adam et Ève, eux qui représentent les premiers croyants d'un peuple nouveau, qui remet désormais en confiance son destin entre les mains de son Sauveur.

Pour fêter cette conversion de l'humanité, les témoins sont nombreux. Tous – souvent en tant que prophète ayant participé à la révélation progressive de la Résurrection d’entre les morts –, ils ont un lien direct avec ce moment clef de l'histoire du Salut.

À droite, juste derrière Ève, nous reconnaissons Abel, le Juste, le premier mort de l’humanité, qui fut tué par la jalousie de son frère Caïn. On le reconnaît à son bâton et son vêtement de berger.

Au dessus Moïse, tenant les tables de la loi que le Christ est venu accomplir, converse avec Hénoch dont l’Écriture dit qu’il fut, comme le prophète Élie, enlevé au ciel.

De l’autre côté, au-dessus d’Adam, nous apercevons les deux grands rois d'Israël : David, à gauche, et Salomon. La tradition leur attribue en effet la rédaction des Psaumes qui chantent tout ce que le cœur de l’homme peut crier vers son Dieu, et dans lesquels plusieurs passages annoncent explicitement l'espérance de la Résurrection.

Au-dessus des deux rois, le prophète Daniel reconnaissable à son bonnet phrygien, celui qu’on plongea naguère dans la fosse aux lions et à qui l’on doit le Cantique des Enfants dans la Fournaise que nous chantons à Pâques.

Enfin Jean-Baptiste, figure ultime du prophétisme montrant de sa main l’Agneau de Dieu, celui qui enlève le péché du monde. Ceux qui s’attendaient à voir Élie se souviendront « Qu’Élie est déjà venu, et qu’ils ne l’ont pas reconnu… » Mt. 17, 12

 

La mandorle de gloire entourant le Christ, exprime bien que le sujet de cette icône n’est pas un événement appartenant à une réalité incarnée, décrite dans les Écritures. C’est plus une proclamation de notre foi. Et si cette icône ne peut être directement justifiée par la Parole de Dieu, en revanche, elle l’est pleinement par le Credo (Symbole des Apôtres) : « Il est descendu aux Enfers, le troisième jour est ressuscité des morts ».

 

En haut, les montagnes « Que la terre bénisse le Seigneur : à lui, haute gloire, louange éternelle ! Et vous, montagnes et collines, bénissez le Seigneur ! » Dn. 3, 74-75. Elles s’entrouvrent pour laisser passer le Christ et se faire l’écrin de deux archanges qui arborent et vénèrent ces objets devenus les instruments du Salut : la Croix et la coupe qui, par cette alchimie de l’Amour infini de Dieu, transfigurent la mort en vie éternelle, et le sacrifice en acte gratuit d’amour, point culminant de la mission du Christ.

Cette icône se place ainsi au cœur de notre foi, au coeur même de la nuit Pascale, alors que la Lumière du Christ resplendit au milieu de nos obscurités.

 

Jacques Bihin & Vincent Minet 2011.

 

Méditation pour le Samedi Saint

Lui qui doit séjourner dans les plus hauts séjours,

le voici au plus bas qu’il est possible de descendre.

Lui, de la Trinité, le Fils égal du Père,

il va ressaisir dans l’Esprit cette part de son corps qui voulait lui échapper.

Il ne pouvait supprimer le mal qui tenait l’humanité captive

sans aller au profond de la terre pour l’extirper jusqu’aux racines.

Il vient tirer de la poussière de la mort pour le retourner vers la vie

celui qu’il avait au commencement tiré de la poussière du sol.

Il lui saisit la main, comme il avait fait dans le premier jardin,

comme il avait fait pour Eve quand il l’avait conduite vers lui.

La main qui le saisit est celle qui l’a pétri et modelé à l’origine,

une main désormais qui garde ineffaçables des traces de clous.

C’est la main qui s’est tendue vers Pierre pour le sauver,

quand la foi ne le portait plus et qu’il enfonçait dans les eaux.

C’est la main qui prit la main de la petite fille de douze ans,

de l’enfant possédé, de la fille de Jaïre, de la belle-mère de Simon.

Et comme il a marché sur le dos des vagues en furie,

il marche sur la puissance d’en bas avec des pieds que les bourreaux

ont transpercés.

Aujourd’hui il descend dans les enfers des bidonvilles

et des hôpitaux psychiatriques,

aux enfers des camps où l’on parque déportés et réfugiés.

Le voici descendu jusqu’à l’enfer des chambres à gaz,

jusqu’aux bas-fonds de la prostitution, de l’alcool et de la drogue.

Car il n’est pas un Dieu qui promettrait aux hommes un bonheur à venir

sans les aller chercher dans les angoisses de leur présent malheur.

 

Didier Rimaud