Christian Noorbergen

Maurice Douard

ou l’immensité habitée

Central, l’être humain, et plurielle, l’étendue. Immaculée et saisissante de pureté, elle donne le vertige. Incarnant l’indifférence de la ville, elle s’apparente au labyrinthe. Peu de signes apparaissent qui pourraient dire un lieu, une direction, un havre. Dans cette peinture tendue, les pauvretés communicantes ont disparu. Dans cette peinture austère et rare, les séductions colorées ont pris la tangente, laissant vivre au profond cette géométrie riche de maîtrise et de hasard, d’impact chromatique saisissant, et de fabuleuse densité. Dans l’art aigu de Maurice Douard, lutteur de haut vol, prodigieuse hauteur de vie et de vue.

Une force souterraine est en action, omniprésente et sacrale, coextensive à toute surface peinte, et la paix de l’âme habite, immobile, l’espace sans fond du fond de l’œuvre…

Art de partage et de compassion

Maurice Douard est un démiurge pudique, un créateur d’architecture habitée. Si la blancheur dominante qu’il instaure ne possède rien, elle installe en chaque œuvre un seuil innombrable, qui outrepasse toujours les misères du monde. Contagion de la beauté.

Œuvre de présence avide et féconde qui effaçe en elle ce qui gravite autour du visible et se désigne aveuglément dans toutes les illusions du monde.

Œuvre d’extrême picturalité où la surface des choses est balayée, emportée sous la pression unique d’une formidable tension mentale, dans un paysage sans repère. Et l’étendue, dans cette architecture d’absence, respire admirablement. Il n’y a pas de limite à cette ouverture mentale… Voyage sans fin et sans bagage…

Bichromie blanche et noire enserrant l’humaine polychromie. Cependant qu’une cascade rouge et charnelle desserre parfois l’étau, et l’oxygène du dedans peut croître dans cette ivresse contrôlée.

Art de partage, de secret et de compassion.

Art d’extrême humanité

L’étendue chez Maurice Douard est une impensable géométrie murale, une miraculeuse dislocation envoûtée, plongée dans la chromatique lancinante et décantée d’un désert mystique, où chacun enfin pourrait rêver d’amour.

La personne humaine, fût-elle flottante, fantomatique ou cernée, voire enchâssée comme un vitrail, est le point d’orgue absolu de chaque œuvre, et le magique point d’horizon de toute espérance. Migrant d’âme voyageuse, et personnage sans statut, sinon celui de la pure existence libérée des artifices de la mondanité. Ce presque rien de chair vive, ce sac de peau intime, affronte à vif l’étendue. Dans l’imminence d’une paix immense.

La présence humaine, chez Maurice Douard, est un choc tendu de mystère latent, un miracle de fragilité. Une cible à regards. Un soleil d’âme. Un talisman de pure humanité.

Chaque peinture est une secousse

Dans l’insondable de l’espace peint, l’indestructible humain fait irruption. En effraction charnelle, il accidente l’étendue. Il fait la vie. Il dit l’amour de la vie. Art agissant. Peinture étrangement chamanique, quand le corps d’absolue vitalité se déploie et se cristallise. Pas de limite aux éclats des couleurs qui savent infiniment résonner dans l’univers sans borne du dehors-dedans.

Dans cette picturale union des extrêmes, des échos d’espace se répondent en espace, et plus rien ne fait barrage à l’énigme chaude et incarnée de l’existence.

Art de défiguration et de déflagration ? Ou bien, au contraire, art de véritable recentration ? Voire de magistrale et nouvelle structuration ?

Deux esthétiques éloignées s’affrontent ici, d’où naît la vraie haute peinture. Celle du dénuement spatial, essentiel, âpre, et comme découpé au scalpel, et celle de la tache brûlante et surgissante comme une fulgurance arrêtée.

L’univers de Maurice Douard est dur miroir d’immensité pour corps seul, vêtu de pure peinture.